TA Paris, 13/05/2024, n°2408557


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 12, 29 avril et 10 mai 2024, la société Leica Microsystèmes, représentée par Me Nourrison, demande au juge des référés statuant en application de l'article L. 551-13 du code de justice administrative, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de suspendre l'exécution de l'accord-cadre relatif à la " fourniture, installation et mise en service de deux microscopes opératoires destinés au bloc opératoire du GHU Paris Psychiatrie et Neurosciences " conclu entre le GHU Paris Psychiatrie Neurosciences et la société Zeiss pour la durée de l'instance ;

2°) d'annuler ce marché ou à défaut de le résilier ;

3°) de mettre à la charge du GHU Paris Psychiatrie Neurosciences la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle est recevable à introduire un référé contractuel dès lors que le GHU Paris Psychiatrie Neurosciences avait l'obligation de suspendre la signature du contrat dès lors qu'il avait été informé de l'introduction d'un référé précontractuel devant le tribunal administratif de Paris ;

- l'article R. 2181-2 du code de la commande publique a été méconnu ;

- Son offre de base n'a pas fait l'objet d'une analyse et d'une notation ;

- la notation du critère prix de son offre variante est entachée d'erreurs manifestes d'appréciation ; des erreurs ont été commises dans le cadre de l'analyse du prix de " l'option de fluorescence tumorale ", de celui de " l'option de fluorescence vasculaire " ;

- le GHU a commis des erreurs manifestes d'appréciation au titre du critère technique, notamment au titre du sous-critère 2.1 relatif aux caractéristiques générales, du sous-critère 2.3 relatif à la qualité de la chirurgie en tête haute ;

- de nouveaux sous-critères n'ont pas été portés à la connaissance des candidats ; des sous-sous critères pondérés ont été appliqués à chaque sous-critère ; le GHU a commis un manquement à ses obligations de publicité et de mise en concurrence ;

Par des mémoires en défense, enregistrés les 22 avril, 3 mai et 7 mai 2024, le GHU Paris Psychiatrie et Neurosciences, représenté par Me Rayssac, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société requérante la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que la requête est irrecevable et est non fondée.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 29 avril et 6 mai 2024, la société Carl Zeiss Meditec France, représentée par Me Weil, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société requérante la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que la requête est irrecevable et est non fondée.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné Mme Le Roux pour statuer sur les demandes de référé.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique tenue en présence de Mme Rajaobelison, greffière d'audience, Mme Le Roux a lu son rapport et entendu :

- les observations de Me Nourisson, représentant la société Leica Microsystèmes ;

- les observations de Me Rayssac, représentant le GHU Paris Psychiatrie et Neurosciences ;

- et les observations de Me Weil, représentant la société Carl Zeiss.

A l'audience, la juge des référés a souhaité entendre les parties sur l'absence de mention du délai de stand still dans le courrier de rejet de l'offre et ses conséquences sur la recevabilité du recours contractuel.

Le GHU Paris Psychiatrie et Neurosciences a admis que ce délai n'avait pas été mentionné dans le courrier de rejet sans volonté de faire échec à l'exercice d'un référé précontractuel.

A l'issue de l'audience, la clôture de l'instruction a été différée au 10 mai à 12 heures, en application de l'article R. 522-8 du code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis public d'appel à la concurrence publié le 30 octobre 2023, le groupement hospitalier universitaire (GHU) Paris Psychiatrie Neurosciences a lancé une consultation, dans le cadre d'un appel d'offres ouvert, en vue de l'attribution d'un accord-cadre ayant pour objet la " fourniture, installation et mise en service de deux microscopes opératoires destinés au bloc opératoire du GHU Paris Psychiatrie et Neurosciences ". La société Leica Microsystèmes, qui a remis une offre pour l'attribution de ce marché public, a été avisée, par un courrier du 2 avril 2024, du rejet de cette offre. Elle a introduit par sa requête du 12 avril 2024 un référé précontractuel sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative pour contester la régularité de la procédure d'attribution de ce marché. Informée en cours d'instance, par un mémoire en défense du GHU Paris Psychiatrie Neurosciences communiqué le 22 avril 2024, de la signature du marché le 15 avril 2024, la société Leica Micorsystèmes a répliqué à ce mémoire en saisissant le juge des référés d'un référé contractuel.

