TA de Nancy, 16 novembre 2023, n°2103786 

 

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 

 

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 18 décembre 2021, la société à responsabilité limitée (SARL) Arches Démolition, représentée par Me Poudampa, demande au tribunal :

1°) de résilier le marché relatif au lot n° 2 " Déconstruction " attribué à la société Hollinger ;

2°) de condamner l'Etablissement public foncier du Grand-Est à lui verser la somme de 909 713,70 euros ;

3°) de mettre à la charge de l'Etablissement public foncier du Grand-Est la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.

Elle soutient que :

- en acceptant l'offre de la société Hollinger, le pouvoir adjudicateur a méconnu l'article 6 du règlement de consultation qui interdit aux candidats de présenter plusieurs offres ;

- sans la participation fautive de la société Hollinger, elle aurait dû se voir attribuer le marché ;

- elle subit un préjudice financier à hauteur du montant de l'offre du groupement Arches démolition-Peduzzi, soit 909 713,70 euros hors taxes.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er mars 2022, l'Etablissement public foncier du Grand-Est, représenté par Me Llorens, conclut au rejet de la requête présentée par la société Arches Démolition et à ce qu'il soit mis à la charge de cette dernière la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- le marché n'a pas été conclu en méconnaissance de l'article 6 du règlement de consultation ;

- il n'a commis aucune faute en rejetant l'offre présentée par cette dernière, placée en seconde position ;

- à supposer même que la procédure de passation soit irrégulière, un candidat évincé irrégulièrement a seulement droit à l'indemnisation de son manque à gagner, et non à être indemnisé à hauteur du montant intégral de son offre ;

- l'attestation d'expert-comptable produite par la requérante n'est pas suffisamment détaillée pour justifier de la réalité et l'étendue de son préjudice.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 mars 2022, la société à responsabilité limitée (SARL) Entreprise Hollinger, représentée par Me Savouret, conclut au rejet de la requête présentée par la société Arches Démolition et à ce qu'il soit mis à la charge de cette dernière la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.

Elle fait valoir que :

- la requête est irrecevable, dès lors que la société requérante n'a formulé aucune demande indemnitaire préalable de nature à lier le contentieux ;

- en permettant de soumissionner à l'attribution du lot n°1 en qualité de membre d'un groupement d'entreprises et à l'attribution du lot n°2 à titre individuel, l'Etablissement public foncier du Grand-Est n'a pas méconnu le règlement de consultation, ni entaché la procédure de passation du marché d'un vice de procédure.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Agnès Bourjol,

- les conclusions de M. Pierre Bastian, rapporteur public,

- les observations de Me Poudampa, représentant la société Arches Démolition,

- et les observations de Me Llorens, représentant l'Etablissement public foncier du Grand-Est.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d'appel ouvert à la concurrence publié le 11 juin 2021, l'établissement public foncier du Grand-Est a lancé une procédure de consultation en vue de l'attribution de plusieurs lots relatifs à un marché de travaux afférent à la réhabilitation d'un ancien site industriel situé à Uriménil. Candidate à l'attribution du lot n° 2 " Déconstruction ", la société Arches Démolition a été informée, le 24 septembre 2021, du rejet de l'offre du groupement qu'elle avait constitué avec la société Peduzzi et de ce que l'offre retenue était celle de la société Hollinger. La société Arches Démolition a alors saisi le juge des référés précontractuels du tribunal administratif de Nancy, sur le fondement des dispositions de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'une demande tendant à l'annulation de la procédure de passation de ce lot. Par une ordonnance n° 2102819 du 19 octobre 2021, la requête présentée par la société Arches Démolition a été rejetée. Le marché afférent au lot n° 2 a été signé le 20 octobre 2021 entre le maître de l'ouvrage et la société Hollinger. Par la requête susvisée, la société Arches Démolition demande au tribunal la résiliation du marché afférent au lot n° 2 conclu entre le maître de l'ouvrage et la société Hollinger, et la condamnation de l'établissement public du Grand-Est à réparer le préjudice financier qu'elle estime avoir subi du fait de son éviction en lui versant la somme de 909 713,70 euros.

