TA de la Guyane, 09 novembre 2023, n° 2000431
Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires enregistrés le 27 mai 2020, le 5 mai 2022, le 6 mai 2022 et des mémoires récapitulatifs produits en application de l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative, enregistrés le 16 juin 2023 et le 4 juillet 2023, la SARL société de Transports Zuneve, la SARL société Alick Zuneve (AZ Transports), la SAS société de Transports internationale de voyageurs et de marchandise Anamay transports (STIVMAT), la SARL société Transports Yves Prévot et la SAS société Guyamazone, représentées par la SELARL Centaure Avocats, demandent au tribunal :
1°) d'annuler ou à titre subsidiaire, de résilier le contrat de délégation de service public relative à la gestion du service de transport public urbain conclu entre la Communauté d'Agglomération du Centre Littoral (CACL) et la société d'économie mixte à opération unique (SEMOP) Agglo'Bus ;
2°) d'annuler ou à titre subsidiaire, de résilier les statuts de la SEMOP Agglo'Bus ;
3°) d'annuler la décision par laquelle la présidente de la CACL a signé les statuts de la société d'économie mixte à opération unique Agglo'Bus ;
4°) d'annuler ou à titre subsidiaire, de résilier le pacte d'actionnaires conclu entre la CACL et le groupement " Mosaïque " relatif à la SEMOP Agglo'Bus ;
5°) d'annuler la décision par laquelle la présidente de la CACL a signé le pacte d'actionnaires relatif à la SEMOP Agglo'Bus, ainsi que les décisions par lesquelles la CACL a pris des participations au capital de la SEMOP Agglo'Bus ;
6°) de mettre à la charge de la CACL la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- la requête est recevable dès lors que la circonstance qu'un candidat ait remis une offre irrégulière demeure sans incidence sur la recevabilité du recours ;
- la CACL et la SEMOP Agglo'Bus ne peuvent se prévaloir d'une prétendue irrégularité de son offre dès lors qu'aucune substitution de motifs afin de neutraliser l'irrégularité découverte par le défendeur postérieurement à l'attribution du contrat n'est possible, que l'offre du groupement " Zunève " n'est pas irrégulière et la circonstance de l'irrégularité de son offre est sans incidence sur l'opérance des moyens soulevés ;
- la mise en œuvre des critères de sélection des offres est affectée de plusieurs irrégularités ; le sous-critère n°1 relatif aux " moyens humains et support technique apportés par le candidat " a été modifié et la CACL a commis une erreur dans la notation du groupement ; le sous-critère financier n°1 relatif à la " somme des montants de la contribution forfaitaire et de la compensation forfaitaire demandée à la collectivité " a été modifié ;
- la CACL a manqué à ses obligations en termes de diffusion des informations sur les caractéristiques de la SEMOP ; le document de préfiguration est imprécis sur la part de capital que la CACL souhaite détenir ; les informations sur la gouvernance de la SEMOP et les modalités de son contrôle par la CACL, contenues dans le dossier de consultation des entreprises, étaient particulièrement peu précises ; les règles de dévolution des actifs et passifs de la SEMOP figurant dans le dossier de préfiguration lors de sa dissolution sont imprécises et méconnaissent l'article L. 1541-2 du code général des collectivités territoriales ;
- La CACL a manqué à ses obligations en termes de diffusion des informations relatives au niveau des charges pesant sur le futur délégataire ; les informations sur le personnel à reprendre, sur les autres contrats à reprendre, sur l'état des biens mis à la disposition du délégataire, sur le service minimum et sur le niveau des recettes prévisibles sont imprécises ;
- ces manquements sont opérants dès lors que, d'une part, ils sont d'une gravité justifiant qu'ils soient relevés d'office par le juge et d'autre part, qu'ils sont en rapport direct avec l'intérêt lésé dont elles se prévalent ;
- la candidature et l'offre du groupement " Mosaïque " sont irrégulières ; ces manquements sont opérants dès lors que, d'une part, ils sont d'une gravité justifiant qu'ils soient relevés d'office par le juge et d'autre part, ils sont en rapport direct avec l'intérêt lésé dont elles se prévalent.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 3 mai 2022, le 8 mai 2022 et le 30 juin 2023, la CACL, représentée par le cabinet Peyrical et Sabattier Associés, conclut au rejet de la requête, à titre subsidiaire, à la résiliation de la concession avec un effet différé d'un minimum d'un an et à ce que la somme de 10 000 euros soit mise à la charge des sociétés requérantes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable dès lors que l'offre des sociétés requérantes est irrégulière eu égard à l'absence de respect des exigences imposées par le règlement de consultation et des dispositions d'ordre public s'agissant de l'obligation de reprise du personnel ; cette irrégularité empêche les sociétés requérantes de se plaindre utilement des prétendus manquements commis par elles ;
