TA de Marseille, 12 janvier 2024, n° 2312206


REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 

 

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 26 décembre 2023 et 11 janvier 2024, la société Qualiconsult représentée par Me Aubignat, demande au juge des référés :

1°) sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'annuler la procédure de passation du lot n°2 du marché de prestations intellectuelles pour des missions de contrôle technique et de coordination de sécurité et de protection de la santé pour la construction de l'hôtel de police de Marseille ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'offre de la société Socotec est anormalement basse ;

- le marché souffre d'imprécision, du fait de l'incohérence entre les articles 1 et 4 du cahier des clauses techniques particulières et de l'incompatibilité entre les missions de contrôle techniques et celles de conception de l'ouvrage ;

- il y a méconnaissance des dispositions de l'article L. 2181-1 du code de la commande publique, en raison de l'absence d'information sur les motifs du rejet de son offre ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 janvier 2024, la ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 janvier 2024, la société Socotec, représentée par Me Sultan, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de la société Qualiconsult la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- par les moyens invoqués, la société Qualiconsult ne démontre pas d'un intérêt lésé ;

- les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné Mme Dyèvre, premier conseiller, pour statuer sur les demandes de référés.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique du 11 janvier 2024, tenue en présence de Mme Martinez, greffière d'audience, Mme Dyèvre a lu son rapport et a entendu les observations de Me Aubignat, représentant la société Qualiconsult qui a conclu aux mêmes fins que ses mémoires par les mêmes moyens et Monsieur A, représentant le ministre de l'intérieur et des outre-mer, qui a maintenu les termes de son mémoire en défense et de Me Sultan, représentant la société Socotec qui a maintenu les termes de son mémoire en défense.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.

Considérant ce qui suit :

1. Le préfet de la zone de défense et de sécurité Sud a soumis à la concurrence un marché de prestations intellectuelles pour des missions de coordination de sécurité et de protection de la santé pour la construction de l'hôtel de Police de Marseille. La société Qualiconsult a soumissionné au lot n°2 " contrôle technique " de ce marché. Par une décision du 6 décembre 2023, le préfet de la zone de défense et de sécurité sud a informé la société Qualiconsult du rejet de son offre, classée en 5ème position. La société Qualiconsult demande l'annulation de la procédure de passation du lot n°2 de ce marché.

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. () ". Aux termes de l'article L. 551-2 du même code : " I.- Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations. () ". Aux termes de l'article L. 551-10 du même code : " Les personnes habilitées à engager les recours prévus aux articles L. 551-1 et L. 551-5 sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat ou à entrer au capital de la société d'économie mixte à opération unique et qui sont susceptibles d'être lésées par le manquement invoqué () ".

Sur la fin de non-recevoir opposée par la société Socotec :

3. En vertu des dispositions de l'article L. 551-10 du code de justice administrative, les personnes habilitées à engager le recours prévu à l'article L. 551-1 en cas de manquement du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par le manquement invoqué. Il appartient dès lors au juge du référé précontractuel de rechercher si l'entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente.

4. Il résulte de l'instruction que la société Qualiconsult a candidaté au lot n°2 relatif au contrôle technique du marché public de prestations intellectuelles des travaux de désamiantage, déconstruction et construction de l'hôtel de police de Marseille. Elle a ainsi la qualité de candidate évincée d'un marché relevant de son champ de compétence pour lequel son intérêt à conclure le contrat est établi. En se bornant à affirmer que les moyens invoqués par la société Qualiconsult n'établissent pas qu'elle aurait été susceptible d'être lésée par les manquements invoqués, la société Socotec n'apporte aucun élément démontrant l'irrecevabilité de la requête ; par suite, la fin de non-recevoir opposée par la société Socotec doit être écartée.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

