TA Grenoble, 11/08/2023, n°2200469

Vu la procédure suivante :

Par un déféré et des mémoires, enregistrés les 20 janvier 2022, 9 décembre 2022 et 3 janvier 2023, le préfet de l'Isère demande au tribunal d'annuler l'avenant n°1 du 15 juin 2021 à la convention de délégation de service public d'aménagement et d'exploitation du domaine skiable, conclue entre les communes des Deux Alpes et de Saint Christophe en Oisans et la société d'aménagement touristique de l'Alpe d'Huez et des Grandes Rousses (ci-après la SATA).

Il soutient que :

- l'avenant méconnaît les dispositions du 1° et du 2° de l'article R. 3135-7 du code de la commande publique ;

-il méconnaît de ce fait les principes fondamentaux de la commande publique énoncés à l'article 3 du code de la commande publique ;

-il méconnaît les dispositions de l'article L. 1411-6 du code général des collectivités territoriales ;

-il n'a pas fait l'objet d'une publication au journal officiel de l'Union Européenne.

Par deux mémoires, enregistrés le 3 novembre 2022 et le 11 janvier 2023, la commune de Saint Christophe en Oisans, représentée par Me Landot du cabinet Landot et associés, conclut, à titre principal, au rejet du déféré, à titre subsidiaire, à ce que les effets de l'annulation de l'avenant en litige soient différés jusqu'au terme de la saison hivernales 2022/2023, et en tout état de cause, à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par le préfet de l'Isère sont infondés. Elle fait également valoir que la faible gravité des vices qui pourraient entacher l'avenant et l'impératif de continuité de service public justifient que les effets d'une éventuelle annulation soient différés.

Par un mémoire enregistré le 7 novembre 2022, la société d'aménagement touristique de l'Alpe d'Huez et des Grandes Rousses, représenté par Me Le Chatelier, conclut au rejet du déféré, et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par le préfet de l'Isère sont infondés.

Par trois mémoires en défense, enregistrés les 7 novembre 2022, 12 janvier 2023 et 10 mars 2023, la commune des Deux Alpes, représentée par Me de Belenet, du cabinet Lexcase, conclut au rejet du déféré, et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par le préfet de l'Isère sont infondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. D,

- les conclusions de Mme E,

- les observations de Mme C, représentant le préfet de l'Isère,

- celles de Me Vandecasteele représentant la commune de Deux Alpes,

- celles de Me Gouchon représentant la commune de Saint-Christophe-en-Oisans

- et celles de Me Roche représentant la SATA.

Considérant ce qui suit :

1.Par sa requête, le préfet de l'Isère demande au tribunal d'annuler l'avenant n°1 du 25 juin 2021 au contrat de délégation du service public d'aménagement et d'exploitation du domaine skiable des communes des Deux Alpes et de Saint Christophe en Oisans, publié le 24 juin 2020.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2.Il résulte de l'instruction que l'avenant n°1 du 25 juin 2021 a pour objet de modifier le contrat publié le 24 juin 2020 de délégation du service public d'aménagement et d'exploitation du domaine skiable des communes des Deux Alpes et de Saint Christophe en Oisans, afin de tenir compte des retards constatés sur la réalisation des travaux qu'il prévoyait, compte tenu, d'une part, des conséquences de la pandémie de la Covid19, et d'autre part, des difficultés rencontrées par la commune des Deux Alpes pour obtenir les autorisations administratives nécessaires pour la construction de la retenue collinaire de la Murat.

3.L'avenant en litige prévoit ainsi de décaler la mise en service du télésiège 3S et les investissements relatifs au restaurant d'altitude " Le 3200 " du mois de décembre 2022 à la saison d'hiver 2024/2025 et d'abandonner la réimplantation prévue de l'ancien télésiège de la Toura sur le secteur de Super Venosc, en contrepartie de la mise en service anticipée du télémix de la Vallée Blanche, de la télécabine pulsée du Super Venosc, et de la piste de Pied Moutet, et d'un investissement supplémentaire permettant l'augmentation du début du télésiège du Diable. Il prévoit également de décaler de trois ans les investissements de neige de culture dénommés " Toura / Fées / Pierre Grosse ", " Front de neige principal " et " Pistes étagées 2100 à 3500 mètres ".

4.Le préfet de l'Isère soutient que les modifications introduites par l'avenant, s'agissant notamment du décalage de la mise en service du télésiège 3S, introduisent des modifications substantielles au contrat de délégation, qui aurait dès lors dû faire l'objet d'une nouvelle mise en concurrence.

5.Aux termes de l'article L. 3 du code la commande publique : " Les acheteurs et les autorités concédantes respectent le principe d'égalité de traitement des candidats à l'attribution d'un contrat de la commande publique. Ils mettent en œuvre les principes de liberté d'accès et de transparence des procédures, dans les conditions définies dans le présent code. ". Aux termes de l'article L. 3135-1 du même code : " Un contrat de concession peut être modifié sans nouvelle procédure de mise en concurrence, dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat, lorsque : () 5° Les modifications ne sont pas substantielles ; () ". Aux termes de l'article R. 3135-7 de ce code : " Le contrat de concession peut être modifié sans nouvelle procédure de mise en concurrence lorsque les modifications, quel qu'en soit le montant, ne sont pas substantielles. / Pour l'application de l'article L. 3135-1, une modification est considérée comme substantielle, notamment, lorsqu'au moins une des conditions suivantes est remplie : 1° Elle introduit des conditions qui, si elles avaient figuré dans la procédure de passation initiale, auraient attiré davantage de participants ou permis l'admission de candidats ou soumissionnaires autres que ceux initialement admis ou le choix d'une offre autre que celle initialement retenue ; 2° Elle modifie l'équilibre économique de la concession en faveur du concessionnaire d'une manière qui n'était pas prévue dans le contrat de concession initial ; () ".

