TA de St Martin, 11 décembre 2023, n° 2300163


REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 

 

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire complémentaire, respectivement enregistrés les 20 novembre et 6 décembre 2023, la EURL Jean Marie Espaces Verts, représentée par la SCP Gouranton Pradines, demande au juge des référés statuant, sur le fondement de l'article L.551-1 du code de justice administrative, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler la procédure de passation des lots n°° 1 et 2 de l'accord cadre à bons de commande pour la fourniture, la plantation et divers travaux d'espaces verts au stade de l'analyse des candidatures ;

2°) d'enjoindre à la collectivité de Saint Martin de reprendre la procédure au stade de l'examen des candidatures et lui ordonner de l'inviter à compléter son offre, dans un délai raisonnable, par la production d'un DC1 et d'un DC2 ;

3°) de mettre à la charge de la collectivité de Saint-Martin la somme de 1 500 euros, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la motivation ambigüe du rejet de son offre caractérise une méconnaissance de l'article R. 2181-2 du code de la commande publique ;

- le pouvoir adjudicateur ne pouvait rejeter son offre aux motifs qu'" aucune déclaration de candidature [n'avait été] reçue " alors qu'elle justifie avoir transmis une offre le 1er juin 2023 ;

- lorsqu'il se trouve en présence d'une offre irrégulière, l'acheteur dispose de la possibilité de demander au soumissionnaire de régulariser son offre ; dès lors qu'il n'y avait que deux candidats, l'absence d'invitation à régulariser l'offre revient à n'examiner qu'une seule offre, en méconnaissance des règles de publicité et de mise en concurrence ;

- en retenant la candidature de la société Les jardins de Lilou, l'acheteur a nécessairement commis une erreur manifeste d'appréciation quant aux garanties et capacités techniques présentées par cette société, dès lors que cette société, qui n'est inscrite au registre du commerce et des sociétés que depuis le 19 avril 2023, ne pouvait satisfaire aux conditions de participation posées par l'article 14 du règlement de la consultation prévoyant la production d'indications concernant le chiffre d'affaires annuel général sur 3 ans.

Des pièces complémentaires présentées par la société Jean Marie Espaces Verts les 25 et 28 novembre 2023 ont été communiquées.

Par un mémoire en défense, enregistré 7 décembre 2023, la collectivité de Saint Martin conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société Jean Marie Espaces Verts la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la décision de rejet de la candidature de la société Jean-Marie Espaces Verts est régulière, dès lors que la société soumissionnaire n'a pas produit le document standardisé qu'est " la déclaration de candidature " exigé par l'article 12 du règlement de la consultation ;

- le rejet de la candidature de la société Jean-Marie Espaces Verts faisait obstacle à l'examen de son offre ;

- l'acheteur n'est pas tenu de demander aux candidats de compléter leur dossier ; il ne s'agit que d'une simple faculté que la collectivité de Saint-Martin a choisi de ne pas mettre en œuvre.

La requête a été communiquée à la société Les jardins de Lilou qui n'a pas produit d'observations dans la présente instance.

Par courrier du 1er décembre 2023, les parties ont été invitées à présenter leurs observations jusqu'au 7 décembre 2023, en application des articles L. 551-12 et R. 551-4 du code de justice administrative, sur l'éventualité que le juge du référé précontractuel fasse application d'office des pouvoirs lui étant conférés par les dispositions de l'article L. 551-1 et L. 551-2 du code de justice administrative en prononçant l'annulation de la procédure de passation des lots n°1 et n° 2 au stade de l'analyse des candidatures dans l'hypothèse où il accueillerait les moyens présentés par l'EURL Jean marie Espaces verts.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné M. Lubrani en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience publique du 8 décembre 2023 à 10 heures.

Ont été entendus aux cours de l'audience publique, en présence de Mme Lubino, greffière :

- le rapport de M. Lubrani, juge des référés ;