- des motifs d'intérêt général s'opposent à l'annulation et la résiliation à effet immédiat de la concession ;
- les autres moyens soulevés par les sociétés requérantes ne sont pas fondés.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 9 mai 2022 et le 7 février 2023, la SEMOP Agglo'Bus, représentée par Me Morandi conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 10 000 euros soit mise à la charge des sociétés requérantes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- La requête est irrecevable dès lors que l'offre remise par le groupement " Zuneve " méconnait les articles 6 du règlement de la consultation et 15 du projet de contrat de délégation de service public et est, par conséquent, irrégulière ; par conséquent, les sociétés requérantes ne peuvent pas être lésées par un manquement si l'offre présentée était irrégulière ;
- l'intérêt général s'oppose au prononcé des mesures sollicitées par les sociétés requérantes ;
- les autres moyens soulevés par les sociétés requérantes ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 16 juin 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 4 juillet 2023.
Un mémoire produit par la SEMOP Agglo'Bus a été enregistré le 5 juillet 2023 postérieurement à la clôture d'instruction.
Sur le fondement des dispositions de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, le tribunal a sollicité le contrat de concession portant délégation de service public signé entre la CACL et la SEMOP Agglo'Bus, ainsi que le pacte d'actionnaires de la SEMOP Agglo'Bus.
Les pièces produites en réponse à cette demande ont été enregistrées les 30 et 31 août 2023 et communiquées.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive 2014/23/UE du parlement européen et du conseil du 26 février 2014 ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code du travail ;
- l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession ;
- le décret n° 2016-86 relatif aux contrats de concession ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Gillmann, conseiller ;
- les conclusions de M. Hegésippe, rapporteur public ;
- les observation de Me Page, substituant la SELARL Centaure Avocats, représentant les sociétés requérantes ;
- et les observations de Me Corlouer, représentant la Communauté d'Agglomération du Centre Littoral.
Une note en délibéré, présentée par les sociétés requérantes, a été enregistrée le 20 octobre 2023.
Considérant ce qui suit :
1. La Communauté d'Agglomération du Centre Littoral (CACL), en sa qualité d'autorité organisatrice de la mobilité (AOM), a décidé de déléguer l'exploitation du service de transport public de voyageurs sur le périmètre jusqu'alors exploité par la Régie communautaire de transports (RCT). Par un avis de concession publié le 10 août 2018 au journal officiel de l'Union européenne, la CACL a lancé un appel public à la concurrence afin de sélectionner l'actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique (SEMOP), ayant pour objet de gérer une concession de services, sous forme de délégation de service public, d'une valeur estimée à 50 000 000 euros relative à la gestion de transport public urbain pour une durée de cinq ans, avec un début d'exploitation envisagé à compter du 1er mars 2019. Le groupement d'opérateurs économiques " Zuneve " constitué des sociétés Transports Zuneve, Alick Zuneve (AZ Transports), de la société de Transports internationale de voyageurs et de marchandise Anamay transports (STIVMAT), de la société de Transports Yves Prévot et de la société Guyamazone, a remis une candidature qui a été retenue. Après avoir participé à deux séances de négociation, les 3 octobre 2019 et le 14 novembre 2019, le groupement " Zuneve " a présenté une offre finale en vue du début de l'exécution du contrat au 1er mars 2020 et une exploitation du service à partir du 1er juillet 2020. Cette dernière a été rejetée par la CACL. Par une délibération du 31 janvier 2020, le conseil communautaire de la CACL a approuvé l'attribution du contrat de concession au groupement " Mosaïque ", composé des sociétés Transports Mooland Osmann (TMO) et Carla Mayotte Transports Baltus (CMTB). Les sociétés constituant le groupement " Zuneve " ont formé, en tant que candidats évincés, un référé précontractuel le 30 janvier 2020 tendant à la suspension de l'exécution de la décision par laquelle la CACL a rejeté l'offre de leur groupement et toute décision de sélection du groupement " Mosaïque ". Par une ordonnance n° 2000106 rendue le 2 mars 2020, la juge des référés du tribunal administratif de la Guyane a rejeté la requête des sociétés membres du groupement " Zuneve ". Par suite, la concession a été attribuée à la SEMOP Agglo'bus comprenant pour actionnaires la CACL et le groupement " Mosaïque ". Cette attribution a été rendue publique dans un avis du journal officiel de l'Union européenne publié le 27 mars 2020.
