Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 29 décembre 2022, la société SARL SIPP, représentée par Me Bensussan, demande au tribunal :
1°) de condamner la Ville de Paris à lui verser, en réparation de son préjudice, une somme globale de 503 627,36 euros hors taxes ;
2°) de mettre à la charge de la Ville de Paris une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle a qualité donnant intérêt à agir ;
- le fait qu'elle n'ait pas été consultée par la Ville de Paris de décembre 2019 au 30 septembre 2022 s'est traduit par la perte de chance de réaliser des prestations de services de sécurité pendant la durée d'exécution du marché dont elle a été attributaire, à l'origine d'un manque à gagner de 358 627,36 euros hors taxes ;
- elle a également subi de ce fait un préjudice de 145 000 euros hors taxes au titre des moyens matériels déployés en exécution du marché.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 avril 2023, la Ville de Paris, représentée par Me Cabanes, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société SARL SIPP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable car la société requérante n'a pas respecté la procédure de règlement des différends prévue par l'article 37.2 du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de fournitures courantes et de services ;
- elle n'a commis aucune faute dans l'exécution du contrat ;
- la société requérante ne démontre pas avoir subi un préjudice certain.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A,
- les conclusions de M. Grandillon, rapporteur public,
- et les observations de Me Bernard, pour la Ville de Paris.
Considérant ce qui suit :
1. Par un acte d'engagement du 15 octobre 2019, la Ville de Paris a conclu avec la société à responsabilité limitée (SARL) SIPP un accord-cadre multi-attributaires à bons de commande et lui a confié le lot n°1, lequel portait sur des prestations de surveillance et de sécurité des manifestations évènementielles de grande ampleur ayant une portée emblématique et potentiellement internationale. Cet accord-cadre, qui comportait un montant minimum de 250 000 euros hors taxes, a été conclu pour une durée de douze mois, reconductible trois fois par tacite reconduction. Par deux demandes des 30 mars et 26 novembre 2022, la société a mis en demeure la Ville de Paris de lui payer des sommes au titre de la non-atteinte de ce montant minimum. La Ville de Paris a rejeté ces demandes d'indemnisation par courriers des 3 mai et 20 décembre 2022. Par la présente requête, la SARL SIPP demande au tribunal de condamner la Ville de Paris à lui verser, d'une part, une somme de 358 627,36 euros hors taxes au titre du préjudice résultant de sa non-consultation pour les services de sécurité dont elle a été adjudicataire de décembre 2019 au 30 septembre 2022 et, d'autre part, une somme de 145 000 euros hors taxes au titre du préjudice subi pour non-respect des engagements contractuels.
Sur les conclusions indemnitaires :
2. Aux termes de l'article L. 2125-1 du code de la commande publique, dans sa version applicable au contrat en litige : " L'acheteur peut, dans le respect des règles applicables aux procédures définies au présent titre, recourir à des techniques d'achat pour procéder à la présélection d'opérateurs économiques susceptibles de répondre à son besoin ou permettre la présentation des offres ou leur sélection, selon des modalités particulières.
Les techniques d'achat sont les suivantes : / 1° L'accord-cadre, qui permet de présélectionner un ou plusieurs opérateurs économiques en vue de conclure un contrat établissant tout ou partie des règles relatives aux commandes à passer au cours d'une période donnée. () ". Aux termes de l'article R. 2162-2 du même code : " Lorsque l'accord-cadre fixe toutes les stipulations contractuelles, il est exécuté au fur et à mesure de l'émission de bons de commande dans les conditions fixées aux articles R. 2162-13 et R. 2162-14 ". Aux termes de l'article R. 2162-4 du même code : " Les accords-cadres peuvent être conclus : / 1° Soit avec un minimum et un maximum en valeur ou en quantité () ".
3. L'article 4.2.1 du cahier des clauses administratives particulières de l'accord-cadre en litige stipule : " Pour le lot 1 : 2 attributaires / Les manifestations événementielles programmées sont attribuées à chaque attributaire à tour de rôle, selon une règle de dévolution chronologique par rapport aux événements concernés. / Le soumissionnaire arrivé au rang 1 du classement des offres du lot 1 se voit attribuer la première manifestation événementielle qui se présente de façon chronologique, puis le soumissionnaire arrivé au rang 2 du classement des offres du lot 1 se voit attribuer la seconde manifestation événementielle qui se présente de façon chronologique. Cette règle d'alternance chronologique est appliquée pour l'ensemble des manifestations événementielles programmées qui se présentent de façon chronologique. / Les manifestations événementielles de grande ampleur non programmées sont attribuées conjointement aux deux attributaires, en fonction d'une règle de complémentarité. La répartition de chaque manifestation par périmètre est décidée au cas par cas, au moment de la préparation de chaque événement en fonction du contexte, des manifestations non prévues, ou de la concomitance de deux événements majeurs ne pouvant être assurés par un prestataire unique ".
4. Il résulte de l'instruction que la SARL SIPP et la Ville de Paris sont liées par un accord-cadre multi-attributaires, si bien que la société requérante ne disposait d'aucune certitude quant au nombre et à la valeur des bons de commande susceptibles de lui être attribués en vertu de la clé de répartition contractuellement prévue par les clauses précitées. Ainsi, en l'absence de stipulations plus précises, le montant minimal de 250 000 euros par période de douze mois, mentionné à l'article 2.1.1 du cahier des clauses administratives particulières, étant fixé pour la totalité du marché, chaque entreprise attributaire considérée individuellement ne disposait d'aucune garantie d'obtenir soit le montant minimal, soit une fraction préétablie de celui-ci. Dans ces conditions, la SARL SIPP n'est pas fondée à soutenir que la Ville de Paris aurait commis une faute dans l'exécution de l'accord-cadre en ne lui transmettant pas des bons de commande pour un montant cumulé au moins égal à celui mentionné dans l'accord-cadre.
5. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 qu'en l'absence de toute faute commise par la Ville de Paris dans l'exécution de l'accord-cadre, la société SARL SIPP ne dispose pas d'un droit à être indemnisée au titre de la non-atteinte du montant minimal du marché ni des autres préjudices en résultant.
6. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité de la requête, que les conclusions indemnitaires présentées par la SARL SIPP doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la Ville de Paris, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par la SARL SIPP au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société requérante la somme demandée par la Ville de Paris au même titre.
D E C I D E :
Article 1 : La requête de la société à responsabilité limitée SIPP est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la Ville de Paris au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la société à responsabilité limitée SIPP et à la Ville de Paris. Copie en sera adressée à la SELARL Actis Mandataire.
Délibéré après l'audience du 11 avril 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Anne Seulin, présidente,
MM. Gaël A et Arnaud Blusseau, premiers conseillers.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 mai 2024.
Le rapporteur,
G. A
La présidente,
A. Seulin
La greffière,
L. Thomas
La République mande et ordonne au préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2/4-1