- les observations de Me Gouranton, qui a repris oralement ses écritures en indiquant, en outre, que la collectivité de Saint-Martin, dans ses écritures en défense, ne démontrait aucunement l'urgence dont elle se prévalait quant à la nécessité de conclure, dans des délais restreints, le marché litigieux.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis public d'appel à la concurrence publié le 4 mai 2023, la collectivité de Saint Martin a lancé une procédure d'appel d'offres ouvert portant sur la fourniture, la plantation et divers travaux d'espaces verts comportant 2 lots passés sous la forme d'accord cadre à bons de commande. Le lot n°1 intitulé " Plantations courantes " portait sur un montant maximum de 500 000 euros (HT) passé pour une période de 36 mois non renouvelable. Le lot n°2, intitulé " Plantations spéciales " portait sur un montant maximum de 450 000 euros (HT) passé pour une période de 36 mois non renouvelable. La société Jean Marie Espaces Verts a déposé sa candidature sur ces deux lots le 1er juin 2023. Par lettre du 10 novembre 2023, la collectivité de Saint Martin l'a informée que son " offre n'avait pas été retenue ". Par la présente requête et aux termes de ses dernières écritures et observations orales, la société Jean Marie Espaces Verts, demande au juge des référés, statuant par application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'annuler la procédure de passation des lots n°° 1 et 2 de l'accord cadre à bons de commande pour la fourniture, la plantation et divers travaux d'espaces verts au stade de l'analyse des candidatures et d'enjoindre à la collectivité de Saint Martin de reprendre la procédure au stade de l'examen des candidatures.

Sur les conclusions présentées sur le fondement des articles L. 551-1 et L. 551-2 du code de justice administrative :

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, ou la délégation d'un service public. / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ". Aux termes de son article L. 551-3 : " Le président du tribunal administratif ou son délégué statue en premier et dernier ressort en la forme des référés ".

3. En vertu de ces dispositions, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient dès lors au juge des référés précontractuels de rechercher si l'entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente. Le juge saisi peut ordonner à l'auteur d'un manquement aux dispositions auxquelles ces dispositions se réfèrent, de se conformer à ses obligations, suspendre la passation du contrat ou l'exécution de toute décision qui s'y rapporte, annuler ces décisions et supprimer des clauses ou des prescriptions destinées à figurer dans le contrat. Toutefois, les pouvoirs conférés au juge des référés précontractuels par l'article L. 551-1 du code de justice administrative ne peuvent plus être exercés après la conclusion du contrat.

4. En premier lieu, aux termes de l'article R. 2181-1 du code de la commande publique : " L'acheteur notifie sans délai à chaque candidat ou soumissionnaire concerné sa décision de rejeter sa candidature ou son offre ". Aux termes de l'article R. 2181-3 du même code : " La notification prévue à l'article R. 2181-1 mentionne les motifs du rejet de la candidature ou de l'offre. / Lorsque la notification de rejet intervient après l'attribution du marché, l'acheteur communique en outre : / 1° Le nom de l'attributaire ainsi que les motifs qui ont conduit au choix de son offre ; / 2° La date à compter de laquelle il est susceptible de signer le marché dans le respect des dispositions de l'article R. 2182-1 ".

5. Il résulte des termes mêmes de la lettre de rejet du 10 novembre 2023 que " l'offre " de la société Jean Marie Espaces Verts pour l'attribution des deux lots du marché public litigieux " n'a pas été retenue " aux motifs suivants : " aucune déclaration de candidature reçue ". La société requérante ne peut utilement invoquer, à l'appui de son moyen tiré de l'absence d'information suffisante quant au motif de rejet de son offre, la méconnaissance de l'article R. 2181-2 du code de la commande publique, qui ne s'applique qu'aux marchés passés selon une procédure adaptée. En tout état de cause, s'il est vrai que le motif figurant dans la lettre du 10 novembre précitée, eu égard à sa formulation laconique, présentait un caractère ambigüe, il résulte toutefois de l'instruction que la société requérante a, dès sa requête initiale, utilement pu contester ce motif de rejet en faisant valoir qu'il appartenait à la collectivité de Saint-Martin de " reprendre la procédure au stade de l'examen des candidatures et lui ordonner () à compléter son offre par la production d'un DC1 et d'un DC2 ", ce dont il résulte qu'elle a interprété le motif opposé comme fondé sur l'absence de production des formulaires " DC1 " et " DC2 ", ce qu'a par ailleurs confirmé la collectivité de Saint-Martin dans son mémoire en défense. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante information sur les motifs de rejet de son offre doit être écarté.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 2144-2 du code de la commande publique : " L'acheteur qui constate que des pièces ou informations dont la présentation était réclamée au titre de la candidature sont absentes ou incomplètes peut demander à tous les candidats concernés de compléter leur dossier de candidature dans un délai approprié et identique pour tous. () ". Et aux termes de l'article R. 2144-7 du même code : " Si un candidat ou un soumissionnaire se trouve dans un cas d'exclusion, ne satisfait pas aux conditions de participation fixées par l'acheteur, produit, à l'appui de sa candidature, de faux renseignements ou documents, ou ne peut produire dans le délai imparti les documents justificatifs, les moyens de preuve, les compléments ou explications requis par l'acheteur, sa candidature est déclarée irrecevable et le candidat est éliminé. () ". Par ailleurs, le règlement de la consultation prévoyait, à son article 12 que " Chaque candidat aura à produire un dossier complet comprenant les pièces suivantes : / Une lettre de candidature établie sur un formulaire DC1 à jour entièrement complété, ou établie sur papier libre () / Une déclaration du candidat établie sur un formulaire DC2 à jour entièrement complété ".

