TA Martinique, 16/06/2023, n°2300323

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 7 et 9 juin 2023, la commune de Sainte-Anne, représentée par Me Yang-Ting Ho, demande à la juge des référés :

1°) d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, l'expulsion de la société FGT, qui occupe sans droit ni titre la parcelle communale cadastrée section E n° 114, ainsi que la remise en état des lieux, à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

2°) de mettre les dépens à la charge de la société FGT ;

3°) de mettre à la charge de la société FGT la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa requête est recevable, dès lors que la société FGT occupe sans droit ni titre la parcelle E 114, qui est une dépendance de son domaine public communal ;

- la condition d'urgence est satisfaite, dans la mesure où cette parcelle fait l'objet d'un projet d'extension du camping municipal, qui a été adopté par délibération du conseil municipal du 10 août 2022, et dont le permis d'aménager a été déposé et les sociétés attributaires du marché public de travaux désignées ; par ailleurs, la parcelle doit être libérée afin de respecter le calendrier d'exécution des travaux ainsi que les termes de la convention attributive de la subvention publique accordée pour ce projet, qui délimite la période d'éligibilité des dépenses de l'opération jusqu'au 31 décembre 2023 ;

- l'utilité de la mesure d'expulsion sollicitée est démontrée, dès lors que l'occupation sans droit ni titre de la parcelle par la société FGT, depuis l'expiration de la convention d'occupation temporaire du domaine public, fait obstacle à la réalisation d'un projet d'aménagement d'intérêt général ; en outre, l'occupante irrégulière, qui fait preuve de résistance abusive en refusant de quitter les lieux, méconnaît les termes de la convention d'occupation temporaire du domaine public, dans la mesure où elle refuse de communiquer ses documents comptables, nécessaires à la révision de la redevance d'occupation domaniale, elle occupe une surface du terrain largement supérieure à la superficie de 1 500 m2 initialement accordée, et elle a méconnu le caractère intuitu personae de la convention par la modification de ses statuts sans l'en avoir informée ; enfin, la société utilise, sans son accord, de manière privative et continue, les toilettes publiques en l'absence de toute contrepartie ;

- la mesure sollicitée ne fait obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative, dans la mesure où la convention d'occupation temporaire du domaine public est arrivée à échéance le 1er octobre 2022, tandis que le maire s'est expressément opposé à son renouvellement, la société FGT ayant ainsi la qualité d'occupante sans droit ni titre du domaine public.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 juin 2023, la société FGT, représentée par Me Chalvin, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la commune de Sainte-Anne sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par la commune de Sainte-Anne ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code de justice administrative.

En application de l'article L. 511-2 du code de justice administrative, la présidente du tribunal a désigné Mme Monnier-Besombes, conseillère, pour statuer sur les demandes de référé.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique du 16 juin 2023, tenue en présence de M. Minin, greffier d'audience, Mme Monnier-Besombes, juge des référés, a lu son rapport et entendu :

- les observations de Me Yang-Ting Ho, représentant la commune de Sainte-Anne, qui conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens que dans la requête ;

- et les observations de Me Chalvin, représentant la société FGT.

La juge des référés a prononcé la clôture de l'instruction à l'issue de l'audience, à 9h50.

Considérant ce qui suit :

1. Le 2 juillet 2013, la commune de Sainte-Anne a conclu avec la société FGT une convention d'occupation temporaire du domaine public, autorisant cette dernière à occuper un emplacement de 1 500 m2 situé dans l'enceinte du camping municipal de la Pointe-Marin, sur la parcelle communale cadastrée section E n° 114. Cette convention a été conclue pour une durée de 9 ans, à compter du 1er octobre 2013, afin de permettre à la société FGT de réaliser des activités de location de caravanes, chalets créoles et bungalows, d'organisation d'évènements, de gestion d'une épicerie et d'un restaurant. Par des courriers en date du 7 juin 2021 et du 15 mai 2022, le maire de Sainte-Anne a informé la société FGT du non-renouvellement de cette convention et de la nécessité de libérer les lieux au plus tard le 1er octobre 2022. Par la présente requête, la commune de Sainte-Anne demande à la juge des référés, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, d'ordonner l'expulsion de la société FGT de la parcelle E 114 ainsi que la remise en état des lieux.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative :

2. Aux termes de l'article L. 521-3 du code de justice administrative : " En cas d'urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l'absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative ". Lorsque le juge des référés est saisi, sur le fondement de ces dispositions, d'une demande d'expulsion d'un occupant du domaine public, il lui appartient de rechercher si, au jour où il statue, cette demande présente un caractère d'urgence et d'utilité et ne se heurte à aucune contestation sérieuse. S'agissant de cette dernière condition, dans le cas où la demande fait suite à la décision du gestionnaire du domaine de retirer ou de refuser de renouveler le titre dont bénéficiait l'occupant et où, alors que cette décision exécutoire n'est pas devenue définitive, l'occupant en conteste la validité, le juge des référés doit rechercher si, compte tenu, tant de la nature que du bien-fondé des moyens ainsi soulevés à l'encontre de cette décision, la demande d'expulsion doit être regardée comme se heurtant à une contestation sérieuse.

