TA Mayotte, 01/06/2023, n°2301861

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 5 et 24 avril 2023, la société à responsabilité limitée (SARL) Colas Mayotte, représentée par Me Henochsberg, demande au juge des référés, statuant sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler l'ensemble des décisions par lesquelles la communauté de communes de Petite-Terre a rejeté ses offres se rapportant à la procédure de passation du lot n°1 du marché public de travaux d'aménagement du secteur opérationnel n°1 du projet NPNRU La Vigie sur le territoire communautaire ;

2°) d'annuler la procédure de passation du lot n°1 du marché public de travaux d'aménagement du secteur opérationnel n°1 du projet NPNRU La Vigie sur le territoire de la communauté de communes de Petite Terre ;

3°) de mettre à la charge de la communauté de communes de Petite Terre une somme de 3 000 euros à verser l'exposante au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- les dispositions de l'article R. 2181-3 du code de la commande publique ont été méconnues et le pouvoir adjudicateur ne lui a pas communiqué une information suffisamment précise pour lui permettre de comprendre le rejet de sa candidature ;

- la décision de rejeter son offre comme inacceptable est irrégulière ;

- l'avis de marché ne comportait pas la moindre indication concernant la valeur estimée du lot n°1 du marché ni concernant la valeur estimée totale du marché ; le manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence est caractérisé ;

- la société attributaire a présenté une offre incomplète et donc irrégulière ; elle ne dispose pas des capacités, notamment financières, lui permettant d'exécuter le marché ; elle ne dispose pas de certificat de qualification professionnelle

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 avril 2023, la communauté de communes de Petite Terre, représentée par Me Briand, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la requérante une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens ne sont pas fondés.

La procédure a été communiquée à la société SMR BTP et Aluminium qui n'a pas produit de mémoire en défense

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive 2014/24/UE du Parlement et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics ;

- l'annexe II au règlement d'exécution (UE) 2015/1986 de la Commission du 11 novembre 2015 ;

- le code des marchés publics ;

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Vu la décision en date du 1er septembre 2022, prise en application de l'article L. 511-2 du code de justice administrative, par laquelle le président du Tribunal a désigné M. Bauzerand, vice-président, en qualité de juge des référés.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience publique qui a eu lieu le 25 avril 2023 à 10 heures 30, le magistrat constituant la formation de jugement compétente siégeant au tribunal administratif de La Réunion, dans les conditions prévues à l'article L. 781-1 et aux articles R. 781-1 et suivants du code de justice administrative, Mme A, étant greffière d'audience au tribunal administratif de Mayotte.

Au cours de l'audience publique, M. Bauzerand a lu son rapport et entendu :

- les observations de Me Henochsberg, pour la société requérante qui conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens ;

- les observations de Me Madec, substituant Me Briand, pour la communauté de communes de Petite Terre qui reprend ses écritures en défense.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d'appel à la concurrence publié le 18 novembre 2022 au Bulletin officiel des annonces des marchés publics (BOAMP) et au Journal officiel de l'Union européenne (JOUE), la communauté de communes de Petite Terre a lancé une consultation, sous forme de d'appel d'offres, en vue de la passation d'un marché public, alloti en deux lots, portant sur les travaux d'aménagement du secteur opérationnel n°1 du projet NPNRU (Nouveau programme national de renouvellement urbain) La Vigie. Par deux courriers en date du 23 mars 2023 et reçus le 27 mars 2023, la société Colas Mayotte, qui avait déposé une offre de base et une offre variante concernant le lot n°1 intitulé " Travaux de voirie et réseau divers ", a été informée que sa candidature n'était pas retenue et que le marché avait été attribué à la société SMR BTP et Aluminium. Par la présente requête, la société Colas Mayotte demande au juge des référés précontractuels l'annulation des décisions de rejet de ses offres et de la procédure de passation du lot n°1 de ce marché.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L.551-1 du code de justice administrative :

2. Aux termes des dispositions de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat. ". L'article L. 551-2 du même code dispose que : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations " ;

3. Il appartient au juge administratif, saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l'administration. En vertu de cet article, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d'être lésées par de tels manquement. Il appartient, dès lors, au juge des référés précontractuels de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique concurrent.

