TA Mayotte, 07/08/2024, n°2401290
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 12 juillet 2024 et le 30 juillet 2024, la société à responsabilité limitée (SARL) ALBERT, représentée par Me Dugoujon, demande au juge des référés, sur le fondement des dispositions de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :
1°) d'annuler la décision par laquelle la commune de Bandrélé a rejeté ses offres présentées pour les lots n°1 et n°2 du marché de travaux portant sur la construction d'un réfectoire et de trois salles de classe à l'école maternelle de Dapani, ainsi que la décision par laquelle la commune a retenu les offres présentées par la société F BOYA 9 pour ces lots ;
2°) d'enjoindre à la commune de Bandrélé de reprendre la procédure de passation des lots n°1 et n°2 au stade de l'analyse des offres et de lui attribuer ces deux lots ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Bandrélé la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la commune de Bandrélé n'a pas choisi l'offre économiquement la plus avantageuse au regard des critères d'attribution définis dans le règlement de la consultation, en méconnaissance des dispositions des articles L. 2152-7 et L. 2152-8 du code de la commande publique et du principe d'égalité de traitement des candidats ;
- ce manquement l'a lésée, dès lors que ses offres ont été classées en première position par le rapport d'analyse de la maîtrise d'œuvre, en application des critères définis dans le règlement de la consultation, ce qui justifie de reprendre la procédure de passation au stade de l'analyse des offres ;
- la commune n'établit pas que ses offres étaient inacceptables.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 23 juillet 2024 et le 30 juillet 2024, la commune de Bandrélé, représentée par Me Ali, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros lui soit versée au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- l'avis du maître d'œuvre n'a pas de valeur décisionnelle ;
- les offres présentées par la SARL ALBERT sont supérieures au seuil maximal d'achat et au budget fixé dans le règlement de la consultation par la commune ; ainsi, en choisissant les offres de la société F BOYA 9, qui proposaient les prix les moins élevés, elle a choisi les offres économiquement les plus avantageuses ;
- aucune disposition ni aucune règle ne lui imposait de publier le montant prévisionnel du marché qu'elle entendait attribuer ; en tout état de cause, les documents budgétaires de la commune étaient publics et librement accessibles.
La procédure a été communiquée à la société F BOYA 9, qui n'a pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative.
Le président du tribunal a désigné Mme Beddeleem en qualité de juge des référés.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience publique qui a eu lieu le 30 juillet 2024 à 15h (heure de Mayotte), la magistrate constituant la formation de jugement compétente siégeant au tribunal administratif de La Réunion, dans les conditions prévues à l'article L. 781-1 et aux articles R. 781-1 et suivants du code de justice administrative, Mme A étant greffière d'audience au tribunal administratif de Mayotte.
Après avoir entendu, au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Beddeleem, juge des référés ;
- les observations de Me Madec, substituant Me Dugoujon, pour la SARL ALBERT ;
- et les observations de Me Mattoir, substituant Me Ali, pour la commune de Bandrélé.
La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.
1. Par un avis d'appel public à la concurrence publié le 10 avril 2024, la commune de Bandrélé a lancé un marché à procédure adaptée ayant pour objet la construction d'un réfectoire et de trois salles de classe à l'école maternelle de Dapani. La société à responsabilité limitée (SARL) ALBERT a déposé une offre pour les lots n°1 (gros œuvre / charpente-couverture) et n°2 (démolition / VRD / aménagement extérieur) de ce marché. Par un courrier du 2 juillet 2024, elle a été informée du rejet de ses offres et de l'attribution de ces lots à la société F BOYA 9. La SARL ALBERT demande au juge du référé précontractuel, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'annuler le rejet de ses offres sur les lots n°s 1 et 2 ainsi que la décision d'attribution de ces lots à la société F BOYA 9.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :
2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. / () ". Aux termes de l'article L. 551-2 du même code : " I.-Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations. / () ". Aux termes de l'article L. 551-10 dudit code : " Les personnes habilitées à engager les recours prévus aux articles L. 551-1 et L. 551-5 sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat ou à entrer au capital de la société d'économie mixte à opération unique et qui sont susceptibles d'être lésées par le manquement invoqué () ".
3. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient au juge administratif, saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l'administration. En vertu de cet article, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur, à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient, dès lors, au juge du référé précontractuel de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique concurrent.
4. D'une part, aux termes de l'article L. 2152-7 du code de la commande publique : " Le marché est attribué au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l'offre économiquement la plus avantageuse sur la base du critère du prix ou du coût. L'offre économiquement la plus avantageuse peut également être déterminée sur le fondement d'une pluralité de critères non discriminatoires et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution, parmi lesquels figure le critère du prix ou du coût et un ou plusieurs autres critères comprenant des aspects qualitatifs, environnementaux ou sociaux. Les modalités d'application du présent alinéa sont prévues par voie réglementaire. / Les offres sont appréciées lot par lot, sauf lorsque les entités adjudicatrices ont autorisé les opérateurs économiques à présenter des offres variables selon le nombre de lots susceptibles d'être obtenus en application du second alinéa de l'article L. 2151-1. / Le lien avec l'objet du marché ou ses conditions d'exécution s'apprécie conformément aux articles L. 2112-2 à L. 2112-4. ". Aux termes de l'article L. 2152-8 du même code : " Les critères d'attribution n'ont pas pour effet de conférer une liberté de choix illimitée à l'acheteur et garantissent la possibilité d'une véritable concurrence. Ils sont rendus publics dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat. ". Aux termes de l'article R. 2152-11 dudit code : " Les critères d'attribution ainsi que les modalités de leur mise en œuvre sont indiqués dans les documents de la consultation. ".
