TA de Montpellier, 18 décembre 2023, n°s 2306677, 2306675


REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 

 

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés respectivement les 20 novembre et 8 décembre 2023, la Sas Services Maintenance Energies (SME), représentée par Me Gaspar, demande au juge des référés, statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

- d'annuler, au stade de l'analyse des offres, la procédure de passation du lot n°17 de l'accord-cadre à bons de commande multi-attributaires pour des travaux d'entretien de maintenance et d'aménagement des sites de Montpellier Méditerranée Métropole ;

- de mettre à la charge de Montpellier Méditerranée Métropole la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la Métropole a commis une erreur de droit en rejetant son offre comme étant anormalement basse ; elle s'est fondée sur la seule comparaison avec les offres des autres candidats ou sa propre estimation, au demeurant en utilisant un calcul de la moyenne des prix des offres incohérent, sans avoir recherché si le prix en cause était en lui-même manifestement sous-évalué et, ainsi, susceptible de compromettre la bonne exécution du marché ; elle a utilisé un DQE masqué incomplet comportant seulement 67 prix sur les 265 lignes du BPU, ce qui est loin de représenter l'offre dans sa globalité, et notamment en tant qu'il se base sur des postes du BPU affichés en importantes quantités n'ayant pourtant jamais été commandés pendant les quatre ans précédents lors desquels elle était titulaire du marché et, inversement, en omettant des prix de postes très sollicités durant cette même période ; ce DQE ne reflétant pas la réalité du marché, la Métropole a considéré son offre comme anormalement basse sans l'avoir appréciée dans sa globalité et en s'étant borné à prendre en compte le caractère sous-évalué de seulement quelques prix ; elle était titulaire du précédent contrat et aucune difficulté d'exécution n'a été relevée, alors que l'offre en cause est très proche de celle qu'elle avait présentée sur ce qui était le lot n°4 "Plomberie" en 2018 ;

- la Métropole a commis une erreur manifeste d'appréciation en rejetant cette offre comme anormalement basse, d'une part, en se basant uniquement sur l'estimation et la moyenne des offres, indices au demeurant erronés, pour suspecter l'offre d'être anormalement basse, comme cela ressort du courrier du 1er décembre 2023, d'autre part, en considérant que les justifications et précisions apportées n'étaient pas suffisantes alors qu'elle a établi, par des devis à l'appui, que les prix représentant 20% du montant de son DQE n'étaient pas sous-évalués et même que sa marge était importante et a aussi mis en évidence que des postes étaient soit imprécis, soit inexistants ; la Métropole n'a pas tenu compte du fait qu'elle était la précédente titulaire du marché et que le précédent contrat s'est parfaitement bien exécuté sur la base d'une offre qui était proche de celle présentée sur du lot n°17 en cause ; son offre n'est pas de nature à compromettre la bonne exécution du marché au sens des dispositions de l'article L. 2152-5 du code de la commande publique.

Par un mémoire enregistré le 12 décembre 2023, Montpellier Méditerranée Métropole, représentée par Me Bertrand, conclut au rejet de la requête et ce que soit mise à la charge de la requérante la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- aux termes du DQE caché, pour l'analyse des offres, l'offre de la société SME est arrêtée à un montant annuel de 57 811 € HT, et elle a constaté que l'offre de SME est inférieure de plus de 66% à la moyenne M1 des prix des autres offres d'un montant de 170 412,81 € HT, l'offre de SME apparait inférieure de plus de 53% à la moyenne M2 des offres de prix lui étant supérieures de 20 %, considérées comme anormalement hautes, qui s'élève à 124 479,25€HT et les offres inférieures de plus de 15% à cette seconde moyenne ont été détectées comme anormalement basses, enfin l'offre de SME est inférieure de 73% avec l'estimation de l'acheteur d'un montant de 215 000 euros HT; la société SME a produit, le 11 juillet 2023, un courrier présenté comme justifiant ses prix, mais comportant des éléments généraux sur l'organisation interne de la société et les outils d'optimisation sans les justifier, des explications sur lesdits prix se limitant, pour l'essentiel, à un devis justifiant de deux prix et à se prévaloir de prix très compétitifs avec ses fournisseurs, ainsi que d'éléments relatifs, d'une part, à l'amortissement du matériel mais non établis, d'autre part, au niveau de rémunération du personnel suivant la convention collective " employé ", sans fournir d'élément permettant de justifier du détail de ces coûts (bulletin de paye, coût horaire chargé de son personnel), enfin à quelques prix et au détail du temps de prestation estimé ; l'offre était sous-évaluée et de nature à compromettre la bonne exécution du marché ; le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation doit donc être écarté ;

