TA Lyon, 15/04/2024, n°2403160


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 2 avril 2024 la société Lacroix City Saint-Herblain, représentée par Me Letellier, demande au juge des référés, statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

1°) d'annuler, au stade de l'analyse des offres, la procédure engagée par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires (direction interdépartementale des routes Centre-Est) pour la passation d'accords-cadres à bons de commande pour quatorze lots géographiques ayant pour objet la fourniture et la pose éventuelle de signalisation verticale et la fourniture de produits plastiques, y compris la décision du 25 mars 2024 rejetant ses offres comme irrégulières ;

2°) d'enjoindre au directeur interdépartemental des routes Centre-Est, si l'État entend poursuivre les procédures, de reprendre l'analyse des offres en y réintégrant celles qu'elle a déposées ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre des frais du litige.

Elle soutient que :

- ses offres ne pouvaient être écartées comme irrégulières sur le fondement de l'article 3-2 du règlement de la consultation dès lors que cette clause, formulée de manière ambiguë, est incohérente et porte atteinte à la liberté des prix et à la liberté d'accès à la commande publique en ce qu'elle impose aux candidats de détenir un catalogue formalisé et a pour effet d'écarter l'offre économiquement la plus avantageuse ;

- la contrainte imposée par cet article est inutile, de sorte que sa méconnaissance n'empêchait pas de procéder à l'analyse de ses offres.

La société Lacroix City Saint-Herblain a produit au titre des pièces de sa candidature à l'accord-cadre portant sur le lot n° 1, le bordereau des prix, le document financier et l'acte d'engagement complétés, le catalogue remis et le document financier régularisé ainsi que, sur le fondement de l'article R. 412-2-1 du code de justice administrative, un mémoire distinct demandant que ces pièces soient soustraites au contradictoire.

Par un mémoire en défense enregistré le 10 avril 2024 la préfète de la région Auvergne-Rhône-Alpes, représentée par Me Lambert, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la société Lacroix City Saint-Herblain au titre des frais du litige.

Elle fait valoir que :

- les stipulations de l'article 3-2 du règlement de la consultation sont dépourvues d'ambiguïté et d'incohérence ;

- la liberté des prix n'est pas méconnue ;

- les besoins de l'acheteur sont précisément définis et le renvoi au catalogue du fournisseur ne concerne que des matériels de signalisation ne figurant pas dans le bordereau de prix unitaires ;

- le document financier n'est pas rempli de manière artificielle dans la mesure où la logique consiste à renseigner en premier lieu ce document puis à reporter à l'acte d'engagement pour les matériels de signalisation qui ne sont pas listés dans le bordereau de prix unitaires le rabais qui y a été formé et défini ;

- le moyen tiré de l'inutilité de ce montage relatif au rabais commun, qui a pour objectif de protéger les intérêts de l'acheteur, est inopérant.

Par un mémoire en défense enregistré le 11 avril 2024 les sociétés Signature et Sodilor, représentées par Me Hourcabie, concluent au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société Lacroix City Saint-Herblain au titre des frais du litige.

Elles font valoir que :

- les offres de la société Lacroix City Saint-Herblain étaient irrégulières ;

- les stipulations de l'article 3-2 du règlement de la consultation sont limpides et la société Lacroix City Saint-Herblain n'a pas demandé d'explications ;

- la mention des prix du catalogue et des prix unitaires remisés dans le document financier, qui permet un calcul automatique du taux moyen de remise des fournitures, n'est pas inutile ;

- la liberté des prix n'est pas méconnue.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de commerce ;

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative ;

La présidente du tribunal ayant désigné Mme Michel, vice-présidente, pour statuer sur les demandes en référé ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Lors de l'audience publique, Mme Michel a donné lecture de son rapport et entendu les observations de Me Letellier pour la société Lacroix City Saint-Herblain, de Me Lambert pour la préfète de la région Auvergne-Rhône-Alpes et de Me Hourcabie pour les sociétés Signature et Sodilor ;

A l'issue de laquelle la juge des référés a clos l'instruction.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d'appel public à concurrence publié les 23 et 25 octobre 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires (direction interdépartementale des routes Centre-Est) a engagé une procédure d'appel d'offres ouvert en vue de l'attribution d'accords-cadres à bons de commande pour quatorze lots géographiques ayant pour objet la fourniture et la pose éventuelle de signalisation verticale et la fourniture de produits plastiques. Les lots n°s 1, 3, 5,7, 9, 11 et 13 ont été attribués à la société Signature et les autres lots à la société Sodilor. La société Lacroix City Saint-Herblain, qui a été informée par un courrier du 8 mars 2024 du rejet de ses offres comme irrégulières pour l'ensemble des lots, demande au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'annuler cette procédure, y compris la décision rejetant ses offres.