2. Par la présente requête, les sociétés Transports Zuneve, AZ Transports, STIVMAT, Transports Yves Prévot et la société Guyamazone demandent au tribunal d'annuler ou à titre subsidiaire, de résilier le contrat de délégation de service public relative à la gestion du service de transport public urbain conclu entre la CACL et la SEMOP Agglo'Bus, d'annuler ou à titre subsidiaire, de résilier les statuts de la SEMOP Agglo'Bus, d'annuler la décision par laquelle la présidente de la CACL a signé les statuts de la SEMOP Agglo'Bus, d'annuler ou à titre subsidiaire, de résilier le pacte d'actionnaires conclu entre la CACL et le groupement " Mosaïque " relatif à la SEMOP Agglo'Bus et d'annuler la décision par laquelle la présidente de la CACL a signé le pacte d'actionnaires relatif à la SEMOP Agglo'Bus, ainsi que les décisions par lesquelles la CACL a pris des participations au capital de la SEMOP Agglo'Bus.
Sur le cadre juridique du litige :
3. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Le tiers agissant en qualité de concurrent évincé de la conclusion d'un contrat administratif ne peut, à l'appui d'un recours contestant la validité de ce contrat, utilement invoquer, outre les vices d'ordre public, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction. De plus, alors même que l'offre du concurrent évincé demandant l'annulation du contrat de délégation de service public a été classée et notée, un candidat dont la candidature ou l'offre est irrégulière, n'est pas susceptible d'être lésé par les manquements qu'il invoque sauf si le caractère irrégulier de son offre est le résultat du manquement qu'il dénonce ou si les manquements invoqués sont d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office. Il ne saurait notamment soutenir que les autres offres auraient dû être écartées comme irrégulière ou inacceptables, un tel manquement n'étant pas en rapport direct avec son éviction et n'étant pas, en lui-même, de ceux que le juge devrait relever d'office.
4. Saisi par un concurrent évincé dans les conditions définies ci-dessus, de conclusions contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses, il appartient au juge du contrat, après avoir vérifié que l'auteur du recours autre que le représentant de l'Etat dans le département ou qu'un membre de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné se prévaut d'un intérêt susceptible d'être lésé de façon suffisamment directe et certaine et que les irrégularités qu'il critique sont de celles qu'il peut utilement invoquer, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences. Ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice du consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci ; il peut enfin, s'il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu'il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice découlant de l'atteinte à des droits lésés.
En ce qui concerne l'irrégularité de l'offre du groupement " Zuneve " :
5. Aux termes de l'article 25 du décret du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession : " Les offres inappropriées ou qui ne respectent pas les conditions et caractéristiques minimales indiquées dans les documents de la consultation sont éliminées. / Est inappropriée l'offre qui est sans rapport avec l'objet de la concession parce qu'elle n'est manifestement pas en mesure, sans modifications substantielles, de répondre aux besoins et aux exigences de l'autorité concédante spécifiés dans les documents de la consultation ". Il résulte de ces dispositions qu'un pouvoir adjudicateur ne peut attribuer un marché à un candidat qui ne respecterait pas une des prescriptions imposées par le règlement de la consultation. Il est tenu d'éliminer, sans en apprécier la valeur, les offres incomplètes, c'est-à-dire celles qui ne comportent pas toutes les pièces ou renseignements requis par les documents de la consultation et sont, pour ce motif, irrégulières.
6. Le règlement de la consultation prévu par une autorité concédante pour la passation d'un contrat de concession est obligatoire dans toutes ses mentions. L'autorité concédante ne peut, dès lors, attribuer ce contrat à un candidat qui ne respecte pas une des exigences imposées par ce règlement, sauf si cette exigence se révèle manifestement dépourvue de toute utilité pour l'examen des candidatures ou des offres.
