TA Nantes, 07/02/2024, n°2110363


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 15 septembre 2021 et le 12 octobre 2023, la société par actions simplifiée (SAS) Vert Marine, représentée par Me Muriel Gillette, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de condamner la commune de Chemillé-en-Anjou à lui verser une somme de

250 000 euros, augmentée des intérêts de droit à compter du 10 juin 2021, date de réception de la demande préalable d'indemnisation et capitalisés dans les conditions prescrites par l'article 1343-2 du code civil ;

2°) à titre subsidiaire, de condamner la commune de Chemillé-en-Anjou à lui verser une somme de 10 000 euros, augmentée des intérêts et capitalisés dans les mêmes conditions';

3°) de mettre à la charge de toute partie succombante la somme de 5'000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société Vert Marine soutient que:

- la procédure de passation est entachée d'une illégalité fautive dès lors que l'offre retenue méconnait les stipulations de la convention collective en vigueur et était donc inacceptable ;

- cette illégalité lui a causé un préjudice dès lors que son offre a été classée en deuxième position.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 janvier 2023, la commune de Chemillé-en-Anjou, représentée par Me Éric Boucher, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3'000'euros soit mise à la charge de la société Vert Marine au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- aucune irrégularité n'a été commise lors de la procédure d'attribution ;

- la société Vert Marine ne justifie ni disposer d'une chance sérieuse de se voir attribuer le contrat ni de la réalité de son préjudice indemnisable.

Des observations présentées par la société Prestalis, représentée par Me Sophie Guillon-Coudray, ont été enregistrées le 6 janvier 2022 et le 26 octobre 2023, aux termes desquelles elle demande que soit mise à la charge de la société Vert Marine une somme de 5 000'euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par une ordonnance du 12 octobre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au

26 octobre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de la commande publique ;

- le du code général des collectivités territoriales ;

- le code du travail ;

- l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 ;

- le code de justice administrative ;

- la décision CE n° 291545 du 16 juillet 2007.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique du 17 janvier 2024 :

- le rapport de M. Jégard,

- les conclusions de M. Simon, rapporteur public,

- les observations de Me Philippon, substituant Me Gillette, représentant la S.A.S. Vert Marine ;

- et les observations de Me Boucher, représentant la commune de Chemillé-en-Anjou.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Chemillé-en-Anjou (Maine-et-Loire) a engagé le 8 juin 2018 une consultation en vue d'attribuer la délégation du service public de gestion et d'exploitation de son centre aquatique, " L'Hyrôme ", pour une durée de cinq ans. La concession a été attribuée le

11 janvier 2019 à la société Prestalis. Par une lettre du 10 juin 2021, reçue par la commune le

15 suivant, la société Vert Marine, candidate évincée, a présenté une réclamation indemnitaire à raison du caractère irrégulier de l'offre présentée par la société Prestalis. La commune de Chemillé-en-Anjou a rejeté sa demande le 15 juillet 2021. Par sa requête, la société Vert Marine demande que la commune de Chemillé-en-Anjou soit condamnée à lui verser 250 000 euros, augmentée des intérêts et capitalisation de ceux-ci.

Sur la responsabilité de la commune de Chemillé-en-Anjou :

2. Ainsi que l'a jugé le Conseil d'État, statuant au contentieux, par une décision n° 291545 du 16 juillet 2007, tout concurrent évincé de la conclusion d'un contrat administratif est recevable à former devant le juge du contrat, dans un délai de deux mois à compter de l'accomplissement des mesures de publicité appropriées, un recours de pleine juridiction contestant la validité de ce contrat ou de certaines de ses clauses qui en sont divisibles, afin d'en obtenir la résiliation ou l'annulation.

3. Il appartient au juge saisi de telles conclusions, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier les conséquences. Il lui revient, après avoir pris en considération la nature de l'illégalité éventuellement commise, soit de prononcer la résiliation du contrat ou de modifier certaines de ses clauses, soit de décider de la poursuite de son exécution, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation par la collectivité contractante, soit d'accorder des indemnisations en réparation des droits lésés, soit enfin, après avoir vérifié si l'annulation du contrat ne porterait pas une atteinte excessive à l'intérêt général ou aux droits du cocontractant, d'annuler, totalement ou partiellement, le cas échéant avec un effet différé, le contrat.

4. En vue d'obtenir réparation de ses droits lésés, le concurrent évincé a ainsi la possibilité de présenter devant le juge du contrat des conclusions indemnitaires, à titre accessoire ou complémentaire à ses conclusions à fin de résiliation ou d'annulation du contrat. Il peut également engager un recours de pleine juridiction distinct, tendant exclusivement à une indemnisation du préjudice subi à raison de l'illégalité de la conclusion du contrat dont il a été évincé.

