TA de de Besançon, 13 octobre 2023, n°2301842

 

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 

 

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 26 septembre et 11 octobre 2023, la SAS Roc Aménagement, représentée par Me Corneloup, demande au juge des référés :

1°) d'ordonner, sur le fondement des articles L. 551-1 et L. 551-2 du code de justice administrative, l'annulation de la procédure, lancée par la communauté de communes du Val de Morteau, de passation du " marché n°2 : Passerelle, rampe et encorbellements " ;

2°) de mettre à la charge de la communauté de communes du Val de Morteau une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La SAS Roc Aménagement soutient que :

- elle peut se prévaloir de tout moyen en application de l'arrêt de la CJUE,

24 mars 2021, Nama, C-771/19 ;

- la collectivité a apporté au marché en litige des modifications substantielles durant la phase de négociation ce qui aurait dû la conduire à publier un nouvel avis d'appel public à la concurrence et ne lui permettait pas de ne laisser que sept jours ouvrés aux candidats pour présenter une offre de nature à répondre à ses nouveaux besoins ;

- le marché aurait dû être alloti ;

- certains documents demandés aux candidats pour justifier de leur capacité à réaliser le marché n'étaient pas prévus par l'annexe 2 du code de la commande publique.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 octobre 2023, la communauté de communes du Val de Morteau, représentée par Me Landbeck conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge du requérant une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code justice administrative.

La communauté de communes du Val de Morteau soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

La présidente du tribunal administratif a désigné M. B en application de l'article L. 511-2 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique qui s'est tenue le 11 octobre 2023 en présence de Mme Chiappinelli, greffière, M. B a lu son rapport et entendu :

- Me Santana, substituant Me Corneloup, pour le compte de la SAS Roc Aménagement ;

- Me Landbeck pour le compte de la communauté de communes du Val de Morteau ;

- M. A, représentant la société Est Ouvrages.

Me Santana a indiqué abandonner le moyen relatif aux documents demandés aux candidats pour justifier de leur capacité à réaliser le marché.

Au vu des débats, les parties ont été informées, au cours de l'audience que la clôture de l'instruction était différée au 13 octobre 2023 à 12 heures.

Au vu des mêmes débats, le juge des référés a demandé à la communauté de communes du Val de Morteau de transmettre des schémas, versés dans l'application Télérecours et soumis au contradictoire, permettant de comprendre la réduction de la partie encorbellements du projet.

La SAS Roc Aménagement a communiqué ces éléments le 13 octobre à 10 h 48.

Un mémoire complémentaire produit pour le compte de la communauté de communes du Val de Morteau le 13 octobre à 11 h 44 n'a pas été communiqué.

Considérant ce qui suit :

1. Dans le cadre de l'aménagement d'une voie à mobilité douce entre la commune de Morteau (Doubs) et celle de Montlebon, la communauté de communes du Val de Morteau a lancé en juin 2023 un marché public n°2 ayant pour objet la réalisation d'une passerelle sur le Doubs, d'une rampe d'accès à cette parcelle et d'encorbellements situés au contact de la route allant de Morteau à Montlebon. La procédure choisie était celle de la procédure adaptée ouverte avec négociation éventuelle librement définie par le pouvoir adjudicateur. Par un courrier du 22 septembre 2023, la communauté de communes du Val de Morteau a informé la SAS Roc Aménagement, qui avait candidaté à l'attribution du marché, que son offre ayant obtenu la note de 69/100 n'était pas retenue au profit de celle de la société Est Ouvrages qui avait obtenu une note globale de 90/100. Estimant que le pouvoir adjudicateur avait commis des manquements à ses obligations de publicité et de mise en concurrence, la SAS Roc Aménagement, classée deuxième au terme de la procédure de mise en concurrence, demande au juge des référés, saisi sur le fondement des dispositions de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'annuler la procédure de passation du marché.

Sur les conclusions présentées sur le fondement des articles L. 551-1 et L. 551-2 du code de justice administrative :

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat. ". L'article L. 551-2 du même code dispose que : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations ".

3. Il appartient au juge administratif, saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l'administration. En vertu de cet article, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient, dès lors, au juge des référés précontractuels de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique concurrent.

4. En premier lieu, aux termes de l'article R. 2123-1 du code de la commande publique : " L'acheteur peut recourir à une procédure adaptée pour passer : 1° Un marché dont la valeur estimée hors taxes du besoin est inférieure aux seuils européens mentionnés dans un avis qui figure en annexe du présent code () ". Aux termes de l'article R. 2131-12 du même code : " Les marchés passés selon une procédure adaptée par l'Etat, ses établissements publics autres qu'à caractère industriel et commercial, les collectivités territoriales, leurs établissements publics et leurs groupements, font l'objet d'une publicité dans les conditions suivantes : () 2° Lorsque la valeur estimée du besoin est égale ou supérieure à 90 000 euros hors taxes et inférieure aux seuils de procédure formalisée, un avis de marché établi conformément au modèle fixé par un arrêté du ministre chargé de l'économie figurant en annexe du présent code est publié soit dans le Bulletin officiel des annonces des marchés publics soit dans un journal habilité à recevoir des annonces légales () ".

