TA d’Orléans, 08 janvier 2024, n° 2304951


REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 

 

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 7 décembre 2023, la société Sodiatec, représentée par Me Mongis, demande à la juge des référés, saisie sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

1°) d'ordonner à Val Touraine Habitat la communication des bordereaux de prix unitaires (BPU) des attributaires pour les lots 1 et 2, d'une preuve de l'antériorité du " DQE masqué " par rapport à la date d'ouverture des plis et de la formule de calcul de la note du critère " Délais de réalisation des prestations " ;

2°) d'annuler la décision de rejet de son offre, la décision d'attribution du lot 1 à la société AED Groupe, la décision d'attribution du lot 2 à la société ADX Groupe, et la procédure de passation du marché en litige ;

3°) d'enjoindre à Val Touraine Habitat de reprendre la procédure de passation de ce marché ;

4°) de mettre à la charge de Val Touraine Habitat une somme de 4 200 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'utilisation du Détail Quantitatif Estimatif (DQE) " masqué " entache la procédure d'illégalité car les volumes retenus ont eu pour effet de privilégier un aspect particulier et de dénaturer le critère prix ; elle revient à une manipulation du pouvoir adjudicateur pour biaiser les résultats de l'appel d'offre ;

- alors que les lots 1 et 2 ne se distinguent que géographiquement, il n'y a pas d'homogénéité concernant le nombre de prélèvements pour analyse complémentaire entre ces 2 lots ;

- à supposer ces 2 lots différents autrement que géographiquement, les candidats n'en ont pas été informés, en méconnaissance du principe de transparence ; ce défaut d'information a porté atteinte au principe d'égalité de traitement des candidats, Val Touraine Habitat ayant pu favoriser un candidat en le prévenant à l'avance de la surestimation du nombre de prélèvements pour analyse complémentaire s'agissant du lot 1 ;

- au regard des critères d'appréciation des offres, un seul et même soumissionnaire devait être retenu pour les 2 lots ;

- s'agissant du critère du délai il comportait des sous critères non portés à la connaissance des candidats de même que leur pondération ; la méthode de calcul concernant les délais est irrégulière dès lors qu'elle aboutit à donner au poste " RAAT " une importance prépondérante par rapport à celui du poste " autres diags " ce qui revient à en faire un sous-critère non annoncé dans les documents de la consultation ; plus largement il n'y a aucune cohérence mathématique des notes attribuées à l'ensemble des candidats sur le critère " délai " ;

- s'agissant du critère " descriptif de la solution technique proposée (matériel et logiciel) interface avec Diaginfo ", soit 25 % de la valeur technique, il a été neutralisé puisque tous les candidats ont obtenu la même note de 12/15 ;

- s'agissant du sous-critère " organisation de la mission ", son appréciation est erronée et révèle un défaut d'égalité de traitement des candidats car a été pris comme élément différenciant de l'offre ADX la mention de prescriptions explicites du CCP et n'a pas été retenu que Sodiatec le faisait également et allait même au-delà, de même s'agissant des réalisations en début préavis et des délais de réalisation ;

- de même il y a une erreur d'appréciation sur le sous-critère " Qualité du mémoire ".

Par un mémoire en défense enregistré le 2 janvier 2024, Val Touraine Habitat, représenté par Me Bosquet, conclut au rejet de la requête et demande au tribunal de mettre à la charge de la requérante la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il a eu recours au DQE " masqué " en toute régularité, les simulations correspondant à l'objet du marché, le choix du contenu de la simulation n'ayant pas eu pour effet d'en privilégier un aspect de telle sorte que le critère du prix s'en trouverait dénaturé ; il n'a pas eu recours à une simulation sur quelques lignes du bordereau de prix unitaire (BPU) mais sur l'ensemble des prix unitaires proposés et s'agissant des estimations correspondant aux postes de prix " couche supplémentaires " et " MOLP " pour le lot 1 par rapport au lot 2 elles proviennent d'une extraction comptable des prestations objet du marché qui ont été exécutées sur l'année 2022, la différence entre les lots résultant des choix qui ont été opérés par les titulaires des marchés en cours ; en tout état de cause même si chaque quantité du DQE aurait contenu le chiffre 1, cela aurait abouti à un résultat mathématiquement équivalent et la société requérante garderait sa quatrième place attribuée sur le critère prix ; de même en calculant pour le lot 1 les prix sur la base de proportions identiques au lot 2, la société évincée n'obtiendrait pas le marché ; le DQE masqué a précisément pour objet de limiter la stratégie consistant à proposer des prix très attractifs pour certaines prestations et beaucoup moins pour d'autres et il n'y a pas eu méconnaissance du principe de transparence des procédures ; de même il n'y a pas eu défaut d'égalité de traitement des candidats ;

