TA de la Polynésie française, 10/10/2023, n° 2201035

 

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 

 

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 23 décembre 2022 et des mémoires enregistrés les 23 mars, 15 avril, 2 et 22 mai et 28 juin 2023, la société Cegelec Polynésie, représentée par Me de Gérando, demande au tribunal :

1°) de se faire remettre par la Polynésie française le contrat relatif à la fourniture d'un " évaporateur ou réservoir fixe d'oxygène liquide cryogénique " à l'hôpital d'Uturoa, signé avec la société Gazpac ;

2°) d'annuler le lot n° 2 du marché public signé avec la société Gazpac dit " évaporateur ou réservoir mobile d'oxygène liquide cryogénique " ;

3°) subsidiairement de résilier ledit marché à compter de la notification de la décision à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de la Polynésie française une somme de 500 000 F CFP en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- en sa qualité de concurrent évincé d'un contrat de la commande publique, elle est un tiers à ce contrat administratif susceptible d'avoir été lésée dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation, ce marché peut faire l'objet d'un recours en contestation de sa validité ;

- aucune tardiveté ne peut lui être opposée dès lors que l'avis d'attribution ne mentionne pas la date de conclusion du contrat ni les modalités de consultation de ce contrat ;

- son offre a été régulièrement présentée par M. B, la circonstance que la délégation et la subdélégation fassent toutes deux référence aux conditions générales de validité par rapport au délégataire n'interdit pas la subdélégation, l'ensemble doit pouvoir être replacé dans le cadre de l'organisation du groupe ; contrairement à ce que soutient la société Gazpac, les délégations en cascade sont en principe toujours possibles, sauf clause contraire de la délégation initiale, M. B et la société Cegelec Polynésie pouvaient valablement soumissionner, la Polynésie française n'a pas rejeté son offre pour ce motif, et M. B a bien, par délégation de pouvoirs, la capacité de déposer une offre pour le compte de la société Cegelec Polynésie ;

- la société adjudicataire soutient que la vente et, a fortiori, la fourniture de gaz médical ou médicinal soumis à autorisation de mise sur le marché (AMM) n'entrent pas dans l'objet social de la société Cegelec, ce n'est cependant pas la solution proposée par la société Cegelec ;

- elle a demandé vainement, notamment par courrier du 19 janvier 2023, la communication du contrat, le rejet implicite opposé à cette demande rend sa requête recevable ;

- contrairement à ce qu'indique la Polynésie française, la norme AFNOR NF S 95-155-1, NF EN ISO 7396-1 mai 2016 était applicable contractuellement à la consultation, et sa référence dans les documents de consultation n'était pas une erreur ; si cette norme a été écartée tant pour l'offre de la société Cegelec Polynésie que pour l'offre de la société Gazpac, la gravité de cette irrégularité dans la procédure de mise en concurrence doit entraîner l'annulation du marché ;

- la CJUE a jugé que le soumissionnaire évincé est en droit de soulever tout moyen contre la décision d'admission d'un autre soumissionnaire, y compris ceux qui ne présentent pas de lien avec les irrégularités en raison desquelles son offre a été exclue ;

- la Polynésie française ne pouvait recourir à la procédure négociée ; la procédure de l'appel d'offres initiale n'aurait pas dû être déclarée infructueuse et aurait dû permettre aux candidats de présenter une offre de base avec de l' " oxygène 93 " ; son offre était parfaitement régulière, et le marché aurait dû lui être attribué dès lors que les offres des autres candidats étaient irrégulières ; le système qu'elle propose est 6 à 10 fois moins onéreux que le système de production concurrent et a l'avantage de rendre l'hôpital autonome ainsi que de préserver l'environnement par une production sur place ;

- la société Gazpac est la seule entreprise en Polynésie française à fournir de l'oxygène liquide ; l'offre était trop restrictive et n'assure ce faisant pas le principe d'une concurrence effective et loyale ;

- la Polynésie française a expressément écarté la possibilité de présenter une offre avec de l'oxygène 93 en indiquant que la référence à cette norme dans les documents de la consultation était une erreur matérielle, ce faisant, elle a favorisé un seul opérateur économique ;

