TA Grenoble, 07/05/2024, n°2108694


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 24 décembre 2021 et le 22 décembre 2023 (ce dernier non communiqué), la société Priams, représentée par Me Le Chatelier, demande au Tribunal :

1°) d'annuler la décision du 23 juillet 2021 par laquelle le maire d'Epagny Metz-Tessy a rejeté son offre pour porter l'opération de logements en accession à la propriété du site " Au grand Champ " ;

2°) d'annuler le marché public par lequel la commune d'Epagny Metz-Tessy a confié à la société Sogimm le lot n°1 relatif à l'aménagement du site " Au grand Champ " portant sur la partie " Ouest " de l'opération, qui concerne la réalisation de logements en accession libre à la propriété ;

3°) de condamner la commune d'Epagny Metz-Tessy à lui verser une indemnité de 3 496 672 euros en réparation du préjudice que lui a causé son éviction irrégulière de la procédure ;

4°) de mettre à la charge de la commune d'Epagny Metz-Tessy la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société Priams soutient que :

- la décision du 23 juillet, en tant qu'elle est un acte détachable d'un contrat de droit privé, est illégale car dépourvue de motivation, en application de la jurisprudence de l'Union européenne ;

- l'article 9 du règlement de la consultation n'indiquait aucun élément de hiérarchisation des critères et était particulièrement flou, ce qui méconnaît le principe d'égalité de traitement et de transparence des procédures applicable à tout contrat passé par une personne publique ;

- subsidiairement, le contrat en litige doit, en réalité, être requalifié en marché public, en application des articles L. 1 et L. 1111-1 du code de la commande publique ; la procédure de passation est alors irrégulière, faute d'indiquer la procédure choisie par le pouvoir adjudicateur ; la méthode de notation est irrégulière au regard des articles R. 2152-11 et 2152-12 du code de la commande publique ;

- la commune a engagé la procédure de consultation sans purger le droit de rétrocession de la société Priams Construction, en méconnaissance de l'alinéa 2 de l'article L. 213-2 du code de l'urbanisme, illégalité fautive qui lui cause, en soi, un préjudice, puisqu'elle est associée à la société Priams Construction à hauteur de 98% ;

- les irrégularités précitées lui causent un préjudice, en raison des frais engagés pour la constitution de l'offre et du manque à gagner subi, alors qu'elle avait des chances très sérieuses de remporter le contrat ; son préjudice s'élève à 3 528 172 euros HT (frais engagés pour répondre à l'appel d'offres à hauteur de 31 500 euros HT et indemnisation de son manque à gagner à hauteur de 3 496 672 euros HT).

Par un mémoire enregistré le 12 juin 2022, la commune d'Epagny Metz-Tessy conclut au rejet de la requête et demande qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société Priams au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La commune d'Epagny Metz-Tessy fait valoir que :

-la convention en litige porte cession du domaine privé communal, pour la construction de logements en accession libre à la propriété sous maîtrise d'ouvrage du candidat retenu. Il ne s'agit donc pas d'un marché public ;

- la décision de préemption du terrain objet de la cession en litige concernait la société Priams Construction, personne morale distincte de la société requérante ;

- la lettre du 23 juillet 2021 est suffisamment motivée et la remise en cause de la procédure de mise en concurrence non assortie des précisions suffisantes pour en apprécier le bien-fondé ;

- l'article 11 du règlement de la consultation exclut au demeurant toute indemnisation.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique du 9 avril 2024 :

- le rapport de Mme Frapolli,

- les conclusions de M. A,

- et les observations de Me Trequattrini, pour la commune d'Epagny Metz-Tessy.

