TA Bordeaux, 23/08/2023, n°2304152

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 27 juillet et 16 août 2023, la société Vago, représentée par Ernst et Young, société d'avocats, demande au juge des référés statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

1°) d'enjoindre à Bordeaux Métropole de suspendre l'exécution de l'ensemble des décisions se rapportant à la passation de marché n° 2023-DAAM-0044 relatif à la gestion financière et technique des équipements métropolitains d'accueil des gens du voyage et, notamment, la signature du contrat ;

2°) d'annuler la décision de rejet de son offre et la décision de la commission d'appel d'offres de Bordeaux Métropole retenant l'offre de la société SG2A dans le cadre de la passation de l'accord-cadre en litige ;

3°) d'enjoindre à Bordeaux Métropole de reprendre la procédure au stade de l'examen des offres en tenant compte de la sienne ;

4°) de rejeter l'ensemble des prétentions de Bordeaux Métropole ;

5°) de mettre à la charge de Bordeaux Métropole les entiers dépens de l'instance ainsi qu'à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à tort que son offre a été rejetée comme irrecevable dès lors qu'elle prévoit bien une équipe dédiée pour la gestion des aires de grand passage ;

- son offre a été dénaturée par l'appréciation portée sur elle par Bordeaux Métropole ;

- exclure la possibilité d'affectation du personnel travaillant sur les aires d'accueil permanentes le reste de l'année apparaît contradictoire avec l'objectif mis en avant par Bordeaux Métropole d'avoir une équipe dédiée expérimentée aux aires de grand passage adaptée à leurs besoins spécifiques ;

- aucun élément du dossier de consultation ne vient interdire la réaffectation de personnels entre les agents des aires de grand passage et les agents des aires d'accueil permanents ;

- sa note méthodologique détaille suffisamment la composition de son équipe ad hoc, pour la gestion des aires de grand passage.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 10 et 17 août 2023, Bordeaux Métropole, représentée par Me Cabannes, avocat, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la société Vago d'une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- c'est à bon droit qu'elle a écarté son offre comme irrégulière en tant qu'elle méconnaît les stipulations de l'article 3.1.3 du CCTP ;

- l'offre de la société requérante est également irrégulière en tant qu'elle méconnaît les dispositions de l'article 5.1 du règlement de consultation relatives aux modalités de présentation des offres.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

La présidente du tribunal a désigné M. Delvolvé, vice-président, pour statuer sur les demandes de référé.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique du 17 août 2023 à 14h00, tenue en présence de Mme Malo, greffier d'audience, ont été entendus :

- le rapport de M. Delvolvé, juge des référés ;

- les observations de Me Poulain, représentant la société Vago, qui confirme ses écritures et qui soutient en outre que : il faut distinguer la recevabilité de son offre de son appréciation technique ; elle a parfaitement répondu au cahier des charges en détaillant la composition de l'équipe qu'elle entend dédier aux aires de grand passage ; la composition précise de cette équipe n'était nullement demandée ;

- les observations de Me Michaud, représentant Bordeaux Métropole, qui confirme ses écritures et qui fait également valoir qu'elle était tenue de rejeter l'offre de la société Vago comme irrecevable dès lors qu'elle était incomplète ; admettre la recevabilité de cette offre constituerait une rupture d'égalité de traitement des candidats ; aucune précision n'est apportée dans l'offre de la société Vago sur la composition de l'équipe dédiée aux aires de grand passage, pas même le nombre de salariés la composant.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d'appel public à la concurrence envoyé à la publication le 25 avril 2023, Bordeaux Métropole a lancé une procédure d'appel d'offres ouvert en vue de l'attribution d'un accord-cadre portant sur la gestion financière et technique des équipements métropolitains d'accueil des gens du voyage. La société Vago a remis une offre dans les délais impartis. Par courrier du 18 juillet 2023, Bordeaux Métropole a notifié à la société requérante le rejet de son offre en lui indiquant que celle-ci était irrégulière au motif qu'elle ne respectait pas le cahier des charges de la consultation s'agissant de la nécessité de prévoir une " équipe spécifique et indépendante des aires permanentes d'accueil (APA) pour les aires de grand passage (AGP) comme exigé par le CCTP ". Par la présente requête, la société Vago demande au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'enjoindre à Bordeaux Métropole de suspendre l'exécution de l'ensemble des décisions se rapportant à la passation de ce marché, d'annuler la décision de rejet de son offre et la décision de la commission d'appel d'offres de Bordeaux Métropole retenant l'offre de la société SG2A dans le cadre de la passation de l'accord-cadre en litige et d'enjoindre à Bordeaux Métropole de reprendre la procédure au stade de l'examen des offres en tenant compte de la sienne.