5. Il résulte de l'instruction que l'article 8 du règlement de la consultation prévoyait que les offres seraient appréciées au regard du critère prix, pour 60%, et du critère de la valeur technique, pour 40%, décomposé en quatre sous-critères. Il résulte des termes du rapport d'analyse des offres rédigé par le maître d'œuvre que, pour le lot 1, l'offre de la SARL ALBERT a obtenu la note de 17,60/20 et a été classée première, et que l'offre de la société F BOYA 9 a obtenu la note de 16,60/20 et a été classée deuxième. Il résulte de ce même rapport que, pour le lot 2, la SARL ALBERT a obtenu la note de 17,78/20 et a été classée première, et que la société F BOYA 9 a obtenu la note de 16,80/20 et a été classée deuxième. Ainsi, en attribuant les lots n°1 et n°2 à la société F BOYA 9 alors que la SARL ALBERT avait présenté les offres les plus avantageuses au regard des critères de prix et de valeur technique énoncés dans le règlement de la consultation, la commune de Bandrélé a commis un manquement aux obligations de mise en concurrence.
6. D'autre part, aux termes de l'article L. 2152-1 du code de la commande publique : " L'acheteur écarte les offres irrégulières, inacceptables ou inappropriées. ". Aux termes de l'article L. 2152-3 du même code : " Une offre inacceptable est une offre dont le prix excède les crédits budgétaires alloués au marché, déterminés et établis avant le lancement de la procédure. ".
7. La commune soutient en défense que les offres de la SARL ALBERT ont été rejetées dès lors qu'elles excédaient " l'estimation confidentielle " du montant du marché ainsi que l'enveloppe budgétaire fixée par la commune de Bandrélé pour l'extension de l'école maternelle de Dapani et la construction du réfectoire. Toutefois, à supposer que la commune ait entendu soulever une substitution de motifs tenant au caractère inacceptable de l'offre, d'une part, il ne résulte pas de l'instruction que " l'estimation confidentielle " qui figure dans le rapport d'analyse des offres aurait été portée à la connaissance des candidats à l'attribution du marché, ni, en tout état de cause, qu'elle aurait revêtu un caractère impératif ou aurait constitué le montant des crédits budgétaires alloués au marché avant le lancement de la procédure. D'autre part, en se bornant à produire le rapport d'orientations budgétaires pour l'année 2024 ainsi qu'un extrait du budget primitif communal voté au titre de l'année 2024, la commune de Bandrélé n'établit pas que les crédits budgétaires alloués au marché auraient été portés à la connaissance des candidats à son attribution. Par suite, la commune de Bandrélé n'est pas fondée à soutenir qu'elle pouvait légitimement rejeter les offres de la SARL ALBERT en raison de leur montant trop élevé.
8. Dès lors que la société requérante était classée première au regard des critères énoncés dans le règlement de la consultation, ce manquement aux obligations de mise en concurrence est susceptible de l'avoir lésée. Il y a lieu, par suite, d'annuler la décision du 2 juillet 2024 par laquelle la commune de Bandrélé a rejeté les offres présentées par la SARL ALBERT pour les lots n°1 et n°2 ainsi que la décision par laquelle la commune de Bandrélé a retenu les offres de la société F BOYA 9 pour ces lots, et d'enjoindre à la commune de Bandrélé, si elle entend poursuivre la procédure de passation du marché public en litige, de reprendre la procédure de passation des lots n°1 et n°2 au stade de l'analyse des offres. Toutefois, dès lors qu'il n'entre pas dans l'office du juge des référés d'attribuer un marché public, il n'y a pas lieu d'enjoindre à la commune d'attribuer les lots litigieux à la SARL ALBERT.
Sur les frais liés au litige :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de la SARL ALBERT la somme que la commune de Bandrélé demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
10. En revanche, il y a lieu dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Bandrélé une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la SARL ALBERT et non compris dans les dépens.
ORDONNE :
Article 1er : La décision du 2 juillet 2024 par laquelle la commune de Bandrélé a rejeté les offres présentées par la SARL ALBERT sur les lots n°1 et n°2 ainsi que la décision par laquelle la commune de Bandrélé a retenu les offres de la société F BOYA 9 sur ces lots sont annulées.
Article 2 : Il est enjoint à la commune de Bandrélé, si elle entend poursuivre la passation du marché public en litige, de reprendre la procédure de passation des lots n°1 et n°2 au stade de l'analyse des offres.
Article 3 : La commune de Bandrélé versera à la SARL ALBERT une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la SARL ALBERT est rejeté.
Article 5 : Les conclusions de la commune de Bandrélé présentées au titre de l'article L. 761-1 sont rejetées.
Article 6 : La présente ordonnance sera notifiée à la société à responsabilité limitée (SARL) ALBERT, à la commune de Bandrélé et à la société F BOYA 9.
Fait à Mamoudzou, le 7 août 2024.
La juge des référés,
J. BEDDELEEM
La République mande et ordonne au préfet de Mayotte en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.