Considérant ce qui suit :

1. Par une décision du 8 septembre 2017 devenue définitive, l'établissement public foncier de Haute-Savoie, agissant en qualité de délégataire de la commune d'Epagny Metz-Tessy, a préempté une parcelle 181 AP n°189 située au lieu-dit " Au Grand Champ " sur la commune d'Epagny Metz-Tessy, que la société Priams Construction souhaitait acquérir. Sur cette parcelle de 10 372 m2, la commune de Metz-Tessy envisage à terme d'implanter des logements sociaux, des logements en accession libre à la propriété, un parking de surface et une crèche publique. A la suite, la commune d'Epagny Metz-Tessy a lancé une consultation d'opérateurs immobiliers portant sur l'aménagement de la partie dite " Ouest " de l'opération, sous maîtrise d'ouvrage du candidat retenu, relative à la réalisation de logements en accession libre à la propriété. L'offre de la société Priams a été rejetée par un courrier du 23 juillet 2021 par lequel le maire l'informait également de l'attribution du projet à la société Sogimm. Dans la présente instance, la société Priams demande l'annulation de la décision du 23 juillet 2021 par laquelle son offre a été rejetée. Elle demande également l'annulation du contrat conclu avec la société Sogimm, dans la seule hypothèse où ledit contrat serait requalifié en marché public. Enfin, elle formule des conclusions indemnitaires destinées à réparer divers préjudices subis en raison d'illégalités fautives commises, selon elle, par la commune d'Epagny Metz-Tessy.

Sur la détermination du caractère public ou privé du contrat et les conclusions à fin d'annulation dirigées contre le contrat dans la seule hypothèse d'une requalification en marché public :

2. Le contrat par lequel une personne publique cède des biens immobiliers faisant partie de son domaine privé est en principe un contrat de droit privé, sauf si le contrat a pour objet l'exécution d'un service public ou s'il comporte des clauses qui impliquent, dans l'intérêt général, qu'il relève du régime exorbitant des contrats administratifs.

3. Il est constant que la parcelle 181 AP n°189 citée au point 1 relève du domaine privé de la commune. Par ailleurs, il résulte du règlement de la consultation que l'objet du contrat n'a pas pour objet l'exécution d'un service public ou vocation à répondre à un besoin de la collectivité en matière de travaux. Notamment, la vente du terrain correspondant au lot n°1, fût-elle conditionnée à la réalisation de logements dans le cadre de l'aménagement d'un quartier, avec l'obligation de respecter un nombre de logements compris entre 36 et 40 et certaines prescriptions urbaines et paysagères, n'implique pas, dans l'intérêt général, qu'elle relève du régime exorbitant des contrats administratifs.

4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'adresser à la requérante une mesure de régularisation tendant à la transmission du contrat, que le contrat signé avec la société Sogimm est un contrat de droit privé. Les conclusions à fin d'annulation dirigées contre le contrat dans la seule hypothèse où il devrait être requalifié en marché public doivent dès lors être rejetées.

Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision du 23 juillet 2021 portant rejet de l'offre de la société Priams :

5. D'une part, si la contestation par une personne privée de l'acte, délibération ou décision par lequel une personne publique, gestionnaire du domaine privé, initie avec cette personne, conduit ou termine une relation contractuelle, quelle qu'en soit la forme, dont l'objet est la valorisation ou la protection de ce domaine, relève de la compétence des juridictions judiciaires, le juge administratif est compétent pour connaître de la contestation des décisions de cette personne publique affectant le périmètre ou la consistance de son domaine privé, et notamment des actes par lesquels elle autorise ou refuse la vente de parcelles de ce domaine. Dès lors, la demande d'annulation de la décision du 23 juillet 2021 rejetant l'offre de la société Priams porte refus de vendre la parcelle 181 AP n°189, et relève de la compétence de la juridiction administrative.

6. D'autre part, aucune disposition législative ou réglementaire n'impose à une personne morale de droit public autre que l'État de faire précéder la vente d'une dépendance de son domaine privé d'une mise en concurrence préalable. Toutefois, lorsqu'une telle personne publique fait le choix, sans y être contrainte, de céder un bien de son domaine privé par la voie d'un appel à projets comportant une mise en concurrence, elle est tenue de respecter le principe d'égalité de traitement entre les candidats au rachat de ce bien. Il ne saurait cependant en découler qu'elle devrait respecter les règles relatives à la commande publique, qui ne sont pas applicables à la cession d'un bien.