5. Aux termes de l'article L. 2152-5 du code de la commande publique : " Une offre anormalement basse est une offre dont le prix est manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché ". Aux termes de l'article L. 2152-6 du code de la commande publique : " L'acheteur met en œuvre tous moyens lui permettant de détecter les offres anormalement basses./ Lorsque une offre semble anormalement basse, l'acheteur exige que l'opérateur économique fournisse des précisions et justifications sur le montant de son offre./ Si, après vérification des justifications fournies par l'opérateur économique, l'acheteur établit que l'offre est anormalement basse, il la rejette dans des conditions prévues par décret en Conseil d'Etat. ". Selon l'article R. 2152-3 de ce même code : " L'acheteur exige que le soumissionnaire justifie le prix ou les coûts proposés dans son offre lorsque celle-ci semble anormalement basse eu égard aux travaux, fournitures ou services, y compris pour la part du marché qu'il envisage de sous-traiter. Peuvent être prises en considération des justifications tenant notamment aux aspects suivants : 1° Le mode de fabrication des produits, les modalités de la prestation des services, le procédé de construction ; 2° Les solutions techniques adoptées ou les conditions exceptionnellement favorables dont dispose le soumissionnaire pour fournir les produits ou les services ou pour exécuter les travaux ;(). ". Enfin, aux termes de l'article R. 2152-4 de ce code : " L'acheteur rejette l'offre comme anormalement basse () Lorsque les éléments fournis par le soumissionnaire ne justifient pas de manière satisfaisante le bas niveau du prix ou des coûts proposés () ".

6. Le fait, pour un pouvoir adjudicateur, de retenir une offre anormalement basse porte atteinte à l'égalité entre les candidats dans le cadre de l'attribution d'un marché public. Il résulte des dispositions précitées que, quelle que soit la procédure de passation mise en œuvre, il incombe au pouvoir adjudicateur qui constate qu'une offre paraît anormalement basse de solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé, sans être tenu de lui poser des questions spécifiques. Si les précisions et justifications apportées ne sont pas suffisantes pour que le prix proposé ne soit pas regardé comme manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché, il appartient au pouvoir adjudicateur de rejeter l'offre. Le caractère anormalement bas ou non d'une offre ne saurait résulter du seul constat d'un écart de prix important entre cette offre et d'autres offres que les explications fournies par le candidat ne sont pas de nature à justifier et il appartient notamment au juge du référé précontractuel, saisi d'un moyen en ce sens, de rechercher si le prix en cause est en lui-même manifestement sous-évalué et, ainsi, susceptible de compromettre la bonne exécution du marché.

7. Il résulte de l'instruction que, pour le lot n°2 " Contrôle technique " du marché en litige, le pouvoir adjudicateur a estimé sa valeur à la somme de 222 656 € hors taxes. L'offre présentée par la société Socotec, d'un montant de 169 500 € hors taxes, était ainsi inférieure à 23,8 % au montant estimé par le pouvoir adjudicateur. Le prix de l'offre de la société Qualiconsult s'élevait quant à lui à 323 600€ hors taxes, supérieur de 45,3% à l'estimation. Toutefois, l'écart de prix constaté tant entre le prix proposé par la société Socotec et l'estimation du pouvoir adjudicateur qu'avec le prix proposé par la société Qualisconsult, n'est pas, à lui seul, de nature à faire suspecter le caractère anormalement bas de l'offre de la société Socotec.

8. Il résulte de l'instruction du cahier des clauses techniques particulières et notamment de l'annexe 1 de ce document que le pouvoir adjudicateur a, d'une part, fixé un nombre minimum de réunions imposées, d'une part, laissé aux candidats le soin de proposer un nombre pertinent de réunion " selon les besoins ". La seule circonstance que la société requérante estime que le nombre de réunions proposé par la société Socotec " selon les besoins " est insuffisante comparativement à celui qu'elle estime nécessaire, notamment au regard du nombre de jours proposés pour les missions à réaliser au titre des " visas des documents d'exécution ", n'est pas, à elle seule, de nature à caractériser une offre anormalement basse susceptible de compromettre la bonne exécution du marché au regard du temps consacré à ces missions et eu égard à l'ampleur du marché.

9. Dans ces conditions, l'écart de prix entre l'offre de de la société Qualiconsult et celle de la société Socotec n'était pas un élément suffisant pour que le prix global de l'offre soit apparu manifestement sous-évalué et de nature, ainsi, à compromettre la bonne exécution du marché. Par suite, eu égard à l'ensemble de ces éléments, la société Qualiconsult n'établit pas que l'offre de la société Socotec serait anormalement basse.