5. Dans les deux cas, la présentation de conclusions indemnitaires par le concurrent évincé n'est pas soumise au délai de deux mois suivant l'accomplissement des mesures de publicité du contrat, applicable aux seules conclusions tendant à sa résiliation ou à son annulation.

6. Aux termes de l'article 1er de l'ordonnance du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession : " I. - Les contrats de concession soumis à la présente ordonnance respectent les principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. / () ". Aux termes de l'article L. 1411-5 du code général des collectivités territoriales applicable aux délégations de service public : " I.- Une commission ouvre les plis contenant les candidatures ou les offres et dresse la liste des candidats admis à présenter une offre après examen de leurs garanties professionnelles et financières, de leur respect de l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés prévue aux articles L. 5212-1 à L. 5212-4 du code du travail et de leur aptitude à assurer la continuité du service public et l'égalité des usagers devant le service public. / () ". Aux termes de l'article L. 2261-2 du code du travail : " La convention collective applicable est celle dont relève l'activité principale exercée par l'employeur. / () " et aux termes de l'article L. 2261-15 du même code : " Les stipulations d'une convention de branche ou d'un accord professionnel ou interprofessionnel, () peuvent être rendues obligatoires pour tous les salariés et employeurs compris dans le champ d'application de cette convention ou de cet accord, par arrêté du ministre chargé du travail, après avis motivé de la Commission nationale de la négociation collective, de l'emploi et de la formation professionnelle. / () ".

7. Par arrêté du ministre en charge du travail du 21 novembre 2006 la convention collective nationale du sport a été étendue et son champ d'application est ainsi défini : " La convention collective du sport règle, sur l'ensemble du territoire y compris les DOM, les relations entre les employeurs et les salariés des entreprises exerçant leur activité principale dans l'un des domaines suivants': organisation, gestion et encadrement d'activités sportives ; gestion d'installations et d'équipements sportifs. () A titre indicatif, les activités concernées par le champ d'application de la convention collective nationale du sport relèvent notamment des codes NAF : 93. 11Z (gestion d'installations sportives) () ". Le champ d'application de la convention collective nationale des espaces de loisirs, d'attractions et culturels, étendue par un arrêté ministériel du 25 juillet 1994, est ainsi défini : " La convention collective nationale des espaces de loisirs, d'attractions et culturels règle, sur l'ensemble des départements français, y compris les DOM, les relations entre les employeurs et les salariés des entreprises de droit privé à but lucratif : () - qui gèrent des installations et / ou exploitent à titre principal des activités à vocation récréative et / ou culturelle, dans un espace clos et aménagé avec des installations fixes et permanentes comportant des attractions de diverse nature : manèges secs et / ou aquatiques ; spectacles culturels ou de divertissements avec présentation ou non d'animaux ; décors naturels ou non ; expositions ; actions continues ou ponctuelles d'animation pédagogiques ou non. (). Les entreprises concernées exercent, d'une manière générale, une ou plusieurs activités ludiques et / ou culturelles, en y associant': restauration, attractions, boutiques, destinées, dans le cadre urbain et / ou rural, et / ou commercial, à un marché familial. / Sont notamment, comprises dans le champ d'application, les activités suivantes, étant précisé que bien entendu l'ensemble des codes NAF cités le sont à titre indicatif. Les entreprises répertoriées sous l'ancienne codification NAF 92. 3F " manèges forains et parcs d'attractions'", remplacée par la codification suivante :

- 93. 21Z : " activités des parcs d'attractions et parcs à thème " ; - 93. 29Zp : " autres activités récréatives et de loisirs NCA " : parc d'attractions ; parc à thème ou non ; parc aquatique ; aquarium ; transport d'agrément. () Sont exclues du champ d'application les entreprises de droit privé, à but lucratif, répertoriées sous l'ancienne codification NAF 92.6 " gestion d'installations sportives " et " autres activités sportives'", remplacée par la codification suivante : 93. 11Z : " gestion d'installations sportives "'; () Et, plus précisément, les installations et les centres des activités suivantes : les piscines ()'".

8. D'une part, il résulte des dispositions citées au point 6 qu'alors même que ni la législation alors applicable en matière de passation de délégations de service public, dont l'article L.'1411-5 du code général des collectivités territoriales, ni le règlement de consultation de la délégation de service public en litige ne prévoyait un examen des candidatures au regard de la convention collective appliquée par l'entreprise candidate, une offre qui méconnait les stipulations d'une convention collective doit être regardée comme méconnaissant la législation en vigueur et revêt, dès lors, un caractère irrégulier.