- s'agissant de l'erreur de droit, d'une part, le DQE masqué, non communicable, a été établi à 215 000 euros HT, pour une valeur maximale annuel de bons de commande à émettre est de 645 000 €HT, selon, d'une part, les prix d'un marché antérieur rattaché à la direction des moyens généraux de la Métropole " lot Plomberie " notifié en 2019 et qui est arrivé à son terme en 2023, affecté d'un taux d'inflation de 3%, d'autre part, la base de plusieurs prix du BPU affectés de quantités au regard de ses besoins projetés sur ce marché et prenant garde à ne pas privilégier un aspect particulier ; la circonstance que tous les prix ne figurent pas au DQE n'est pas de nature à entacher celui-ci d'irrégularités ;

- d'autre part, sur les prix utilisés pour le DQE, et suivant le BPU de la SME pris dans sa globalité, l'offre de la société est plus basse que les prix qu'elle avait proposés dans le précédent marché en 2017, et que, depuis lors, la France a connu une augmentation de l'ensemble des prix ; contrairement aux affirmations de SME, l'analyse du DQE croisé avec le BPU du marché dont elle était antérieurement titulaire démontre que son offre en 2023 est plus élevée de seulement 0,4% par rapport à celle de 2017, ce qui ne compense même pas l'indexation des prix sur l'index BT38.

En application de l'article R.412-2-1 du code de justice administrative, les parties ont respectivement communiqué au tribunal les 11 et 12 décembre 2023 des pièces couvertes par le secret des affaires.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique,

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné M. Eric Souteyrand, vice-président, pour statuer sur les demandes de référé.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique du 12 décembre 2023 :

- le rapport de M. Souteyrand,

- les observations de Me Gaspar, représentant la société Services Maintenance Energies,

- les observations de Me Bertrand, représentant Montpellier Méditerranée Métropole.

L'instruction a été close à 15 heures 30, à l'issue de l'audience.

Considérant ce qui suit :

1. La société Services Maintenance Energies (SME), actuelle titulaire des lots n°4 "Plomberie" et "Electricité" de l'accord-cadre à bons de commande de travaux lancé en 2017 pour la direction de la culture de Montpellier Méditerranée Métropole, qui a soumissionné pour la passation du lot n°17 "Plomberie" de l'accord-cadre à bons de commande multi-attributaires, d'une durée d'un an reconductible trois fois, comportant 22 lots pour des travaux d'entretien de maintenance et d'aménagement de la direction des sports, de la direction de la culture et des moyens généraux de Montpellier Méditerranée Métropole, et dont l'offre a été écartée le 15 novembre 2023 en tant qu'anormalement basse, demande au juge des référés, statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'annuler, au stade de l'analyse des offres, cette procédure de passation.

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation () / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ". Aux termes de l'article L. 551-2 de ce code : " I. Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations ()".