7. En premier lieu, aucun texte ni aucun principe n'oblige une collectivité territoriale à motiver la lettre par laquelle elle rejette l'offre présentée par un candidat à une vente d'une dépendance de son domaine privé. Le moyen tiré du défaut de motivation de cette lettre doit dès lors être rejeté.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 9 du règlement de la consultation : " () Chaque offre sera analysée notamment sur : 1. Les références de l'opérateur immobilier et du concepteur ;/ 2. La proposition financière globale ;/ 3. La qualité programmatique du projet immobilier et la conformité de l'offre aux documents composant le dossier de consultation ;/ 4. La qualité architecturale du projet immobilier ;/ 5. Les performances énergétiques envisagées, démarche bas carbone et labels à obtenir ;/ 6. Le planning d'études et de travaux ;/ 7. L'accord de principe d'un organisme bancaire pour la délivrance d'une garantie financière d'achèvement ;/ 8. Les conditions de commercialisation () ;/ 9. L'engagement du candidat opérateur immobilier à ne pas co-traiter avec un autre opérateur immobilier pour la réalisation de tout ou partie du programme pour lequel il aura été sélectionné () ".

9. Contrairement à ce que soutient la requérante, l'absence de hiérarchisation des critères n'est pas, en soi, une atteinte au principe d'égalité de traitement entre les candidats tel que défini au point 6. Ainsi, la société Priams, qui ne se prévaut d'aucun élément saillant de son offre et n'allègue pas avoir tenté d'établir une comparaison concrète entre son offre et l'offre de la société Sogimm n'est, en l'état de l'instruction, pas fondée à soutenir que le refus opposé par la commune d'Epagny-Metrz-Tessy de contracter avec elle dans le courrier du 23 juillet 2021 méconnaîtrait le principe d'égalité de traitement des candidats.

10. Il résulte de ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation dirigées contre le courrier du 23 juillet 2021 doivent être rejetées.

Sur les conclusions indemnitaires:

11. D'une part, les conclusions indemnitaires tendant à réparer le préjudice né de l'illégalité fautive tenant, d'une part, au refus de contracter avec la société Priams et, d'autre part, à la conclusion du contrat avec la société Sogimm, doivent être rejetées pour les motifs énoncés au point précédent.

12. D'autre part, en vertu de l'alinéa 2 de l'article L. 213-11 du code de l'urbanisme : " Si le titulaire du droit de préemption décide d'utiliser ou d'aliéner pour d'autres objets que ceux mentionnés au premier alinéa de l'article L. 210-1 un bien acquis depuis moins de cinq ans par exercice de ce droit, il doit informer de sa décision les anciens propriétaires ou leurs ayants cause universels ou à titre universel et leur proposer l'acquisition de ce bien en priorité. ". Ainsi que l'oppose en défense la Commune, la société Priams n'établit pas disposer d'une créance liée au droit de rétrocession du terrain préempté dans les conditions explicitées au point 1, dans la mesure où il est constant que la société Priams et la société Priams Construction sont deux personnes morales distinctes. Par suite, la société Priams ne justifie de son droit fondé sur l'alinéa 2 de l'article L. 213-11 du code de l'urbanisme.

13. Il résulte de ce qui précède que les conclusions indemnitaires présentées par la société Priams doivent être rejetées.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Les conclusions présentées par société Priams, la partie perdante, doivent être rejetées. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société Priams une somme de 1 500 euros à verser à la commune d'Epagny Metz-Tessy.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de société Priams est rejetée.

Article 2 : La société Priams versera à la commune d'Epagny Metz-Tessy la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la société Priams, à la commune d'Epagny Metz-Tessy et à la société Sogimm.

Délibéré après l'audience du 9 avril 2024, à laquelle siégeaient :

M. Vial-Pailler, président,

Mme Frapolli, premier conseiller,

Mme Fourcade, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 mai 2024.

Le rapporteur,

I. FRAPOLLI

Le président,

C. VIAL-PAILLER

Le greffier,

G. MORAND

La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Savoie en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.