TA Bordeaux, 11/04/2023, n°2301380

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 17 mars 2023 et un mémoire enregistré le 4 avril 2023, la société par actions simplifiée (SAS) Eurovia Aquitaine, représentée par la SCP Avocagir, avocat, demande au juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

1°) d'annuler la procédure d'appel à la concurrence lancée par la communauté de communes du Périgord Nontronnais en vue de la passation du lot n° 1, relatif à la voirie et aux réseaux divers, d'un marché conclu selon une procédure adaptée, pour l'aménagement de la " flow vélo " ;

2°) de mettre à la charge de la communauté de communes du Périgord Nontronnais une somme de 6 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La SAS Eurovia Aquitaine soutient que :

- elle a été informée, par courrier du 13 mars 2023 que, à la suite du troisième rapport d'analyse, l'offre qu'elle avait déposée le 9 décembre 2022, en temps de droit, n'était pas retenue ;

- dès lors qu'elle avait intérêt à la conclusion du contrat, les différents manquements commis par la communauté de communes ont pour effet de la léser et sa requête est recevable ;

- par lettre du 18 janvier 2023, la communauté de communes ne s'est pas bornée à demander des précisions, mais a modifié les prestations sollicitées, modifications affectant les quantitatifs dans les détails estimatifs des postes 2 à 5 ;

- aucune raison pertinente, technique, économique ou administrative n'a été énoncée par la communauté de communes pour justifier les modifications en cause ;

- les explications fournies ultérieurement par la communauté de communes ne sont appuyées d'aucun commencement de preuve ;

- de la même manière que s'agissant de la procédure d'appel d'offres ou de la procédure de dialogue compétitif, aucune modification du dossier de consultation ne pouvait intervenir après la remise des offres ;

- en outre, aucun élément d'information complémentaire n'est apparu nécessaire en cours de procédure, qui aurait justifié des adaptations ;

- les modifications sont intervenues après la remise des offres, en violation de l'article 3-4 du règlement de la consultation, qui est au nombre des pièces de la procédure en vertu de l'article R. 2132-1 du code de la commande publique, lequel règlement a force obligatoire dans toutes ses mentions par application tant du principe selon lequel l'administration est liée par les règles qu'elle se donne que du principe d'égalité de traitement des candidats ;

- si l'article R. 2151-4 du code de la commande publique autorise le pouvoir adjudicateur à prolonger le délai de dépôt des offres en cas de modification importante, d'une part, la prolongation doit être prononcée avant la date de remise des offres, d'autre part, la modification doit être importante, deux conditions qui n'ont pas été respectées, la prolongation ayant été décidée après le dépôt des offres et les modifications sollicitées étant mineures ;

- la comparaison entre le rapport d'analyse des offres en date du 6 février 2023 et celui du 27 février suivant révèle que, s'agissant de l'origine et de la nature des matériaux employés, la note de l'offre du groupement BDB Travaux Publics et Muret Travaux Publics a doublé, passant de 5/10 à 10/10, ce qui signifie qu'il a pu parfaire son offre qui était initialement incomplète et qui, irrégulière en application de l'article L. 2152-2 du code de la commande publique, aurait dû être écartée en vertu de l'article L. 2152-1 de ce code, ce d'autant que l'article 4-2 du règlement de la consultation stipulait que toute offre incomplète serait immédiatement écartée ;

- contrairement à l'attributaire, elle n'a pas été informée que la seconde offre entrait dans une phase de négociation, en violation du principe d'égalité de traitement des candidats, outre que, d'une part, le courrier du 18 janvier 2023 de la communauté de communes ne faisait référence qu'à une demande de précision et qu'en réalité, ne s'agissant pas véritablement d'une négociation, les dispositions de l'article R. 2152-1 alinéa 2 du code de la commande publique n'étaient pas applicables ;

Par mémoire en défense enregistré le 31 mars 2023 et des pièces complémentaires enregistrées le 3 avril 2023, la société par actions simplifiée (SAS) BDB Travaux Publics, représentée par la SELARL Themisia Avocat, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la SAS Eurovia Aquitaine d'une somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La SAS BDB Travaux Publics fait valoir que :

- la requête est irrecevable à défaut démonstration d'un lien de causalité entre les manquements allégués et l'attribution du marché au concurrent ;

- les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Par mémoire en défense, enregistré le 31 mars 2023, la communauté de communes du Périgord Nontronnais, représentée par Me Rivière, avocat, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la SAS Eurovia Aquitaine de la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La Communauté de communes fait valoir que :

- la SAS Eurovia Aquitaine ne démontre pas que les manquements allégués étaient susceptibles de léser ses intérêts ;

- le moyen tiré de la modification du dossier de consultation, au demeurant marginale, est en toute hypothèse, inopérant ;

- le moyen tiré du caractère irrégulier du report de la remise des offres est inopérant ;

- les autres moyens ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

La présidente du tribunal a désigné M. Bayle, vice-président, pour statuer sur les demandes de référé.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique du 4 avril 2023 à 14h30, ont été entendus :

- le rapport de M. Bayle, juge des référés ;

- les observations de Me Coronat, représentant la SAS Eurovia Aquitaine, qui a développé les moyens soulevés dans les écritures de cette société ;

- les observations de Me Boissinot, représentant la communauté de communes du Périgord Nontronnais, qui a repris les moyens invoqués en défense par cet établissement public ;

- les observations de Me Siad, représentant la SAS BDB Travaux Public, qui confirmé les moyens opposés en défense par cette société.

