TA Lyon, 18/01/2024, n°2207836


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 20 octobre 2022, la société Playtime agence d'architecture, représentée par Me Tetreau, demande au tribunal :

1°) d'annuler le titre exécutoire émis à son encontre le 15 septembre 2022 par la commune de Brignais pour le paiement de la somme de 23 180,74 euros correspondant à l'indemnisation du désordre thermique affectant le bâtiment accueillant son relais d'assistants maternels ;

2°) de condamner la société CETEB Ingénierie Ingénium à la garantir de l'ensemble des sommes qu'elle serait tenue de verser à la commune de Brignais au titre de ce désordre ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Brignais une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le titre exécutoire est irrégulier en l'absence de production du bordereau dûment signé par la personne dont l'identité y est mentionnée ;

- il l'est également en ce qu'il n'a pas été précédé d'une délibération du conseil municipal autorisant son émission par le maire ;

- il l'est aussi en ce qu'il n'a pas été émis par le maire mais par une conseillère déléguée au budget ;

- le tribunal aurait dû être saisi préalablement à l'émission du titre exécutoire ;

- l'absence d'envoi du décompte général faisait obstacle à son émission ;

- la créance n'est pas exigible faute de désordres de nature à rendre l'ouvrage impropre à sa destination ;

- elle est fondée à demander à être garantie par la société CETEB Ingénierie Ingénium, bureau d'études des fluides, qui n'a pas décelé les défauts de conception.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 octobre 2023, la commune de Brignais conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la société Playtime agence d'architecture au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par la société Playtime agence d'architecture ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Reniez,

- les conclusions de M. Reymond-Kellal, rapporteur public,

- et les observations de Me Guyenard, représentant la société Playtime agence d'architecture, et de Me Tetu, représentant la commune de Brignais.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Brignais a décidé en 2007 de faire construire un bâtiment pour accueillir un relais d'assistants maternels. La maîtrise d'œuvre de l'opération a été confiée à un groupement composé notamment de la société Playtime agence d'architecture, mandataire, et de la société CETEB Ingénierie Ingénium, bureau d'études des fluides. La commune et les usagers ont constaté après la réception des travaux prononcée le 30 juillet 2009 que les températures à l'intérieur du bâtiment étaient élevées au printemps et en été. A sa demande, un expert judiciaire a été désigné par une ordonnance du 2 décembre 2013 du juge des référés du tribunal. Au vu du rapport d'expertise, la commune a émis le 15 septembre 2022 un titre exécutoire à l'encontre de la société Playtime agence d'architecture pour le paiement de la somme de 23 180,74 euros correspondant à l'indemnisation du désordre thermique affectant son relais d'assistants maternels. La société Playtime agence d'architecture demande l'annulation de ce titre exécutoire et la condamnation de la société CETEB Ingénierie Ingénium de la garantir des sommes qui seraient mises à sa charge au titre du désordre thermique .

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales : " () / 4° Quelle que soit sa forme, une ampliation du titre de recettes individuel ou de l'extrait du titre de recettes collectif est adressée au redevable. L'envoi sous pli simple ou par voie électronique au redevable de cette ampliation à l'adresse qu'il a lui-même fait connaître à la collectivité territoriale, à l'établissement public local ou au comptable public vaut notification de ladite ampliation. / En application des articles L. 111-2 et L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration, le titre de recettes individuel ou l'extrait du titre de recettes collectif mentionne les nom, prénoms et qualité de la personne qui l'a émis ainsi que les voies et délais de recours. / Seul le bordereau de titres de recettes est signé pour être produit en cas de contestation. / (). ".

3. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci. ".

4. Il résulte des dispositions cités au point 2, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures d'où les deux derniers alinéas sont issus, d'une part, que le titre de recettes individuel ou l'extrait du titre de recettes collectif doivent mentionner les noms, prénoms et qualité de l'auteur de cette décision, au sens des dispositions citées au point 3, de même, par voie de conséquence, que l'ampliation adressée au redevable, et d'autre part, qu'il appartient à l'autorité administrative de justifier en cas de contestation que le bordereau de titre de recettes comporte la signature de cet auteur. Lorsque le bordereau est signé non par l'ordonnateur lui-même mais par une personne ayant reçu de lui une délégation de compétence ou de signature, ce sont, dès lors, les noms, prénoms et qualité de cette personne qui doivent être mentionnés sur le titre de recettes individuel ou l'extrait du titre de recettes collectif, de même que sur l'ampliation adressée au redevable.

5. Il résulte de l'instruction que le bordereau du titre exécutoire a été signé électroniquement par Mme Béatrice Dhennin, conseillère déléguée de la commune de Brignais qui avait reçu une délégation à cet effet par arrêté du 2 août 2022 et dont l'identité figure également sur le titre exécutoire. Le moyen tiré de l'absence de signature du bordereau de titre par la personne dont l'identité y est mentionnée doit par suite être écarté.

6. En deuxième lieu, il ne résulte d'aucune disposition que le conseil municipal devait autoriser le maire à émettre le titre exécutoire attaqué et que le maire ne pourrait pas accorder une délégation de signature pour émettre des titres exécutoires.