- il n'y a pas eu de sous-critère non annoncé ; au stade de l'analyse des offres, il n'a pas érigé l'un des éléments d'appréciation du critère délai, annoncé dans le règlement de la consultation, en véritable sous-critère et a simplement mis en œuvre une méthode de notation qu'il n'avait pas à annoncer au stade du règlement de la consultation ; il ressort du BPU communiqué à l'ensemble des candidats que le délai RAAT était distinct des autres délais ; en tout état de cause cette caractéristique n'a pas eu une influence significative sur l'évaluation de l'offre ; en l'espèce, la méthode de notation du critère des délais ne repose pas sur un calcul mathématique mais sur la base d'un barème ;

- il n'y a pas eu neutralisation du critère " descriptif de la solution technique proposée " la circonstance que plusieurs candidats aient obtenu une note identique à un critère de sélection des offres n'implique pas, par elle-même, une neutralisation de ce critère par le pouvoir adjudicateur et en l'espèce tous les candidats ont tous eu la même note sur ce critère car les solutions proposées, qui n'étaient pas toutes les mêmes, étaient satisfaisantes et la méthode de notation fonctionnait par paliers ;

- il n'appartient pas au juge des référés précontractuels de se prononcer sur l'appréciation des mérites respectifs des offres ; en tout état de cause, il n'y a pas eu d'erreur d'appréciation concernant les sous-critères " Organisation de la mission " et " qualité du mémoire " de l'offre de la société ADX Groupe.

La procédure a été communiquée aux sociétés AED Groupe et ADX Groupe qui n'ont pas produit d'observations.

Vu :

- la lettre du 27 novembre 2023 informant la société requérante que ses offres, pour les deux lots, n'étaient pas retenues ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Vu la décision par laquelle le président du tribunal a désigné Mme Lefebvre-Soppelsa, vice-présidente, pour statuer sur les demandes de référé.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique du 3 janvier 2024, après le rapport, ont été entendues :

- les observations de Me Mongis, représentant la société Sodiatec, qui a conclu aux mêmes fins par les mêmes moyens et souligné qu'il n'y a pas de méthode de calcul cohérente possible de la notation du critère du délai et que la méthode prétendue en défense ne peut qu'avoir été envisagée pour les besoins de l'instance car elle aboutit nécessairement à des notes impaires, que ce sous-critère a fait l'objet d'une pondération occulte puisque le délai RAAT a une influence significative, que la méthode est contestable dès lors que le meilleur sur les délais n'a pas la meilleure note, que les paliers lissent les écarts, que les candidats devaient être informés au préalable du caractère déterminant du délai RAAT et de ce qu'il représentait 8 points sur 15 et ils auraient alors calibrer leurs offres différemment, qu'aux termes du règlement de consultation il n'y avait qu'un délai alors que le termes est pluriel dans le RAO ;

- et les observations de Me Bosquet, représentant Val Touraine habitat, qui a persisté dans ses écritures aux fins de rejet et souligné que le DQE masqué a été conçu sur la base des statistiques de l'exécution de marchés en cours, qu'il n'y a pas eu de dénaturation du critère prix et qu'en tout état de cause en additionnant les prix figurant au BPU le résultat est le même, que la requérante a obtenu la meilleure note sur le critère des délais apprécié selon un barème de notation simple, identique pour tous les candidats, que le pouvoir adjudicateur est libre de choisir sa méthode de notation et que le délai RAAT n'était pas prépondérant, que les autres moyens relèvent de l'appréciation de la valeur technique des offres qui ne relève pas de l'office du juge du référé précontractuel.

Les sociétés AED Groupe et ADX Groupe n'étant ni présentes, ni représentées.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.

Considérant ce qui suit :

1. Val Touraine Habitat a lancé un appel d'offre ouvert relatif au " repérage amiante avant travaux suite états des lieux et diagnostics immobiliers lors de cessions ou locations de biens ". Les critères d'attribution de ce marché étaient les suivants : " Offre économiquement la plus avantageuse appréciée en fonction des critères énoncés ci-dessous avec leur pondération : 60 % : Valeur technique de l'offre 40 % : Prix ". Pour le critère " valeur technique ", les sous-critères étaient : - Description de la solution technique proposée (matériel et logiciel), interface avec Diaginfo : 15 % / - Méthodologie (moyens humains et organisationnels) et déroulement du déploiement : 30 % / - Délai de réalisation des prestations : 15 % ". Le marché était alloti en deux lots distincts, portant chacun sur des zones géographiques particulières : - Lot 1 : Amboise, Chinon, Joué-lès-Tours / - Lot 2 : Loches, Saint-Cyr-sur-Loire, Saint-Pierre-des-Corps. La société Sodiatec a déposé une offre pour chacun des lots de ce marché. Par lettre recommandée électronique en date du 27 novembre 2023, Val Touraine Habitat l'a informée du rejet de son offre sur les deux lots, en précisant que le lot 1 avait été attribué à la société AED Groupe pour un montant annuel estimé de 334 854,50 euros et le lot 2 a la société ADX Groupe pour un montant annuel estimé de 247 269,00 euros. La société Sodiatec, reçue 3ème sur les deux lots a demandé la communication des motifs du rejet de son offre. Par mail en date du 30 novembre 2023, Val Touraine Habitat lui a communiqué notamment le rapport d'analyse des offres dans une version respectant le secret industriel et commercial.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. D'une part, il n'appartient pas au juge du référé précontractuel, qui doit seulement se prononcer sur le respect, par le pouvoir adjudicateur, des obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation d'un contrat, de se prononcer sur l'appréciation portée sur la valeur d'une offre ou les mérites respectifs des différentes offres. Il lui appartient, en revanche, lorsqu'il est saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le pouvoir adjudicateur n'a pas dénaturé le contenu d'une offre en méconnaissant ou en altérant manifestement les termes et procédé ainsi à la sélection de l'attributaire du contrat en méconnaissance du principe fondamental d'égalité de traitement des candidats.