- les spécifications techniques retenues par la Polynésie française méconnaissent l'article A. 221-6 du code polynésien des marchés publics, le marché n'indiquait nullement que les modalités d'approvisionnement étaient contraintes par la dépendance à l'électricité et par la responsabilité du pharmacien ;

- l'instabilité du réseau électrique de l'hôpital n'est pas démontrée par des éléments objectifs fournis par l'opérateur d'électricité ; la Polynésie ne communique qu'une simple attestation à soi-même que le tribunal ne peut contrôler, la solution proposée a été mise en œuvre, notamment, par le centre hospitalier de la Polynésie française et par de nombreux établissements de santé en France et dans les DOM-TOM ;

- la circonstance que l'oxygène soit fourni en vrac par un fournisseur ou produit sur site en continu par un générateur d'oxygène n'a aucune incidence sur la responsabilité du pharmacien qui reste responsable de l'approvisionnement en oxygène de l'établissement de santé ainsi que de sa gestion, de son évaluation et de sa qualité en application de l'article L. 5126-1 du code de la santé publique ;

- le concentrateur est un dispositif médical soumis au règlement n° 2017/745 et ne requiert pas d'autorisation de mise sur le marché ; l'agence française de sécurité sanitaire des produits de santé a admis, dès 2009, l'utilisation des concentrateurs en établissement de santé en édictant, le 16 juillet 2009, des recommandations d'utilisation des concentrateurs d'oxygène pour l'approvisionnement du système de distribution de gaz médicaux d'un établissement de santé, il en résulte que la sécurité et la sûreté de l'oxygène ainsi que sa conformité aux spécifications de la pharmacopée européenne sont attestées par le marquage CE ; l'oxygène 93 est produit en continu et n'implique aucune préparation au sens de la définition de la préparation hospitalière ou officinale ; contrairement à ce que soutient la société Gazpac, le CHPF a fait face à l'ensemble de ses besoins en oxygène pendant la crise sanitaire du COVID ; les concentrateurs ont pu produire jusqu'à 4 000 litres par minute ;

- la Polynésie française ne pouvait que prononcer une déclaration sans suite pour motif d'intérêt général et ne pouvait prononcer une déclaration d'infructuosité ; de ce fait, elle devait engager une nouvelle procédure d'appel d'offres avec publicité et mise en concurrence et un nouveau cahier des charges permettant la remise d'offres concurrentes au titre de l'oxygène 93 ; la Polynésie française a bien indiqué à la société Cegelec que la seule variante autorisée était le dimensionnement de la cuve d'oxygène liquide mise à disposition ;

- la Polynésie française ne pouvait pas modifier les critères d'attribution ; de nouveaux critères d'attribution sont apparus, modifiant les documents de la consultation, la dépendance en électricité et le report de la responsabilité de la production d'oxygène sur le pharmacien non présent sur le site ;

- la procédure négociée était irrégulière à plusieurs titres : la procédure d'appel d'offres initiale n'était pas suffisamment précise sur la possibilité de faire une offre avec de l'oxygène 93, alors qu'au surplus, l'acheteur public annonçait clairement cette impossibilité dans ses réponses aux candidats ; elle a cependant évalué et comparé l'offre de la société Cegelec Polynésie sans la juger irrégulière dans le cadre de la procédure négociée et l'a d'ailleurs classée deuxième ; les offres ont été analysées selon des critères non portés à la connaissance des candidats, selon un critère économique dénaturé, en effet, la Polynésie française a demandé de nombreuses options supplémentaires de sécurisation non incluses dans le cahier des charges, qui n'auraient pas dû être prises en compte dans la notation du critère économique, dès lors que celles-ci n'étaient pas visées au CCTP ; les offres négociées ont modifié substantiellement les caractéristiques et les conditions d'exécution du marché, telles qu'elles sont définies dans les documents de la consultation, en méconnaissance de l'article LP. 323-7 du code des marchés publics polynésiens ;

- les vices en question affectent directement le processus même de sélection des offres et sont de nature à affecter le choix du cocontractant ; ils constituent également des vices d'une particulière gravité et révèlent que la Polynésie française a entendu favoriser l'attributaire à son détriment ; l'annulation du marché ou, à tout le moins, sa résiliation s'impose.

