TA Guadeloupe, 19/04/2023, n°2300318

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 17 mars 2023, la société Faitout, représentée par Maître Joël Sylvestre, demande au juge des référés statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de toute décision se rapportant à la procédure de passation du marché public référencée 23F-PERC-003, engagée par la commune de Gosier pour le " renouvellement des équipements vétustes de la cuisine centrale de la ville du Gosier " ;

2°) d'enjoindre au maire du Gosier de recommencer la procédure de passation à compter de l'examen des offres et d'ordonner sa réintégration ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Gosier la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La requérante soutient que :

- elle avait un intérêt à conclure le contrat en tant que candidate évincée et elle invoque des manquements aux obligations de mise en concurrence susceptibles de l'avoir lésée ;

- elle a été éliminée pour un motif inexistant qui a faussé le jeu de la concurrence dès lors que son représentant était présent le jour de la visite sur site obligatoire, à savoir le 6 février 2023 ;

- ce jour-là, elle a accompli une mission d'ordre technique et la visite obligatoire ;

- l'absence du cachet de l'entreprise ne pouvant justifier sa mise à l'écart ;

- enfin, le pouvoir adjudicateur qui lui a remis son attestation de visite, a régularisé sa situation conformément à l'article R.2152-2 du code de la commande publique.

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 avril 2023, la commune de Gosier, représentée par la Selarl Landot et associés, conclut au rejet de la requête et à ce que la société requérante lui verse la somme de 4 000 euros, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La commune fait valoir que :

- la procédure de passation qu'elle a menée est régulière et ne méconnait pas les principes de la commande publique ;

- il est de jurisprudence constante que la non-participation à une visite obligatoire rend l'offre irrégulière ;

- en outre, la société Faitout n'est pas susceptible d'avoir été lésée par le manquement allégué lié à la visite obligatoire.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné M. B en application de l'article 551-1 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience publique qui a eu lieu le 4 avril 2023.

Au cours de l'audience publique, à l'issue de laquelle la clôture de l'instruction a été prononcée, M. B, assisté de Mme Lubino, greffière d'audience, a lu son rapport et entendu :

- les observations de Maître Joël Sylvestre, pour la société Faitout ;

- les observations de Maître Marie Gouchon, en visio-audience, pour la commune du Gosier.

Une note en délibéré, enregistrée le 6 avril 2023, a été présentée par la commune du Gosier qui produit le témoignage de M. A, et communiquée.

Une note en délibéré produite par la société Faitout a été enregistrée le 13 avril 2023 et communiquée.

Les parties ont été informées que la clôture de l'instruction était fixée le mardi 18 avril 2023 à 18 heures.

Considérant ce qui suit :

1. Le maire de la commune de Gosier a lancé une procédure adaptée en vue de la passation d'un marché public ayant pour objet le " renouvellement des équipements vétustes de la cuisine centrale de la ville du Gosier ". La date limite de réception des offres a été fixée au 10 février 2023 à 12 h. La société Faitout a déposé une offre. Par une décision du 9 mars 2023, la commune du Gosier l'a informée que son offre avait été rejetée au motif qu'elle était irrégulière en raison de son absence à la visite sur site obligatoire. Le marché a été attribué à l'offre de la société Equip'Pro. Par la présente requête, la société Faitout demande au juge des référés, sur le fondement des dispositions de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de toute décision se rapportant à la procédure de passation et de recommencer la procédure de passation à compter de l'examen des offres et d'ordonner sa réintégration.

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. () / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat. ". Aux termes de l'article L. 551-2 du même code : " I.-Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations. () ".

3. Il appartient au juge administratif, saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l'administration. En vertu de cet article, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient, dès lors, au juge des référés précontractuels de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique concurrent.

