TA de Dijon, 02 janvier 2024, n° 2303738


REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 28 décembre 2023 la société Bluegreen, représentée par Me Cabanes, demande au juge des référés, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) de prononcer la suspension de l'exécution de la décision notifiée le 21 décembre 2023 par laquelle la commune de Quetigny lui impose de poursuivre dès le 1er janvier 2024 l'ensemble contractuel composé de la convention d'affermage et du bail à construction dans les conditions qui prévalaient avant la décision de résiliation jusqu'à son terme d'origine ;

2°) d'enjoindre à la commune de Quetigny de retirer cette décision ;

3°) d'enjoindre aux parties de rencontrer un médiateur afin qu'il leur présente le principe, le but et les modalités d'une mesure de médiation et de recueillir par écrit leur consentement ou leur refus de cette mesure dans un délai de deux jours à compter de l'ordonnance à intervenir désignant ledit médiateur ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Quetigny la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'urgence particulière rendant nécessaire l'intervention d'une mesure de sauvegarde d'une liberté fondamentale dans les quarante-huit heures est caractérisée dès lors que la société ne dispose que de quelques jours pour prendre les dispositions nécessaires pour poursuivre une exploitation qu'elle s'était de longue date préparée à abandonner ; l'urgence est inacceptable car d'une part elle est la conséquence d'un défaut de maitrise fautif du dossier par la commune et d'autre part la conclusion de ce nouveau contrat en violation des obligations de mise en concurrence est susceptible d'entrer dans le champ d'application des dispositions de l'article 432-14 du code pénal qui sanctionnent le délit de favoritisme ;

- il est porté atteinte aux libertés fondamentales que sont la liberté d'entreprendre, la liberté du commerce et d'industrie et la liberté contractuelle ; la décision de la commune qui lui impose de poursuivre l'exploitation du complexe golfique dans des conditions qui ne sont pas celles qu'elle avait proposées dans son offre pour l'attribution de la concession de service public s' apparente à une réquisition méconnaissant gravement et de manière manifestement illégale sa liberté de contracter ou de ne pas contracter ; l'abrogation illégale de la décision de résiliation fait revivre un ensemble contractuel en violation de ses libertés fondamentales ; les principes de confiance légitime, de sécurité juridique et de loyauté contractuelle faisaient obstacle à toute remise en cause de la décision de résiliation, qui est une décision créatrice de droit, au-delà du délai de quatre mois prévu par l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration ; la décision de la commune de déclarer sans suite la procédure d'attribution de la concession de service public ne repose sur aucun motif d'intérêt général.

Par un mémoire en défense enregistré le 1er janvier 2024, la commune de Quetigny représentée par Me Henochsberg conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à ce que soit mise à la charge de la société Bluegreen la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- à titre principal, la requête est irrecevable dès lors qu'à l'exception des décisions de résiliation, les mesures prises par les personnes publiques dans le cadre de l'exécution de contrats publics ne peuvent pas être contestées par leurs cocontractants en vue d'en obtenir l'annulation ou la suspension ;

- à titre subsidiaire, la condition d'urgence impérieuse n'est pas remplie ; la société dispose de tous les moyens techniques et humains lui permettant d'exploiter le complexe golfique ; la commune n'étant pas en mesure de gérer cet équipement, la poursuite de l'exploitation par la société est indispensable pour assurer la continuité du service public ;

- à titre infiniment subsidiaire, aucune atteinte n'est portée à une liberté fondamentale ; la liberté contractuelle n'est pas une liberté fondamentale ; en tout état de cause, le fait de rétablir un contrat dans ses conditions d'origine, sur lesquelles les parties s'étaient librement engagées, ne porte atteinte ni à la liberté contractuelle ni à la liberté d'entreprendre ; la durée du contrat en cours n'était pas excessive ; le moyen tiré de la prétendue illégalité de la déclaration sans suite de la procédure de consultation engagée en vue de l'attribution de la concession de service public est inopérant ; la décision de résiliation qui s'analyse comme un acte non réglementaire non créateur de droit pouvait être abrogée sans condition de délai ainsi qu'en dispose l'article L. 243-1 du code des relations entre le public et l'administration ; en tout état de cause, la commune pouvait légalement user de son pouvoir de modification unilatérale pour rétablir la durée initiale du contrat.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu

- le code de la commande publique ;

- le code pénal ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience publique du 2 janvier 2024 à 10h30.

