TA Bastia, 09/05/2023, n°2300430

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 11 avril 2023 et le 3 mai 2023, la SELARL Agex, représentée par Me Bleines-Ferrari, demande au juge des référés, dans le dernier état de ses écritures :

1°) sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'annuler la procédure de passation, par appel d'offres ouvert, d'un accord-cadre avec maximum devant donner lieu à l'émission de bons de commande ayant pour objet la réalisation de prestations topographiques afférentes à des opérations d'aménagement de la communauté d'agglomération du pays ajaccien (CAPA), à compter de l'examen des offres ;

2°) d'enjoindre à la CAPA, si elle souhaite poursuivre la procédure en cours, de reprendre la procédure de passation à compter de l'examen des offres, y compris la sienne ;

3°) de mettre à la charge de la CAPA la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les documents qu'elle avait demandés ont été communiqués par la CAPA dans le cadre de l'instance ;

- la décision du 31 mars 2023 de la CAPA ne fait pas état d'un risque pour la bonne exécution du marché ;

- son offre a été regardée à tort comme anormalement basse, en l'absence de prix manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché ;

- son offre satisfait aux conditions fixées à l'article R. 2152-3 du code de la commande publique ;

- une éventuelle insuffisance du bordereau des prix unitaires et du détail quantitatif estimatif ne justifie pas du caractère anormalement bas de l'offre ;

- l'écart entre les montants de son offre et de celle de l'attributaire ne peut justifier à lui seul l'exclusion de son offre.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 avril 2023, la CAPA, représentée par la SCP Morelli-Maurel et associés, conclut :

1°) à titre principal, au rejet de la requête et à ce que le versement d'une somme de 4 000 euros soit mis à la charge de la SELARL Agex au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

2°) à titre subsidiaire, à ce que l'annulation de la procédure de passation soit prononcée à compter de l'examen des offres.

Elle soutient que :

- les documents communicables ont été communiqués ;

- elle a accompli les diligences prévues aux articles L. 2152-6 et R. 2152-3 du code de la commande publique et a suffisamment motivé le rejet de l'offre de la requérante ;

- le rejet de l'offre de la requérante comme anormalement basse n'est pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation eu égard à l'écart important existant entre cette offre et celle de l'attributaire ainsi qu'avec l'estimation de la CAPA, et au caractère insuffisant des justificatifs apportés en réponse à sa demande de précisions.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 avril 2023, la SARL Cabinet Sibella et associés, représentée par la SELARLU Genuini Avocat, conclut au rejet de la requête et à ce que le versement d'une somme de 3 500 euros soit mis à la charge de la SELARL Agex au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les documents communicables ont été communiqués ;

- la décision de rejet de l'offre de la requérante est motivée ;

- cette décision n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation, en l'absence de justifications chiffrées, d'absence de logique économique de la plupart des prix unitaires et dès lors que le caractère anormalement bas de l'offre, appréciée dans sa globalité, compromettrait la bonne exécution du marché.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir présenté son rapport et entendu au cours de l'audience publique les observations de Me Bleines-Ferrari, représentant la SELARL Agex, de Me Théret, représentant la communauté d'agglomération du pays ajaccien, et de Me Genuini, représentant la SARL Cabinet Sibella et associés.

Après avoir décidé de différer la clôture de l'instruction au 5 mai 2023 à 15 heures.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 mai 2023, la SARL Cabinet Sibella et associés conclut aux mêmes fins que précédemment, par les mêmes moyens.

Elle soutient, en outre, que :

- la production tardive d'un sous-détail des prix, vainement réclamé par la CAPA, ne peut pas établir que celle-ci a entaché le rejet de l'offre de la requérante d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- 16 prix unitaires ne sont au demeurant toujours pas détaillés sur les 36 demandés initialement par la CAPA ;

- le sous-détail confirme le caractère anormalement bas de l'offre présentée qui est globalement dénuée de réalité économique et révèle des pratiques de nature à fausser l'égalité entre les candidats ;

- l'importance de l'écart entre les offres ne peut être justifié par la seule différence de localisation des moyens humains ni par les frais de déplacement.

Après avoir décidé de différer la clôture de l'instruction au 5 mai 2023 à 18 heures.

Par un mémoire, enregistré le 5 mai 2023, la SELARL Agex conclut aux mêmes fins que précédemment, par les mêmes moyens.

Elle soutient, en outre, que les prix unitaires non détaillés sont ceux qui font l'objet d'une facturation à prix coûtant.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif () peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix () ". Aux termes du I de l'article L. 551-2 : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations. "

2. La communauté d'agglomération du pays ajaccien (CAPA) a lancé une procédure d'appel d'offres ouvert en vue de passer un accord cadre d'études à bons de commande, avec maximum, pour la réalisation de prestations topographiques afférentes à des opérations d'aménagement sur le territoire communautaire. La SELARL Agex, qui a déposé un dossier de candidature a été invitée, par courrier du 8 février 2023 de la CAPA, d'une part, à compléter son dossier par la production de documents manquants, en application des dispositions de l'article R. 2144-2 du code de la commande publique et, d'autre part, à préciser la teneur de son offre, en application des dispositions de l'article R. 2161-5 de ce code. La CAPA l'a également invitée à justifier le prix ou les coûts proposés dans son offre, au motif qu'elle était susceptible d'être regardée comme anormalement basse au sens des dispositions de l'article R. 2152-3 du même code. La SELARL Agex y a répondu le 14 février. Son offre a été rejetée, le 31 mars 2023, comme irrégulière au motif qu'elle était anormalement basse. La SELARL Agex demande au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'annuler la procédure de passation à compter de l'examen des offres et d'enjoindre à la CAPA, si elle souhaite poursuivre la procédure en cours, de reprendre la procédure de passation à compter de l'examen des offres, y compris la sienne.