En ce qui concerne le manquement aux obligations d'information :

4. En premier lieu, aux termes de l'article R. 2181-1 du code de la commande publique : " L'acheteur notifie sans délai à chaque candidat ou soumissionnaire concerné sa décision de rejeter sa candidature ou son offre ". Aux termes de l'article R. 2181-3 du même code : " La notification prévue à l'article R. 2181-1 mentionne les motifs du rejet de la candidature ou de l'offre. / () ". Aux termes de l'article R. 2181-4 du même code : " A la demande de tout soumissionnaire ayant fait une offre qui n'a pas été rejetée au motif qu'elle était irrégulière, inacceptable ou inappropriée, l'acheteur communique dans les meilleurs délais et au plus tard quinze jours à compter de la réception de cette demande : / 1° Lorsque les négociations ou le dialogue ne sont pas encore achevés, les informations relatives au déroulement et à l'avancement des négociations ou du dialogue ; / 2° Lorsque le marché a été attribué, les caractéristiques et les avantages de l'offre retenue ".

5. L'information sur les motifs du rejet de son offre dont est destinataire l'entreprise en application des dispositions précitées a, notamment, pour objet de permettre à la société non retenue de contester utilement le rejet qui lui est opposé devant le juge du référé précontractuel saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative. Par suite, l'absence de respect de ces dispositions constitue un manquement aux obligations de transparence et de mise en concurrence. Cependant, un tel manquement n'est plus constitué si l'ensemble des informations, mentionnées aux articles du code de la commande publique précités, a été communiqué au candidat évincé à la date à laquelle le juge des référés statue sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, et si le délai qui s'est écoulé entre cette communication et la date à laquelle le juge des référés statue a été suffisant pour permettre à ce candidat de contester utilement son éviction.

6. Il résulte de l'instruction, que par un courrier en date du 23 mars 2023, reçu le 27 mars 2023, la communauté de communes de Petite Terre a informé la société Colas Mayotte du rejet de son offre, en lui indiquant le nom de la société attributaire, les notes attribuées à celle-ci pour chacun des critères ainsi que la note globale. S'il est constant que le pouvoir adjudicateur n'a pas répondu à la demande de précisions qui lui a été adressé le 28 mars 2023, il n'en demeure pas moins que la société requérante a disposé d'une information suffisamment complète sur les motifs qui ont conduit le pouvoir adjudicateur à écarter son offre et à retenir celle de la société attributaire, de nature à lui permettre de contester utilement, avant que le juge des référés ne statue, les conditions dans lesquelles a été attribué le marché litigieux. Il suit de là que la société Colas Mayotte n'est pas fondée à soutenir que le pouvoir adjudicateur aurait méconnu les articles du code de la commande publique cités au point 4.

En ce qui concerne l'insuffisance des informations portées à la connaissance des candidats :

7.Selon l'article L. 2124-2 du code de la commande publique, l'appel d'offres, ouvert ou restreint, est la procédure par laquelle l'acheteur choisit l'offre économiquement la plus avantageuse, sans négociation, sur la base de critères objectifs préalablement portés à la connaissance des candidats. L'article L. 2111-1 du code de la commande publique dispose : " La nature et l'étendue des besoins à satisfaire sont déterminés avec précision avant le lancement de la consultation () ". L'article R. 2131-17 du même code prévoit que l'avis de marché est établi conformément au modèle fixé par le règlement de la communauté de la Commission européenne établissant les formulaires standard pour la publication d'avis dans le cadre de la passation de marchés. Le modèle de formulaire d'avis public d'appel à la concurrence figurant en annexe II au règlement d'exécution (UE) 2015/1986 de la Commission du 11 novembre 2015 prévoit que dans le cadre II. 1) " étendue du marché" est renseignée une case "II. 1. 5) valeur totale estimée", et, d'autre part, dans le cadre II. 2) " description " une case II. 2. 6) " valeur estimée " reprenant cette même valeur.

8. Il est constant que les cadres II. 1 5) " valeur totale estimée " et II. 2. 6) " valeur estimée " de l'avis public d'appel à la concurrence n'ont pas été renseignés. Il suit de là que la société Colas Mayotte est fondée à soutenir que l'avis d'appel à la concurrence était insuffisant et que la communauté de communes de Petite Terre a commis un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence.

9.Il appartient toutefois au juge du référé précontractuel de rechercher si l'entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente.

