TA de Strasbourg, 03 octobre 2023, n° 2306495


REPUBLIQUE FRANCAISE 

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS 


Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 12 septembre 2023, et un mémoire enregistré le 29 septembre 2023, la SARL International Transports Services (ci-après ITS Transports), représentée par Me Rosenstiehl, demande au juge des référés :

1) d'enjoindre à la ville de Strasbourg de produire les rapports d'analyse des offres et les courriers de rejets de la précédence procédure ; 

2) d'annuler l'ensemble de la procédure de passation en vue de la conclusion de l'accord-cadre mono-attributaire n° 23VDS0155G ayant pour objet les prestations de transferts par voiture des parlementaires européens et de délégation ;

3) subsidiairement, d'annuler les trois derniers alinéas de l'article 1.4 du règlement de consultation ;

4) de mettre à la charge de la ville de Strasbourg une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que : 

- sa requête est recevable ;

- elle a été lésée par l'abandon de la précédente procédure et par le changement des dispositions dans le règlement de consultation ;

- la ville a manqué aux obligations de publicité dès lors que le calendrier des sessions de 2023 n'était disponible que six jours avant le dépôt des offres, que le dossier de consultation ne précise pas la date prévisible de démarrage du marché, et que le calendrier prévisionnel n'a pas été fourni ;

- la ville a manqué à ses obligations de mise en concurrence en scindant les lots 1 et 2 ; l'impossibilité de se voir attribuer à la fois les lots n°1 et n°2 aboutit à réserver de facto des lots à certains candidats ; la scission des lots n'est pas objectivement justifiée, s'agissant de besoins identiques ;

- les articles 5.2 et 7.2 du règlement de consultation, qui prévoient une visite sur site destinée à vérifier le parc des candidats après le dépôts des offres, méconnaît les règles de mise en concurrence.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 septembre 2023, la ville de Strasbourg, représentée par Me Llorens, demande au juge des référés de rejeter la requête et de mettre à la charge de SARL ITS Transports une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable dès lors que la ville n'a encore pris aucune décision d'attribution du marché ;

- les conclusions tendant à l'annulation de certains articles du règlement de consultation sont irrecevables, dès lors que le règlement de consultation ne fait pas partie du contrat ;

- les moyens soulevés ne sont pas fondés et la société requérante ne justifie pas d'aucun intérêt lésé, le marché n'ayant pas encore été attribué ;

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique  ;

- le code de justice administrative ;

Le président du tribunal a désigné M. Boutot, premier conseiller, en application des dispositions de l'article L. 511-2 du code de justice administrative. 

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Laurent Boutot, juge des référés ;

- les observations de :

* Me Poinsignon, pour la SARL ITS Transports, qui développe le moyen tiré de ce que l'impossibilité d'obtenir à la fois les lots n° 1 et n° 2 méconnaît le principe de libre concurrence, et avantage l'association concurrente Taxis-13 qui se voit réservée un lot, quoi qu'il arrive ; la commune ne démontre pas les difficultés qui pourraient résulter de l'attribution de ces deux lots au même candidat ;

* Me Llorens, pour la ville de Strasbourg, qui expose que l'article 1.4 du règlement de consultation est conforme au code de la commande publique  et que ces dispositions sont précisément de nature à garantir le jeu de la concurrence ; que la SARL ITS Transports ne saurait préjuger de l'issue de la consultation ; que l'annulation demandée excède les pouvoirs du juge des référés précontractuels et que les documents demandés ne sont, en l'état, pas communicables ;

L'instruction a été close à l'issue de l'audience.

Le 29 septembre 2023, Me Rosenstiehl a déposé au greffe du tribunal deux notes en délibéré, dont le juge des référés a pris connaissance. Ces notes en délibéré n'ont pas été communiquées.

Considérant ce qui suit :

1. En 2022, la ville de Strasbourg et l'Eurométropole de Strasbourg ont conclu une convention de groupement de commandes en vue de la conclusion d'un accord-cadre  de fournitures courantes et de services relatif à la prestation de transferts par voiture de parlementaires européens et de délégations, la ville de Strasbourg étant désignée en qualité de coordonnateur du groupement. Le marché était divisé en trois lots. Le 26 avril 2023, la ville a déclarée sans suite la procédure d'attribution pour motif d'intérêt général. Une nouvelle procédure de passation a été lancée au mois d'août 2023. La SARL ITS Transports, qui s'est portée candidate lors des deux procédures, demande d'annuler la procédure de passation de l'accord-cadre, subsidiairement, d'annuler les trois derniers alinéas de l'article 1.4 du règlement de consultation.

Sur les conclusions à fin d'injonction : 

2. Les conclusions de la SARL ITS Transports tendant à ce qu'il soit enjoint à la ville de produire les pièces de la précédente procédure ayant été déclarée sans suite ne sont pas utiles à la solution du présent litige et ne peuvent qu'être rejetées. 

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

3. Aux termes de L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique () / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ". Aux termes de l'article L. 551-2 de ce même code : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations ".

4. Il appartient au juge administratif, saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l'administration. En vertu de cet article, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient, dès lors, au juge des référés précontractuels de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique concurrent.

En ce qui concerne la méconnaissance des obligations de publicité et de mise en concurrence :

5. En premier lieu, la circonstance que la ville de Strasbourg a déclaré sans suite une précédente procédure est sans incidence sur la régularité de la procédure en cause dans la présente instance.