Sur la fin de non-recevoir opposée par le GHU Paris Psychiatrie et Neurosciences et la société Carl Zeiss Meditec France :

2. Aux termes de l'article R. 2181-1 du code de la commande publique : " L'acheteur notifie sans délai à chaque candidat ou soumissionnaire concerné sa décision de rejeter sa candidature ou son offre ". L'article R. 2181-2 du même code précise que : " Tout candidat ou soumissionnaire dont la candidature ou l'offre a été rejetée peut obtenir les motifs de ce rejet dans un délai de quinze jours à compter de la réception de sa demande à l'acheteur. / Lorsque l'offre de ce soumissionnaire n'était ni inappropriée, ni irrégulière, ni inacceptable, l'acheteur lui communique en outre les caractéristiques et avantages de l'offre retenue ainsi que le nom de l'attributaire du marché. ". Aux termes de l'article R. 2181-3 du même code : " La notification prévue à l'article R. 2181-1 mentionne les motifs du rejet de la candidature ou de l'offre. Lorsque la notification de rejet intervient après l'attribution du marché, l'acheteur communique en outre : 1° Le nom de l'attributaire ainsi que les motifs qui ont conduit au choix de son offre ; 2° La date à compter de laquelle il est susceptible de signer le marché dans le respect des dispositions de l'article R. 2182-1 ". Enfin, aux termes de l'article R. 2182-1 du même code : " Pour les marchés passés selon une procédure formalisée, un délai minimal de onze jours est respecté entre la date d'envoi de la notification prévue aux articles R. 2181-1 et R. 2181-3 et la date de signature du marché par l'acheteur ".

3. Les dispositions de l'article L. 551-14 du code de justice administrative, qui prévoient que le recours contractuel n'est pas ouvert au demandeur ayant fait usage du référé précontractuel dès lors que le pouvoir adjudicateur a respecté la suspension prévue à l'article L. 551-4 et s'est conformé à la décision juridictionnelle rendue sur ce recours, n'ont pas pour effet de rendre irrecevable un recours contractuel introduit par un concurrent évincé qui avait antérieurement présenté un recours précontractuel alors qu'il était dans l'ignorance du rejet de son offre et de la signature du marché par suite d'un manquement du pouvoir adjudicateur au respect des dispositions des articles R. 2181-3 et R. 2182-1 du code de la commande publique qui prévoient l'obligation de notifier aux candidats le rejet de leurs offres et fixent un délai minimum de onze jours entre la date d'envoi de cette notification et la conclusion du marché. Les dispositions de l'article L. 551-14 du code de justice administrative ne sauraient non plus avoir pour effet de rendre irrecevable le recours contractuel du concurrent évincé ayant antérieurement présenté un recours précontractuel qui, bien qu'informé du rejet de son offre par le pouvoir adjudicateur, ne l'a pas été, contrairement à ce qu'exigent les dispositions du 2° de l'article R. 2181-3 du code de la commande publique, du délai de suspension que ce dernier s'imposait entre la date d'envoi de la notification du rejet de l'offre et la conclusion du marché.

4. Il ressort des pièces du dossier que le courrier du 2 avril 2024 par lequel le GHU Paris Psychiatrie Neurosciences a informé la société Leica Microsystèmes du rejet de son offre, ne mentionnait pas le délai de suspension que le GHU s'imposait avant la conclusion du marché. Ainsi, les dispositions de l'article L. 551-4 ne faisaient pas obstacle à ce que la société requérante forme un référé contractuel. Dès lors, à défaut pour elle d'avoir été informée de ce délai lors de la notification du rejet de son offre, la société Leica Microsystèmes, qui était de ce fait dans l'ignorance de la signature du marché lorsqu'elle a présenté un référé précontractuel, était recevable à former un référé contractuel, sur le fondement de l'article L. 551-13 de ce code, après avoir été informée, par le mémoire en défense de l'office dans le cadre de l'instance en référé précontractuel, que le contrat avait été signé pour le marché en litige le 15 avril 2024. Par suite, il y a lieu d'écarter la fin de non-recevoir opposée par les défendeurs.

Sur les conclusions présentées sur le fondement des articles L. 551-13 et L. 551-18 du code de justice administrative :

5. Aux termes de l'article L. 551-13 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi, une fois conclu l'un des contrats mentionnés aux articles L. 551-1 et L. 551-5, d'un recours régi par la présente section. ". Aux termes de l'article L. 551-18 du même code : " Le juge prononce la nullité du contrat lorsqu'aucune des mesures de publicité requises pour sa passation n'a été prise, ou lorsque a été omise une publication au Journal officiel de l'Union européenne dans le cas où une telle publication est prescrite. () Le juge prononce également la nullité du contrat lorsque celui-ci a été signé avant l'expiration du délai exigé après l'envoi de la décision d'attribution aux opérateurs économiques ayant présenté une candidature ou une offre ou pendant la suspension prévue à l'article L. 551-4 ou à l'article L. 551-9 si, en outre, deux conditions sont remplies : la méconnaissance de ces obligations a privé le demandeur de son droit d'exercer le recours prévu par les articles L. 551-1 et L. 551-5, et les obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sa passation est soumise ont été méconnues d'une manière affectant les chances de l'auteur du recours d'obtenir le contrat. ".

