TA Grenoble, 12/04/2024, n°2402190


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 2, 4 et 10 avril 2024, la société Averi TP, représentée par Me Ducrot, demande au juge des référés sur le fondement des dispositions des articles L. 551-1 et suivants du code de justice administrative :

1°) d'annuler la décision du 21 mars 2024 par laquelle la communauté d'agglomération Grenoble Alpes métropole l'a informée du rejet de l'offre qu'elle avait présenté dans le cadre du marché public de travaux relatif à l'aménagement et l'entretien des bâtiments et sites ;

2°) d'enjoindre à la communauté d'agglomération Grenoble Alpes métropole de reprendre la procédure de passation du marché au stade de l'analyse des offres ;

3°) de mettre à la charge de la communauté d'agglomération Grenoble Alpes métropole la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

La société Averi TP soutient que :

- elle dispose d'un intérêt à agir en sa qualité de candidate évincée ;

- en s'abstenant de lui communiquer les motifs de son éviction, la communauté d'agglomération Grenoble Alpes métropole a manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence ;

- les candidats ne disposaient pas d'informations déterminantes relatives à la fréquence d'utilisation évaluée par le pouvoir adjudicateur pour simuler le prix ;

- la communauté d'agglomération Grenoble Alpes métropole devra indiquer les raisons pour lesquelles elle n'a pas jugé anormalement basse l'offre retenue.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 avril 2024, la communauté d'agglomération Grenoble Alpes métropole, représentée par Me Senegas, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la requérante sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

La communauté d'agglomération Grenoble Alpes métropole fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 avril 2024, la société JTS, représentée par Me Matras, conclut au rejet de la requête et, à titre subsidiaire à la reprise de la procédure au stade de l'analyse des offres, à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la requérante sur le fondement de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

La société JTS fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné Mme Triolet, vice-présidente, pour statuer sur les demandes de référé.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique tenue en présence M. Ribeaud, greffier d'audience, Mme Triolet a lu son rapport et entendu :

- les observations de Me Potronnat, représentant la société Averi TP

- les observations de Me Senegas, représentant la communauté d'agglomération Grenoble Alpes métropole,

- les observations de Me Matras représentant la société JTS.

La clôture de l'instruction a été différée de 24 heures afin de permettre à Grenoble Alpes métropole de produire, ainsi qu'elle a proposé de le faire, les variables " Fu " lui ayant permis de calculer le montant des offres.

Une note en délibéré présentée en ce sens pour la communauté d'agglomération Grenoble Alpes métropole a été enregistrée le 11 avril 2024 et communiquée en laissant un délai de 24 heures à la requérante pour répondre.

Une note en délibéré présentée pour la société JTS a été enregistrée le 11 avril 2024.

Une note en délibéré présentée pour la société Averi TP a été enregistrée le 12 avril 2024.

Considérant ce qui suit :

1. Le 14 décembre 2023, la communauté d'agglomération Grenoble Alpes métropole (GAM) a publié un avis d'appel à concurrence en vue de conclure un accord-cadre à bons de commande afin de réaliser des travaux d'aménagement et d'entretien de ses bâtiments et sites. La société Averi TP demande au tribunal d'annuler la décision du 21 mars 2024 par laquelle le pouvoir adjudicateur a écarté l'offre qu'elle a déposée pour le lot n°2 de ce marché au profit de celle de la société JTS et d'enjoindre à cette collectivité de reprendre la procédure de passation au stade de l'analyse des offres.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat. ". L'article L. 551-2 du même code dispose que : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations ".

En ce qui ce qui concerne le manquement à l'obligation d'information des candidats évincés :

3. Aux termes de l'article R. 2181-1 du code de la commande publique : " L'acheteur notifie sans délai à chaque candidat ou soumissionnaire concerné sa décision de rejeter sa candidature ou son offre ". Aux termes de l'article R. 2181-4 du même code : " Tout candidat ou soumissionnaire dont la candidature ou l'offre a été rejetée peut obtenir les motifs de ce rejet dans un délai de quinze jours à compter de la réception de sa demande à l'acheteur ./ Lorsque l'offre de ce soumissionnaire n'était ni inappropriée, ni irrégulière, ni inacceptable, l'acheteur lui communique en outre les caractéristiques et avantages de l'offre retenue ainsi que le nom de l'attributaire du marché. ". Aux termes de l'article R. 2181-3 du même code : " La notification prévue à l'article R. 2181-1 mentionne les motifs du rejet de la candidature ou de l'offre. Lorsque la notification de rejet intervient après l'attribution du marché, l'acheteur communique en outre : 1° Le nom de l'attributaire ainsi que les motifs qui ont conduit au choix de son offre ; 2° La date à compter de laquelle il est susceptible de signer le marché dans le respect des dispositions de l'article R. 2182-1 ". Aux termes de l'article R. 2181-4 de ce même code : " A la demande de tout soumissionnaire ayant fait une offre qui n'a pas été rejetée au motif qu'elle était irrégulière, inacceptable ou inappropriée, l'acheteur communique dans les meilleurs délais et au plus tard quinze jours à compter de la réception de cette demande : () Lorsque le marché a été attribué, les caractéristiques et les avantages de l'offre retenue ".