7. D'une part, aux termes de l'article L. 1224-1 du code du travail : " Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise ". Aux termes des stipulations de l'article 10 du règlement de la consultation régissant la phase d'offre : " Contenu et présentation des offres des candidats : D'une manière générale, les candidats devront obligatoirement déposer une offre répondant aux contraintes et attentes de la CACL exprimées dans les pièces du dossier de consultation des entreprises ". Aux termes des stipulations des paragraphes 3 et 4 de l'article 15 du projet de contrat joint au dossier de consultation des entreprises (DCE) : " Les agents fonctionnaires de la Régie Communautaire de Transport seront détachés ou mis à la disposition du Délégataire en application de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant sur les dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale. Les agents contractuels verront leur contrat transféré à la SEMOP / De plus, le cas échéant, à l'expiration du Contrat de DSP de l'exploitant de la ligne 7 MatouryCayenne en juillet 2021, le Délégataire est tenu de reprendre, conformément aux dispositions de l'article L.1224-1 du Code du travail, l'ensemble du personnel de l'exploitant de la ligne Matoury-Cayenne aux conditions salariales, d'ancienneté et d'avantages sociaux en cours de validité à la date de reprise ". Aux termes des stipulations de l'article 15 du projet de contrat joint à l'offre finale du groupement " Zuneve " : " Les agents fonctionnaires de la Régie Communautaires de Transport répondant aux besoins du délégataires seront détachés auprès de ce dernier, en application de de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant sur les dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale. La liste des agents fonctionnaire de la Régie Communautaire de Transport détaché est définie dans le courrier de transmission de l'Offre finale du Groupement. : Les agents contractuels verront leur contrat transféré à la SEMOP, conformément aux dispositions légales et réglementaires applicables ". L'article 15 du projet de contrat prévoit le détachement ou la mise à disposition des fonctionnaires de la RCT et le transfert à la SEMOP des contrats des agents contractuels. Il précise qu'à l'expiration du contrat de délégation de service public de l'exploitant actuel de la ligne 7 Matoury-Cayenne, en juillet 2021, le délégataire est tenu de reprendre, conformément aux dispositions de l'article L.1224-1 du code du travail, l'ensemble du personnel aux conditions salariales, d'ancienneté et d'avantages sociaux en cours de validité à la date de reprise. En réponse à une question, la CACL a précisé qu'elle s'engageait à ne pas imposer le transfert d'un nombre d'agents supérieurs à celui communiqué lors de l'invitation à remettre une offre finale.
8. Par ailleurs, il résulte des stipulations de l'article 6 du règlement de la consultation régissant la phase d'offre intitulé " présentation du dossier de consultations des entreprises " que le DCE comprenait en son annexe 37 " la liste du personnel de la Régie à reprendre ". Par ailleurs, il résulte des mentions de la lettre de demande d'offre finale du 5 décembre 2019 que la CACL a demandé à ce que l'offre intègre " la reprise du personnel selon le fichier transmis dans le cadre de la préparation du second tour de négociations et complété des fonctions des agents ".
9. Il résulte de l'instruction, et notamment du projet de contrat de l'offre du groupement " Zuneve ", ainsi que du rapport d'analyse des offres finales, que le groupement évincé n'a pas proposé de reprendre l'ensemble du personnel concerné par le transfert et que le nombre de fonctionnaires détachés dépendra de ses besoins, le coût des personnels non transférés étant supporté par la CACL. Pour justifier de la régularité de l'offre du groupement, les sociétés requérantes soutiennent qu'elles ne pouvaient pas détacher d'office tous les fonctionnaires en raison de l'inapplicabilité résultant de l'absence de décret d'application de l'article 76 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique modifiant l'article 15 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires prévoyant la reprise des fonctionnaires en cas de transfert d'une activité d'une personne morale de droit public à une personne morale de droit privé, que tous les agents contractuels seront transférés, que le groupement avait le droit de refuser le détachement de certaines personnes puisqu'en application de l'article 14 Bis de la loi du 13 juillet 1983, la SEMOP devait donner son accord pour leur intégration et que cette obligation de reprise du personnel n'a jamais été évoquée au cours des négociations.
