TA Montreuil, 04/07/2024, n°2306149
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par un déféré, enregistré le 22 mai 2023, le préfet de la Seine-Saint-Denis demande au tribunal d'annuler le marché conclu par le centre interdépartemental de gestion (CIG) de la petite couronne d'Île-de-France avec la société Plurélya ayant pour objet la fourniture d'un service pour la mise au point, l'exécution et le suivi d'un contrat-cadre d'accompagnement social de l'emploi au profit des agents des collectivités et établissements de son ressort géographique, ensemble le rejet de son recours gracieux du 21 mars 2023.
Il soutient que, faute de prévoir un maximum en quantité ou en valeur, l'accord-cadre à bons de commande conclu par le centre interdépartemental de gestion méconnaît les dispositions de l'article R. 2162-4 du code de la commande publique ainsi que la jurisprudence nationale et européenne ; ce manquement méconnaît les principes d'égalité de traitement des candidats, de non-discrimination et de transparence et affecte la validité même du contrat.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 février 2024, le centre interdépartemental de gestion de la petite couronne d'Île-de-France, représenté par son président en exercice, M. B A, maire de Villiers-sur-Marne, dûment habilité à cet effet, conclut qu'il n'y a plus lieu de statuer sur les conclusions du déféré préfectoral et, subsidiairement, au rejet du déféré préfectoral.
Il fait valoir que :
- le déféré préfectoral a perdu de son objet, le contrat n'ayant pas été reconduit au 1er janvier 2024 ;
- si aucun maximum de valeur n'est indiqué dans le contrat contesté, il prévoit néanmoins un maximum en quantité et ne méconnaît dès lors pas les dispositions de l'article R. 2162-4 du code de la commande publique ;
- subsidiairement, si le tribunal devait prononcer l'annulation du marché, ses effets devraient être reportés au 1er janvier 2024.
Le déféré a été communiqué à la société Plurélya, en qualité d'attributaire du contrat public contesté, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Boucetta, rapporteure,
- et les conclusions de M. Breuille, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par un avis d'appel public à la concurrence du 31 août 2022, le centre interdépartemental de gestion de la petite couronne d'Île-de-France a lancé une procédure adaptée en vue de conclure un accord-cadre à bons de commande ayant pour objet la mise au point, l'exécution et le suivi d'un contrat cadre d'accompagnement social de l'emploi au profit des agents des collectivités de son ressort géographique. Le 2 décembre 2022, le contrat a été conclu avec la société Plurélya pour une durée d'un an, courant à compter du 1er janvier 2023, renouvelable trois fois. Par un courrier du 27 janvier 2023, le préfet de la Seine-Saint-Denis a demandé au centre interdépartemental de gestion de la petite couronne d'Île-de-France de " retirer " le contrat en raison de sa méconnaissance aux dispositions de l'article R. 2162-4 du code de la commande publique. Par une lettre du 21 mars 2023, le centre interdépartemental de gestion de la petite couronne d'Île-de-France a refusé de faire droit au recours gracieux du préfet. Par le déféré susvisé, le préfet de la Seine-Saint-Denis demande au tribunal d'annuler le contrat conclu le 2 décembre 2022 entre le centre interdépartemental de gestion de la petite couronne d'Île-de-France et la société Plurélya, ensemble le rejet de son recours gracieux.
Sur l'exception de non-lieu à statuer :
2. Il résulte de l'instruction que, par un courrier du 6 septembre 2023, le centre interdépartemental de gestion de la petite couronne d'Île-de-France a informé la société Plurélya que le contrat litigieux ne serait pas reconduit le 1er janvier 2024, pour une année supplémentaire, et cesserait ses effets le 31 décembre 2023. Toutefois, cette circonstance ne fait pas, en elle-même, obstacle à ce que le juge prononce, le cas échéant, l'annulation du contrat dès lors que celui-ci a reçu un commencement d'exécution. L'exception de non-lieu à statuer opposée par le centre interdépartemental de gestion de la petite couronne d'Île-de-France doit, dès lors, être écartée.
Sur les conclusions tendant à la contestation de la validité du contrat :
3. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu'au représentant de l'Etat dans le département dans l'exercice du contrôle de légalité. Le représentant de l'Etat dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l'appui du recours ainsi défini.
4. Aux termes de l'article R. 2162-4 du code de la commande publique : " Les accords-cadres peuvent être conclus : 1° Soit avec un minimum et un maximum en valeur ou en quantité ; 2° Soit avec seulement un maximum en valeur ou en quantité. ".
5. En l'espèce, l'article I-3 du règlement de la consultation indique expressément que le contrat est un accord-cadre à bons de commande conclu sans minimum, ni maximum, et ni le contrat, ni les documents de la consultation n'indique, par ailleurs, de valeur ou quantité maximale des prestations à fournir. La circonstance que le règlement de la consultation précisait, par ailleurs, le nombre maximum de collectivités publiques pouvant recourir à cet accord-cadre, soit " 338 collectivités et établissements du ressort géographique du CIG ", et que l'article 2.1 du cahier des clauses techniques particulières informait les soumissionnaires que le contrat concernerait " potentiellement plus de 120 000 agents du ressort géographiques du CIG " ne permet pas davantage de pallier l'absence de défaut d'indication de la valeur ou de la quantité maximum du contrat, dès lors que ces mentions, purement indicatives, ne présentent aucun caractère juridiquement contraignant pour l'acheteur public.
6. Il s'ensuit que le préfet de la Seine-Saint-Denis est fondé à soutenir que le contrat conclu, le 2 décembre 2022, par le centre interdépartemental de gestion de la petite couronne d'Île-de-France avec la société Plurélya a été attribué en méconnaissance des dispositions de l'article R. 2162-4 du code de la commande publique.
Sur la nature et les conséquences de l'illégalité commise :
7. Il appartient au juge, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences. Ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci. Il peut enfin, s'il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu'il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice découlant de l'atteinte à des droits lésés.
8. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que le contrat en litige est entaché d'une irrégularité ayant trait à la procédure de passation affectant la régularité des modalités de publicité et de mise en concurrence. Cette irrégularité, insusceptible de régularisation, qui n'affecte ni le consentement de la personne publique ni ne relève un contenu illicite de ce contrat, et en l'absence de toutes circonstances particulières révélant notamment une volonté de la personne publique de favoriser un candidat, ne justifie pas que soit prononcée l'annulation du contrat. En outre, il résulte de l'instruction que le contrat, parvenu à son terme le 31 décembre 2023 et qui n'a pas été reconduit à compter du 1er janvier 2024, ne peut davantage faire l'objet d'une mesure de résiliation.
9. Il résulte de tout ce qui précède que le déféré du préfet de la Seine-Saint-Denis doit être rejeté.
D E C I D E :
Article 1er : Le déféré du préfet de la Seine-Saint-Denis est rejeté.
Article 2 : Le présent jugement sera notifié au préfet de la Seine-Saint-Denis, au centre interdépartemental de gestion de la petite couronne de la région Île-de-France et à la société Plurélya.
Délibéré après l'audience du 20 juin 2024, à laquelle siégeaient :
- M. Romnicianu, président,
- Mme Dupuy-Bardot, première conseillère,
- Mme Boucetta, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juillet 2024.
La rapporteure,
H. BOUCETTA
Le président,
M. ROMNICIANULe greffier,
Y. EL MAMOUNI
La République mande et ordonne au préfet de la Seine-Saint-Denis en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.