TA de Toulouse, 09 novembre 2023, n° 2200011

 

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 

 

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 3 janvier, 20 septembre et 7 décembre 2022, la commune de Caraman, représentée par Me Dupey, demande au tribunal :

1°) de condamner la société Cassonade à lui verser une somme de 7 385 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 26 janvier 2021 et de la capitalisation de ces intérêts, au titre de l'acompte qu'elle a versé dans le cadre de l'exécution du contrat conclu le 2 août 2019 ;

2°) de mettre à la charge de la société Cassonade, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le paiement d'une somme de 2 000 euros.

Elle soutient, dans le dernier état de ses écritures, que :

- le présent litige relève de la compétence du juge administratif dès lors que le contrat litigieux entre dans le champ d'application du code des marchés publics et a été conclu à titre onéreux entre un opérateur privé et un pouvoir adjudicateur public pour répondre à ses besoins en matière de services ;

- il est constant que l'humoriste Chantal Ladesou n'a pas assuré son spectacle et que pour ce seul motif, la société Cassonade doit rembourser l'acompte qui lui a été versé, ainsi que le prévoit l'article 9 du contrat ; les circonstances que le spectacle en cause a été diffusé sur YouTube pendant la période de Covid-19, à la télévision les 4 décembre et 7 février 2021, au cinéma à compter du 8 juillet 2020, et que l'humoriste se soit produite sur la scène du Casino Barrière de Toulouse le 18 septembre 2021 rendent sans objet le contrat conclu avec la société Cassonade ;

- sa responsabilité ne saurait être engagée dès lors qu'elle a fait application de l'article 9 du contrat ;

- aucun recours indemnitaire préalable n'a été formé par la société Cassonade concernant les dommages et intérêts qu'elle sollicite.

Par une pièce complémentaire et des mémoires en défense, enregistrés les 22 février, 22 juillet et 15 novembre 2022, la société Cassonade, représentée par Me Bironne, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à titre principal, à ce que la commune de Caraman soit condamnée à lui verser une somme de 7 385 euros au titre du solde du prix de la cession de la représentation fixé par le contrat du 2 août 2019 ;

3°) à titre subsidiaire, à ce que la commune de Caraman soit condamnée à lui verser une somme de 3 692 euros au titre des préjudices qu'elle estime avoir subis ;

4°) à ce qu'il soit mis à la charge de la commune de Caraman le paiement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- le juge administratif n'est pas compétent pour statuer sur le litige ; le contrat litigieux ne relève pas du code des marchés publics mais constitue un contrat de cession de droits d'auteur ; l'article L. 331-1 du code de la propriété intellectuelle attribue au juge judiciaire la compétence pour connaître des actions civiles et des demandes relatives à la propriété littéraire et artistique ;

- la commune de Caraman a anticipé l'annulation de la date du 21 mars 2020 en raison de la survenue de l'épidémie de Covid-19 et a souhaité annulé le spectacle de façon déguisée, dès lors que les dates de report proposées se situaient dans une période de fermeture des salles de spectacle imposée par le gouvernement ; elle a refusé de reprogrammer le spectacle à l'édition suivante du festival " Le printemps du rire ", et cette décision est motivée par les incertitudes économiques liées à la vente des billets ; elle s'est engagée auprès d'autres artistes sans respecter ses engagements contractuels en cours ; dès lors que l'article 5 du contrat lui impose de souscrire une assurance, la commune de Caraman a dû être indemnisée au titre du report et de l'annulation de certains spectacles liés à l'épidémie de Covid-19 ; la situation de force majeure invoquée par la commune n'est pas applicable car dès lors que le spectacle aurait pu être reporté à une date ultérieure, à l'image du spectacle d'Elodie Poux, initialement prévu le 6 juin 2020 et reporté au 12 mars 2021 puis au 30 octobre 2021 ; ce report a été sollicité à de nombreuses reprises ;

- elle a droit au versement du solde du prix de la cession de la représentation prévu par l'article 9 du contrat dès lors que la commune requérante n'établit pas l'existence d'une situation de force majeure et qu'elle est donc seule responsable de la décision prise le 26 janvier 2021 au titre de cette stipulation ;

- à titre subsidiaire, elle a droit à l'indemnisation des frais relatifs à la communication réalisée autour du spectacle, des frais artistiques et des frais généraux à hauteur de 3 692 euros.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la propriété intellectuelle ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Pétri ;

- les conclusions de M. Déderen, rapporteur public ;

- et les observations de Me Dupey, représentant la commune de Caraman.

Considérant ce qui suit :

1. Par un contrat conclu le 2 août 2019, la société de production Cassonade a cédé à la commune de Caraman les droits d'exploitation du spectacle de l'humoriste Chantal Ladesou prévu le 21 mars 2020 au centre culturel " Antoine de Saint-Exupéry " de Caraman, pour un prix de 14 770 euros. La commune de Caraman a versé à la société Cassonade, le 24 octobre 2019, un acompte de 7 385 euros correspondant à la moitié du prix. Le spectacle a toutefois été annulé en raison de l'épidémie de Covid-19. Par un courrier du 26 janvier 2021, la commune requérante a mis un terme au contrat et a demandé le remboursement de l'acompte versé. Faute de réponse à ce courrier dans le délai qu'elle a fixé, la commune de Caraman a mis en demeure la société Cassonade de rembourser l'acompte par un courrier du 29 novembre 2021. La société Cassonade a exprimé son refus et a sollicité le versement de la seconde moitié du prix de cession des droits d'exploitation dans un courrier du 3 décembre 2021. Par cette requête, la commune requérante demande le remboursement de l'acompte de 7 385 euros qu'elle a versé à la société défenderesse le 24 octobre 2019.