4. L'information sur les motifs du rejet de son offre dont est destinataire l'entreprise en application des dispositions précitées a, notamment, pour objet de permettre à la société non retenue de contester utilement le rejet qui lui est opposé devant le juge du référé précontractuel saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative. Par suite, l'absence de respect de ces dispositions constitue un manquement aux obligations de transparence et de mise en concurrence. Cependant, un tel manquement n'est plus constitué si l'ensemble des informations, mentionnées aux articles du code de la commande publique précités, a été communiqué au candidat évincé à la date à laquelle le juge des référés statue sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, et si le délai qui s'est écoulé entre cette communication et la date à laquelle le juge des référés statue a été suffisant pour permettre à ce candidat de contester utilement son éviction.

5. Il résulte de l'instruction que, par une lettre du 21 mars 2024, la communauté d'agglomération Grenoble Alpes métropole a informé la société Averi TP du rejet de son offre. Cette lettre indiquait les notes obtenues par l'offre de la société requérante pour chaque critère et sous-critère ainsi que son placement en 2ème position du classement. Elle précisait également le nom de la société attributaire ainsi que le prix de son offre et les notes obtenues par celle-ci pour chaque critère et sous-critère. Ces éléments ont mis la société requérante en mesure de contester utilement son éviction. En cours d'instance, par un courrier du 9 avril 2024, la société Averi TP a, en outre, reçu communication d'informations plus détaillées sur les avantages et caractéristiques de l'offre retenue. Dans ces conditions, la société Averi TP n'est pas fondée à soutenir qu'elle n'aurait pas été suffisamment informée des motifs du rejet de son offre.

En ce qui ce qui concerne les informations données aux candidats sur le critère prix

6. Il résulte des documents contractuels et notamment du règlement de consultation que le pouvoir adjudicateur a, pour le lot 2, demandé aux candidats de proposer trois coefficients, définis en fonction de trois niveaux d'intervention et applicables à un référentiel national de prix, outre un quatrième coefficient pour les articles hors de ce référentiel. Afin de calculer le montant de l'offre, le pouvoir adjudicateur a défini, sans la communiquer, une évaluation des fréquences auxquelles il aurait recours à ces quatre types de prestation. La société JTS a obtenu une note de 98,75/100 au critère prix avec un montant de l'offre calculé au vu de la commande type à 855 360 euros et la requérante a obtenu une note de 93,97 avec un prix calculé à 951 000 euros.

7. La société requérante, candidate sortante, fait valoir que faute d'avoir communiqué aux candidats cette fréquence d'utilisation, le pouvoir adjudicateur a méconnu le principe de transparence ou privé de portée le critère prix. In fine, elle ajoute qu'il n'est pas établi que la même grille a été appliquée à sa candidature et à celle de l'attributaire.

8. Toutefois, il n'existe aucune obligation pour l'acheteur de préciser les méthodes de notation mises en œuvre pour les différents critères, y compris le critère prix. En outre, en se bornant à indiquer que la seule analyse des prix unitaires aurait pour effet de priver de portée le critère prix ainsi que le critère valeur technique et à neutraliser leur pondération, la société requérante n'apporte pas les précisions suffisantes permettant d'apprécier son moyen.

En ce qui concerne l'appréciation du caractère anormalement bas de l'offre retenue :

9. Aux termes de l'article L. 2152-5 du code de la commande publique : " Une offre anormalement basse est une offre dont le prix est manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché. " Aux termes de l'article L. 2152-6 du même code : " L'acheteur met en œuvre tous moyens lui permettant de détecter les offres anormalement basses. / Lorsque une offre semble anormalement basse, l'acheteur exige que l'opérateur économique fournisse des précisions et justifications sur le montant de son offre. / Si, après vérification des justifications fournies par l'opérateur économique, l'acheteur établit que l'offre est anormalement basse, il la rejette dans des conditions prévues par décret en Conseil d'État. ".

10. Le fait, pour un pouvoir adjudicateur, de retenir une offre anormalement basse porte atteinte à l'égalité entre les candidats à l'attribution d'un marché public. Il résulte des dispositions précitées que, quelle que soit la procédure de passation mise en œuvre, il incombe au pouvoir adjudicateur qui constate qu'une offre paraît anormalement basse de solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé. Si les précisions et justifications apportées ne sont pas suffisantes pour que le prix proposé ne soit pas regardé comme manifestement sous-évalué et de nature, ainsi, à compromettre la bonne exécution du marché, il appartient au pouvoir adjudicateur de rejeter l'offre.

11. La société Averi TP soutient que Grenoble Alpes métropole devra indiquer les raisons pour lesquelles elle n'a pas jugé l'offre retenue comme étant anormalement basse. Toutefois, la circonstance que cette offre est inférieure d'environ 10% à celle de la société requérante n'est pas, à elle seule à faire suspecter le caractère anormalement bas de l'offre du groupement attributaire. Le moyen doit donc être écarté.

Sur les frais d'instance :

12. En vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le tribunal ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge. Les conclusions présentées à ce titre par la société requérante doivent dès lors être rejetées.

13. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de condamner la société requérante à verser à la communauté d'agglomération Grenoble Alpes métropole et à la société JTS une somme de 2 000 euros chacun au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

O R D O N N E :

Article 1er : La requête de la société Averi TP est rejetée.

Article 2 : La société Averi TP versera à la communauté d'agglomération Grenoble Alpes métropole et à la société JTS, la somme de 2 000 euros chacune en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Averi TP, à la communauté d'agglomération Grenoble Alpes métropole et à la société J.T.S.

Fait à Grenoble, le 12 avril 2024.

La juge des référés,

A. Triolet

Le greffier,

S. Ribeaud

La République mande et ordonne au préfet de l'Isère en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.