10. Toutefois, ainsi que le fait valoir en défense la SEMOP Agglo'bus, le règlement de la consultation et le projet de contrat prescrivait aux candidats de prévoir la reprise du personnel de la RCT dans la constitution de la SEMOP, dont la liste a été versée dans le DCE. Il résulte en outre de l'instruction que le groupement " Zuneve " a bénéficié, lors de la phase de négociation avec la CACL, de précisions sur cette obligation de reprise du personnel. Dans ces conditions, le transfert du personnel de la RCT dont les listes ont été fournies dans le DCE résultait d'une obligation contractuelle s'imposant tant à l'actionnaire privé de la SEMOP qu'à la CACL.
11. Alors même que l'offre du groupement " Zuneve " a été rejetée par la CACL qui lui a décernée une note globale de 86/100 et l'a classé en deuxième position, celle-ci ne respectait pas une exigence formulée dans le règlement de la consultation des offres et présentait, par conséquent, un caractère irrégulier de nature à justifier son élimination. Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction, que cette exigence tenant à la reprise du personnel de la RCT se révèlerait manifestement dépourvue de toute utilité pour l'examen des offres des candidats.
12. Ainsi qu'il a été dit au point 3, un concurrent évincé ne peut invoquer, outre les vices d'ordre public dont serait entaché le contrat, que des manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat en rapport direct avec son éviction. Dès lors, un candidat dont l'offre ne pouvait qu'être rejetée comme irrégulière ne saurait utilement invoquer d'autres moyens que ceux en rapport direct avec les irrégularités ou que le juge devrait relever d'office.
13. Il résulte de ce qui précède que la CACL et la SEMOP Agglo'Bus sont fondées à soutenir que l'offre finale du groupement " Zuneve " était irrégulière. Dès lors, les sociétés requérantes ne peuvent utilement invoquer que des moyens présentant un rapport direct avec l'irrégularité de l'offre du groupement évincé ou que le juge devrait relever d'office.
En ce qui concerne les informations apportées aux candidats relatives au personnel à reprendre :
14. Aux termes de l'article 1er de l'ordonnance du 29 janvier 2016 : " I. - Les contrats de concession soumis à la présente ordonnance respectent les principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. / Ces principes permettent d'assurer l'efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics. () ". Aux termes de l'article 27 de la même ordonnance : " La nature et l'étendue des besoins à satisfaire sont déterminées avant le lancement de la consultation en prenant en compte des objectifs de développement durable dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale ". Aux termes de l'article 4 du décret du 1er février 2016 : " I. - Les documents de la consultation sont constitués de l'ensemble des documents fournis par l'autorité concédante ou auxquels elle se réfère, pour définir l'objet, les spécifications techniques et fonctionnelles, les conditions de passation et d'exécution du contrat de concession, ainsi que le délai de remise des candidatures ou des offres et, s'il y a lieu, les conditions de tarification du service rendu à l'usager. Ils comprennent notamment l'avis de concession, le cahier des charges de la concession et, le cas échéant, l'invitation à présenter une offre. / Toute modification des documents de la consultation est communiquée à l'ensemble des opérateurs économiques, aux candidats admis à présenter une offre ou à tous les soumissionnaires, dans des conditions garantissant leur égalité et leur permettant de disposer d'un délai suffisant pour remettre leurs candidatures ou leurs offres. / II. - L'autorité concédante communique, au plus tard six jours avant la date limite fixée pour la réception des candidatures ou des offres, les renseignements complémentaires sur les documents de la consultation sollicités en temps utile par les candidats ou soumissionnaires () ".
15. Les concessions sont soumises aux principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, qui sont des principes généraux du droit de la commande publique. Pour assurer le respect de ces principes, la personne publique doit apporter aux candidats à l'attribution d'une concession, avant le dépôt de leurs offres, une information suffisante sur la nature et l'étendue des besoins à satisfaire. Il lui appartient à ce titre d'indiquer aux candidats les caractéristiques essentielles de la concession.