9. D'autre part, il résulte des articles L. 2261-2 et L. 2261-15 cités du code du travail que l'application d'une convention collective étendue se fait au regard de l'activité principale de l'employeur, et résulte donc d'une appréciation faite au cas d'espèce, pour chaque entreprise, au regard des champs d'application des conventions collectives susceptibles d'être appliquées. Il est constant que la société Prestalis, attributaire de la délégation de service public destinée à exploiter le centre aquatique de Chemillé-en-Anjou, ne fait pas application de la convention collective nationale du sport mais de celle des espaces de loisirs, d'attractions et culturels. Pour justifier ce choix, la commune défenderesse se borne à mentionner que le centre aquatique est composé d'un bassin ludique avec une cascade, un champignon, un canon à eau et des jets hydromassants ouvert toute l'année. Il résulte toutefois de l'instruction que l'activité confiée à l'attributaire de la délégation de service public en litige a principalement pour objet la gestion d'installations et d'équipements sportifs, organisée au sein d'un centre aquatique comprenant notamment deux bassins et une fosse de plongée. Le planning d'occupation des activités prévues par le délégataire fait d'ailleurs apparaitre des créneaux d'apprentissage et de perfectionnement de la natation, de nage sportive et d'aquabike. Un tel équipement a donc principalement une vocation sportive alors même qu'il comporte accessoirement des espaces ludiques et de détente. Une telle activité ne se confond pas avec celle des parcs aquatiques entrant dans le champ d'application de la convention collective nationale des espaces de loisirs, d'attractions et culturels.

10. Il résulte de tout ce qui précède que l'offre de la société Prestalis, méconnaissant les stipulations de la convention collective nationale du sport, doit être regardée comme méconnaissant la législation en vigueur. Son offre était ainsi irrégulière et aurait pu pour ce motif être éliminée. Par suite, la société Vert Marine est fondée à soutenir qu'elle a été irrégulièrement évincée de la procédure d'attribution de cette concession et que cette circonstance est susceptible d'engager la responsabilité de la commune de Chemillé-en-Anjou.

Sur les préjudices subis par la société Vert Marine et leur indemnisation :

11. Lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce contrat et qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l'irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à cause de son éviction, il appartient au juge de vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat. En l'absence de toute chance, il n'a droit à aucune indemnité. Dans le cas contraire, il a droit en principe au remboursement des frais qu'il a engagés pour présenter son offre. Il convient en outre de rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d'emporter le contrat conclu avec un autre candidat. Si tel est le cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre, lesquels n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique.

12. D'une part, la société requérante, dont l'offre a été classée seconde à l'issue de la procédure de sélection pour l'attribution du contrat de concession du centre aquatique en litige, sans que sa régularité ne soit remise en cause, n'était, de ce seul fait, pas dépourvue de toute chance de remporter le contrat.

13. D'autre part, il ne résulte pas de l'instruction que l'application de la convention collective nationale du sport aurait eu en l'espèce un effet sur les offres financières des candidats ni que, en tout état de cause, le classement final des offres aurait été différent du seul fait de la modification de la convention collective au sein de l'offre de l'attributaire. En conséquence, alors qu'il n'est pas démontré que l'offre irrégulièrement retenue était pour autant dépourvue de toute chance de régularisation, il n'est pas établi que, dans cette hypothèse, la société Vert Marine aurait été désignée attributaire du contrat. Par suite, la société ne démontre pas qu'elle avait des chances sérieuses d'emporter celui-ci.

14. Il résulte de ce qui précède que la société Vert Marine est seulement fondée à demander le remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre. Toutefois, ainsi que le fait valoir la commune défenderesse, l'indemnisation demandée à ce titre, 10'000 euros, ne fait l'objet d'aucune précision ni de justification sur ce qu'elle est susceptible de recouvrir. Dans ces conditions, sa demande d'indemnisation doit être rejetée.

Sur les frais liés au litige :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Chemillé-en-Anjou, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Vert Marine demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Vert Marine la somme demandée sur le même fondement par les défenderesses, la société Prestalis n'étant pas, en tout état de cause, une partie.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société Vert Marine est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par la commune de Chemillé-en-Anjou et par la société Prestalis sont rejetées.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la société par actions simplifiée Vert Marine, à la commune de Chemillé-en-Anjou et à la société Prestalis.

Délibéré après l'audience du 17 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Rimeu, présidente,

M. Jégard, premier conseiller,

Mme El Mouats St Dizier, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 février 2024.

Le rapporteur,

X. JÉGARDLa présidente,

S. RIMEU

La greffière,

P. LABOUREL

La République mande et ordonne au préfet de la Loire-Atlantique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,