TA St Barthélemy, 05/08/2024, n°2400032


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 8 et 27 juillet 2024, la société par actions simplifiée Enduit Déco Peinture, représentée par Me Stéphane, demande au juge des référés statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre la procédure de passation du marché de construction du centre culturel de Saint-Barthélemy, en ce qui concerne son lot n°20 " Peinture ", en application des dispositions des articles L. 551-6 et L. 551-7 du code de justice administrative ;

2°) d'annuler la décision de refus d'attribution du lot n°20 " Peinture " ;

3°) d'enjoindre à la collectivité de Saint-Barthélemy d'apprécier à nouveau les offres concurrentes du lot n°20 en écartant le critère " Délais d'intervention " prévu par l'appel d'offre ;

4°) de mettre à la charge de la collectivité de Saint-Barthélemy une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'ensemble de documents relatifs à la passation du marché ne laissait aucune marge de manœuvre quant aux délais d'exécution du marché qui relevaient du pouvoir du maître d'œuvre, que les candidats étaient soumis à une obligation de résultat au regard des délais fixés et que l'acte d'engagement ne prévoyait aucune possible d'émettre une quelconque proposition quant aux délais d'exécution ; le pouvoir adjudicateur ne pouvait, par suite, attribuer qu'une seule et même note aux candidats en ce qui concerne le critère " Délais d'intervention " sauf à méconnaître le principe d'égalité entre les candidats ;

- le règlement de la consultation n'imposait pas la fourniture d'un planning et qu'en omettant de prendre en compte les éléments afférents aux sous-critères " Cohérence " et " Organisation de la prestation " du critère " Délais d'intervention ", pourtant fournis dans son mémoire technique, la collectivité de Saint-Barthélemy a méconnu le principe d'égalité entre les candidats et a dénaturé son offre.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 juillet 2024, la collectivité de Saint-Barthélemy conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que :

- la demande formulée au titre des dispositions des articles L. 551-6 et L. 551-7 du code de justice administrative doit être écartée dès lors que ces dispositions ne sont pas applicables aux marchés passés par un pouvoir adjudicateur ;

- les documents de la consultation du marché litigieux précisaient que le critère " Délais d'intervention " était décomposé en deux sous-critères " Cohérence " et " Organisation de la prestation " ; que ce critère d'attribution ne saurait être confondu avec le calendrier de réalisation des prestations de chaque lot et que le dossier de candidature de la requérante ne contenait aucune précision relative à la cohérence et à l'organisation e la prestation du lot n°20, justifiant que lui soit attribué la note de 0/20 sur ce critère.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 juillet 2024, la société Conres SB, attributaire du lot, représentée par le cabinet Aliénor Avocats, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société requérante une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- l'article 21 " Contenu des offres " du règlement de la consultation indique que l'ensemble des éléments et parties listées sont indispensables au mémoire technique et prévoit en son point IV la production d'un planning au sein du mémoire justificatif ;

- l'absence de production du planning a motivé la note de 0 attribuée à la société attributaire, dès lors qu'il était impossible à défaut de planning d'évaluer la cohérence avec le planning DCE ;

- les éléments produits par la société requérante relatifs aux effectifs et aux conditions de stockage ne permettent pas d'identifier le délai des phases de la prestation ainsi que les indications de délai par phase ;

- en tout état de cause et quand bien même la société EDP aurait obtenu quelques points sur ces sous-critères liés à l'organisation de la prestation et la cohérence, elle n'aurait pas pu se voir attribuer le marché dès lors que la société CONRES SB a obtenu 87,4 contre 75 pour la société requérante.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné Mme Bakhta en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique tenue le 29 juillet 2024 à 15h heures, en présence de Mme Lubino, greffière d'audience :

- le rapport de Mme Bakhta, juge des référés ;

- les observations de Me Fouilleul, substituant Me Stéphane, représentant la société requérante, qui reprend les mêmes moyens en précisant que le candidat était libre de répondre sous la forme qu'il souhaitait au critère " Délais d'intervention " ; que la collectivité ne pouvait, au seul motif de l'absence de production d'un planning, attribuer la note de 0 à la société requérante qui avait développé dans son mémoire technique des éléments relatifs au critère " Délais d'intervention " ; ce faisant, elle a fixé une exigence non prévue par le règlement de consultation du marché et dénaturé l'offre de la société requérante ; que si un planning était exigé au titre du point IV. du règlement de consultation " Démarche qualité ", le pouvoir adjudicateur n'a pas regardé l'offre de la société requérante comme incomplète ; quant aux conclusions, Me Fouilleul entend présenter de conclusions à fin d'annulation de la procédure de passation en litige au stade de l'analyse des offres ainsi que des conclusions à fin d'injonction en lieu et place de celles présentées dans les écritures et demande à ce qu'il soit enjoint à la collectivité de Saint-Barthélemy d'apprécier à nouveau les offres concurrentes du lot n°20, non pas en écartant le critère " Délais d'intervention " prévu par l'appel d'offre, mais sans se fonder uniquement sur la fourniture d'un planning pour apprécier l'offre des concurrents en ce qui concerne ce critère ;

- les observations de Me Géhin, en visio-conférence, représentant la société attributaire, qui conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens en reprenant ses écritures.