En ce qui concerne le caractère inacceptable de l'offre de base :

10La société Colas Mayotte fait valoir qu'elle a déposé une offre de base pour un montant de 17 333 000 euros hors taxes et une offre variante pour un montant de 16 251 000 euros hors taxes. Elle précise que son offre de base a été jugée inacceptable et que l'offre retenue était d'un montant de 15 448 185, 26 euros hors taxes.

11.Aux termes de l'article L 2152-3 du code de la commande publique : "Une offre inacceptable est une offre dont le prix excède les crédits budgétaires alloués au marché, déterminés et établis avant le lancement de la procédure."

12.Pour écarter comme inacceptable l'offre de la requérante, la communauté de communes de Petite Terre fait valoir d'une part que le montant budgétaire maximum prévu par le plan de financement dans le cadre de la convention signée avec l'Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU) pour le lot litigieux était de 16 millions euros et que l'offre de la requérante était d'un montant de 17 333 000 euros. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que le pouvoir adjudicateur aurait pris une décision fixant le montant des crédits budgétaires alloués au marché en cause avant le lancement de la procédure contestée. Ainsi, il appert, ainsi qu'il a été dit au point 8, que sur l'avis de marché, les cases " II. 1. 5) valeur totale estimée ", et " II. 2. 6) valeur estimée ", de même que le règlement de la consultation ne donnait aucune précision quant à ce montant. Il résulte de l'instruction et il n'est pas sérieusement contesté que ce montant maximum a été fixé le 27 février 2023, soit postérieurement à la date limite de de réception des offres fixée le 20 janvier 2023. Par suite, le montant maximum du lot fixé à 16 millions d'euros comme l'affirme la communauté de communes de Petite Terre ne peut être regardé comme constituant le montant des crédits budgétaires alloués au marché. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction, contrairement à ce qui est affirmé en défense, que celle-ci n'aurait pas été en mesure de financer l'offre de la société requérante.

En ce qui concerne l'insuffisance des capacités de l'attributaire :

13.Il n'appartient pas au juge du référé précontractuel d'apprécier les mérites des candidatures et des offres. Par par suite, la société Colas Mayotte ne peut utilement soutenir que les références professionnelles et les capacités financières produites par la société attributaire au soutien de sa candidature et ses ressources humaines pour réaliser le marché, exposés dans son offre, seraient insuffisants. Le moyen sera donc écarté.

14. Il résulte de tout ce qui précède que la société Colas Mayotte est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que son offre a été rejetée comme inacceptable au motif que le montant de celle-ci excède le montant maximum du marché. Cette irrégularité, en tant qu'elle a fait obstacle à l'examen de son offre, l'a nécessairement lésée. La procédure de passation du lot n°1 du marché public de travaux d'aménagement du secteur opérationnel n°1 du projet NPNRU La Vigie sur le territoire communautaire doit, par suite, être annulée au stade de l'analyse des offres.

15. Il est enjoint à la communauté de communes de Petite Terre, si elle entend poursuivre la procédure, de reprendre celle-ci au stade de l'examen des offres.

Sur les frais du litige :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge de la société Colas Mayotte, les sommes demandées par la communauté de communes de Petite Terre qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

17.Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces mêmes dispositions et de mettre à la charge de la communauté de communes de Petite Terre une somme de 3 000 euros à verser à la société Colas Mayotte au titre des mêmes frais.

ORDONNE :

Article 1er : La procédure de passation du lot n°1 du marché public de travaux d'aménagement du secteur opérationnel n°1 du projet NPNRU La Vigie sur le territoire de la communauté de communes de Petite Terre est annulée au stade de l'analyse des offres.

Article 2 : Les décisions par lesquelles la communauté de communes de Petite-Terre a rejeté les offres de la société Colas Mayotte se rapportant à la procédure de passation du lot n°1 du marché public de travaux d'aménagement du secteur opérationnel n°1 du projet NPNRU La Vigie sur le territoire communautaire sont annulées.

Article 3 : La communauté de communes de Petite-Terre versera à la société Colas Mayotte une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de la communauté de communes de Petite-Terre tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Colas Mayotte, à la société SMR BTP et Aluminium et à la communauté de communes de Petite-Terre.

Fait à Mamoudzou, le 1er juin 2023.

Le juge des référés,

Ch. BAUZERAND

La République mande et ordonne au préfet de Mayotte en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°2301861