TA Melun, 13/04/2023, n°1801089
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés respectivement le 12 février 2018 et le 18 septembre 2022, la société Sacofa, représentée par Me Marcon, demande au tribunal :
1°) de condamner l'Office public de l'habitat de Seine-et-Marne à lui verser la somme de 70 266,60 euros en réparation du préjudice que lui a causé son éviction irrégulière des lots n° 2 et 3 du marché de prestation d'entretien des systèmes d'interphonie et des contrôles d'accès, assortie des intérêts de droit à compter du 11 octobre 2017 ;
2°) de mettre à la charge de l'Office public de l'habitat de Seine-et-Marne la somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête est recevable ;
- l'Office public de l'habitat de Seine-et-Marne (OPH 77) a commis une faute de nature à engager sa responsabilité en écartant à tort ses offres comme étant anormalement basses ;
- l'OPH 77 a commis une faute de nature à engager sa responsabilité en déclarant sans suite la procédure alors que le juge des référés avait ordonné la reprise de la consultation au stade de l'examen des offres et qu'en tout état de cause ladite déclaration sans suite est irrégulière en raison de défaut de motivation et de l'absence de motif d'intérêt général la justifiant ;
- elle doit être indemnisée d'une part du préjudice résultant des charges financières supportées lors de la passation des procédures déclarées sans suite pour un montant de 18 600 euros et d'autre part, du préjudice résultant de la perte des bénéfices escomptées pour un montant de 51 660,60 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 décembre 2018, l'Office public de l'habitat de Seine-et-Marne conclut au rejet de la requête et de mettre à la charge de la société requérante la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- à titre principal, la requête est irrecevable dès lors qu'elle est dirigée contre une décision inexistante et en tout état de cause tardive ;
- à titre subsidiaire qu'il n'existe aucun lien de causalité entre la décision attaquée et les préjudices allégués et que la déclaration sans suite de la procédure n'est fautive ou irrégulière ;
- les préjudices soulevés ne sont ni certains ni justifiés.
Par ordonnance du 18 juillet 2022, la clôture d'instruction a été fixée au
19 septembre 2022.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- l'ordonnance n° 1704428 du 7 juillet 2017 par laquelle le juge des référés statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative a annulé la décision de
l'OPH 77 de rejeter les propositions de la société Sacofa et a enjoint au pouvoir adjudicateur de reprendre la consultation au stade de l'examen des offres, s'il entendait poursuivre la passation des lots n° 2 et 3.
Vu :
- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 ;
- le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A,
- les conclusions de Mme Salenne-Bellet, rapporteure publique,
- et les observations de Me Marcon, représentant la société Sacofa, l'office public de l'habitat de Seine-et-Marne n'étant ni présent, ni représenté.
Considérant ce qui suit :
1. Par un avis d'appel public à concurrence publié le 12 novembre 2016, l'Office public de l'habitat de Seine-et-Marne (OPH77) a lancé une consultation en vue de la conclusion d'un marché public de fournitures courantes et de services portant sur des prestations d'entretien des systèmes d'interphone et des contrôles d'accès sur le patrimoine de l'Office, selon la procédure de l'appel d'offres ouvert. Ce marché était divisé en quatre lots, correspondant à des zones géographiques, traités par marchés séparés, par l'émission de bons de commande, sans minimum ni maximum. Le règlement de la consultation indiquait que les candidats ne pouvaient soumissionner sur plus de deux lots. La société Sacofa a fait acte de candidature pour les lots n° 2 et 3. Par une lettre du 17 mai 2017, l'OPH a informé la société qu'elle rejetait son offre comme anormalement basse. Par une ordonnance n° 1704428 du 7 juillet 2017, le juge des référés précontractuels du tribunal administratif de Melun a annulé la décision du 17 mai 2017 et a enjoint au directeur de l'OPH 77 de reprendre la consultation au stade de l'examen des offres, en y intégrant les propositions de la société Sacofa. L'OPH 77 a mis un terme à la procédure d'attribution pour un motif d'intérêt général et en informé la société Sacofa par un courrier en date du 4 août 2017. Par un courrier du 5 octobre 2017, la société Sacofa a adressé une demande indemnitaire préalable à l'OPH 77 au titre des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison de l'absence d'attribution du contrat. Par la présente requête la société Sacofa demande la condamnation de l'OPH 77 à lui verser la somme de de 70 266,60 euros en réparation des préjudices subis du fait de son éviction irrégulière des lots n° 2 et 3 du marché en cause.
Sur les conclusions indemnitaires :
2. Lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce contrat et qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l'irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à cause de son éviction, il appartient au juge de vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat. En l'absence de toute chance, il n'a droit à aucune indemnité. Dans le cas contraire, il a droit en principe au remboursement des frais qu'il a engagés pour présenter son offre. Il convient en outre de rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d'emporter le contrat conclu avec un autre candidat. Si tel est le cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre, lesquels n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique. En revanche, le candidat ne peut prétendre à une indemnisation de ce manque à gagner si la personne publique renonce à conclure le contrat pour un motif d'intérêt général.