La collectivité de Saint-Barthélemy n'était ni présente, ni représentée.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.

Considérant ce qui suit :

1. Par avis en date du 12 septembre 2023, la collectivité de Saint-Barthélemy a engagé une consultation, sous la forme d'un appel d'offre ouvert, pour l'attribution d'un marché de travaux relatif à la construction d'un centre culturel comprenant un parking souterrain divisé en 23 lots, dont un lot n°20 " Peinture ". Par courrier en date du 28 juin 2024, la société requérante Enduit Déco Peinture a été informée du rejet de son offre au motif que son offre, classée deuxième, était économiquement moins intéressante que celle retenue. La société requérante demande au juge des référés, statuant sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative d'annuler la décision de rejet de son offre ainsi que la procédure de passation au stade de l'analyse des offres et d'enjoindre à la collectivité de Saint-Barthélemy d'apprécier à nouveau les offres concurrentes du lot n°20.

Sur les conclusions présentées sur le fondement des articles L. 551-6 et L. 551-7 du code de justice administrative :

2. Comme le fait valoir la collectivité de Saint-Barthélemy en défense, il y a lieu de rejeter les conclusions formulées au titre des dispositions des articles L. 551-6 et L. 551-7 du code de justice administrative dès lors que ces dispositions ne sont pas applicables aux marchés par un pouvoir adjudicateur tels que celui en litige.

Sur les conclusions principales présentées sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

3. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. () / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat. ". Aux termes de l'article L. 551-2 du même code : " I. - Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations. ". L'article L. 551-10 prévoit que : " Les personnes habilitées à engager les recours prévus aux articles L. 551-1 et L. 551-5 sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat ou à entrer au capital de la société d'économie mixte à opération unique et qui sont susceptibles d'être lésées par le manquement invoqué, ainsi que le représentant de l'Etat dans le cas où le contrat doit être conclu par une collectivité territoriale, un groupement de collectivités territoriales ou un établissement public local. () ".

4. Il appartient au juge des référés, saisi en vertu des dispositions de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, de rechercher si l'entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de manière suffisamment vraisemblable de l'avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente.

5. Aux termes de l'article L. 2152-8 du code de la commande publique : " Les critères d'attribution n'ont pas pour effet de conférer une liberté de choix illimitée à l'acheteur et garantissent la possibilité d'une véritable concurrence ".

6. D'une part, le pouvoir adjudicateur définit librement la méthode d'évaluation des offres, sans être tenue d'en informer les soumissionnaires, au regard de chacun des critères d'attribution qu'elle a définis et rendus publics. Il peut ainsi déterminer tant les éléments d'appréciation pris en compte pour son évaluation des offres que les modalités de leur combinaison. Une méthode d'évaluation est toutefois entachée d'irrégularité si, en méconnaissance des principes fondamentaux d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, les éléments d'appréciation pris en compte pour évaluer les offres au titre de chaque critère d'attribution sont dépourvus de tout lien avec les critères dont ils permettent l'évaluation ou si les modalités d'évaluation des critères d'attribution par combinaison de ces éléments sont, par elles-mêmes, de nature à priver de leur portée ces critères ou à neutraliser leur hiérarchisation et sont, de ce fait, susceptibles de conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure offre ne soit pas la mieux classée, ou, au regard de l'ensemble des critères, à ce que l'offre présentant le meilleur avantage économique global ne soit pas choisie.

7. D'autre part, il n'appartient pas au juge du référé précontractuel, qui doit seulement se prononcer sur le respect, par le pouvoir adjudicateur, des obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation d'un contrat, de se prononcer sur l'appréciation portée sur la valeur d'une offre ou les mérites respectifs des différentes offres. Il lui appartient, en revanche, lorsqu'il est saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le pouvoir adjudicateur n'a pas dénaturé le contenu d'une offre en en méconnaissant ou en en altérant manifestement les termes et procédé ainsi à la sélection de l'attributaire du contrat en méconnaissance du principe fondamental d'égalité de traitement des candidats.