6. En deuxième lieu, si la SARL ITS Transports fait valoir que le calendrier des sessions du parlement européen ne lui a été communiquée que six jours avant le dépôt des offres, elle n'établit pas en quoi cette circonstance l'aurait empêchée de présenter une offre en toute connaissance de cause, alors même que ce document public est aisément accessible et qu'elle est titulaire d'un précédent marché de prestation de transports des parlementaires européens. Le moyen ne peut qu'être écarté.

7. En troisième lieu, la SARL ITS Transports fait valoir, de façon au demeurant peu claire, qu'elle n'aurait pas été destinataire du " calendrier prévisionnel de la procédure ", sans en tirer aucune conséquence ni démontrer d'intérêt lésé. Le moyen ne peut qu'être écarté.

8. En quatrième lieu, aux termes de l'article 1.4 du règlement de consultation : " Les candidats sont autorisés à présenter une offre pour tous les lots de la consultation. / Mais le candidat qui sera attributaire  du lot n°1 ne pourra pas se voir attribuer le lot n°2. La séparation des lots étant nécessaire afin de permettre au mieux aux titulaires des lots d'assurer les prestations adaptées aux spécificités définies dans ces deux lots ainsi que du cumul d'heures de travail pour les chauffeurs qui pourrait en résulter et les placer dans l'impossibilité d'exécuter la prestation sans contrevenir aux lois régulant le temps de travail. / Le lot n°1 sera prioritairement attribué au candidat ayant présenté l'offre économiquement la plus avantageuse concernant ce lot ". La SARL ITS Transports soutient que ces dispositions sont de nature à méconnaître le principe de libre concurrence dans la mesure où elles aboutissent à réserver nécessairement un lot (le lot n°2) au candidat concurrent, en l'espèce, l'association Taxis-13. Elle expose que l'impossibilité d'obtenir les deux lots n'est pas objectivement justifiée, s'agissant de prestations et de besoins identiques, et que l'indication relative à la nécessité de respecter la durée légale du temps de travail avantage son concurrent qui, en tant qu'association d'artisans libéraux, n'est pas soumise aux mêmes contraintes qu'elle-même, qui emploie des salariés.

9. Toutefois, aux termes de l'article L. 2113-10 du code de la commande publique  : " Les marchés sont passés en lots séparés, sauf si leur objet ne permet pas l'identification de prestations distinctes. / L'acheteur détermine le nombre, la taille et l'objet des lots. / Il peut limiter le nombre de lots pour lesquels un même opérateur économique peut présenter une offre ou le nombre de lots qui peuvent être attribués à un même opérateur économique ". Il résulte de ces dispositions que le pouvoir adjudicateur peut, pour un motif non-discriminatoire, décider de limiter le nombre de lots susceptibles d'être attribués à un même opérateur. En l'espèce, pour justifier la distinction entre les attributaires des lots n°1 (prestations de transports des parlementaires européens) et n°2 (prestations de transports des membres des assemblées du Conseil de l'Europe), la ville de Strasbourg invoque le risque de chevauchement entre les prestations de ces deux lots, les difficultés logistiques, et la nécessité de préserver des temps de repos obligatoires. Par les pièces qu'elle verse au dossier, la ville apporte la preuve que de tels chevauchements ont pu se produire par le passé et elle indique également, pour les années 2024 et 2025, les événements à venir susceptibles d'induire de telles contraintes. La SARL ITS Transports admet d'ailleurs elle-même que les prestations, objet du lot n°1, ont coïncidé au moins à une reprise avec celles faisant l'objet du lot n°2, cette circonstance étant suffisante pour faire regarder comme établie la possibilité des risques invoqués par la ville de Strasbourg. Dans ces conditions, la SARL ITS Transports ne démontre pas que la ville de Strasbourg aurait, fût-ce de manière indirecte, avantagé l'un des candidats, et se serait fondée sur d'autres motifs que des motifs objectifs liés à la nécessité d'assurer, dans des conditions optimales, la continuité du service rendu. Dans ces conditions, le moyen doit être écarté.

10. En cinquième lieu, la SARL ITS Transports soutient que le candidat concurrent ne sera pas en mesure d'organiser les visites sur site prévues aux articles 5.2 et 7.2 du règlement de consultation, dans la mesure où il ne dispose pas de site. La SARL ITS Transports s'en tient toutefois à de simples allégations non circonstanciées et en toute hypothèse, s'agissant d'un élément d'appréciation en vue de l'attribution du marché, elle ne justifie d'aucun intérêt lésé, le marché n'ayant pas encore été attribué.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 551-2 du code de justice administrative :

11. Aux termes de l'article L. 551-2 du code de justice administrative : " Le juge () peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations ". Pour les mêmes motifs qu'exposés au point 9, les conclusions tendant à l'annulation des trois derniers alinéas de l'article 1.4 du règlement de consultation ne peuvent qu'être rejetées.

12. Il résulte de ce tout qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées par la ville de Strasbourg, que la requête de la SARL ITS Transports doit être rejetée.

Sur les frais d'instance :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mise une somme à la charge de la ville de Strasbourg. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la SARL ITS Transports une somme de 3 000 euros à verser à la ville de Strasbourg au titre de ces dispositions.

O R D O N N E :

Article 1 : La requête de la SARL ITS Transports est rejetée.

Article 2 : La SARL ITS Transports versera une somme de 3 000 (trois mille) euros à la ville de Strasbourg au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la SARL International Transports Services et à la ville de Strasbourg.

Fait à Strasbourg, le 3 octobre 2023.

Le juge des référés

L. BOUTOT

La République mande et ordonne à la préfète du Bas-Rhin, en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,