Ont été entendus, au cours de l'audience publique, tenue en présence de Mme Lelong, greffière d'audience :

- le rapport de M. Rousset, juge des référés ;

- les observations de Me Cabanes, pour la société Bluegreen qui persiste par les mêmes moyens dans les conclusions de la requête ; il soutient, en outre, que la requête est recevable dès lors que la décision litigieuse qui lui impose unilatéralement d'exploiter le golf à compter du 1er janvier 2024 ne constitue pas une mesure d'exécution des deux contrats qui ont été résiliés le 13 décembre 2022 ; contrairement à ce que fait valoir la commune, l'abrogation de la décision de résiliation n'était pas indispensable pour assurer la continuité du service public puisque les dispositions de l'article R. 3121-6 du code de la commande publique lui permettaient de passer une convention temporaire pour la gestion de l'équipement ; une atteinte grave et manifestement illégale a été portée à la liberté du commerce et de l'industrie et au principe de sécurité juridique dès lors que la décision de résiliation ne pouvait être légalement abrogée ni sur le fondement de l'article L. 243-1 du code des relations entre le public et l'administration puisqu'il s'agit d'une décision individuelle créatrice de droit ni dans le cadre du pouvoir de modification unilatérale de l'autorité concédante en raison du caractère substantiel d'une telle modification ; sa demande de médiation n'est pas incompatible avec la procédure de référé liberté ;

- les observations de Me Henochsberg représentant la commune de Quetigny qui persiste par les mêmes moyens dans ses conclusions tendant au rejet de la requête ; il soutient en outre que le risque pénal n'est pas établi, la commune n'ayant pas conclu un nouveau contrat avec la société Bluegreen mais rétabli la durée d'origine des contrats initiaux qui étaient toujours en vigueur ; l'abrogation de la décision de résiliation, qui ne présentait aucun caractère substantiel, pouvait être légalement mise en œuvre dans le cadre de son pouvoir de modification unilatérale du contrat sans qu'on puisse lui opposer les dispositions de l'article L. 242-1du code des relations entre le public et l'administration qui en tout état de cause n'étaient pas applicables, de sorte qu'aucune atteinte n'a été portée à la liberté du commerce et de l'industrie.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par une convention d'affermage signée le 12 décembre 1989, la commune de Quetigny a confié à la société Bluegreen l'exploitation du golf municipal pour une durée de quarante-cinq ans. Par un bail à construction conclu le 7 octobre 1988 pour une durée identique la même société a été chargée de construire sur un terrain contigu un centre d'entrainement et un club house et de les exploiter. Le 13 décembre 2022, la commune de Quétigny a décidé de résilier ces conventions pour motif d'intérêt général avec effet différé au 31 décembre 2023. La décision de résiliation a été notifiée à la société Bluegreen le 22 février 2023 et par délibération du 4 avril 2023 le conseil municipal de Quetigny a autorisé son maire à lancer une consultation en vue de l'attribution d'une concession de service public ayant pour objet la gestion du complexe golfique. La société Bluegreen a été la seule à déposer une offre. Par une délibération du 19 décembre 2023, le conseil municipal de Quetigny a décidé de déclarer sans suite la procédure de passation de la concession de service public, d'abroger la décision de résiliation de la convention d'affermage et du bail à construction et de poursuivre l'exploitation de l'ensemble contractuel dans les conditions qui prévalaient avant la décision de résiliation jusqu'à son terme d'origine. Par un courrier du 21 décembre 2023, le maire de Quetigny a notifié cette délibération à la société Bluegreen et lui a demandé, en conséquence, " de poursuivre dès le 1er janvier 2024 l'exploitation du golf dans les conditions qui prévalent actuellement ". Par la présente requête, la société Bluegreen demande au juge des référés, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de la décision notifiée le 21 décembre 2023 par laquelle le maire de Quetigny lui impose de poursuivre dès le 1er janvier 2024 l'exploitation de l'ensemble contractuel, d'enjoindre à la commune de Quetigny de retirer cette décision et d'enjoindre aux parties d'engager une médiation.

2. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une

demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures

nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit

public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans

l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ".

3. Lorsqu'un requérant fonde son action non sur la procédure de suspension régie par l'article L. 521-1 du code de justice administrative mais sur la procédure de protection particulière instituée par l'article L. 521-2 de ce code, il lui appartient de justifier de circonstances caractérisant une situation d'urgence qui implique, sous réserve que les autres conditions posées par l'article L. 521-2 soient remplies, qu'une mesure visant à sauvegarder une liberté fondamentale doive être prise dans les quarante-huit heures.

4. La société Bluegreen soutient que la décision de la commune de Quetigny lui imposant de poursuivre l'exploitation du golf municipal à compter du 1er janvier 2024 porte une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales que sont la liberté d'entreprendre, la liberté du commerce et de l'industrie et la liberté contractuelle et que la difficulté matérielle d'assurer cette exploitation dans des délais aussi brefs, l'incurie dont a fait preuve l'autorité concédante dans le suivi de ce dossier et les risques pénaux auxquels elle serait exposée si elle gérait cet équipement dans le cadre d'un nouveau contrat attribué irrégulièrement, sont constitutifs d'une situation d'urgence justifiant que des mesures visant à sauvegarder ces libertés fondamentales soient prises dans les quarante-huit heures.

5. Toutefois, d'une part la société Bluegreen qui gère depuis plus de trente ans le complexe golfique de Quetigny et qui avait, dans le cadre de la procédure de consultation lancée par la commune en vue de l'attribution d'une nouvelle concession de service public, déposé une offre pour en poursuivre l'exploitation, n'établit pas qu'elle serait dans l'incapacité de mobiliser les moyens matériels et humains nécessaires pour assurer la gestion de cet équipement sportif à compter du 1er janvier 2024 ni que la décision querellée porterait une atteinte grave et immédiate à la situation financière globale de l'entreprise. Elle ne démontre pas davantage, alors qu'il est constant qu'elle s'est opposée à la poursuite de l'exécution de la convention d'affermage et du bail à construction dont elle était titulaire au-delà du 31 décembre 2023, qu'elle serait exposée à un risque de condamnation pour recel de délit de favoritisme sur le fondement de l'article 432-14 du code pénal.

6. D'autre part, l'urgence des mesures demandées sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative doit être appréciée en tenant compte non seulement de la situation de l'entreprise requérante mais également de la protection des intérêts publics. En l'espèce, eu égard à l'intérêt général qui s'attache au fonctionnement normal et à la continuité de ce service public local, à l'impossibilité pour la commune de Quetigny d'en assurer la gestion en régie dès le 1er janvier 2024 et en l'absence de toute pièce au dossier démontrant que les parties avait une chance de s'entendre sur les modalités de gestion de l'équipement dans le cadre d'une concession temporaire prise en application de l'article R. 3121-6 du code de la commande publique, il n'est pas établi qu'il y ait urgence à suspendre immédiatement l'exécution de la décision notifiée le 21 décembre 2023 du maire de Quetigny imposant à la société Bluegreen de poursuivre l'exécution de la convention d'affermage et du bail à construction.

7. Dans ces conditions, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée en défense, la requête de la société Bluegreen, qui ne justifie pas d'une situation d'urgence impliquant qu'une mesure visant à sauvegarder une liberté fondamentale doive être prise dans un délai de quarante-huit heures, doit être rejetée en toutes ses conclusions. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de la société Bluegreen la somme que sollicite la commune de Quetigny sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

Article 1er : La requête de la société Bluegreen est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de Quetigny sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Bluegreen et à la commune de Quetigny.

Copie en sera adressée au préfet de la Côte-d'Or.

Fait à Dijon, le 2 janvier 2024.

Le juge des référés,

O. Rousset

La République mande et ordonne au préfet de la Côte-d'Or, en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

Le greffier,