3. Pour s'opposer à la demande de la commune de Sainte-Anne, la société FGT soutient, d'une part, que le projet d'extension du camping municipal sur la parcelle E 114 porte atteinte à sa liberté du commerce et de l'industrie et à sa liberté de concurrence, en l'absence de carence de l'initiative privée dans le domaine de l'hébergement et, d'autre part, qu'elle serait titulaire d'une nouvelle autorisation d'occupation du domaine public obtenue par tacite reconduction de la convention, dans la mesure où le maire de Sainte-Anne doit être regardé comme ayant résilié la convention sans cause réelle et sérieuse, faute de justifier d'un motif d'intérêt général. Toutefois, il résulte de l'instruction que la convention d'occupation temporaire du domaine public, conclue pour une durée de 9 ans, à compter du 1er octobre 2013, est arrivée à son terme le 1er octobre 2022, dès lors que le maire de Sainte-Anne a informé la société FGT, par courriers du 7 juin 2021 et du 15 mai 2022, du non-renouvellement de cette convention, compte tenu du projet de réaménagement de l'espace qu'elle occupe, tandis que le délai de six mois accordé à l'intéressée pour organiser son départ est expiré. Par suite, la société FGT, qui n'a au demeurant pas introduit de recours contentieux contre la décision du maire de Sainte-Anne refusant de renouveler l'autorisation domaniale arrivée à échéance, ne peut utilement se prévaloir d'une résiliation de cette convention sans motif d'intérêt général. Dans ces conditions, en l'état de l'instruction, les moyens invoqués par la société FGT, qui ne pouvait ignorer qu'elle ne disposait que d'une autorisation domaniale consentie à titre temporaire, précaire et révocable, ne peuvent être regardés comme soulevant, dans les circonstances de l'espèce, une contestation sérieuse de la mesure d'expulsion demandée par la commune de Sainte-Anne.

4. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que la commune de Sainte-Anne a pour projet d'étendre le camping municipal de la Pointe-Marin sur la parcelle communale E 114. A ce titre, la commune, qui a adopté ce projet par délibération du 11 août 2022, a déposé un dossier de permis d'aménager le 27 avril 2023. Elle a également procédé à la désignation des sociétés attributaires des marchés publics de travaux d'extension du camping municipal, et élaboré le calendrier d'exécution des travaux, lesquels doivent débuter à très brève échéance. Elle bénéficie, enfin, de l'octroi de subventions publiques conséquentes pour ce projet, dont la période d'éligibilité des dépenses de l'opération s'étend jusqu'au 31 décembre 2023. Dans ces conditions, la commune de Sainte-Anne justifie d'un projet d'aménagement d'intérêt général, qui est, contrairement aux allégations de la société FGT, à un stade particulièrement avancé, et dont l'exécution est retardée par la présence de la société FGT, qui occupe la parcelle E 114 sans droit ni titre. Il s'ensuit que les conditions tenant à l'urgence et à l'utilité de la mesure d'expulsion sont réunies.

5. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'enjoindre à la société FGT ainsi qu'à tous occupants de son chef de libérer sans délai la parcelle cadastrée section E n° 114 qu'elle occupe sans droit ni titre sur le territoire de la commune de Sainte-Anne, et de remettre en état les lieux en les débarrassant des installations démontables qu'elle y a aménagées, à ses frais et risques. Dans la mesure où la société FGT a confirmé à l'audience qu'elle n'entendait pas quitter les lieux, il y a lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte de 350 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai de quinze jours à compter de la notification de la présente ordonnance.

Sur les dépens :

6. La présente instance n'a donné lieu à aucun dépens. Les conclusions de la commune de Sainte-Anne tendant à ce que les dépens soient mis à la charge de la société FGT doivent, par suite, être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la commune de Sainte-Anne, qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse à la société FGT la somme qu'elle réclame au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société FGT une somme de 1 500 euros à verser à la commune de Sainte-Anne au titre de ses frais exposés et non compris dans les dépens.

O R D O N N E :

Article 1er : Il est enjoint à la société FGT ainsi qu'à tous occupants de son chef de libérer sans délai la parcelle cadastrée section E n° 114 qu'elle occupe sans droit ni titre sur le territoire de la commune de Sainte-Anne, et de remettre en état les lieux en les débarassant des installations démontables qu'elle y a aménagées, à ses frais et risques, sous astreinte de 350 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai de quinze jours à compter de la notification de la présente ordonnance.

Article 2 : La société FGT versera une somme de 1 500 euros à la commune de Sainte-Anne en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions présentées par la société FGT sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la commune de Sainte-Anne et à la société FGT.

Fait à Schœlcher, le 16 juin 2023.

La juge des référés,

A. Monnier-Besombes Le greffier,

J.-H. Minin

La République mande et ordonne au préfet de la Martinique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°2300323