6.En premier lieu, s'il est vrai que le règlement de consultation applicable à la procédure d'attribution du contrat de délégation en cause prévoyait que la mise en service effective du télésiège 3S au cours de la saison hivernale 2023/2024 constituait une des caractéristiques minimales du contrat, cette seule circonstance ne saurait faire regarder le report de cette mise en service à la saison d'hiver 2024/2025 comme emportant une modification substantielle du contrat au sens des dispositions précitées des articles L. 3135-1 et R. 3135-7 du code de la commande publique.

7.De plus, le report de cette mise en service ne peut davantage être regardé comme modifiant l'équilibre économique de la concession en faveur du concessionnaire par rapport aux prévision initiales, alors que la pertinence de cet investissement n'est pas contestée et que la réalisation du télésiège 3S dans les délais prévus aurait au contraire permis à la SATA de mieux le rentabiliser sur la durée d'exécution du contrat. A cet égard, si le préfet soutient que le compte d'exploitation prévisionnel modifié et joint à l'avenant en litige prévoit une augmentation du chiffre d'affaires réalisé par la SATA sur la durée d'exécution du contrat de 160 645 603 euros, soit 10,94% du montant initialement prévu, il résulte cependant de l'instruction qu'il procède ainsi, à tort, à la comparaison entre le montant du compte d'exploitation prévisionnel joint au contrat, qui était exprimé en euros constant, et le montant du compte d'exploitation prévisionnel joint à l'avenant, qui était exprimé en euros courant. A cet égard, les communes délégantes et la SATA font au contraire valoir, sans être contesté, que les modifications apportées au compte d'exploitation prévisionnel par l'avenant en litige aboutissent en réalité à une diminution de 3,55% du montant du chiffre d'affaires en euros constant, et de 4,40% en euros courant. Ainsi, et même s'il est regrettable que le compte d'exploitation prévisionnel modifié joint à l'avenant du 25 juin 2021 et transmis au préfet ne précisait pas qu'il était exprimé en euros courant, le moyen manque en fait et doit être écarté.

8.Enfin, et pour les mêmes motifs que ceux indiqués au point précédent, il ne résulte pas de l'instruction que le report de la mise en service du télésiège 3S à la saison d'hiver 2024/2025 aurait été susceptible d'attirer davantage de candidats ou permis l'admission d'autres soumissionnaires s'il avait figuré dans la procédure de passation initiale.

9.Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le caractère imprévisible pour les parties au contrat des conséquences de la pandémie de la Covid19, que le préfet n'est pas fondé à soutenir que l'avenant en litige méconnaît les dispositions du 1° et du 2° de l'article R. 3135-7 du code de la commande publique ou les principes fondamentaux de la commande publique énoncés par les dispositions de son article L. 3.

10.En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 1411-6 du code général des collectivités territoriales : " Tout projet d'avenant à une convention de délégation de service public entraînant une augmentation du montant global supérieure à 5% est soumis pour avis à la commission visée à l'article L. 1411-5. L'assemblée délibérante qui statue sur le projet d'avenant est préalablement informée de cet avis. ".

11.Ainsi qu'il a été dit au point 7, l'avenant en litige n'a eu ni pour objet ni pour effet d'entraîner une augmentation du montant global de la convention de délégation supérieure à 5% et n'était en conséquence pas soumis à l'avis de la commission des délégations de service public. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 1411-6 du code général des collectivités territoriales doit donc être écarté.

12.Enfin, la circonstance que l'avenant du 25 juin 2021 n'aurait pas été publié au journal officiel de l'Union européenne, à la supposer établie à la date du présent jugement, est sans incidence sur sa légalité.

13.Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation présentées par le préfet de l'Isère doivent être rejetées.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14.Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de condamner l'Etat à verser aux trois défendeurs, la commune des Deux Alpes, la commune de Saint Christophe-en-Oisans et la société SATA, une somme de 1 200 euros chacun, au titre des frais exposés en cours d'instance et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Le déféré du préfet de l'Isère est rejeté.

Article 2 : L'Etat versera aux trois défendeurs, la commune des Deux Alpes, la commune de Saint-Christophe-en-Oisans et la société SATA, une somme de 1 200 euros chacun au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié au préfet de l'Isère, à la commune des Deux Alpes, à la commune de Saint Christophe en Oisans et à la société d'aménagement touristique de l'Alpe d'Huez et des Grandes Rousses.

Délibéré après l'audience du 29 juin 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Triolet, présidente,

M. A et M. B, premiers conseillers.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 août 2023.

Le rapporteur,

F. B

La présidente,

A. TRIOLET La greffière,

J. BONINO

La République mande et ordonne au préfet de l'Isère en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°2200469