6. D'une part, ainsi qu'il a été dit au point 4., la société requérante a été privée de son droit d'exercer le recours prévu par les dispositions de l'article L. 551-1 du code de justice administrative.

7. D'autre part, il résulte des termes du rapport d'analyse des offres, que l'offre variante proposée par la société Leica Microsystèemes et l'offre de base proposée par la société Carl Zeiss Meditec France ont été comparées dès lors qu'elles contenaient chacune, un système de visualisation (microcospie), une solution hybride (exoscopie), l'option de fluorescence tumorale, l'option de fluorescence vasculaire et l'option DICOM. Il résulte également de l'instruction que, pour évaluer le critère du prix noté sur 40 points sur 100 selon le règlement de la consultation, le pouvoir adjudicateur a distingué les éléments des offres relatifs aux " système de visualisation ", " solution hybride ", " option de fluorescence tumorale ", " option de fluorescence vasculaire " et " option DICOM ". Le premier élément a été noté, au moment de l'évaluation des offres, sur 35 points sur 40, les deuxième, troisième et cinquième sur 1 point sur 40 chacun et le quatrième sur 2 points sur 40. En s'abstenant de porter à la connaissance des candidats cette décomposition de la pondération du critère du prix, alors que l'élément d'appréciation relatif au système de visualisation constituait, eu égard à son objet et à son importance, un sous-critère, qualifié d'ailleurs comme tel par le GHU Paris Psychiatrie Neurosciences, assimilable à un véritable critère de jugement des offres et que les autres sous-critères du critère prix représentaient plus du tiers du prix proposé par les candidats, le pouvoir adjudicateur a manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence. Il résulte de l'instruction que la société Leica Micosystèmes n'a obtenu, pour le sous-critère relatif à " système de visualisation ", qu'une note de 33,25 sur 35. Eu égard à l'écart de 0,30 point seulement entre la note sur le critère prix attribuée à la société Leica Microsystèmes et celle attribuée à la société Carl Zeiss Meditec France et de 1,17 point seulement entre la note globale attribuée à la société la société Leica Microsystèmes et celle attribuée à la société Carl Zeiss Meditec France, avec laquelle l'accord-cadre a été conclu, le manquement tenant au défaut d'information des candidats doit être regardé comme ayant méconnu les obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles sa passation était soumise d'une manière affectant les chances de la société Leica Microsystèmes d'obtenir le contrat.

7. Il résulte de ce qui précède que la société Leica Micosystèmes est fondée à demander l'annulation de l'accord cadre en litige sur le fondement du troisième alinéa de l'article L. 551-18 du code de justice administrative. Le GHU Paris Psychiatrie Neurosciences, qui se borne à solliciter une pénalité financière symbolique dès lors que l'absence de mention du délai de suspension de signature du marché n'avait pas pour but d'échapper à l'exercice d'un référé précontractuel, n'invoque aucune raison impérieuse d'intérêt général justifiant le prononcé de l'une des mesures alternatives à l'annulation du contrat prévues par l'article L. 551-19 du code de justice administrative.

8. Compte tenu de l'annulation prononcée par la présente ordonnance, les conclusions à fins de suspension de l'accord-cadre sont sans objet.

Sur les frais d'instance :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que le versement d'une somme soit mis à la charge de la société Leica Micosystèmes qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu, en revanche, au titre des mêmes dispositions, de mettre à la charge du GHU Paris Psychiatrie Neurosciences le versement à la société Leica Micosystèmes de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par cette dernière et non compris dans les dépens.

O R D O N N E :

Article 1er : L'accord-cadre relatif à la " fourniture, installation et mise en service de deux microscopes opératoires destinés au bloc opératoire du GHU Paris Psychiatrie et Neurosciences " conclu entre le GHU Paris Psychiatrie Neurosciences et la société Carl Zeiss Meditec France est annulé.

Article 2 : Le GHU Paris Psychiatrie Nerosciences versera à la société Leica Micosystèmes une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions présentées par le GHU Paris Psychiatrie Neurosciences et la société Carl Zeiss Meditec France sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Leica Micosystèmes, au GHU Paris Psychiatrie Neurosciences et à la société Carl Zeiss Meditec France.

Fait à Paris, le 13 mai 2024.

La juge des référés,

M.-O. LE ROUX

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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