La SARL Muret Travaux publics n'était ni présente, ni représentée.

La parole a été donnée en dernier lieu aux défendeurs et la clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.

La communauté de communes du Périgord Nontronnais a déposé une note en délibéré le 5 avril 2023.

Considérant ce qui suit :

1. Par avis d'appel public à la concurrence du 3 novembre 2022, la communauté de communes du Périgord Nontronnais a lancé une consultation pour la passation, selon une procédure adaptée, d'un marché de travaux pour l'aménagement d'un itinéraire cyclable intitulé " flow vélo ", constitué de deux lots. La SAS Eurovia Aquitaine a déposé une offre pour le lot n° 1, relatif à la voirie et aux réseaux divers, le 9 décembre 2022, date limite de réception des offres. Toutefois, par courrier du 18 janvier 2023, la communauté de communes du Périgord Nontronnais a informé les soumissionnaires de modifications apportées au détail estimatif pour la tranche ferme du lot n° 1 et au plan de cette tranche ferme, et a fixé une nouvelle date, soit le 27 janvier 2023, pour la remise des meilleures offres et des mémoires techniques. La SAS Eurovia Aquitaine a déposé une nouvelle offre avant cette date. Mais, après que la commission d'appel à concurrence a examiné les nouvelles offres, une première fois le 6 février 2023, puis une deuxième fois le 27 février, elle a été informée, par courrier du 13 mars 2023 de la communauté de communes du Périgord Nontronnais, que son offre était rejetée et que le marché était attribué au groupement composé de la SARL BDB Travaux Public et de la société Muret Travaux Publics, dont la première est mandataire. La SAS Eurovia Aquitaine demande au juge des référés d'annuler la procédure de passation dudit marché.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique (). / () Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ".

3. Les personnes habilitées à engager le recours prévu à l'article L. 551-1 en cas de manquement du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par le manquement invoqué. Il appartient dès lors au juge du référé précontractuel de rechercher si l'entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente.

4. Aux termes de l'article L. 2123-1 du code de la commande publique : "Une procédure adaptée est une procédure par laquelle l'acheteur définit librement les modalités de passation du marché, dans le respect des principes de la commande publique et des dispositions du présent livre, à l'exception de celles relatives à des obligations inhérentes à un achat selon une procédure formalisée". Aux termes de l'article R. 2123-4 de ce code : " Lorsqu'il recourt à une procédure adaptée, l'acheteur en détermine les modalités en fonction de la nature et des caractéristiques du besoin à satisfaire, du nombre et de la localisation des opérateurs économiques susceptibles d'y répondre ainsi que des circonstances de l'achat ". Aux termes de l'article R. 2123-5 du même code : " Lorsque l'acheteur prévoit une négociation, il peut attribuer le marché sur la base des offres initiales sans négociation, à condition d'avoir indiqué qu'il se réserve cette possibilité dans les documents de la consultation ".

5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 2152-1 du code de la commande publique " L'acheteur écarte les offres irrégulières, inacceptables ou inappropriées " et aux termes de l'article L. 2152-2 de ce code : " Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale ". L'article 4.2 du règlement de la consultation stipulait, dans son dernier alinéa, que " () toute offre incomplète sera immédiatement écartée ".