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique (). / () Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ". Aux termes de l'article L. 551-2 du même code : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations ".

3. Il n'appartient pas au juge du référé précontractuel, qui doit seulement se prononcer sur le respect, par le pouvoir adjudicateur, des obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation d'un contrat, de se prononcer sur l'appréciation portée sur la valeur d'une offre ou les mérites respectifs des différentes offres. Il lui appartient, en revanche, lorsqu'il est saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le pouvoir adjudicateur n'a pas dénaturé le contenu d'une offre en en méconnaissant ou en en altérant manifestement les termes et procédé ainsi à la sélection de l'attributaire du contrat en méconnaissance du principe fondamental d'égalité de traitement des candidats.

4. Aux termes de l'article L. 2152-1 du code de la commande publique : " L'acheteur écarte les offres irrégulières, inacceptables ou inappropriées ". L'article L. 2152-2 du même code précise que : " Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale ".

5. Afin de remédier aux difficultés de gestion des aires de grand passage, Bordeaux Métropole a prévu à l'article 3.1.3 du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) de l'accord cadre en litige que : " Le prestataire devra présenter à Bordeaux Métropole la constitution de son équipe estivale ad hoc indépendante de l'équipe dédiée à la gestion technique des aires permanentes d'accueil. L'équipe permanente, en poste sur les aires d'accueil du lundi au vendredi, est très sollicitée en période estivale par les fermetures annuelles d'aires. Il est donc nécessaire de constituer une équipe spécifique pour les aires de grand passage ". Pour être régulière, toute offre devait ainsi présenter la composition d'une équipe indépendante dédiée à la gestion des AGP, et donc implicitement mais nécessairement au moins le nombre d'employés devant constituer cette équipe ad hoc, pour permettre une comparaison utile des offres sur ce point. Il ne résulte pas de l'instruction qu'une telle exigence serait sans rapport avec l'objet de l'accord cadre.

6. Il résulte de l'instruction que la société VAGO s'est bornée à indiquer dans son offre, à la page 91 de son mémoire technique, que : " Par notre expérience de la gestion des AGP, de ses spécificités et la périodicité, nous faisons le choix de remplacer quelques agents sur les aires d'accueil pour les transférer sur les aires de grand passage durant la période d'ouverture. Ceci afin d'avoir une équipe dédiée. / Pour VAGO, ce personnel est compétent et expérimenté, de fait il a une grande connaissance de la culture des voyageurs et des groupes donc à même de mieux accueillir, informer et faire respecter le règlement intérieur. / Ainsi, les agents sont remplacés sur les aires par des agents dépêchés de l'Agence Nouvelle Aquitaine - Occitanie. " Une telle rédaction ne permet pas, d'une part, de connaître la composition de " l'équipe festivale ad hoc " proposée par la société Vago, et d'autre part, de respecter le critère d'indépendance de cette équipe par rapport à l'équipe dédiée aux APA. Dans ces conditions, l'offre de la société Vago, ainsi que l'a relevé Bordeaux Métropole, était incomplète et ne respectait pas sur ce point les exigences formulées par les documents de la consultation. Bordeaux Métropole était donc tenue d'écarter ladite offre comme irrégulière.

7. Il résulte de ce qui précède que la requête de la société Vago ne peut qu'être rejetée, y compris, les conclusions présentées par cette dernière au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme de 1 500 euros à la charge de la société Vago au titre des frais exposés par Bordeaux Métropole et non compris dans les dépens.

ORDONNE :

Article 1er : La requête de la société Vago est rejetée.

Article 2 : La société Vago versera à Bordeaux Métropole la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Vago, à Bordeaux Métropole et à la société SG2A - l'Hacienda.

Fait à Bordeaux, le 23 août 2023.

Le magistrat désigné,

Ph. DELVOLVÉ La greffière,

H. MALO

La République mande et ordonne au préfet de la Gironde en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,