Par des mémoires, enregistrés les 28 février et les 5 et 22 mai 2023, la Polynésie française conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir :

- à titre principal que la requête, qui n'est pas accompagnée de la décision attaquée, est irrecevable ; en effet, la demande de communication ne portait que sur la copie de l'acte de notification du marché public et non sur le contrat ; en l'absence de production du contrat, la requête de la partie adverse devra être déclarée irrecevable ;

- à titre subsidiaire qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.

Par des mémoires enregistrés les 23 mars, 16 mai et 8 juin 2023, la société Gazpac Tahiti, représentée par Me Canevet, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Cegelec Polynésie la somme de 300 000 F CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la société Cegelec Polynésie ne justifie pas de son intérêt à agir dès lors que c'est l'entreprise Vinci Facilities Polynésie qui s'est portée candidate pour l'attribution du lot n° 2 ; la fourniture de gaz médical soumis à AMM n'entre pas dans l'objet social de la société Cegelec ;

- la société Cegelec n'est pas régulièrement représentée ; M. A ne pouvait subdéléguer à M. B les pouvoirs que lui avait attribués M. D par acte du 1er janvier 2021 dès lors que la délégation était consentie en raison de l'autorité, des moyens et des compétences du délégataire, ce document ne prévoit aucunement de possibilité de subdéléguer les pouvoirs ainsi attribués ; en outre, l'offre de la société Cegelec Polynésie était irrégulière dès lors que son dossier de candidature ne comportait aucune copie du supposé acte de délégation du 1er janvier 2021 ; la société Cegelec ne peut donc en tout état de cause se plaindre de l'attribution du lot n°3 à la société Gazpac dès lors que son acte de candidature n'était pas régulier ;

- la pièce jointe n° 14 à l'inventaire est illisible ;

- l'appel d'offres prévoyait expressément que soit fourni un médicament à l'hôpital et non un système de fabrication d'oxygène ; la société Cegelec ne peut sérieusement soutenir que les spécifications techniques du marché ont été conçues dans un but étranger à l'intérêt général afin de favoriser un candidat en particulier ; la société Vinci Facilities Polynésie a d'ailleurs pu présenter une offre reposant sur la mise en œuvre d'un procédé de compression de l'air ambiant fournissant de l'oxygène 93 ; le moyen devra donc être écarté ;

- les tiers agissant en qualité de concurrents évincés de la conclusion d'un contrat administratif ne peuvent, à l'appui d'un recours contestant la validité de ce contrat, utilement invoquer, outre les vices d'ordre public, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec leur éviction ; la société requérante ne se prévaut pas utilement de la solution dégagée par la CJUE le 24 mars 2021, dans le cadre du présent litige peuvent être invoqués uniquement les moyens tirés de la violation du code des marchés publics de la Polynésie française ou des principes applicables aux règles de la commande publique en droit français ; il suit de là que le tribunal écartera comme inopérants les moyens tirés de ce que la procédure d'appel d'offres initiale n'aurait pas dû être déclarée infructueuse, du caractère manifestement irrégulier de cette procédure d'appel d'offres qui aurait favorisé un seul opérateur sans justification technique, de ce que compte tenu de l'irrégularité initiale dont aurait été entaché cet appel d'offres ; la Polynésie française aurait été dans l'obligation de prononcer une déclaration sans suite pour motif d'intérêt général ;

- la référence à l'ordonnance n° 2200384 du 28 septembre 2022 est inopérante, s'agissant d'un référé précontractuel ;

- subsidiairement, la Polynésie française était fondée à ne pas prendre en considération l'offre de Vinci Facilities ; un candidat qui ne pouvait se voir attribuer le contrat parce que sa candidature devait elle-même être écartée ou que l'offre qu'il présentait ne pouvait qu'être éliminée comme inappropriée, irrégulière ou inacceptable ne peut jamais être regardé comme lésé par le choix de l'offre d'un candidat irrégulièrement retenu, puisque l'irrégularité de ce choix n'est pas la cause de son éviction ; il ressort de la décision écartant sa candidature que son offre initiale ne respectait pas les conditions essentielles fixées aux articles 14 et 15 du règlement de consultation ;

