TA Polynésie f, 07/08/2024, n°2400314


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 22 juillet 2024, complétée par un mémoire enregistré le 2 août 2024, M. C demande au juge des référés :

1°) d'enjoindre à la commune de Nuku Hiva de différer les résultats de la procédure de sélection du concours restreint de maîtrise d'œuvre pour les constructions de l'école primaire et de la mairie de Taipivai ;

2°) d'annuler la décision du 17 juillet 2024 par laquelle le maire de Nuku Hiva a retiré la décision du 8 juillet 2024 le déclarant lauréat de ce concours restreint et l'a écarté de la procédure de sélection ;

3°) d'enjoindre à la commune de Nuku Hiva de poursuivre la procédure de concours en mettant en œuvre la négociation avec lui, en sa qualité de lauréat du concours ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Nuku Hiva une somme de 200 000 F CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le maire de Nuku Hiva a fait une appréciation erronée des dispositions de l'article XIII du règlement de consultation ; il s'est rendu le 31 mai 2024 sur le terrain afin de prendre connaissance des conditions physiques et topologiques de réalisation de l'opération ; l'article XIII.01 du règlement de consultation n'imposait pas sa présence lors de la réunion de visite du 16 mai 2024 mais uniquement qu'il procède à une visite sur le terrain, quelle que soit la date de cette visite ; l'article XIII.01 du règlement de consultation régissant les modalités de présentation du dossier des projets des candidats ne prévoit, comme pièce figurant au dossier, que le dépôt du seul " certificat de visite ", sans mentionner aucunement la nécessité de produire une attestation de présence à la visite des lieux organisée par la commune le 16 mai 2024 ;

- à supposer que l'attestation de présence à la réunion du 16 mai 2024 devait figurer dans le dossier de candidature, la commune pouvait parfaitement s'affranchir d'une telle exigence ; la production d'une telle attestation ne présentait pas d'utilité pour l'appréciation de son offre dès lors qu'il justifiait avoir procédé à la visite des lieux ;

- les nécessités de liaison et de disponibilité pour se rendre aux Iles Marquises imposaient une grande souplesse dans l'organisation des visites.

Par un mémoire en défense, enregistré le 31 juillet 2024, la société D A Architecte conclut au rejet de la requête.

Il soutient que l'article XIII.02 du règlement de consultation imposait la présence de l'ensemble des candidats à la visite du site le 16 mai 2024, afin qu'ils puissent bénéficier des mêmes informations ; aucun des autres candidats n'a eu connaissance des informations transmises lors de la visite du 31 mai 2024, créant une inégalité de traitement entre les candidats.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 5 et 6 août 2024, la commune de Nuku Hiva, représentée par Me Fidèle, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de M. C la somme de 200 000 F CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la section XIII.01 du règlement de consultation doit être combinée avec la section XIII.02 qui indique que la visite sur le site est prévue le 16 mai 2024 à 8h ; la visite sur site ainsi que la réunion d'information suivie de questions-réponses du 16 mai 2024 étaient donc obligatoires, de sorte que l'offre de M. C a été considérée irrégulière ;

- les articles XIII.03 relatif aux questions et renseignements des participants et XIII.02 portant sur la réunion d'information et la visite sur site sont autonomes ;

- eu égard au délai dont disposaient les candidats pour s'organiser, l'excuse de la distance n'est pas recevable.

Par ordonnance du 23 juillet 2024, le juge des référés a enjoint à la commune de Nuku Hiva de différer la signature du marché litigieux au plus tard jusqu'au 11 août 2024.

Le président du Tribunal a désigné Mme Theulier de Saint-Germain, première conseillère, pour statuer sur les demandes de référé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;

- le code polynésien des marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Ont été entendus au cours de l'audience publique, à laquelle les parties ont été régulièrement convoquées :

- Mme Theulier de Saint-Germain, première conseillère, en son rapport ;

- les observations de Me Lenoir pour M. C, qui a repris les moyens et arguments sus analysés ;

- les observations de Me Fidèle, pour la commune de Nuku Hiva, qui a repris les moyens et arguments sus analysés ;

- les observations de M. D A, pour la société D A Architecte, qui a repris les moyens et arguments sus analysés ;

- les observations de M. F G, pour l'agence Tropical Architecture, qui s'est associé aux observations présentées par la commune de Nuku Hiva et la société D A Architecte.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L.551-24 du code de justice administrative : " () en Polynésie française (), le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation des marchés et contrats publics en vertu de dispositions applicables localement. / Les personnes habilitées à agir sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par ce manquement, ainsi que le haut-commissaire de la République dans le cas où le contrat est conclu ou doit être conclu par une collectivité territoriale ou un établissement public local. / Le président du tribunal administratif peut être saisi avant la conclusion du contrat. Il peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre la passation du contrat ou l'exécution de toute décision qui s'y rapporte. Il peut également annuler ces décisions et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations. Dès qu'il est saisi, il peut enjoindre de différer la signature du contrat jusqu'au terme de la procédure et pour une durée maximum de vingt jours. / Le président du tribunal administratif ou son délégué statue en premier et dernier ressort en la forme des référés. "