16. En réponse à une question, la CACL, a précisé qu'elle s'engageait à ne pas imposer le transfert d'un nombre d'agents supérieur à celui communiqué lors de l'invitation à remettre une offre finale. Enfin, en réponse à deux autres questions relatives au repositionnement de dix agents pour inaptitude de conduite et trois agents à temps partiel en raison de restrictions médicales, la CACL a indiqué que certains agents ont été repositionnés sur des postes de contrôleurs, de régulateurs ou à l'agence commerciale et que des précisions seront communiquées lors des négociations.
17. Si les sociétés requérantes soutiennent qu'aucune précision n'ont été données, lors des négociations, par la CACL en ce qui concerne le repositionnement de certains agents, il ne résulte pas de l'instruction que ces précisions aient été sollicitées par les membres du groupement " Zuneve " lors des séances de négociation. Ensuite, ainsi qu'il a été dit au point 8, la CACL a mis à la disposition des candidats les annexes 37 a " Liste du personnel à reprendre " et 37 b " emplois à temps plein par poste ", ainsi qu'un fichier des rémunérations des mois de novembre 2018 à octobre 2019. Les candidats, qui disposaient de l'ancienneté, du grade, du type de contrat, du poste, du traitement indiciaire, des indemnités, du salaire brut, des cotisations salariales et des charges patronales, avaient ainsi à leur disposition des informations détaillées et précises sur le personnel à reprendre. Par ailleurs, le protocole de fin de conflit conclu le 2 décembre 2019 avec les partenaires sociaux fait état de compléments de salaires et de reconstitutions de carrières, en précisant que l'offre devait le prendre en compte. Dans ces conditions, le groupement " Zuneve " avait à disposition toutes les informations nécessaires permettant de comprendre les attentes de la CACL et a fait le choix, dans son offre, de ne pas reprendre l'ensemble du personnel de la RCT et de ne pas prendre en compte le protocole de conflit. Dès lors, les sociétés requérantes n'apportent aucun élément permettant de caractériser une insuffisance des informations relatives au personnel à reprendre et ce moyen doit être écarté.
En ce qui concerne le surplus des manquements invoqués :
18. Les moyens tirés de ce que la CACL a modifié le sous-critère n°1 relatif aux " moyens humains et support technique apportés par le candidat " et le sous-critère financier n°1, qu'elle a commis une erreur dans la notation du groupement concernant le sous-critère n°1 précité, qu'elle a manqué à ses obligations en termes de diffusion des informations sur les caractéristiques de la SEMOP, en termes de diffusion des informations relatives au niveau des charges pesant sur le futur délégataire, sur les autres contrats à reprendre, sur l'état des biens mis à la disposition du délégataire, sur le service minimum, sur le niveau des recettes prévisibles et que la candidature et de l'irrégularité de l'offre du groupement " Mosaïque " sont sans lien avec le caractère irrégulier de l'offre finale du groupement " Zuneve " et ne constituent pas des moyens que le juge devrait relever d'office. Dès lors, ces moyens sont inopérants.
19. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la requête doit être rejetée, sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité des conclusions formées par les sociétés requérantes.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
20. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge solidaire des sociétés requérantes une somme de 2 500 euros à payer, d'une part à la CACL et d'autre part, à la SEMOP Agglo'bus au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
21. En revanche, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la CACL, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que les sociétés requérantes demande au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête des sociétés Transports Zuneve, AZ Transports, STIVMAT, société de Transports Yves Prévot et Guyamazone est rejetée.
Article 2 : Les sociétés requérantes verseront une somme de 2 500 euros, d'une part, à la Communauté d'Agglomération du Centre Littoral et, d'autre part, à la SEMOP Agglo'Bus sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la Communauté d'Agglomération du Centre Littoral et de la SEMOP Agglo'Bus est rejeté.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié aux sociétés Transports Zuneve, Alick Zuneve, Transports internationale de voyageurs et de marchandise Anamay transports, Transports Yves Prévot, Guyamazone, à la Communauté d'Agglomération du Centre Littoral et à la société d'économie mixte à opération unique Agglo'Bus.
Délibéré après l'audience du 19 octobre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Guiserix, président,
Mme Schor, première conseillère,
M. Gillmann, conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 novembre 2023.
Le rapporteur,
Signé
J. GILLMANN
Le président,
Signé
O. GUISERIX La greffière,
Signé
M-Y. METELLUS
La République mande et ordonne au préfet de la Guyane ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière en Cheffe,
Ou par délégation la greffière,
Signé
S. MERCIER