TA Grenoble, 04/06/2024, n°2100398


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 21 janvier 2021 et 20 septembre 2023 la SAS Locam, représentée par Me Vacheron demande au tribunal :

1°) A titre principal, de condamner la commune de Ville-La-Grand à l'indemniser des conséquences de l'inexécution du contrat n°1222505 à hauteur de 30 473,94 euros, avec intérêts contractuels et capitalisation, au titre de l'indemnité contractuelle de résiliation ;

2°) A titre subsidiaire, de condamner la commune de Ville-La-Grand à l'indemniser des conséquences de l'inexécution du contrat n°1222505 à hauteur de 19 872 euros, avec intérêts contractuels et capitalisation, au titre du manque à gagner ;

3°) A titre infiniment subsidiaire, de condamner la commune de Ville-La-Grand à l'indemniser des conséquences de l'inexécution du contrat n°1222505 à hauteur de 12 097,27 euros, avec intérêts moratoires et capitalisation, au titre de l'enrichissement sans cause ;

4°) En tout état de cause, d'enjoindre à la commune de Ville-La-Grand de restituer à ses frais le matériel conformément aux stipulations du contrat sous astreinte de 50 euros par jour de retard dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent jugement ;

5°) En tout état de cause, de condamner la société Bailtech à la relever et garantir de toute condamnation qui pourrait être prononcé à son encontre ;

6°) de mettre à la charge de la commune de Ville-La-Grand une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La SAS Locam soutient que :

- elle est fondée à demander sur le terrain contractuel, notamment l'article 12 du contrat, les sommes de :

o 22 809,60 euros TTC correspondant aux arriérés de 12 loyers ;

o 2 868,48 euros TTC correspondant à l'indemnité et à la clause pénale ;

o 4 795,86 euros TTC correspondant aux intérêts de retard ;

- à titre subsidiaire, la société Locam demande l'indemnisation de son manque à gagner à hauteur de 19 872 euros ;

- à titre infiniment subsidiaire, la société Locam demande l'indemnisation de son préjudice sur le terrain de l'enrichissement sans cause de la commune à hauteur de 12 097, 27 euros HT, correspondant à la différence entre le cout d'achat des matériels et le montant des 4 premiers loyers acquittés par la commune.

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 juin 2022, la commune de Ville-la-Grand, représentée par Me Petit, conclut à titre principal au rejet de la requête, à titre subsidiaire à être relevée et garantie de toute condamnation qui pourrait être prononcé à son encontre par la société Bailtech et à ce que soit mis à la charge de la société Locam une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La commune soutient que le contrat est nul et qu'il n'a pas été exécuté.

Par lettre du 8 février 2024, les parties ont été informées qu'en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative l'instruction est susceptible d'être close le 23 février 2024, par l'émission d'une ordonnance de clôture ou d'un avis d'audience, sans information préalable.

La clôture immédiate de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 27 février 2024.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- le code des marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Fourcade,

- les conclusions de M. Argentin, rapporteur public,

- et les observations de Me Ferrand, représentant la commune de Ville-la-Grand.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Ville-la-Grand a conclu le 27 octobre 2015 avec la société Locam un contrat n° 1222505 de location et d'installation de matériel de télésurveillance portant sur les matériels suivants : 12 caméras, 3 stockers 4 voies, 1 stocker 8 voies et 4 disques durs. La société Bailtech est désignée en qualité de fournisseur. Ce contrat de location conclu pour une durée de 16 trimestres arrivait à échéance en décembre 2019. La commune s'est acquittée des quatre premiers loyers puis a cessé les paiements. Par un courrier du 6 octobre 2017 la société Locam a notifié une " résiliation de contrat en vertu de la clause résolutoire de plein droit pour défaut de paiement " et a sollicité le paiement des sommes dont elle s'estimait créancière. Par une télécopie du 18 octobre 2017, la commune a répondu que les matériels n'avaient jamais été installés et qu'aucun PV de livraison n'avait été signé. Cette télécopie est restée sans réponse jusqu'à un courrier du 5 mars 2020 par lequel la société Locam a, de nouveau, notifié une " résiliation de contrat en vertu de la clause résolutoire de plein droit pour défaut de paiement " et a actualisé sa créance. Par la présente requête, la société Locam demande au tribunal de condamner la commune de Ville-la-Grand à lui verser les sommes dont elle s'estime créancière à titre principal sur le terrain contractuel et à titre subsidiaire sur le fondement de l'enrichissement sans cause de la commune.