8. En l'espèce, le règlement la consultation de la procédure de passation en litige prévoyait que le classement des offres serait fondé sur les trois critères " Délais d'intervention " pondéré à 20%, " Prix des prestations " pondéré à 50% et " Valeur technique " pondéré à 30%. La société requérante fait valoir que les candidats bénéficiaient d'une liberté de forme pour répondre au critère " Délais d'intervention " et que le pouvoir adjudicateur ne pouvait uniquement se fonder sur l'absence d'un planning pour lui attribuer la note de 0. Si la fourniture d'un planning en tant qu'élément d'appréciation n'est pas dénué de tout lien avec le critère " Délais d'intervention " évalué, il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'analyse d'offre, que la collectivité de Saint-Barthélemy s'est fondée sur ce seul élément pour l'évaluer, et n'a dès lors pas pris en compte les éléments écrits produit par la requérante dans son mémoire technique. Si la société attributaire fait valoir que le règlement de la consultation exigeait en son point IV " Démarche qualité " la production d'un planning au sein du mémoire technique, il résulte de l'instruction que la collectivité de Saint-Barthélemy n'a pas considéré l'offre de la société requérante comme irrégulière. Ainsi, si le pouvoir adjudicateur bénéficie de la liberté de définir les critères d'appréciation d'une offre, en conditionnant son appréciation, à une seule exigence de forme via la production d'un planning, alors même que le règlement de la consultation ne prévoyait pas précisément que le critère " Délais d'intervention " serait apprécié à l'aune de ce seul élément, la collectivité de Saint-Barthélemy n'a pas organisé un examen des offres garantissant l'égalité de traitement des candidats et la transparence de la procédure. Enfin, dès lors qu'il n'appartient pas au juge du référé précontractuel, comme il vient d'être dit au point précédent de la présente ordonnance, de se prononcer sur l'appréciation portée sur la valeur d'une offre ou les mérites respectifs des différentes offres, la société attributaire ne peut utilement faire valoir que les éléments fournis par la société requérante ne lui aurait permis d'obtenir que quelques points ne lui permettant pas d'être retenue, alors qu'il résulte de l'instruction que le critère " Délais d'intervention " était noté sur 20 points et que l'écart entre les deux offres s'établit à 12,4 points.

9. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen de la requête, que la société Enduit Déco Peinture est fondée a demandé l'annulation de la décision en date du 28 juin 2024 par laquelle la collectivité de Saint-Barthélemy a rejeté son offre ainsi que l'annulation de la procédure de passation du lot n°20 en litige au stade de l'analyse des offres.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

10. Eu égard à la nature et à la portée du manquement constaté, il y a lieu d'enjoindre à la collectivité de Saint-Barthélemy, si elle entend poursuivre la passation du lot n° 20 du marché en litige, de reprendre la procédure au stade de l'analyse des offres, en prenant en compte, quelle que soit leur forme, l'ensemble des éléments fournis par les candidats pour apprécier le critère " Délais d'intervention ".

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Enduit Déco Peinture, qui n'est pas partie perdante à la présente instance, la somme que demande la société Conres SB au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la collectivité de Saint-Barthélemy une somme de 1 200 euros à verser à la société Enduit Déco Peinture au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

Article 1er : La décision de la collectivité de Saint-Barthélemy portant rejet de l'offre de la société Enduit Déco Peinture est annulée.

Article 2 : La procédure de passation du lot n°20 " Peinture " du marché public de travaux pour la construction du centre culturel de Saint-Barthélemy est annulée au stade de l'examen des offres.

Article 3 : Il est enjoint à la collectivité de Saint-Barthélemy, si elle entend poursuivre la passation du lot n° 20 du marché en litige, de reprendre la procédure au stade de l'analyse des offres, en prenant en compte l'ensemble des éléments fournis par les candidats pour apprécier le critère " Délais d'intervention ".

Article 4 : La collectivité de Saint-Barthélemy versera à la société Enduit Déco Peinture la somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Les conclusions de la société Conres SB présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le surplus des conclusions de la société requérante est rejeté.

Article 7 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Enduit Déco Peinture, à la collectivité de Saint-Barthélemy et à la société Conres SB.

Fait à Basse-Terre, le 5 août 2024.

La juge des référés,

signé

K. BAKHTA

La République mande et ordonne au préfet délégué auprès du représentant de l'Etat dans les collectivités de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

Pour expédition conforme

L'adjointe à la greffière en chef

Signé

A. Cétol

N° 24003