Sur les conclusions présentées au titre des articles L. 551-1 et suivants du code de justice administrative :

4. D'une part, aux termes de l'article R. 2152-1 du code de la commande publique : " Dans les procédures adaptées sans négociation et les procédures d'appel d'offres, les offres irrégulières, inappropriées ou inacceptables sont éliminées. / Dans les autres procédures, les offres inappropriées sont éliminées. Les offres irrégulières ou inacceptables peuvent devenir régulières ou acceptables au cours de la négociation ou du dialogue, à condition qu'elles ne soient pas anormalement basses. Lorsque la négociation ou le dialogue a pris fin, les offres qui demeurent irrégulières ou inacceptables sont éliminées. ". Aux termes de l'article R. 2152-2 du même code : " Dans toutes les procédures, l'acheteur peut autoriser tous les soumissionnaires concernés à régulariser les offres irrégulières dans un délai approprié, à condition qu'elles ne soient pas anormalement basses. / La régularisation des offres irrégulières ne peut avoir pour effet d'en modifier des caractéristiques substantielles. ".

5. D'autre part, aux termes de l'article 5.2 du règlement de consultation : " Une visite sur site est obligatoire. L'offre d'un candidat qui n'a pas effectué cette visite sera déclarée irrégulière (). La visite obligatoire aura lieu le 6 février 2023 à 11h00 () Le jour de la visite, les candidats veilleront à se munir du cachet de leur entreprise pour la signature de l'attestation de visite ".

6. Il résulte de l'instruction que de la commune du Gosier a considéré que l'offre de la société Faitout était irrégulière et non régularisable, au motif qu'elle n'avait pas produit de certificat de visite datée du jour de la visite obligatoire mais du 9 février 2023 et que l'attestation jointe n'était pas revêtue du cachet de l'entreprise. Toutefois, l'article 5.2 du règlement de consultation ne précise pas que ledit certificat devait impérativement être établi le jour même. Or, il est constant que la société Faitout a produit un certificat daté et signé par un agent de la collectivité dont la rédaction ne laisse planer aucun doute sur l'accomplissement de cette formalité obligatoire. S'agissant de l'absence de cachet, il n'est pas contesté que l'agent de la commune n'a exprimé aucun doute sur l'identité du représentant de la société Faitout qui intervenait par ailleurs régulièrement sur le site au titre d'opérations de maintenance des installations existantes et il y a lieu de relever que la formalité est énoncée en des termes peu précis dans le règlement de la consultation.

7. Enfin, si dans ses dernières écritures, la commune produit un témoignage de l'agent ayant signé l'attestation délivrée à la société requérante le 9 février dernier, contredisant le contenu de celle-ci, ce revirement, postérieur à la tenue de l'audience, ne peut être regardé comme ayant une valeur probante supérieure à celle de l'attestation délivrée le 9 février 2023.

8. Dans ces circonstances très particulières, qui révèlent en tout état de cause des irrégularités de la commune dans la conduite de la consultation litigieuse, et en dépit des doutes résiduels sur la tenue de la visite que l'urgence à statuer ne permet pas de lever, il y a lieu de considérer que les conséquences négatives du rejet de l'examen de l'offre de la société requérante l'emportent sur les avantages découlant de son examen par la commune du Gosier.

9. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de suspendre la décision du 9 mars 2023 par laquelle de la commune du Gosier a informé la société Faitout du rejet de son offre et d'enjoindre à la commune du Gosier, si elle entend toujours attribuer ledit marché, de reprendre la procédure au stade de l'examen des offres en intégrant celle de la société Faitout.

Sur les frais liés au litige :

10. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".

11. Ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de la société Faitout, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, les frais exposés par de la commune du Gosier et non compris dans les dépens.

12. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la commune du Gosier, une somme de 1 500 euros, au titre des frais exposés par la société Faitout et non compris dans les dépens.

ORDONNE :

Article 1er : La décision du 9 mars 2023 informant la société Faitout du rejet de son offre est suspendue.

Article 2 : Il est enjoint à la commune du Gosier, si elle entend toujours attribuer le marché, de reprendre la procédure au stade de l'examen des offres en intégrant celle de la société Faitout.

Article 3 : La commune du Gosier versera à la société Faitout la somme de 1 500 (mille cinq cents) euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Faitout, à la commune du Gosier et à la société Equip'pro.

Copie en sera en outre adressée au Procureur de la République près le tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre.

Fait à Basse-Terre, le 19 avril 2023.

Le juge des référés,

Signé :

O. B.

La greffière,

Signé :

L. Lubino La République mande et ordonne au préfet de la Guadeloupe en ce qui le concerne ou à tous commissaires à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

Pour expédition conforme,

L'adjointe de la greffière en chef,

Signé :

A. Cétol