6. En premier lieu, la SAS Eurovia Aquitaine soutient qu'au regard de l'analyse des offres des 6 février et 27 février 2023, le mémoire technique de l'offre initiale du groupement attributaire, déposée avant le 9 décembre 2022, était incomplet s'agissant de l'origine et la nature des matériaux, indications exigées par l'article 4-2 du règlement de la consultation, et que, en conséquence, cette offre aurait dû être écartée comme irrégulière. Mais il ressort du rapport de l'analyse des offres daté de janvier 2023 que le groupement représenté par la SARL BDB Travaux Publics avait joint à sa candidature un mémoire technique complet, lequel a été communiqué au cours de la procédure assorti d'une justification de son dépôt le 8 décembre 2022. En particulier, contrairement à ce que prétend la SAS Eurovia Aquitaine, le mémoire technique comportait une fiche relative à composition des enrobés, détaillant les granulats du mélange recomposé. Si le groupement s'est vu accorder alors seulement la note de 5/10 sur ce sous-critère concernant l'indication de l'origine et de la nature des matériaux, la circonstance que, s'agissant de l'offre déposée secondairement, il a obtenu la note de 10/10 au vu des fiches techniques qu'il a fournies n'est nullement de nature à révéler l'irrégularité de l'offre initiale. Quant aux erreurs que la maîtrise d'œuvre a commises dans le rapport d'analyse de la seconde offre du groupement concernant l'origine des matériaux proposés, elles ne peuvent être utilement invoquer pour démontrer l'irrégularité de l'offre initiale.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 2151-4 du code de la commande publique : " Le délai de réception des offres est prolongé dans les cas suivants : / 1° Lorsqu'un complément d'informations, nécessaire à l'élaboration de l'offre, demandé en temps utile par l'opérateur économique, n'est pas fourni dans les délais prévus à l'article R. 2132-6 ; / 2° Lorsque des modifications importantes sont apportées aux documents de la consultation. / La durée de la prolongation est proportionnée à l'importance des informations demandées ou des modifications apportées ". Ainsi qu'il a été indiqué, le pouvoir adjudicateur a, par courrier du 18 janvier 2023, postérieurement à la date limite de dépôt des offres, modifié le détail estimatif pour la tranche ferme du lot n° 1 et le plan de cette tranche, et a invité les soumissionnaires à présenter leur meilleure offre dans un nouveau délai expirant le 27 janvier 2023. Ce faisant, le pouvoir adjudicateur n'a pas procédé à une prolongation du délai de réception des offres conforme aux prescriptions précitées. Toutefois, il est établi que la SAS Eurovia Aquitaine a été informée de la modification des termes de la consultation dans les mêmes conditions que les autres concurrents et que, d'ailleurs, elle a déposé une nouvelle offre, prenant en considération lesdites modifications. Dans ces conditions, et si le courrier du 18 janvier 2023 ne saurait être regardé comme constituant une demande de précision, compte tenu de son objet, le manquement du pouvoir adjudicateur dans l'application des dispositions précitées n'a pu avoir pour effet de léser les intérêts de la société requérante.

8. En troisième lieu, si la SAS Eurovia Aquitaine soutient qu'elle n'a pas été informée de l'ouverture de la phase de négociation, invoquée par les défendeurs pour les besoins de la cause en se fondant sur le courrier du 18 janvier 2023 qui est taisant à ce sujet, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que les autres soumissionnaires, en particulier le groupement attributaire, ait reçu d'autres informations que celles contenus dans ce courrier, invitant les candidats à présenter leur meilleure offre pour la réalisation des travaux en cause, partiellement redéfinis. Il s'ensuit que le pouvoir adjudicateur n'a pas méconnu les principes de transparence et d'égalité de traitements des candidats.

9. En quatrième lieu, la SAS Eurovia Aquitaine fait valoir que la communauté de communes du Périgord Nontronnais ne justifie pas les modifications apportées aux documents du marché le 18 janvier 2023. Mais ce moyen ne peut être utilement invoqué à l'encontre de la procédure de passation du marché en litige.

10. En cinquième lieu, si le rapport d'analyse des offres en date du 27 février 2023 contient des erreurs sur l'origine de quatre des matériaux proposés par le groupement attributaire, notamment une inversion entre deux marques, il ne résulte pas de l'instruction que le pouvoir adjudicateur ait, pour autant, dénaturé l'offre de ce dernier.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS Eurovia Aquitaine n'est pas fondée à demander l'annulation de la procédure d'appel public à la concurrence lancée par la communauté de communes du Périgord Nontronnais en vue de la passation du lot n° 1, relatif à la voirie et aux réseaux divers, du marché, conclu selon une procédure adaptée, pour l'aménagement de la " flow vélo " sur le territoire de cet établissement public.

Sur les conclusions relatives aux frais de l'instance :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la communauté de communes du Périgord Nontronnais, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme dont la SAS Eurovia Aquitaine demande le paiement au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'affaire, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de la communauté de communes du Périgord Nontronnais et de la SAS BDB Travaux Publics présentées sur ce fondement.

ORDONNE :

Article 1er : La requête n° 2301380 de la SAS Eurovia Aquitaine est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la communauté de communes du Périgord Nontronnais et de la SAS BDB Travaux publics tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à société par actions simplifiée Eurovia Aquitaine, à la communauté de communes du Périgord Nontronnais, à la société par actions simplifié BDB Travaux publics et à la société Muret Travaux Publics.

Fait à Bordeaux, le 11 avril 2023.

Le juge des référés,

J-M. BAYLE La greffière,

C. GIOFFRE

La République mande et ordonne au préfet de la Dordogne en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

Pour expédition conforme,

La greffière,