7. En troisième lieu, en vertu de l'article R. 2342-4 du code général des collectivités territoriales, un maire peut légalement prendre une décision exécutoire en vue du recouvrement d'une créance réclamée à une société et résultant des dépenses exposées en raison des réparations exigées par l'état d'un ouvrage réalisé par cette société et dont elle est responsable au titre de la garantie décennale. Le moyen tiré de ce que le tribunal aurait dû être saisi préalablement à l'émission du titre exécutoire doit dès lors être écarté.

8. En quatrième, l'absence d'envoi d'un décompte général définitif ne fait pas obstacle à la mise en œuvre de la garantie décennale.

9. En cinquième lieu, il résulte des principes qui régissent la responsabilité décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d'ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables.

10. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que des enregistrements de température effectués par la société Sogest à la demande de la commune de Brignais dans le bâtiment du relais d'assistants maternels, qui accueille de très jeunes enfants, montrent des fluctuations importantes avec des maximums supérieurs à 40°C au mois d'août 2011. Il résulte également de relevés de températures produits par la commune de Brignais que pendant la même période, la température a atteint ponctuellement un peu plus de 35°C dans la salle principale du bâtiment et à plusieurs reprises plus de 40°C dans les ateliers accueillant les enfants. Ainsi que le fait valoir la commune, s'il a pu être remédié à la surchauffe par la mise en place de climatiseurs, cet élément n'a pas à être pris en compte. Compte tenu des températures relevées et de l'âge du public accueilli, la commune de Brignais est fondée à soutenir que l'ouvrage est impropre à sa destination.

11. La société Playtime agence d'architecture était en charge de la conception du bâtiment. Le désordre, causé notamment par le dysfonctionnement de la ventilation mécanique contrôlée (VMC) et la taille des entrées d'air dans les menuiseries extérieures, lui est imputable. La commune de Brignais était par suite fondée à rechercher sa responsabilité décennale.

12. Le titre émis d'un montant de 23 180,74 euros correspond d'une part au coût non contesté de 2 000 euros des travaux de reprise préconisés par l'expert. La commune de Brignais était donc fondée à demander cette somme à la société Playtime agence d'architecture. Il met d'autre part à la charge de la société les sommes de 18 776,55 euros HT et de 2 404,19 euros TTC pour le remboursement des travaux d'installation de la climatisation et sa maintenance de 2014 à 2018. Toutefois l'installation d'une climatisation, que la commune avait fait le choix de ne pas retenir, apporte une plus-value à l'ouvrage, alors même qu'elle est un moyen de remédier au désordre. La commune ne pouvait donc mettre en recouvrement le coût de ces travaux, ni celui de la maintenance.

13. Il résulte de ce qui précède que la société Playtime agence d'architecture est fondée à demander l'annulation du titre exécutoire attaqué en tant qu'il excède la somme de 2 000 euros.

Sur les dépens :

14. Dès lors que l'expertise n'a pas porté uniquement sur le désordre thermique, les frais et honoraires de l'expert, taxés et liquidés par une ordonnance du 2 février 2018 à la somme de 15 749,04 euros, doivent être mis à la charge pour moitié de la société Playtime agence d'architecture et laissés pour moitié à la charge de la commune de Brignais.

Sur l'appel en garantie :

15. La société Playtime agence d'architecture est fondée à appeler en garantie la société CETEB Ingénierie Ingénium à laquelle les désordres en lien avec un manque de renouvellement de l'air sont en partie imputables. Les deux sociétés ont commis des fautes tenant au mauvais fonctionnement de la VMC avec une insuffisance des entrées d'air et à l'absence de ventilation naturelle ou de climatisation. Compte tenu du tableau de répartition des missions et de la gravité de leurs fautes respectives, il sera fait une juste appréciation en fixant la part de responsabilité de chacune d'elles à hauteur de 50 %.

Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :

16. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge d'une des parties une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : Le titre exécutoire émis à l'encontre de la société Playtime agence d'architecture est annulé en tant qu'il excède la somme de 2 000 euros.

Article 2 : La somme de 7 874,52 euros, correspondant à la moitié des frais d'expertise, est mise à la charge de la société Playtime agence d'architecture. L'autre moitié est laissée à la charge de la commune de Brignais.

Article 3 : La société CETEB Ingénierie Ingénium est condamnée à garantir la société Playtime agence d'architecture à hauteur de 50 % des sommes de 2 000 euros et de 7 894,52 euros.

Article 4 : Les conclusions des parties sont rejetées pour le surplus.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à la société Playtime agence d'architecture, à la commune de Brignais et à la société CETEB Ingénierie Ingénium.

Copie en sera adressée à la trésorerie d'Oullins et à M. A, expert.

Délibéré après l'audience du 20 décembre 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Michel, présidente,

Mme Lacroix, première conseillère,

Mme Reniez, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 janvier 2024.

La rapporteure,La présidente,

E. ReniezC. Michel

La greffière,

K. Schult

La République mande et ordonne à la préfète du Rhône en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

Un greffier,