5. Lorsque le pouvoir adjudicateur souhaite, en cours de procédure et avant la remise des offres, modifier un élément de la consultation, il n'est tenu de publier un avis d'appel public à la concurrence rectificatif que si cette modification est substantielle.

6. Aux termes de l'avis d'appel public à la concurrence publié le 6 juin 2023 au BOAMP, le marché en litige avait pour objet l'" aménagement d'une voie mobilité douce entre Morteau et Montlebon / Marché n°2 Passerelle, rampe et encorbellements ". Il était en outre précisé la nature des travaux de la façon suivante : " 45200000-9 Travaux de construction complète ou partielle et travaux de génie civil / 45221113-7 Travaux de construction de passerelles pour piétons / 45262210-6 Travaux de fondations ".

7. Il est constant qu'à la suite de l'audition de chaque candidat, le pouvoir adjudicateur a modifié le projet en décidant de supprimer l'éclairage de la passerelle, simplifier les gardes corps de la rampe d'accès et des encorbellements, diminuer la longueur totale des encorbellements et payer ce dernier poste sur la base d'un bordereau des prix unitaires et non plus dans le cadre d'un marché global et forfaitaire. Par un courrier en date du 8 septembre 2023, les candidats ont été informés de cette modification du projet et de la décomposition du prix global et forfaitaire modifiée. Par ce même courrier, ils ont été invités à remettre leur offre finale en tenant compte de ces modifications et de la possibilité de proposer des options fonctionnelles ou méthodologiques avant le 19 septembre 2023 à 12h.

8. D'une part, compte tenu de la description des travaux à réaliser faite par l'avis d'appel public à la concurrence et de la nature des modifications apportées en cours de procédure par le pouvoir adjudicateur, il n'y avait pas lieu de publier un nouvel avis d'appel public à la concurrence et ce, quand bien même la société requérante soutient, sans être contredite sur ce point, que ces modifications ont eu une incidence de 20% sur le montant du marché.

9. D'autre part, il résulte de l'instruction que la SAS Roc Aménagement a obtenu la note de 40/40 sur le critère du prix et 29/60 sur le critère de la valeur technique alors que la société Est Ouvrages a obtenu la note de 35/40 sur le critère du prix et 55/60 sur le critère de la valeur technique. Compte tenu des éléments composant le critère de la valeur technique, les modifications en litige n'ont pu avoir qu'un impact limité voire nul sur la note attribuée à la société requérante sur ce critère. Par suite, eu égard au fait que la SAS Roc Aménagement a obtenu la note maximale sur le critère du prix et n'aurait pas pu obtenir de meilleure note sur le critère de la valeur technique, les modifications en litige n'étaient pas de nature à empêcher la société requérante de présenter utilement son offre et n'ont pas pu avoir d'incidence sur le classement des offres. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des règles de publicité et de mise en concurrence ne peut être qu'écarté.

10. En second lieu, aux termes de l'article R. 2113-2 du code de la commande publique : " L'acheteur qui décide de ne pas allotir un marché passé selon une procédure adaptée motive ce choix dans les documents relatifs à la procédure qu'il conserve en application des articles R. 2184-12 et R. 2184-13 ".

11. Saisi d'un moyen tiré de l'irrégularité de la décision de ne pas allotir un marché, il appartient au juge du référé précontractuel de déterminer si l'analyse à laquelle le pouvoir adjudicateur a procédé et les justifications qu'il fournit sont, eu égard à la marge d'appréciation dont il dispose pour décider de ne pas allotir lorsque la dévolution en lots séparés présente l'un des inconvénients que les dispositions précitées mentionnent, entachées d'appréciations erronées.

12. Il résulte de l'instruction que, pour établir que la dévolution en lots séparés risquait de rendre techniquement plus difficile l'exécution du marché litigieux, alors même qu'il comporte des prestations distinctes, la communauté de communes du Val de Morteau fait valoir la spécificité du mode constructif de la passerelle dont les poutres filigranes ont vocation à transférer sur les pilastres et leurs fondations les efforts liés au vent et au poids des personnes et des cyclistes qu'elle sera amenée à supporter. Compte tenu de l'imbrication étroite de ces trois éléments pour garantir à la fois la solidité et la déformation de l'ouvrage aux contraintes auxquelles il sera soumis, c'est sans commettre d'erreur d'appréciation que la communauté de communes du Val de Morteau a fait le choix de ne pas allotir les prestations de construction, de génie civil et de fondations. Par suite, le moyen tiré du défaut d'allotissement du marché ne peut qu'être écarté.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. La communauté de communes du Val de Morteau, qui n'est pas la partie perdante, ne peut être condamnée à verser une quelconque somme au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la SAS Roc Aménagement le versement d'une somme de 2 000 euros à la communauté de communes du Val de Morteau au titre de ces mêmes dispositions.

O R D O N N E :

Article 1er : La requête de la SAS Roc Aménagement est rejetée.

Article 2 : La SAS Roc Aménagement versera à la communauté de communes du Val de Morteau la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la SAS Roc Aménagement, à la communauté de communes du Val de Morteau et à la société Est Ouvrages.

Fait à Besançon, le 13 octobre 2023.

Le juge des référés,

A. B

La République mande et ordonne au préfet du Doubs, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière

N°2301842