- la norme ISO dont la société requérante se prévaut n'est relative qu'au système de distribution, la société Cegelec ne peut donc sérieusement se prévaloir de cette référence par le CCTP, pour soutenir que son offre était conforme à l'objet du marché prévoyant la fourniture d'oxygène liquide médical ; très très subsidiairement, la société requérante a été invitée le 24 mai 2022 par la Polynésie française à participer à la procédure de marché négocié sans publicité ni mise en concurrence, elle n'est donc pas fondée à soutenir que le rejet de son offre initiale l'a privée d'une chance sérieuse de présenter une offre sur le fondement de l'article LP. 323-2 du code polynésien des marchés publics ;

- contrairement à ce que soutient la société requérante, la définition de l'objet du marché n'a pas limité la possibilité de proposer des offres alternatives ; les acteurs métropolitains auraient très bien pu répondre à l'appel d'offres depuis l'Europe, cela a d'ailleurs été le cas pour d'autres territoires insulaires ultramarins, ainsi la société sol approvisionne en oxygène liquide depuis la France : Mayotte, la Réunion, la Guadeloupe etc ; les spécifications techniques étaient en outre justifiées par des considérations de santé publique ; faute d'éléments plus précis permettant d'établir que la discussion normale des propositions des variantes faites par Vinci Facilities Polynésie aurait eu pour but de dénaturer les caractéristiques de cette offre au profit de celle de Gazpac Tahiti, le moyen ne peut qu'être écarté ;

- les conditions posées par l'article LP. 323-10 du code polynésien des marchés publics ont été respectées, l'article LP. 122-3 du code polynésien des marchés publics définit comme inappropriée une offre qui apporte une réponse sans rapport avec le besoin de l'acheteur ; l'offre initiale de Gazpac Tahiti respectait les exigences de l'appel d'offres mais aboutissait à un budget jugé excessif par la Polynésie française, ce qui l'a amenée à la considérer comme inappropriée ;

- s'agissant de l'ajout des critères : il n'y a eu aucune modification substantielle des conditions initiales du marché, contrairement à ce que soutient la société requérante, la responsabilité du pharmacien du fournisseur était prévue dans les conditions initiales du marché, en outre l'article 9 du règlement de consultation d'appel d'offres indique que la performance financière des candidats peut être mesurée par rapport aux coûts actuellement supportés sur les postes de dépenses correspondants : la consommation électrique du système proposé entre bien évidemment dans cette définition du coût, en tout état de cause le fait de les avoir pris en compte ne constitue pas une modification substantielle des conditions initiales de l'offre ;

- le moyen tiré de la dénaturation du critère de la valeur économique n'est pas assorti de précisions suffisantes dès lors qu'il ne précise pas les options supplémentaires qui auraient été demandées ; le titulaire du marché prenait plusieurs engagements : disposer d'une réserve correspondant à six fois la quantité moyenne mensuelle pour faire face aux aléas logistiques, aux augmentations de consommation ponctuelle, livrer en urgence de l'oxygène à la demande de la pharmacie et, en cas de circonstances extraordinaires, s'engager à être en capacité de fournir 26 fois la consommation mensuelle en oxygène ;

- sur la modification substantielle des offres négociées : le moyen n'est pas suffisamment précis, en tout état de cause les options de sécurité maximale sont expressément prévues par l'article 2 du règlement de consultation et les articles 3, 7 et 8 du CCTP ;

- la société Vinci Facilities Polynésie a toujours pu, en dépit de l'irrecevabilité de sa première offre, défendre une variante par rapport à l'offre de base fondée sur la fourniture d'un système à base de compression d'air, elle a également été admise à présenter sa solution dans le cadre du marché négocié sans publicité ni mise en concurrence et ne pourra donc soutenir avoir fait l'objet d'un traitement discriminatoire de la part de la Polynésie française ; l'intérêt général commande la continuation de l'actuel marché ;

- le recours de la société Cegelec peut être qualifié d'abusif : le présent recours ne vise qu'à faire pression sur la Polynésie française pour l'inciter, sous la menace du recours contentieux, à modifier son appel d'offres et à ne pas choisir d'autres offres que celle qu'elle propose ;

Par une ordonnance du 12 juin 2013, la clôture de l'instruction a été fixée au 30 juin 2023 à 11h00 (heure locale).