7. Le règlement de la consultation d'un marché étant obligatoire dans toutes ses mentions, le pouvoir adjudicateur ne peut attribuer un marché à un candidat qui ne respecte pas une de ses prescriptions et doit éliminer, conformément aux dispositions précitées de l'article L. 2152-1 du code de la commande publique, les candidatures et les offres qui ne comportent pas toutes les pièces ou renseignements requis par les documents de la consultation et sont, pour ce motif, irrégulières.

8. Il est constant que la société Jean Marie Espaces Verts n'a pas fourni, dans son dossier de candidature déposé le 1er juin 2023, de formulaire DC2. La société requérante, qui n'allègue pas que cette exigence formelle serait manifestement dépourvue de toute utilité pour l'examen des candidatures, se borne à soutenir qu'il appartenait au pouvoir adjudicateur de l'inviter à régulariser cette omission. Toutefois, ainsi que le fait valoir la collectivité de Saint-Martin, le pouvoir adjudicateur n'est pas tenu, en application de l'article R. 2144-2 du code de la commande publique, d'inviter les candidats à régulariser leurs candidatures, peu importe à cet égard le nombre de candidats à la procédure de passation. Par suite, la collectivité de Saint-Martin pouvait, sans porter atteinte aux règles de publicité et de mise en concurrence, écarter la candidature de la société Jean Marie Espaces Verts au motif qu'elle était irrecevable au sens de l'article R. 2144-7 du code de la commande publique.

9. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 2144-1 du code de la commande publique : " L'acheteur vérifie les informations qui figurent dans la candidature, y compris en ce qui concerne les opérateurs économiques sur les capacités desquels le candidat s'appuie. Cette vérification est effectuée dans les conditions prévues aux articles R. 2144-3 à R. 2144-5 ". L'article 14 du règlement de la consultation prévoyait que : " Les documents et renseignements demandés par l'acheteur aux fins de vérification de l'aptitude à exercer l'activité professionnelle, de la capacité économique et financière et des capacités techniques et professionnelles du candidat sont : Indications concernant le chiffre d'affaires annuel général sur 3 ans / Références des principales fournitures ou des principaux services fournis sur 3 ans () ".

10. Le juge du référé précontractuel ne peut censurer l'appréciation portée par le pouvoir adjudicateur, en application des dispositions précitées, sur les garanties et capacités techniques que présentent les candidats à un marché public, ainsi que sur leurs références professionnelles, que dans le cas où cette appréciation est entachée d'une erreur manifeste.

11. En se bornant à soutenir que la société attributaire n'a été immatriculée que le 19 avril 2023 et ne justifiait pas d'une antériorité de trois années, la société requérante ne démontre pas, par les éléments qu'elle produit, que le pouvoir adjudicateur aurait commis une erreur manifeste dans son appréciation des garanties et capacités techniques présentées par la société attributaire. Le moyen, par suite, doit être écarté.

12. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de rejeter les conclusions de la société requérante aux fins d'annulation et d'injonction.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la collectivité de Saint-Martin, qui n'est pas la partie perdante, le versement d'une somme, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Jean Marie Espaces Verts la somme que réclame la collectivité de Saint-Martin, sur le fondement des mêmes dispositions.

ORDONNE :

Article 1er : La requête de la société Jean Marie Espaces Verts est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la société Jean Marie Espaces Verts présentées

au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée aux sociétés Jean Marie Espaces Verts, Les jardins de Lilou et à la collectivité de Saint-Martin.

Fait à Basse Terre, le 11 décembre 2023.

Le juge des référés

Signé :

A. Lubrani

La République mande et ordonne au préfet de la Guadeloupe en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

L'adjointe à la greffière en chef

Signé

A. Cétol

N°2300163