10. Il résulte du règlement de la consultation que l'objet du marché porte " sur des prestations intellectuelles pour des missions de contrôle technique et de coordination de sécurité et de protection de la santé pour la construction de l'hôtel de police de Marseille ", lesquelles sont alloties en deux lots, le premier portant sur la " coordination de sécurité et de protection de la santé ", le second portant sur le " contrôle technique ". Le cahier des clauses techniques particulières relatives au lot n°2 " contrôle technique ", dans sa version du 6 novembre 2024, précise en son article 1er que " le présent marché a pour objet une mission de contrôle technique se rapportant à l'opération de construction de l'hôtel de police de Marseille ". L'article 4 du même document précise les missions pour lesquelles intervient le contrôleur technique, lesquelles ne sont pas en contradiction avec la description de l'objet du marché présenté par l'article 1er du cahier des clauses techniques particulières. Si la société Qualiconsult se prévaut d'une version antérieure du cahier des clauses techniques particulières révélant une incohérence et une incompatibilité entre les missions du contrôleur technique et des missions de conception de l'ouvrage indiquées à l'article 1er, ces éléments ont été rectifiés dans la dernière version applicable du cahier des clauses techniques particulières à la suite d'une question n°1 posée en ce sens. Dès lors, les éléments de ce document ne sont pas contradictoires et n'impliquent pas que le contrôle technique objet du lot n°2 de ce marché intervienne au titre de la conception des ouvrages mais bien au titre du contrôle technique desdits ouvrages. Par suite, il ne résulte pas de l'instruction que les pièces du marché souffriraient d'imprécisions et d'incohérences.

11. Aux termes de l'article L. 2181-1 du code de la commande publique : " Dès qu'il a fait son choix, l'acheteur le communique aux candidats et aux soumissionnaires dont la candidature ou l'offre n'a pas été retenue, dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat. ". Aux termes de l'article R. 2181-1 du code : " L'acheteur notifie sans délai à chaque candidat ou soumissionnaire concerné sa décision de rejeter sa candidature ou son offre ". Aux termes de l'article R. 2181-3 du même code, applicable aux marchés passés selon une procédure formalisée : " La notification prévue à l'article R. 2181-1 mentionne les motifs du rejet de la candidature ou de l'offre. / Lorsque la notification de rejet intervient après l'attribution du marché, l'acheteur communique en outre : 1° Le nom de l'attributaire ainsi que les motifs qui ont conduit au choix de son offre ; / 2° La date à compter de laquelle il est susceptible de signer le marché dans le respect des dispositions de l'article R. 2182-1 ". Aux termes de l'article R. 2181-4 de ce code : " A la demande de tout soumissionnaire ayant fait une offre qui n'a pas été rejetée au motif qu'elle était irrégulière, inacceptable ou inappropriée, l'acheteur communique dans les meilleurs délais et au plus tard quinze jours à compter de la réception de cette demande : [] / 2° Lorsque le marché a été attribué, les caractéristiques et les avantages de l'offre retenue ".

12. Il résulte de l'instruction que le courrier du 6 décembre 2023 adressé par le pouvoir adjudicateur à la société Qualiconsult pour lui notifier le rejet de son offre précisait les motifs de ce rejet, le nom de la société attributaire, le montant de l'offre retenue, les notes globales et sur chacun des critères et sous-critères attribuées à la société attributaire et à la société Qualiconsult, précisant le classement de l'offre de la société requérante en cinquième position, et le délai de suspension de la signature du marché. Il résulte également de l'instruction que, si par courrier du 20 décembre 2023, le pouvoir adjudicateur a informé la société Qualiconsult qu'il ne pouvait divulguer avant la publication de l'avis d'attribution du marché en litige les éléments permettant de différencier objectivement son offre de celle de l'attributaire, ces informations ont été complétées par la communication du rapport d'analyse des offres à la date à laquelle la juge des référés a statué sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions des articles R. 2181-3 et R. 2181-4 du code de la commande publique ne peut qu'être écarté.

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du ministre de l'intérieur, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la société Qualiconsult au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la société Qualiconsult le versement d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la société Socotec et non compris dans les dépens.

O R D O N N E :

Article 1er : La requête présentée par la société Qualiconsult est rejetée.

Article 2 : La société Qualiconsult versera à la société Socotec la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Qualiconsult, au ministre de l'intérieur et des outre mers et à la société Socotec.

Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.

La juge des référés,

Signé

C. DYEVRE

La République mande et ordonne au préfet des Bouches-du-Rhône en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef ;

La greffière,