Vu :

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;

- le code polynésien des marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Boumendjel, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Theulier de Saint-Germain, rapporteure publique,

- les observations de M. C représentant la Polynésie française et celles de Me Canevet pour la société Gazpac.

Considérant ce qui suit :

1. La Polynésie française a lancé un appel public à la concurrence pour un marché à bons de commande mono-attributaire sans minimum ni maximum, selon la procédure formalisée de l'appel d'offres ouvert prévue à l'article LP. 322-1 du code polynésien des marchés publics pour "la fourniture de fluide à usage médical en installations fixes, mobiles, et bouteilles, des accessoires et des prestations permettant leur mise en œuvre" pour le compte de plusieurs hôpitaux locaux. La société Cegelec Polynésie a présenté, le 8 avril 2022, une offre pour le lot n° 2 : "évaporateur ou réservoir fixe d'oxygène liquide cryogénique à l'hôpital d'Uturoa", pour lequel l'article 4 du CCTP précisait que ce lot impliquait, notamment la mise à disposition de tout le matériel nécessaire à la production d'oxygène gazeux à partir d'un évaporateur fixe d'oxygène liquide d'une capacité brute de 5 000 litres minimum. Son offre a cependant été considérée comme irrégulière et rejetée par la Polynésie française le 2 mai 2022. Par courrier du 13 mai 2022, la Polynésie française l'a informée que l'intégralité des offres étaient irrégulières et que l'appel d'offres était déclaré infructueux. La Polynésie française a alors lancé une procédure de marché négocié avec mise en concurrence et a fait parvenir aux deux candidats, qui avaient soumissionné et dont les offres avaient été rejetées, une lettre de consultation. L'offre de la société Cegelec a été classée deuxième, derrière l'offre de la société Gazpac. L'attribution du marché à cette entreprise a fait l'objet d'un avis d'attribution publié au journal officiel de la Polynésie française du 28 octobre 2022. Par la présente requête, la société Cegelec Polynésie demande au tribunal d'annuler ce marché.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. D'une part, aux termes de l'article LP. 323-1 du code polynésien des marchés publics : " Une procédure négociée est une procédure dans laquelle l'acheteur public négocie les conditions du marché avec un ou plusieurs opérateurs économiques. Il ne peut être passé de marché public selon une procédure négociée que dans les seuls cas et selon les modalités prévues à l'article LP 323-2 et à l'article LP 323-10. " Selon l'article LP. 323-2 de ce même code : " Peuvent être passés selon une procédure négociée avec publicité préalable et mise en concurrence : 1° Les marchés pour lesquels, après appel d'offres ou dialogue compétitif, il n'a été proposé que des offres irrégulières ou inacceptables au sens de l'article LP 122-3 que l'acheteur public est tenu de rejeter ; Les conditions initiales du marché ne doivent toutefois pas être substantiellement modifiées. L'acheteur public est dispensé de procéder à une nouvelle mesure de publicité s'il ne fait participer à la négociation que le ou les candidats qui, lors de la procédure antérieure, ont soumis des offres respectant les exigences relatives aux délais et modalités formelles de présentation des offres. Dans ce cas, il est procédé à la mise en concurrence dans les conditions fixées aux articles LP 323-6 à LP 323-9 ". L'article LP. 122-3 de ce code précise : " Au sens du présent code, on entend par : () 9° offre inacceptable, offre dont les conditions d'exécution méconnaissent la réglementation en vigueur, ou si les crédits budgétaires alloués au marché, après évaluation du besoin à satisfaire ne permettent pas à l'acheteur public de le financer ; 10° offre inappropriée, une offre qui apporte une réponse sans rapport avec le besoin de l'acheteur public et qui peut en conséquence être assimilée à une absence d'offre ; 11° offre irrégulière, offre qui, tout en apportant une réponse au besoin de l'acheteur public, est incomplète ou ne respecte pas les exigences formulées dans l'avis d'appel public à la concurrence ou dans les documents de la consultation".