En ce qui concerne les fautes commises par l'OPH 77 :
3. Premièrement, en ce qui concerne la qualification des offres de la société requérante d'offre anormalement basse par le pouvoir adjudicateur, aux termes de l'article 60 du décret du 25 mars 2016, relatif aux marchés publics : " I. - L'acheteur exige que le soumissionnaire justifie le prix ou les coûts proposés dans son offre lorsque celle-ci semble anormalement basse eu égard aux travaux, fournitures ou services, y compris pour la part du marché public qu'il envisage de sous-traiter. Peuvent être prises en considération des justifications tenant notamment aux aspects suivants : / 1° Le mode de fabrication des produits, les modalités de la prestation des services, le procédé de construction ; / 2° Les solutions techniques adoptées ou les conditions exceptionnellement favorables dont dispose le soumissionnaire pour fournir les produits ou les services ou pour exécuter les travaux ; / 3° L'originalité de l'offre ; / 4° La règlementation applicable en matière environnementale, sociale et du travail en vigueur sur le lieu d'exécution des prestations ; / 5° L'obtention éventuelle d'une aide d'Etat par le soumissionnaire. /
II. - L'acheteur rejette l'offre : 1° Lorsque les éléments fournis par le soumissionnaire ne justifient pas de manière satisfaisante le bas niveau du prix ou des coûts proposés ; / 2° Lorsqu'il établit que celle-ci est anormalement basse parce qu'elle contrevient aux obligations applicables dans les domaines du droit de l'environnement, social et du travail établies par le droit français, le droit de l'Union européenne, la ou les conventions collectives ou par les dispositions internationales en matière de droit de l'environnement, social et du travail figurant sur une liste publiée au Journal officiel de la République française. () ".
4. Il résulte des dispositions citées ci-dessus que, quelle que soit la procédure de passation mise en œuvre, il incombe au pouvoir adjudicateur qui constate qu'une offre paraît anormalement basse de solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé, sans être tenu de lui poser des questions spécifiques. L'exigence de motivation de la décision rejetant une offre comme anormalement basse, posée par l'article 60 cité ci-dessus, a, notamment, pour objet de permettre à l'auteur de cette offre de contester utilement le rejet qui lui a été opposé devant le juge du référé précontractuel saisi en application de l'article
L. 551-1 du code de justice administrative. Par suite, l'absence de respect de ces dispositions constitue un manquement aux obligations de transparence et de mise en concurrence. Toutefois, un tel manquement n'est plus constitué si les motifs de cette décision ont été communiqués au candidat évincé à la date à laquelle le juge des référés statue et si le délai qui s'est écoulé entre cette communication et la date à laquelle le juge statue a été suffisant pour permettre à ce candidat de contester utilement son éviction.
5. La caractérisation d'une offre anormalement basse ne peut se faire par la seule comparaison avec les offres des autres candidats ou l'estimation de l'administration sans rechercher si le prix en cause était en lui-même manifestement sous-évalué et, ainsi, susceptible de compromettre la bonne exécution du marché.
6. En l'espèce, s'agissant du lot n° 2, le règlement de la consultation mentionnait que l'OPH 77 estimait ses besoins en termes de prestations sur commande à un total annuel de 40 000 euros HT, sur la base du devis quantitatif estimatif. La proposition de la société Sacofa, établie sur la base de ce même document fourni par l'OPH 77, atteignait la somme de 43 858,13 euros HT, et était donc supérieure à l'estimation de l'administration. Dans ces conditions, la circonstance que cette somme soit inférieure de 24,55% à la moyenne des propositions de l'ensemble des candidats, une fois corrigées, n'était pas de nature, à elle seule, à permettre de considérer que la société requérante avait présenté une offre anormalement basse pour ce lot dès lors que le pouvoir adjudicateur ne soutient pas non plus que le bordereau de prix unitaire aurait comporté de telles anomalies, eu égard aux propositions des autres candidats, et était susceptible de rendre difficile l'exécution du marché. En outre, s'agissant du lot n° 3, si le même règlement de la consultation mentionnait un montant annuel estimé de 45 000 euros HT et que la proposition de la société requérante n'était que de 23 126,73 euros HT, inférieure également de 29,73 % à la moyenne des propositions une fois corrigées, il n'est pas utilement contesté par l'OPH 77 que le devis quantitatif estimatif pour ce lot, lequel comportait près de 5 000 logements répartis sur une cinquantaine de sites différents, était établi avec des quantités largement
sous-dimensionnées puisqu'il ne prévoyait, s'agissant des deux pièces les plus chères, que le remplacement de six platines par an. Dans ces conditions, la circonstance que la proposition était largement inférieure à la moyenne des propositions de l'ensemble des candidats n'était pas de nature à permettre de considérer que la société Sacofa avait présenté, pour ce lot également, une offre anormalement basse, l'OPH 77 ne soutenant pas non plus que les prix proposés dans le bordereau de prix unitaires étaient sous-évalués et étaient susceptibles de rendre difficile l'exécution du marché. Dès lors, c'est à tort que l'OPH 77 avait rejeté les offres de la société requérante pour les lots n° 2 et 3 comme étant anormalement basses.