3. Aux termes de l'article L. 2152-5 du code de la commande publique : " Une offre anormalement basse est une offre dont le prix est manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché ". En vertu de l'article L. 2152-6 du même code : " L'acheteur met en œuvre tous moyens lui permettant de détecter les offres anormalement basses. / Lorsqu'une offre semble anormalement basse, l'acheteur exige que l'opérateur économique fournisse des précisions et justifications sur le montant de son offre. / Si, après vérification des justifications fournies par l'opérateur économique, l'acheteur établit que l'offre est anormalement basse, il la rejette dans des conditions prévues par décret en Conseil d'Etat ". Aux termes de l'article R. 2152-3 de ce même code : " L'acheteur exige que le soumissionnaire justifie le prix ou les coûts proposés dans son offre lorsque celle-ci semble anormalement basse eu égard aux travaux, fournitures ou services, y compris pour la part du marché qu'il envisage de sous-traiter. / Peuvent être prises en considération des justifications tenant notamment aux aspects suivants : 1° Le mode de fabrication des produits, les modalités de la prestation des services, le procédé de construction ; 2° Les solutions techniques adoptées ou les conditions exceptionnellement favorables dont dispose le soumissionnaire pour fournir les produits ou les services ou pour exécuter les travaux ; 3° L'originalité de l'offre ; 4° La règlementation applicable en matière environnementale, sociale et du travail en vigueur sur le lieu d'exécution des prestations ; 5°L'obtention éventuelle d'une aide d'Etat par le soumissionnaire ". Et, aux termes de l'article R. 2152-4 du même code : " L'acheteur rejette l'offre comme anormalement basse dans les cas suivants : 1° Lorsque les éléments fournis par le soumissionnaire ne justifient pas de manière satisfaisante le bas niveau du prix ou des coûts proposés () ".

4. Il résulte de ces dispositions du code de la commande publique que, quelle que soit la procédure de passation mise en œuvre, il incombe au pouvoir adjudicateur qui constate qu'une offre paraît anormalement basse de solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé, sans être tenu de lui poser des questions spécifiques. Si les précisions et justifications apportées ne sont pas suffisantes pour que le prix proposé ne soit pas regardé comme manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché, il appartient au pouvoir adjudicateur de rejeter l'offre. Le caractère anormalement bas ou non d'une offre ne saurait résulter du seul constat d'un écart de prix important entre cette offre et d'autres offres que les explications fournies par le candidat ne sont pas de nature à justifier et il appartient notamment au juge du référé précontractuel, saisi d'un moyen en ce sens, de rechercher si le prix en cause est en lui-même manifestement sous-évalué et, ainsi, susceptible de compromettre la bonne exécution du marché.

5. En premier lieu, il résulte de l'instruction que, pour suspecter que l'offre de la société SME présentait un caractère anormalement bas et inviter, le 5 juillet 2023, celle-ci a présenter ses justifications, Montpellier Méditerranée Métropole s'est fondée sur le constat qu'au regard du détail quantitatif estimé (DQE) masqué, prévu au règlement du marché, l'offre de la société analysée était inférieure de 73% à sa propre estimation d'un montant de 215 000 euros HT annuel et inférieure de 53% à la moyenne M2 des offres écrêtées des offres 20% supérieures à la moyenne des offres, moyenne qui ne saurait être utilement critiquée.

6. Le DQE constitue une méthode de notation destinée à permettre, à partir d'une simulation indicative des commandes à venir, une comparaison entre des offres à prix unitaires en dégageant pour chacune d'entre elles un prix global, que l'acheteur peut régulièrement utiliser dès lors que la simulation de commande correspond à l'objet du marché, que son contenu n'a pas pour effet de privilégier un aspect particulier de telle sorte que le critère du prix s'en trouverait dénaturé et que le montant des offres proposées par chaque candidat soit reconstitué en recourant à la même simulation.