Sur la validité du contrat :

2. La commune fait valoir que Mme A, 1er adjointe au maire et signataire du contrat n°1222505, ne disposait pas d'une habilitation du conseil municipal à cette fin. Au soutien de cette affirmation, la collectivité fait valoir que la seule délégation lui ayant été consentie a fait l'objet un arrêté du 2 janvier 2015 lui accordant une délégation en vue de régler les affaires courantes en l'absence du maire du 5 au 12 janvier 2015. Il ne résulte pas de l'instruction que le conseil municipal aurait donné ultérieurement son accord à la conclusion des contrats en litige. Au contraire, ce contrat a été dénoncé au changement de municipalité intervenu en 2016 suite à la démission du maire. Par ailleurs, le contrat n'ayant été exécuté que sur une période brève, le conseil municipal ne saurait être regardé comme ayant donné son accord à une régularisation. Dès lors, la signature du contrat en litige sans autorisation du conseil municipal constitue un vice dont la gravité justifie son annulation.

Sur l'enrichissement sans cause :

3. Le cocontractant de l'administration dont le contrat est entaché de nullité peut prétendre, sur un terrain quasi-contractuel, au remboursement de celles de ses dépenses prévues au contrat qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s'était engagé.

4. Pour justifier de l'exécution du contrat n°1222505, contestée par la commune, la société Locam produit à l'instance un procès-verbal de livraison et de conformité signé par la société Bailtech en date du 17 novembre 2015. Toutefois, l'encadré correspondant à la signature de la collectivité comporte le tampon de la mairie et un paraphe, mais ne précise ni l'identité du signataire ni la date. Si le procès-verbal ne précise pas le lieu d'installation du matériel, la réclamation préalable de la société Locam mentionne qu'il aurait été installé rue Leary à Ville-la-Grand. Or, la commune fait valoir en défense, que la salle polyvalente " Le Savoy " située à cette adresse n'a jamais été équipée d'une télésurveillance et produit au soutien de cette affirmation des attestations d'agents techniques communaux, mais aussi d'un électricien intervenu à plusieurs reprises sur le bâtiment et d'un utilisateur de la salle. Compte tenu des lacunes du procès-verbal produit et de l'abstention de la société Locam à s'en prévaloir avant 2020 alors que dès 2017 la commune contestait l'exécution du marché, celui-ci ne revêt pas un caractère suffisamment probant permettant d'établir que le contrat a bien été exécuté. Dès lors, les conclusions indemnitaires de la requérante fondées sur l'enrichissement sans cause de la commune ne peuvent être que rejetées.

5. Il résulte de ce qui précède que les conclusions indemnitaires ainsi les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à la commune de restituer le matériel doivent être rejetées.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

6. Les conclusions présentées par la société Locam, la partie perdante, doivent être rejetées. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société Locam une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société Locam est rejetée.

Article 2 : La société Locam versera à la commune de Ville-la-Grand la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la SAS Locam, la commune de Ville-la-Grand et la société Bailtech.

Délibéré après l'audience du 21 mai 2024 , à laquelle siégeaient :

M. Vial-Pailler, président,

Mme Fourcade, première conseillère,

Mme Pollet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juin 2024.

La rapporteure,

F. FOURCADE

Le président,

C. VIAL-PAILLERLe greffier,

G. MORAND

La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Savoie en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.