7. Toutefois, lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de l'irrégularité ayant, selon lui, affecté la procédure ayant conduit à son éviction, il appartient au juge, si cette irrégularité est établie, de vérifier qu'elle est la cause directe de l'éviction du candidat et, par suite, qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute en résultant et le préjudice dont le candidat demande l'indemnisation.
8. Il résulte de l'instruction que la procédure de passation n'est pas allée à son terme, l'OPH 77 ayant déclaré la procédure sans suite par une décision du 4 août 2017. Cette déclaration sans suite est la cause pour laquelle le marché n'a pas été attribué et est de nature à rompre le lien direct de causalité entre le rejet fautif des offres de la société requérante et le préjudice dont le candidat réclame l'indemnisation, la circonstance que des irrégularités aient été commises lors de la procédure d'attribution d'un contrat ne saurait suffire à entraîner l'indemnisation du candidat évincé. Ainsi, dès lors qu'aucun contrat a été conclu avec aucun des soumissionnaires, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que l'irrégularité de son éviction est la cause de l'absence d'attribution du contrat à cette dernière. Par suite, en l'absence de tout lien de causalité direct entre les irrégularités ayant entaché la procédure d'attribution du contrat et le préjudice invoqué par la société Sacofa, cette dernière ne peut se prévaloir d'aucun droit à indemnité de ce chef.
9. Deuxièmement, aux termes de l'article 98 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics : " A tout moment, la procédure peut être déclarée sans suite. Dans ce cas, l'acheteur communique aux opérateurs économiques ayant participé à la procédure, dans les plus brefs délais, les raisons pour lesquelles il a décidé de ne pas attribuer le marché public ou de recommencer la procédure ". Il résulte de ces dispositions qu'une personne publique qui a engagé une procédure de passation d'un marché public ne saurait être tenue de conclure le contrat mais peut décider, sous le contrôle du juge, de renoncer à le conclure pour un motif d'intérêt général.
10. En l'espèce, pour déclarer sans suite la procédure de passation du marché à laquelle avait participer la société requérante, l'OPH 77 s'est fondé sur un motif d'intérêt général en raison des incertitudes concernant les prévisions financières et de quantité portées au DQE et qui ont été relevé par la procédure de référé. Il résulte de l'instruction et notamment des documents de consultation concernant le marché initial et la nouvelle procédure de passation que si, initialement, la procédure d'appel d'offre ouvert concernant un marché à bon de commande sans minimum ni maximum pour une durée de 4 ans fermes pour un montant annuel estimé de 40 000 euros en ce qui concerne le lot n° 2 et de 45 000 euros HT en ce qui concerne le lot n° 3, la nouvelle procédure concernait un marché passé à prix global et forfaitaire pour une durée de trois ans, retenant le même découpage que celui retenu au cours de la première procédure. Ces modifications sont de nature à corriger les difficultés identifiées par le pouvoir adjudicateur au cours de la procédure initiale.
11. Si la société requérante soutient également que cette déclaration sans suite constitue un détournement de procédure en ce que le pouvoir adjudicateur n'a pris cette décision que pour ne pas lui attribuer le marché. Toutefois, aucun élément du dossier ne permet de corroborer cet argument notamment en l'absence de toute information concernant les autres offres présentées.
12. Dans ces conditions, l'OPH 77 n'a pas commis de faute en déclarant sans suite la procédure de passation du marché en cause. Par suite, en l'absence de toute faute de l'OPH 77 sur ce point, la société Sacofa n'est pas non plus fondée à obtenir une quelconque indemnité de ce chef.
13. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de la société Sacofa tendant à la condamnation de l'OPH 77 à lui verser la somme de de 70 266,60 euros en réparation des préjudices subis du fait de son éviction irrégulière des lots n° 2 et 3 du marché en cause doivent être rejetées. Par voie de conséquence, il en est de même des conclusions tendant au paiement d'intérêts moratoires.
Sur les frais liés au litige :
14. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ".
15. L'OPH 77 n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de ce dernier la somme que la société requérante demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Par ailleurs, dès lors que l'OPH 77 n'est pas représenté et qu'il n'a fourni au tribunal aucun justificatif concernant les sommes qu'il demande sur le même fondement, il convient de rejeter sa demande.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de société Sacofa est rejetée.
Article 2 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la société Sacofa et à l'Office public de l'habitat de Seine-et-Marne.
Délibéré après l'audience du 28 mars 2023, à laquelle siégeaient :
M. Gracia, président,
M. Israël, premier conseiller,
Mme Potin, conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 avril 2023.
La rapporteure,
M. Potin
Le président,
J-Ch. GraciaLa greffière,
C. Mahieu
La République mande et ordonne au préfet de Seine-et-Marne en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,