Sur l'exception d'incompétence de la juridiction administrative :

2. L'article L. 6 du code de la commande publique dispose : " S'ils sont conclus par des personnes morales de droit public, les contrats relevant du présent code sont des contrats administratifs, sous réserve de ceux mentionnés au livre V de la deuxième partie et au livre II de la troisième partie. Les contrats mentionnés dans ces livres, conclus par des personnes morales de droit public, peuvent être des contrats administratifs en raison de leur objet ou de leurs clauses. ". Aux termes de l'article L. 331-1 du code de la propriété intellectuelle : " Les actions civiles et les demandes relatives à la propriété littéraire et artistique, y compris lorsqu'elles portent également sur une question connexe de concurrence déloyale, sont exclusivement portées devant des tribunaux judiciaires, déterminés par voie réglementaire. ".

3. Il résulte des dispositions de l'article L. 331-1 du code de la propriété intellectuelle que par dérogation à la règle fixée par l'article L. 6 du code de la commande publique, qui entraîne la compétence du juge administratif pour connaître des litiges nés de l'exécution ou de la rupture des contrats administratifs, la recherche de la responsabilité contractuelle en matière de propriété littéraire et artistique relève de la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire.

4. Il est constant que le contrat de cession de droits conclu entre la commune de Caraman et la société Cassonade est un contrat administratif. Par conséquent, la juridiction administrative est par nature compétente pour connaître d'un litige relatif à son exécution ou à sa rupture. Si l'objet du contrat est relatif à la cession des droits du spectacle de l'humoriste Chantal Ladesou, la demande présentée par la commune requérante tend au remboursement de l'acompte qu'elle a versé à la société Cassonade à hauteur de 7 385 euros, au motif que le spectacle initialement prévu n'a pas été assuré et que la prestation contractuelle convenue entre les parties n'a pas été réalisée. Le présent litige se noue autour d'une question d'inexécution d'une prestation contractuelle en raison de l'existence alléguée d'une situation de force majeure, et non autour d'une question de propriété littéraire et artistique. L'exception d'incompétence de la juridiction administrative opposée par la société Cassonade doit, par suite, être écartée.

Sur les conclusions à fin d'indemnisation présentées par la commune de Caraman :

5. Aux termes de l'article L. 2195-2 du code de la commande publique : " L'acheteur peut résilier le marché en cas de force majeure ". L'événement de force majeure, qui exonère de sa responsabilité la personne qui l'a subi, suppose l'intervention d'un événement extérieur aux parties, imprévisible dans sa survenance et irrésistible dans ses conséquences.

6. L'article 1 du contrat conclu le 2 août 2019 entre la commune de Caraman et la société Cassonade stipule que " le producteur cède à l'organisateur qui accepte, dans les conditions définies au contrat, le droit d'exploitation du spectacle " de Chantal Ladesou programmé au centre culturel " Antoine de Saint-Exupéry " de Caraman le 21 mars 2020. L'article 7 prévoit le montant de 14 770 euros que la commune requérante versera à la société mise en cause au titre du prix de cession du droit d'exploitation du spectacle de Chantal Ladesou, dont un acompte d'un montant de 7 000 euros versé au moment de la signature du contrat. L'article 9 du contrat stipule que : " Le présent contrat se trouverait suspendu ou annulé de plein droit et sans indemnité d'aucune sorte, dans tous les cas reconnus de force majeure (guerre, épidémie, incendie, inondation, calamités publiques, fermeture de la salle, maladie dûment constatée de l'artiste, problèmes de transport ou d'acheminement des personnes ou de leur matériel insurmontable et indépendant de la volonté du producteur) ; () / Si l'annulation est le fait du producteur elle entraînera remboursement du prix de cession de la représentation non effectuée. Si l'annulation est le fait de l'organisateur elle entraînera paiement normal de la représentation correspondante, comme si elle avait eu lieu. / Faute d'exécution de l'une quelconque des stipulations des présentes, et après une mise en demeure () celles-ci pourront être résolues aux torts et griefs de la partie défaillante si bon semble à l'autre partie, sous réserves de tous dommages et intérêts ".