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. / () / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ".

3. Aux termes de l'article L. 2152-1 du code de la commande publique : " L'acheteur écarte les offres irrégulières, inacceptables ou inappropriées. ". L'article L. 2152-2 du même code précise qu'une offre irrégulière est : " une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale. ".

4. Un pouvoir adjudicateur ne peut attribuer un marché à un candidat qui ne respecterait pas une des prescriptions imposées par le règlement de la consultation, sauf si cette exigence se révèle manifestement dépourvue de toute utilité pour l'examen des candidatures ou des offres.

5. D'une part, l'article 3-2 du règlement de la consultation demande aux candidats de remettre dans leur dossier une pièce non contractuelle, le document financier, destiné au jugement de l'offre, dans lequel ils doivent compléter, pour les matériels de signalisation qui ne figurent pas dans le bordereau de prix unitaires, les correspondances de leur catalogue avec le numéro de page et la référence, le prix du catalogue et le prix unitaire remisé. Le règlement de la consultation précise que le taux moyen de remise des fournitures indiqué en fin de document financier doit être strictement identique à celui indiqué dans l'acte d'engagement à l'article 2-1, relatif à la détermination des prix, sans quoi l'offre sera considérée comme irrégulière. Selon cet article 2-1, les prestations sont rémunérées par application, aux quantités réalisées, des prix du bordereau de prix du lot du marché. Les prix de fournitures ne figurant pas dans le bordereau de prix mais présents dans le catalogue du fournisseur, qui pourraient être ajoutés en prix nouveaux au marché, seront déterminés par application des prix du tarif de référence, constitué par le catalogue du fournisseur, affectés d'une remise au taux sur lequel le prestataire s'engage.

6. Il résulte de l'instruction que la société Lacroix-City Saint-Herblain a été invitée le 9 janvier 2024 par la direction interdépartementale des routes Centre-Est à régulariser ses offres en raison d'une incohérence entre les prix constatés dans les catalogues fournis et les valeurs renseignées dans la colonne du document financier de ses offres relative aux prix des catalogues. Si les valeurs modifiées le 17 janvier 2024 par la société, après la demande de régularisation, correspondent aux prix des catalogues fournis, les taux moyens de remise en fin des documents financiers ont été portés à environ 80 %, alors que les taux de remise saisis dans l'article 2-1 des actes d'engagement est de 50 %. Ses offres ne sont donc pas conformes aux prescriptions du règlement de la consultation qui imposent, en termes dépourvus d'ambigüité, non une similitude comme le soutient la société Lacroix City Saint-Herblain, mais une identité entre le taux moyen de remise visé à l'article 2.1 de l'acte d'engagement et le taux moyen de remise renseigné dans le document financier. Cette exigence n'est ni incohérente ni manifestement inutile en ce qu'elle permet à l'acheteur de s'assurer que les candidats adopteront lors de l'élaboration de leur offre une stratégie commerciale tenant compte d'un taux unique de rabais sur catalogue sur les prix du bordereau des prix unitaires et sur des prix non connus à la date de la consultation. Par ailleurs, elle ne porte pas par elle-même atteinte aux principes de liberté des prix et de libre accès à la commande publique, dès lors que les prix unitaires remisés, seuls pris en compte pour l'évaluation des offres, sont librement déterminés par les candidats et qu'aucun principe n'interdit à l'acheteur d'imposer aux candidats de détenir un catalogue de fournisseurs. Il s'ensuit que la direction interdépartementale des routes Centre-Est devait écarter les offres de la société Lacroix-City Saint-Herblain comme irrégulières.

7. Il résulte de ce qui précède que la société Lacroix City Saint-Herblain n'est pas fondée à demander l'annulation de la procédure de passation contestée au stade de l'analyse des offres. Sa requête doit être rejetée, en toutes ses conclusions. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à sa charge d'une part la somme de 1 400 euros à verser à l'Etat et d'autre part la somme globale du même montant aux sociétés Signature et Sodilor au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

ORDONNE :

Article 1er : La requête de la société Lacroix City Saint-Herblain est rejetée.

Article 2 : La société Lacroix City Saint-Herblain versera la somme de 1 400 euros à l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La société Lacroix City Saint-Herblain versera la somme globale de 1 400 euros aux sociétés Signature et Sodilor au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée aux sociétés Lacroix City Saint-Herblain, Signature et Sodilor et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée à la préfète de la région Auvergne-Rhône-Alpes.

Fait à Lyon, le 15 avril 2024.

La juge des référés,

C. Michel

La greffière,

S. Hosni

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

Un greffier