Sur les conclusions aux fins de résiliation du marché :

2. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Si le représentant de l'Etat dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l'appui du recours ainsi défini, les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office. Le tiers agissant en qualité de concurrent évincé de la conclusion d'un contrat administratif ne peut ainsi, à l'appui d'un recours contestant la validité de ce contrat, utilement invoquer, outre les vices d'ordre public, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction.

3. L'article R. 2142-21 du code de la commande publique prévoit que : " Les documents de la consultation peuvent interdire aux candidats de présenter pour le marché ou certains de ses lots plusieurs candidatures en agissant à la fois : / 1° En qualité de candidats individuels et de membres d'un ou plusieurs groupements ; / 2° En qualité de membres de plusieurs groupements ". En l'espèce, le règlement de la consultation disposait en son article 4.2 " Allotissement " que " le présent marché est alloti de la manière suivante : lot n°1 -Curage, Nettoyage et Désamiantage ; lot n°2-Déconstruction ; lot n°3-Gestion de pollution " et en son article 6 " En application de l'article R. 2142-21 du code de la commande publique, chaque candidat ne pourra remettre, pour la présente consultation, qu'une seule offre en agissant soit en qualité de candidat individuel soit en qualité de membre d'un groupement ". Ces dernières stipulations doivent être interprétées, compte tenu du choix opéré par le pouvoir adjudicateur d'allotir le marché litigieux et de la volonté du pouvoir règlementaire en édictant les dispositions précitées du code de la commande publique et auxquelles se réfère l'article 6 du règlement de consultation, d'interdire à un opérateur économique de déposer plusieurs offres par lot, que ce soit à titre individuel ou en tant que membre d'un groupement.

4. Il résulte de l'instruction que la société Hollinger a candidaté en qualité de membre du groupement formé avec la société SAT France, pour le lot n°1 " Curage, Nettoyage et Désamiantage ", et a par ailleurs candidaté à titre individuel pour le lot n°2 " Déconstruction ". La société Hollinger n'a donc présenté qu'une offre par lot. Par suite, la société Arches Démolition n'est pas fondée à soutenir que l'Etablissement public foncier du Grand-Est aurait dû déclarer irrégulière la candidature de la société Hollinger au motif qu'elle n'était pas conforme à l'article 6 du règlement de la consultation.

5. Il résulte de ce qui précède que les conclusions tendant à la résiliation du marché litigieux de la société Arches Démolition, qui ne démontre pas l'irrégularité de la procédure de passation du marché litigieux, doivent être rejetées.

Sur les conclusions indemnitaires :

6. La procédure de passation du marché en cause n'étant pas irrégulière, les conclusions indemnitaires présentées par la société Arches Démolition doivent, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée en défense par la SARL Entreprise Hollinger, être rejetées.

Sur les dépens :

7. La présente instance n'ayant donné lieu à aucun dépens, les conclusions de la société Arches Démolition tendant à la condamnation de l'Etablissement public foncier du Grand-Est à prendre à sa charge les entiers dépens, ainsi que celles de la société Hollinger tendant à ce que les entiers dépens soient pris en charge par la société requérante, ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les frais d'instance :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etablissement public foncier du Grand-Est, qui n'est pas la partie perdante dans le cadre de la présente instance, la somme dont la société Arches Démolition demande le versement au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Arches Démolition la somme de 1 000 euros à verser respectivement à l'Etablissement public foncier du Grand-Est et à la société Hollinger sur le fondement des mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société Arches Démolition est rejetée.

Article 2 : La société Arches Démolition versera à l'Etablissement public foncier du Grand-Est et à la société Hollinger la somme de 1000 euros à chacune en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la société Arches Démolition, à l'Etablissement public foncier du Grand-Est et à la société Hollinger.

Délibéré après l'audience publique du 19 octobre 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Sousa Pereira, première conseillère faisant fonction de présidente,

Mme Bourjol, première conseillère,

Mme Philis, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 novembre 2023.

La rapporteure,

A. BourjolLa présidente,

C. Sousa Pereira

La greffière,

L. Bourger

La République mande et ordonne à la préfète des Vosges en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

No 2103786