TA de la Martinique, 21 décembre 2023, n°2300005
Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 6 janvier 2023, et un mémoire complémentaire, enregistré le 23 juin 2023, la SARL Multi Bâtiment Environnement (MBE), représentée par l'Aarpi Overeed, agissant par l'intermédiaire de Me Especel, demande au tribunal :
1°) d'annuler l'avis de sommes à payer émis le 25 octobre 2022 par lequel la commune du Carbet a mis à sa charge le paiement d'une somme de 10 636,35 euros correspondant à des pénalités de retard se rapportant au lot n° 2 - gros œuvre, du marché de construction d'une médiathèque municipale par l'extension et la rénovation du bâtiment de la bibliothèque municipale conclu le 5 février 2013, et de prononcer la décharge de l'obligation de payer cette somme ;
2°) de mettre à la charge de la commune du Carbet la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le mémoire en défense n'est pas recevable puisque la commune du Carbet ne démontre pas que son maire bénéficierait d'une délégation lui permettant de la représenter à l'instance ;
- l'avis de sommes à payer est irrégulier puisqu'il ne comporte pas l'indication des bases de liquidation de la créance ;
- elle a conclu avec la commune du Carbet, le 14 septembre 2022, un protocole transactionnel afin de régler le différend les opposant à la suite de la réalisation des lots n° 2 - gros œuvre et n° 6 - menuiseries intérieures du marché de construction de la médiathèque municipale ;
- la créance de 10 636,35 euros n'est pas fondée puisque, dans ce cadre du protocole transactionnel, la commune s'est engagée à compenser les pénalités avec les intérêts moratoires et les restitutions de retenues de garantie, afin de lui éviter toute avance de trésorerie.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 mai 2023, et des pièces complémentaires, enregistrées le 15 septembre 2023, la commune du Carbet, représentée par Me Catol, conclut au rejet de la requête et, en outre, à ce qu'il soit mis à la charge de la SARL Multi Bâtiment Environnement (MBE) une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par SARL Multi Bâtiment Environnement (MBE) ne sont pas fondés.
La requête a été régulièrement communiquée au directeur régional des finances publiques de la Martinique, qui n'a produit aucune observation.
Par courrier du 22 novembre 2023, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que le jugement était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité pour cause de tardiveté du moyen tiré de l'absence de mention dans l'avis de sommes à payer litigieux des bases de liquidation de la créance, ce moyen ayant été soulevé après l'expiration du délai de recours contentieux et ne se rattachant pas à la même une cause juridique que les moyens soulevés dans le délai de recours contentieux.
Le directeur régional des finances publiques de la Martinique a produit des observations sur ce moyen d'ordre public par un mémoire qui a été enregistré le 1er décembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code des marchés publics ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Phulpin,
- les conclusions de M. Lancelot, rapporteur public,
- et les observations de Me Catol, avocat de la commune du Carbet.
Considérant ce qui suit :
1. Par deux actes d'engagement signés le 5 février 2013, la commune du Carbet a confié à la SARL Multi Bâtiment Environnement (MBE) l'exécution des lots n° 2 - gros œuvre et n° 6 - menuiseries intérieures du marché de construction d'une médiathèque municipale par l'extension et la rénovation du bâtiment de la bibliothèque municipale. A la suite de retards et de difficultés, le chantier a été interrompu en 2016. Les parties se sont accordées pour résilier les deux lots du marché et ont conclu à cet effet un protocole transactionnel signé le 20 octobre 2022. La commune du Carbet a alors émis à l'encontre de la société, le 25 octobre 2022, un avis de sommes à payer afin de mettre à sa charge le paiement d'une somme de 10 636,35 euros correspondant à des pénalités de retard se rapportant au lot n° 2 du marché de construction d'une médiathèque municipale. Dans la présente instance, la SARL Multi Bâtiment Environnement (MBE) demande au tribunal d'annuler cet avis de sommes à payer et de prononcer la décharge de l'obligation de payer cette somme de 10 636,35 euros.
Sur la recevabilité du mémoire en défense :
2. Il résulte des dispositions des articles L. 2122-21 et L. 2122-22 du code général des collectivités territoriales que le maire n'est habilité à défendre la commune dans les actions en justice intentées contre elle qu'après délibération ou sur délégation du conseil municipal. Par délibération du 25 juillet 2020, le conseil municipal de la commune du Carbet a donné délégation à son maire, M. B A, pour la durée de son mandat à l'effet, notamment, d'intenter au nom de la commune des actions en justice ou de défendre la commune dans les actions intentées contre elle. Il s'ensuit que ce dernier avait qualité pour représenter la commune du Carbet dans la présente instance. La SARL Multi Bâtiment Environnement (MBE) n'est dès lors pas fondée à soutenir que le mémoire en défense serait irrecevable en l'absence d'habilitation du maire pour défendre la commune et qu'il devrait être écarté des débats pour cette raison. La fin de non-recevoir ainsi opposée doit, par suite, être écartée.