3. D'autre part, le pouvoir adjudicateur définit librement la méthode de notation pour la mise en œuvre de chacun des critères de sélection des offres qu'il a définis et rendus publics. Toutefois, ces méthodes de notation sont entachées d'irrégularité si, en méconnaissance des principes fondamentaux d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, elles sont par elles-mêmes de nature à priver de leur portée les critères de sélection ou à neutraliser leur pondération et sont, de ce fait, susceptibles de conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre, ou, au regard de l'ensemble des critères pondérés, à ce que l'offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie.

4. En premier lieu, si la requérante soutient que l'utilisation du " DQE masqué " entache la procédure d'illégalité car les volumes retenus ont eu pour effet de privilégier un aspect particulier et de dénaturer le critère prix, il résulte de l'instruction que les simulations retenues correspondent à l'objet du marché et proviennent d'une extraction comptable des prestations exécutées par les titulaires des marchés en cours.

5. En deuxième lieu, contrairement à ce qui est soutenu, le choix d'une telle méthode de notation ne méconnaît ni le principe de transparence des procédures, ni le principe d'égalité de traitement des candidats.

6. En troisième lieu, contrairement à ce qui est soutenu, il ne résulte pas de l'instruction qu'au regard des critères d'appréciation des offres, un seul et même soumissionnaire devait être retenu pour les 2 lots. Par suite, la circonstance que les lots en litige ont été attribués à des sociétés distinctes n'établit pas, en tout état de cause, un manquement dans la procédure de passation.

7. En quatrième lieu, si la requérante conteste l'évaluation du critère délai et soutient que Val Touraine Habitat a érigé sans l'annoncer l'un des éléments d'appréciation, le délai RAAT, en sous-critère, il résulte de l'instruction, d'une part, qu'aux termes du BPU ledit délai était distinct des autres délais, d'autre part, que la méthode de notation du critère des délais ne repose pas sur un calcul mathématique mais sur la base d'un barème. Par suite, il ne résulte pas de l'instruction que Val Touraine Habitat n'a pas respecté les dispositions du règlement de la consultation sur le jugement des offres.

8. En cinquième lieu, s'il résulte de l'instruction que tous les candidats ont eu la même note sur le critère " descriptif de la solution technique proposée ", il en résulte également, d'une part, que la méthode de notation de ce critère fonctionnait par paliers, d'autre part, que les solutions proposées, qui n'étaient pas toutes les mêmes, étaient " satisfaisantes ". Par suite, cette circonstance que les candidats ont obtenu une note identique n'implique pas, par elle-même, une neutralisation de ce critère.

9. En dernier lieu, et en tout état de cause, il ne résulte pas de l'instruction d'erreur d'appréciation concernant les sous-critères " Organisation de la mission " et " qualité du mémoire " de l'offre de la société ADX Groupe.

10. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner à Val Touraine Habitat de communiquer les informations demandées, que les conclusions aux fins d'annulation présentées par la société Sodiatec doivent être rejetées, ainsi que, par voie de conséquence, et en tout état de cause, ses conclusions aux fins d'injonction.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que Val Touraine Habitat, qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse à la société requérante une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société requérante une somme de 1 500 euros à verser à Val Touraine Habitat en application de ces dispositions.

O R D O N N E :

Article 1er : La requête de la société Sodiatec est rejetée.

Article 2 : La société Sodiatec versera à Val Touraine Habitat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Sodiatec, à Val Touraine Habitat, à la société AED Groupe et à la société ADX Groupe.

Fait à Orléans, le 8 janvier 2024.

La juge des référés,

Anne LEFEBVRE-SOPPELSA

La République mande et ordonne au préfet d'Indre-et-Loire en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.