2. La commune de Nuku Hiva a lancé un concours restreint de maîtrise d'œuvre pour les constructions de l'école primaire et de la mairie de Taipivai. Par courrier du 8 juillet 2024, le maire de Nuku Hiva a informé M. C que son dossier des projets avait été retenu. Toutefois, le 17 juillet 2024, le maire a finalement décidé d'écarter M. C du concours restreint, au motif qu'il était absent à la réunion de présentation. Par la présente requête, M. C demande au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 551-24 du code de justice administrative, d'annuler la décision l'écartant de la procédure et d'enjoindre à la commune de poursuivre la procédure en le déclarant lauréat du concours.

3. Aux termes de l'article LP. 122-3 11° du code polynésien des marchés publics, est une offre irrégulière une " offre qui, tout en apportant une réponse au besoin de l'acheteur public, est incomplète ou ne respecte pas les exigences formulées dans l'avis d'appel public à la concurrence ou dans les documents de la consultation ". L'article LP. 235-3 de ce code dispose que " Les offres inappropriées, irrégulières et inacceptables au sens de l'article LP 122-3 sont éliminées par l'acheteur public. ".

4. Le règlement de consultation d'un marché est obligatoire dans toutes ses mentions et l'administration ne peut, dès lors, attribuer le marché à un candidat qui ne respecterait pas une des prescriptions imposées par ce règlement. Toutefois, le pouvoir adjudicateur peut s'affranchir des exigences du règlement de consultation quand la fourniture des éléments demandés ne présente pas d'utilité pour l'appréciation de l'offre, et il appartient à la juridiction saisie d'une contestation du marché de rechercher si le défaut de production d'une pièce pouvait justifier le rejet de l'offre en prenant en compte l'utilité de cette pièce pour l'appréciation de l'offre.

5. Aux termes de l'article XIII.02 du règlement de consultation " Réunion de présentation de l'opération et visite du site " : " L'acheteur réunira l'ensemble des participants pour leur présenter l'opération et le programme. Cette réunion sera assortie d'une séance de questions-réponses et d'une visite du site le jeudi 16 mai 2024 à 8h00 sur la mairie de Taipivai ". L'article XIV dudit règlement, relatif à la composition et la remise du projet (phase 2), prévoit la production du " certificat de visite établi par les services du pouvoir adjudicateur ".

6. Il résulte de ces dernières stipulations que le pouvoir adjudicateur a entendu subordonner la recevabilité des offres présentées par les candidats invités à participer au concours restreint de maîtrise d'œuvre à un critère indépendant de toute appréciation qualitative, tenant à la réalisation d'une visite obligatoire du site de l'école primaire et de la mairie de Taipivai, laquelle, au vu de la rédaction du règlement de consultation, est nécessairement la visite du 16 mai 2024 à laquelle devaient assister l'ensemble des candidats invités à participer au concours.

7. Il résulte par ailleurs de l'instruction que la visite du site imposée par le règlement de consultation devait permettre à l'ensemble des soumissionnaires d'avoir une connaissance précise du site et du programme pour leur permettre d'apporter une réponse la plus adéquate possible aux besoins du maître d'ouvrage, en assurant une égalité de traitement des candidats. Dans ces circonstances et contrairement à ce qui est soutenu, une telle visite n'était manifestement pas dépourvue d'utilité pour l'examen des offres. Si M. C produit une attestation de visite de terrain réalisée individuellement le 31 mai 2024, cette visite ne peut toutefois se substituer à la réunion de présentation et à la visite collective obligatoire du site prévue par le règlement de consultation le jeudi 16 mai 2024.

8. Par suite, dès lors que le requérant n'a pas transmis une offre respectant les exigences formulées dans le règlement de consultation, la commune de Nuku Hiva devait écarter l'offre présentée dès lors que celle-ci présentait un caractère irrégulier au sens de l'article LP. 122-3 11° du code polynésien des marchés publics, sans que M. C puisse utilement se prévaloir des contraintes de déplacement liées à l'éloignement de la commune de Nuku Hiva.

Sur les conclusions au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative :

9. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la commune de Nuku Hiva. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. C le versement à la commune de Nuku Hiva d'une somme en application de ces dispositions.

ORDONNE

Article 1er : La requête de M. E C est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la commune de Nuku Hiva tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. E C, à la société D A Architecte, à l'agence Tropical Architecture et à la commune de Nuku Hiva.

Fait à Papeete, le 7 août 2023.

La juge des référés,Le greffier,

E. Theulier de Saint-Germain M. B

La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Un greffier,

N°2400314