7. Au soutien de sa demande de remboursement de l'acompte de 7 385 euros versé à la société Cassonade, la commune de Caraman soutient qu'elle était fondée à mettre fin au contrat en application de l'article 9 précité du contrat, dès lors que l'humoriste Chantal Ladesou n'a pas assuré son spectacle en raison de la survenue de l'épidémie de Covid-19, qu'elle qualifie de situation de force majeure. Si la survenue de l'épidémie de Covid-19 constitue un événement extérieur aux parties, imprévisible à la date de la signature du contrat, il n'est pas irrésistible dans ses conséquences dès lors que le spectacle en litige aurait pu être reporté. La commune requérante se prévaut, à cet égard, de ce qu'elle a proposé deux dates de report aux 19 juin 2020 et 8 janvier 2021 qui n'ont pas pu être honorées. Cette circonstance n'est toutefois pas suffisante pour considérer que le report du spectacle s'avérait impossible de façon définitive, en l'absence de toute précision de la commune quant aux raisons ayant fait obstacle à un report postérieur aux périodes de fermeture des salles de spectacle décidées par le gouvernement dans le cadre de la lutte contre l'épidémie de Covid-19, à l'image du spectacle d'Elodie Poux, initialement prévu le 6 juin 2020, puis reporté au 12 mars 2021 et reprogrammé au 30 octobre suivant, ainsi que l'invoque en défense la société Cassonade. Plus précisément, la commune de Caraman se borne à indiquer, dans son courrier du 26 janvier 2021 : " Je vous rappelle notre bonne volonté quant à la programmation de ce spectacle afin de ne pas vous léser au vu de la COVID 19 et du premier confinement : les trois dates des 21 mars 2020, du 19 juin 2020 et du 8 janvier 2021 ayant dû être annulées en raison des protocoles sanitaires ou de la fermeture pure et simple de la salle de spectacle par injonction préfectorale ", et dans sa mise en demeure du 29 novembre 2021 que le spectacle en litige n'a pas pu être assuré et que deux autres dates ont été proposées " en vain ". Par suite, en invoquant la force majeure sans apporter d'éléments susceptibles de conduire à sa mise en œuvre, tant dans ses écritures que dans les courriers qu'elle a adressés à la société Cassonade les 26 janvier et 29 novembre 2021, la commune de Caraman n'est pas fondée à solliciter le remboursement de l'acompte de 7 385 euros versé à ladite société, étant précisé que les circonstances qu'elle invoque, tenant à la diffusion du spectacle litigieux sur YouTube et à la télévision ainsi qu'à la représentation assurée au Casino Barrière de Toulouse, n'ont pas d'incidence et ne rendent pas sans objet le contrat litigieux.

8. Il résulte de ce qui vient d'être dit que les conclusions à fin d'indemnisation présentées par la commune de Caraman doivent être rejetées.

Sur les conclusions reconventionnelles présentées par la société Cassonade :

9. En premier lieu, la société Cassonade demande, à titre principal, le versement par la commune de Caraman de la seconde moitié du prix de 14 770 euros fixé par le contrat conclu le 2 août 2019, soit une somme de 7 385 euros. Ainsi que cela a été exposé au point 6, l'article 9 de ce contrat prévoit que si l'annulation du spectacle provient d'une décision de la commune organisatrice, celle-ci devra payer à la société Cassonade le paiement de la représentation comme si elle avait eu lieu. Il résulte de ce qui a été dit au point 7 que la situation de force majeure alléguée par la commune de Caraman n'étant pas caractérisée, et l'intéressée n'apportant aucun élément probant relatif à l'impossibilité définitive de reporter le spectacle de Chantal Ladesou, la société Cassonade est fondée à demander le versement de la seconde moitié du prix de cession du droit d'exploitation du spectacle à hauteur de 7 385 euros, conformément aux stipulations de l'article 9 du contrat, étant précisé que le contentieux a été lié sur ce point par un courrier du 3 décembre 2021.

10. En second lieu, la société Cassonade demande, à titre subsidiaire, le versement par la commune de Caraman d'une somme de 3 692 euros au titre des préjudices qu'elle estime avoir subis, liés aux divers frais qu'elle a engagés autour du spectacle litigieux. Au vu du fait que cette demande est présentée à titre subsidiaire, et dès lors qu'il est fait droit à sa demande principale tenant au versement d'une somme de 7 385 euros, il n'y a pas lieu d'y faire droit, étant précisé qu'en tout état de cause cette demande est irrecevable, ainsi que le soulève la commune dans ses écritures, faute de liaison du contentieux.

11. Il résulte de ce qui vient d'être dit que la commune de Caraman versera à la société Cassonade la somme de 7 385 euros.

Sur les frais liés à l'instance :

12. Il y a lieu de mettre à la charge de la commune de Caraman le paiement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de rejeter les conclusions présentées par la commune de Caraman sur ce même fondement.

D E C I D E :

Article 1 : La requête de la commune de Caraman est rejetée.

Article 2 : La commune de Caraman versera à la société Cassonade la somme de 7 385 euros.

Article 3 : La commune de Caraman versera à la société Cassonade la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par la société Cassonade est rejeté.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à la commune de Caraman et à la société Cassonade.

Délibéré après l'audience du 19 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Carotenuto, présidente,

M. Hecht, premier conseiller,

Mme Pétri, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 novembre 2023.

La rapporteure,

M. PETRI

La présidente,

S. CAROTENUTOLa greffière,

F. LE GUIELLAN

La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Garonne, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme :

La greffière en chef,