3. D'autre part, selon l'article 2 du règlement de consultation objet et caractéristiques principales de l'appel d'offres : " La consultation a pour objet la fourniture de fluide à usage médical en installations fixes, mobiles, et bouteilles, des accessoires et des prestations permettant leur mise en œuvre ". Selon l'article 15 - présentation des offres de ce même règlement : " Le projet de marché par lot comprend les documents administratifs suivants : () un cahier des clauses administratives particulières (CCAP) pour chaque lot accepté sans modification, à parapher sur chaque page et signer ; un cahier des clauses techniques particulières (CCTP) pour chaque lot accepté sans modification, à parapher sur chaque page et signer ; () ". Le cahier des clauses techniques particulières n° 01-2022 précise en son article 4-description de la prestation du lot 2 : évaporateur ou réservoir fixe d'oxygène liquide à l'hôpital d'Uturoa : "La mise à disposition de tout le matériel nécessaire à la production d'oxygène gazeux à partir d'un évaporateur fixe d'oxygène liquide d'une capacité brute de 5 000 litres minimum ; le fournisseur prévoira également à sa charge un système économiseur de gaz par réinjection de l'excès de phase gazeuse dans le réseau".

4. La société requérante ne conteste pas que son offre ne correspondait pas au cahier des charges, mais soutient que la circonstance que l'article 4 du CCTP imposait la production d'oxygène gazeux à partir d'un évaporateur n'était pas justifiée et visait à favoriser le seul opérateur économique présent en Polynésie française susceptible de répondre à une telle demande. Toutefois, ce choix technique n'apparaît pas, dans les circonstances de l'espèce, injustifié dès lors que la solution de production d'oxygène proposée par la société requérante induit une consommation électrique significative, alors que la Polynésie française a opté, eu égard aux capacités du réseau électrique de l'île de Raiatea et au coût de l'électricité, pour une solution technique n'en consommant pas ou peu. Ainsi, alors même qu'il existe d'autres solutions techniques, l'exigence tenant à la fourniture d'un évaporateur d'oxygène liquide n'est entachée d'aucune illégalité.

5. Le candidat évincé ne peut utilement invoquer, outre les vices d'ordre public, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat sont en rapport direct avec son éviction. Il s'ensuit que la société Cegelec, dont l'offre était irrégulière, ne peut utilement se prévaloir du recours à la procédure négociée, de la circonstance que la Polynésie française a utilisé deux critères pour analyser les offres sans les porter préalablement à la connaissance des candidats et de la dénaturation du critère économique au regard des options supplémentaires demandées par la Polynésie française. En effet, la société requérante est insusceptible d'avoir été lésée par les vices qu'elle invoque, qui ne sont pas liés à l'irrégularité de sa propre offre. Il ne s'agit pas non plus de vices d'ordre public. Par suite, les vices invoqués doivent être écartés comme inopérants.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner la communication du contrat conclu avec la société Gazpac ni de statuer sur la recevabilité de la requête, que les conclusions à fin de résiliation et d'annulation du lot n° 2 : "évaporateur ou réservoir fixe d'oxygène liquide cryogénique à l'hôpital d'Uturoa" doivent être rejetées.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

7. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de la société Cegelec Polynésie la somme de 200 000 F CFP au titre des frais exposés par la société Gazpac et non compris dans les dépens. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la société Gazpac, qui n'est pas la partie perdante à la présente instance, au titre des frais exposés par la société Cegelec Polynésie et non compris dans les dépens.

Sur l'amende pour recours abusif :

8. Aux termes de l'article R. 741-12 du code de justice administrative : " Le juge peut infliger à l'auteur d'une requête qu'il estime abusive une amende dont le montant ne peut excéder 10 000 euros ". La faculté prévue par ces dispositions constituant un pouvoir propre du juge, les conclusions de la société Gazpac tendant à ce que la société Cegélec Polynésie soit condamnée à une telle amende ne peuvent en tout état de cause qu'être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société Cegelec Polynésie est rejetée.

Article 2 : La société Cegelec Polynésie versera à la société Gazpac la somme de 200 000 F CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la société Gazpac est rejeté.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la société Cegelec Polynésie, à la société Gazpac et à la Polynésie française.

Délibéré après l'audience du 26 septembre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Devillers, président,

M. Graboy-Grobesco, premier conseiller,

M. Boumendjel, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 octobre 2023.

Le rapporteur,

M. Boumendjel

Le président,

P. Devillers La greffière,

D. Germain

La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

Un greffier,

N°2201035