Sur les conclusions présentées aux fins d'annulation et de décharge :
3. L'annulation d'un titre exécutoire pour un motif de régularité en la forme n'implique pas nécessairement, compte tenu de la possibilité d'une régularisation par l'administration, l'extinction de la créance litigieuse, à la différence d'une annulation prononcée pour un motif mettant en cause le bien-fondé du titre. Il en résulte que, lorsque le requérant choisit de présenter, outre des conclusions tendant à l'annulation d'un titre exécutoire, des conclusions à fin de décharge de la somme correspondant à la créance de l'administration, il incombe au juge administratif d'examiner prioritairement les moyens mettant en cause le bien-fondé du titre qui seraient de nature, étant fondés, à justifier le prononcé de la décharge.
4. Il résulte de l'instruction que, à la suite de la conclusion des deux lots du marché le 5 février 2013, le chantier de construction de la médiathèque municipale a été lancé. La SARL Multi Bâtiment Environnement (MBE) a réalisé l'ensemble des travaux prévus dans le lot n° 2 - gros œuvre, puis a débuté au cours de l'année 2015 les travaux du lot n° 6 - menuiseries extérieures. Toutefois, le chantier a dû être interrompu au cours de l'année 2016, après que le fournisseur des menuiseries ait connu des difficultés économiques et que sa liquidation ait été prononcée en 2018. Après une tentative de relancer le chantier en 2021, la commune du Carbet et la SARL Multi Bâtiment Environnement (MBE) ont finalement décidé de résilier les deux lots du marché de travaux. Après que la réception sans réserve des travaux réalisés ait été prononcée le 3 mars 2022, les parties ont conclu un protocole transactionnel signé le 20 octobre 2022 afin de régler les conséquences de la résiliation amiable et d'établir un décompte de résiliation commun aux deux lots du marché de travaux. A ce titre, elles ont arrêté les sommes restant dues à l'entrepreneur au montant total de 59 874,72 euros, correspondant à la restitution des retenues de garantie et aux intérêts moratoires résultant des retards de paiement des acomptes, et ont fixé les sommes restant dues au maître de l'ouvrage au montant de 10 636,35 euros, correspondant à des pénalités de retard appliquées pour le lot n° 2. Elles ont en conséquence établi le solde des deux lots à la différence entre ces deux montants, soit à la somme de 49 238,37 euros en faveur de la société. Aux termes des articles 3 et 4 du protocole transactionnel, la commune du Carbet s'engage à verser à la société cette dernière somme au titre du règlement définitif des deux lots, tandis que la SARL Multi Bâtiment Environnement (MBE) s'engage quant à elle à renoncer à toute autre demande liée à la résiliation, en particulier à toute demande d'indemnisation du fait de l'interruption des opérations de travaux pendant plusieurs années. En adoptant de telles stipulations, les parties ont nécessairement entendu convenir que l'ensemble des conséquences de la résiliation des deux lots litigieux est compris dans le compte unique ainsi établi dont aucun élément ne peut être isolé et dont seul le solde, arrêté à l'article 3 du protocole, détermine leurs droits et obligations définitifs. Il s'ensuit que la commune du Carbet ne pouvait valablement émettre comme elle l'a fait à l'encontre de la société requérante un avis de sommes à payer afin de mettre à sa charge le paiement de la somme de 10 636,35 euros correspondant aux pénalités de retard appliquées pour le lot n° 2, qui constitue un élément du décompte de résiliation. Le moyen ainsi soulevé par la SARL Multi Bâtiment Environnement (MBE) est dès lors fondé. Il doit, par suite, être accueilli.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le dernier moyen de la requête, qu'il y a lieu d'annuler l'avis de sommes à payer contesté du 25 octobre 2022 et de décharger la SARL Multi Bâtiment Environnement (MBE) de l'obligation de payer la somme litigieuse de 10 636,35 euros.
Sur les frais liés au litige :
6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la SARL Multi Bâtiment Environnement (MBE), qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la commune du Carbet demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la commune du Carbet une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la SARL Multi Bâtiment Environnement (MBE) et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : L'avis de sommes à payer émis le 25 octobre 2022 par la commune du Carbet est annulé.
Article 2 : La SARL Multi Bâtiment Environnement (MBE) est déchargée de l'obligation de payer la somme litigieuse de 10 636,35 euros.
Article 3 : La commune du Carbet versera à la SARL Multi Bâtiment Environnement une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions la commune du Carbet présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent jugement sera notifié à la SARL Multi Bâtiment Environnement (MBE), à la commune du Carbet et au directeur régional des finances publiques de la Martinique.
Délibéré après l'audience du 7 décembre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Laso, président,
M. de Palmaert, premier conseiller,
M. Phulpin, conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 décembre 2023.
Le rapporteur,
V. Phulpin
Le président,
J-M. LasoLe greffier,
J-H. Minin
La République mande et ordonne au préfet de la Martinique en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.