3. Aux termes de l'article L. 2152-5 du code de la commande publique : " Une offre anormalement basse est une offre dont le prix est manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché. " L'article L. 2152-6 dispose que " L'acheteur met en œuvre tous moyens lui permettant de détecter les offres anormalement basses. / Lorsque une offre semble anormalement basse, l'acheteur exige que l'opérateur économique fournisse des précisions et justifications sur le montant de son offre. / Si, après vérification des justifications fournies par l'opérateur économique, l'acheteur établit que l'offre est anormalement basse, il la rejette dans des conditions prévues par décret en Conseil d'Etat. " L'article R. 2152-3 prévoit que " L'acheteur exige que le soumissionnaire justifie le prix ou les coûts proposés dans son offre lorsque celle-ci semble anormalement basse eu égard aux travaux, fournitures ou services, y compris pour la part du marché qu'il envisage de sous-traiter. / Peuvent être prises en considération des justifications tenant notamment aux aspects suivants : 1° Le mode de fabrication des produits, les modalités de la prestation des services, le procédé de construction ; 2° Les solutions techniques adoptées ou les conditions exceptionnellement favorables dont dispose le soumissionnaire pour fournir les produits ou les services ou pour exécuter les travaux ; 3° L'originalité de l'offre ; 4° La règlementation applicable en matière environnementale, sociale et du travail en vigueur sur le lieu d'exécution des prestations ; 5° L'obtention éventuelle d'une aide d'Etat par le soumissionnaire. " Enfin, selon l'article R. 2152-4 : " L'acheteur rejette l'offre comme anormalement basse dans les cas suivants : 1° Lorsque les éléments fournis par le soumissionnaire ne justifient pas de manière satisfaisante le bas niveau du prix ou des coûts proposés () ".

4. D'une part, il résulte des dispositions du code de la commande publique citées au point 3 que, quelle que soit la procédure de passation mise en œuvre, il incombe au pouvoir adjudicateur qui constate qu'une offre paraît anormalement basse de solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé, sans être tenu de lui poser des questions spécifiques. Si les précisions et justifications apportées ne sont pas suffisantes pour que le prix proposé ne soit pas regardé comme manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché, il appartient au pouvoir adjudicateur de rejeter l'offre. Le caractère anormalement bas ou non d'une offre ne saurait résulter du seul constat d'un écart de prix important entre cette offre et d'autres offres que les explications fournies par le candidat ne sont pas de nature à justifier et il appartient notamment au juge du référé précontractuel, saisi d'un moyen en ce sens, de rechercher si le prix en cause est en lui-même manifestement sous-évalué et, ainsi, susceptible de compromettre la bonne exécution du marché.

5. D'autre part, l'existence d'un prix paraissant anormalement bas au sein de l'offre d'un candidat, pour l'une seulement des prestations faisant l'objet du marché, n'implique pas, à elle-seule, le rejet de son offre comme anormalement basse, y compris lorsque cette prestation fait l'objet d'un mode de rémunération différent ou d'une sous-pondération spécifique au sein du critère du prix. Le prix anormalement bas d'une offre s'apprécie en effet au regard de son prix global.

6. Il résulte de l'instruction que, le 8 février 2023, la CAPA a demandé à la SELARL Agex de fournir les justifications nécessaires au montant de la proposition financière, notamment en ce qui concerne les prix indiqués à 35 des 65 lignes du bordereau des prix unitaires, et de lui communiquer notamment le sous-détail de ses prix ainsi que tout autre élément susceptible de lever la suspicion d'offre anormalement basse. La SELARL Agex, dont l'offre apparaissait particulièrement basse en comparaison de l'estimation du pouvoir adjudicateur et des prix résultant des offres concurrentes, n'a pas alors communiqué le sous-détail des prix mais s'est bornée à répondre par des explications générales sur 42 de ses tarifs, tenant notamment à la localisation de ses moyens, à son expérience et à ce qu'elle possède " presque à chaque fois une partie des données () demandées ", sans toutefois assortir ses réponses d'éléments chiffrés. Certains des prix n'ont au demeurant fait l'objet d'aucune justification devant la CAPA, à l'instar, notamment, de l'absence de plus-value en cas d'intervention de nuit. Ainsi, les éléments de réponse donnés par la SELARL Agex ne sont pas suffisants pour que le prix global qu'elle a proposé ne soit pas regardé, d'une part, eu égard à l'ensemble des coûts nécessaires à la réalisation des prestations en cause, comme manifestement sous-évalué et, d'autre part, dans les circonstances de l'espèce, comme susceptible de compromettre la bonne exécution du marché. Dès lors, la SELARL Agex n'est pas fondée à soutenir qu'en écartant son offre comme anormalement basse, le pouvoir adjudicateur aurait entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.

7. Il résulte de ce qui précède que la requête de la SELARL Agex doit être rejetée, y compris les conclusions présentées en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SELARL Agex une somme de 1 500 euros chacune au titre des frais exposés par la CAPA et par la SARL Cabinet Sibella et associés, et non compris dans les dépens.

ORDONNE

Article 1er : La requête de la SELARL Agex est rejetée.

Article 2 : La SELARL Agex versera à la CAPA et à la SARL Cabinet Sibella et associés la somme de 1 500 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la SELARL Agex, à la communauté d'agglomération du pays ajaccien et à la SARL Cabinet Sibella et associés.

Fait à Bastia, le 9 mai 2023.

Le juge des référés,

Signé

T. VANHULLEBUS

La République mande et ordonne au préfet de la Corse-du-Sud en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

Signé

H. NICAISE