7. Il résulte de l'instruction que le DQE caché, arrêté par la Métropole, a été établi sur la base de plusieurs prix du BPU (bordereau des prix unitaires) affectés de quantités correspondant aux besoins projetés en se basant sur les prix d'un marché antérieur " lot plomberie " rattaché à la direction des moyens généraux de la Métropole, notifié en 2019 et arrivé à son terme en 2023, affecté d'un taux d'inflation de 3%. La Métropole a également procédé à la moyenne des commandes réalisées sur les trois lots correspondant aux marchés auparavant séparés de la direction des sports, de la direction de la culture et des moyens généraux, sur les trois années précédant son lancement à savoir 2020-2022, en neutralisant les travaux exceptionnels et isolés dans leur ampleur. La circonstance que l'estimation du DQE de 215 000 euros HT soit identique à celle de la valeur annuelle estimée du lot et inférieure à la valeur maximale annuelle de 645 000 euros HT de bons de commande à émettre, telles qu'elles ressortent de l'article 1.5 du règlement du marché, n'est pas de nature à établir que la simulation ainsi réalisée de la commande ne correspond pas à l'objet du marché. En outre, alors que l'acheteur n'est pas tenu de faire figurer au DQE tous les prix du BPU, les circonstances que le DQE en cause présente des postes de BPU, d'une part, en grande quantité qui n'ont jamais été commandés dans le précédent marché dont SME était attributaire ou que tous les postes du BPU ne sont pas repris alors qu'ils ont été commandés sur le précédent marché, d'autre part, que quelques prix correspondraient à des matériels qui ne seraient plus commercialisés durant l'exécution du marché, ne permettent pas de déduire que son contenu a eu pour effet de privilégier un aspect particulier ou est sans lien avec les besoins estimés de l'acheteur. Le moyen tiré de l'erreur de droit doit donc être écarté.

8. En second lieu, si en réponse à la demande de justification que la Métropole lui avait adressée, d'une part, la société SME a, le 11 juillet 2023, établi que parmi les 67 prix pour lesquels il lui a été expressément demandé des justifications, une majeure partie ne sont pas anormalement bas, il demeure que ceux-ci ne représentent que 25 % de l'ensemble des 265 prix du DQE, ce qui ne permet pas d'expliquer la différence constatée entre le montant de 215 000 euros HT du DQE estimatif global et celui de 51 000 euros HT résultant du BPU de la société. D'autre part, si la société SME s'est prévalue d'une politique commerciale lui permettant d'obtenir des remises de prix conséquentes, elle n'apporte pas d'éléments suffisamment précis pour l'étayer. En outre, il résulte de l'instruction, d'une part, que l'analyse du DQE croisé avec le BPU du marché dont elle était antérieurement titulaire en 2018 démontre que l'offre en 2023 en litige de la société SME est plus élevée de seulement 0,4% dans un contexte d'inflation pourtant prononcée depuis 2019 et, d'autre part, que la société SME s'est basée aux postes 17G3A, 17G3B, 17G4A et 17G4B du BPU sur des prix de main d'oeuvre ouvrier et technicien qualifié manifestement sous-évalués pour les interventions les samedi, dimanches, jours fériés et de nuit.

9. Par suite, en considérant, pour la rejeter, que l'offre de la société SME est anormalement basse et de nature à compromettre l'exécution du marché, Montpellier Métropole Méditerranée n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation, nonobstant la circonstance que la société SME est titulaire du marché précédent pour la direction de la culture de la Métropole qu'elle a, en l'état, parfaitement exécuté.

10. Les conclusions aux fins d'annulation de la requête sont rejetées.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Il n'y a pas lieu de mettre à la charge de Montpellier Métropole Méditerranée, qui n'est pas la partie perdante, la somme que demande la société Services Maintenance Energies en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Et, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de la société Services Maintenance Energies une somme à verser à Montpellier Métropole Méditerranée au titre des mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société Services Maintenance Energies est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de Montpellier Métropole Méditerranée en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée la Sas Services Maintenance Energies et à Montpellier Métropole Méditerranée.

Fait à Montpellier, le 18 décembre 2023

Le juge des référés,

E. Souteyrand

La greffière,

A. FarellLa République mande et ordonne au préfet de l'Hérault en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

Pour expédition conforme,

Montpellier, le 19 décembre 2023.

La greffière,

A. Farell