TA Lille, 23/04/2024, n°2401856


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 20 février 2024, la société Sapian demande au juge des référés, statuant sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'annuler la décision du 14 février 2024 par laquelle le centre régional des œuvres universitaires et scolaires de Lille a rejeté son offre pour l'attribution des lots nos 1, 2 et 3 du marché ayant pour objet le contrôle, la fourniture et la maintenance des équipements de lutte contre l'incendie.

Elle soutient que le motif pour lequel son offre a été rejetée, tiré de ce que son bordereau de prix unitaires comporte des lignes non renseignées, est erroné, dès lors :

- d'une part, s'agissant de la ligne correspondant, pour les deux colonnes relatives respectivement aux extincteurs NC2 et NC5, au " forfait global unitaire de la maintenance quinquennale selon les annexes B et C de la NF S61-919 ", que cette ligne n'avait pas à être renseignée, cette maintenance ne pouvant être réalisée sur les équipements en cause ;

- et, d'autre part, s'agissant de la ligne correspondant, pour les colonnes relatives respectivement à l'extinction automatique des feux de cuisine pour 5 à 8 buses et celle des feux de cuisine pour 8 buses et plus, au " forfait unitaire de maintenance annuelle selon la norme NF EN 16282-7 + A1 ", que cette ligne n'avait pas, non plus, à être renseignée dès lors que les sites ne sont pas équipés de systèmes de plus de 4 buses.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 mars 2024, le centre régional des œuvres universitaires et scolaires de Lille, représenté par Me Deregnaucourt, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge de la société Sapian au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir :

- à titre principal, que la requête est irrecevable, la société Sapian n'ayant pas intérêt à agir, son offre étant irrégulière et cette société ayant pas été susceptible d'être lésée par le manquement invoqué ; en tout état de cause, indépendamment de l'irrégularité de son offre, cette société n'aurait pas été déclaré attributaire des lots en cause, son offre ayant été classée 3ème ;

- à titre subsidiaire, que le moyen soulevé est irrecevable dès lors qu'il n'appartient pas au juge du référé précontractuel, qui doit seulement se prononcer sur le respect, par le pouvoir adjudicateur, des obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation d'un contrat, de se prononcer sur l'appréciation portée sur la valeur d'une offre ou les mérites respectifs des différentes offres ;

- à titre encore plus subsidiaire, que l'incomplétude du bordereau de prix unitaires justifiait le rejet de l'offre comme irrégulière.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 mars 2024, la société Eurofeu Services conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que l'offre de la société Sapian a, à bon droit, été écartée comme irrégulière dès lors que son bordereau de prix unitaires était incomplet.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné M. Robbe, vice-président, pour statuer sur les demandes de référé.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique qui s'est tenue le 6 mars 2024 à 14h30, en présence de M. Potet, greffier, M. Robbe, juge des référés, a lu son rapport et entendu :

- M. A et M. B, représentant la société Sapian ;

- et Me Leuliet, substituant Me Deregnaucourt, représentant le CROUS de Lille.

La société Eurofeu Services n'était pas représentée.

Les parties ont été informées, par une lettre du 12 mars 2024, que la clôture de l'instruction était différée au 14 mars 2024 à 16h00.

Par un nouveau mémoire, enregistré le 12 mars 2024, le société Sapian maintient ses précédentes écritures et observations et ajoute que la prestation pour laquelle le prix n'a pas été renseigné dans le bordereau de prix unitaires n'est pas réalisable, conformément à la norme NF S61-919.

Par un nouveau mémoire, enregistré le 13 mars 2024, le centre régional des œuvres universitaires et scolaires de Lille, représenté par Me Deregnaucourt, maintient ses précédentes écritures et observations et ajoute que les autres candidats ont, sur leur bordereau de prix unitaires, renseigné la ligne " forfait global unitaire de la maintenance quinquennale ".

Considérant ce qui suit :

1. Le centre régional des œuvres universitaires et scolaires (CROUS) de Lille a lancé une consultation pour l'attribution d'un appel d'offres ayant pour objet le contrôle, la fourniture et la maintenance des équipements de lutte contre l'incendie, faisant l'objet d'un allotissement géographique. La société Sapian, dont l'offre pour l'attribution des lots nos 1, 2 et 3 a été rejetée au profit de la société Eurofeu Services, demande au juge des référés, statuant sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'annuler la décision du 14 février 2024 par laquelle le centre régional des œuvres universitaires et scolaires de Lille a rejeté son offre.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique () ". Aux termes du I de l'article L. 551-2 du même code : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations ".

3. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient au juge du référé précontractuel de se prononcer sur les manquements aux règles de publicité et de mise en concurrence incombant à l'acheteur, invoqués à l'occasion de la passation d'un contrat. En vertu de ces mêmes dispositions, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements de l'acheteur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient dès lors au juge du référé précontractuel de rechercher si l'entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente.

4. D'une part, aux termes de l'article L. 2152-1 du code de la commande publique : " L'acheteur écarte les offres irrégulières, inacceptables ou inappropriées ". L'article L. 2152-2 du même code précise qu'une offre irrégulière est " une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu'elle est incomplète () ".

5. D'autre part, aux termes de l'article L. 2152-7 du code de la commande publique : " Le marché est attribué au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l'offre économiquement la plus avantageuse sur la base du critère du prix ou du coût. L'offre économiquement la plus avantageuse peut également être déterminée sur le fondement d'une pluralité de critères non discriminatoires et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution, parmi lesquels figure le critère du prix ou du coût et un ou plusieurs autres critères comprenant des aspects qualitatifs, environnementaux ou sociaux. Les modalités d'application du présent alinéa sont prévues par voie réglementaire. / Les offres sont appréciées lot par lot, sauf lorsque les entités adjudicatrices ont autorisé les opérateurs économiques à présenter des offres variables selon le nombre de lots susceptibles d'être obtenus en application du second alinéa de l'article L. 2151-1. / Le lien avec l'objet du marché ou ses conditions d'exécution s'apprécie conformément aux articles L. 2112-2 à L. 2112-4 ". Il résulte de ces dispositions qu'il appartient au pouvoir adjudicateur de déterminer l'offre économiquement la plus avantageuse en se fondant sur des critères permettant d'apprécier la performance globale des offres au regard de ses besoins. Ces critères doivent être liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution, être définis avec suffisamment de précision pour ne pas laisser une marge de choix indéterminée et ne pas créer de rupture d'égalité entre les candidats.

6. L'offre de la société Sapian a été écartée comme irrégulière au motif que le bordereau de prix unitaires (BPU) fourni comporte des lignes non renseignées. Il résulte de l'instruction que, pour les extincteurs NC2 et NC5, la ligne " forfait global unitaire de maintenance quinquennale selon les annexes B et C de la NF S61-919 " de ce BPU comporte la mention " non concerné ". La société Sapian soutient qu'elle ne pouvait renseigner cette ligne dès lors que la prestation correspondante n'est pas réalisable, conformément à la norme NF S61-919. A l'appui de ce moyen, elle se borne à produire le tableau A1 de cette norme, relatif aux intervalles maximaux de maintenance et de durée de vie utile prévue, qui ne fixe aucune durée de maintenance pour les extincteurs au CO2. Cependant, cette norme NF S61-919 ayant pour objet de fixer les directives relatives au contrôle, à l'entretien et à la révision en atelier des extincteurs portatifs, soit des règles minimales de conformité, sans que celles-ci puissent être regardées comme les seules susceptibles d'être imposées dans le cadre de l'attribution d'un marché ayant pour objet, comme en l'espèce, le contrôle, la fourniture et la maintenance des équipements de lutte contre l'incendie, la seule circonstance que le tableau A1 de cette norme ne fixe aucune durée de maintenance pour les extincteurs au CO2 n'établit pas l'impossibilité de réaliser cette prestation, ni même, d'ailleurs, son inutilité. En se bornant à faire état de cette impossibilité, qu'elle n'établit pas, la société ne soutient pas sérieusement que le critère du prix, en tant qu'il se rapporte à la prestation en cause, serait discriminatoire ou qu'il ne serait pas lié à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution. Ainsi, le BPU joint à l'offre de la société Sapian étant incomplet, cette offre était, pour ce seul motif, elle-même incomplète. Cette offre a donc régulièrement été écartée comme irrégulière, sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 2152-1 du code de la commande publique, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'incomplétude du BPU au regard de l'absence de renseignement de la ligne correspondant, pour les colonnes relatives respectivement à l'extinction automatique des feux de cuisine pour 5 à 8 buses et celle des feux de cuisine pour 8 buses et plus, au " forfait unitaire de maintenance annuelle selon la norme NF EN 16282-7 + A1 ".

7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir soulevée par le CROUS de Lille, que les conclusions présentées par la société Sapian au titre de l'article L. 551-1 doivent être rejetées.

Sur les frais du litige :

8. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par le CROUS de Lille sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

Article 1er : La requête de la société Sapian est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par le centre régional des œuvres universitaires et scolaires de Lille sur le fondement des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Sapian, au centre régional des œuvres universitaires et scolaires de Lille, et à la société Eurofeu Services.

Fait à Lille, le 23 avril 2024.

Le juge des référés,

Signé

J. ROBBE

La République mande et ordonne au préfet du Nord en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

Pour expédition conforme,

Le greffier,