TA Strasbourg, 16/05/2024, n°2108739


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 17 décembre 2021 et 21 juillet 2022, la société Grenke location, représentée par Me Thiéry, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de condamner la commune de Saint-Cyprien à lui verser la somme de 8 832,82 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 20 août 2020 et de leur capitalisation ;

2°) d'ordonner à la commune de Saint-Cyprien de lui restituer, à ses frais et risques, le matériel objet du contrat de location n° 107-6208 ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Cyprien la somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les stipulations de l'acte d'engagement et du cahier des clauses administratives particulières produits par la commune, relatives notamment à la détermination du tribunal compétent, ne sont pas opposables à la société Grenke ;

- elle a mis en demeure le 20 août 2020 la commune de Saint-Cyprien de lui régler les sommes dues en exécution du contrat conclu le 12 novembre 2014 ;

- elle a droit au montant du loyer du 1er trimestre de l'année 2020, assorti des intérêts prévus à l'article R. 2192-13 du code de la commande publique, sur un fondement contractuel ou, à titre subsidiaire, sur le fondement de la règle du service fait ;

- elle a droit au paiement d'une indemnité forfaitaire de recouvrement de 40 euros, sur le fondement des conditions générales de location et de l'article D. 2192-35 du code de la commande publique ;

- il appartient à la commune de Saint-Cyprien de lui restituer à ses frais et risques le matériel objet du contrat.

Par un mémoire en défense, enregistré le 30 juin 2022, la commune de Saint-Cyprien, représentée par Me Pailles conclut :

1°) à titre principal, à l'incompétence du tribunal administratif de Strasbourg ;

2°) à titre subsidiaire, au rejet de la requête ;

3°) en tout état de cause, à ce que la somme de 1 500 euros soit mise à la charge de la société Grenke location sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'article 16 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) applicable au marché donne compétence au tribunal administratif de Montpellier pour connaître des litiges relatifs à son exécution ;

- en application de l'acte d'engagement du 7 octobre 2014 et du CCAP, l'exécution du contrat a débuté le 7 octobre 2014 et sa période contractuelle d'exécution s'est achevée en octobre 2019, de sorte qu'aucun loyer n'est dû au titre du 1er trimestre 2020 ;

- l'indemnité forfaitaire de recouvrement n'est pas due faute d'être prévue par les documents contractuels applicables ;

- la demande de restitution n'est fondée sur aucune stipulation applicable au marché ;

- la société Grenke location n'a effectué aucune diligence en vue de se voir restituer le matériel.

Par ordonnance du 4 novembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 18 janvier 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Dobry,

- les conclusions de M. Boutot, rapporteur public,

- et les observations de Me Badoc, substituant Me Pailles, représentant la commune de Saint-Cyprien.

Considérant ce qui suit :

1. La société Grenke location a mis en location auprès de la commune de Saint-Cyprien des infrastructures informatiques, fournies par la société ComNetwork, pour une durée de 60 mois (5 ans) et un loyer trimestriel de 8 832,82 euros toutes taxes comprises (TTC). Elle demande par la présente requête, qui fait suite à une mise en demeure adressée à la commune le 25 août 2020, le paiement par cette dernière d'une somme de 8 832,82 euros en exécution du contrat qui les lie, assortie des intérêts au taux légal, ainsi que la restitution du matériel loué.

Sur l'exception d'incompétence territoriale du tribunal administratif de Strasbourg :

2. Aux termes de l'article R. 312-2 du code de justice administrative : " Sauf en matière de contrats, la compétence territoriale ne peut faire l'objet de dérogations () ". Aux termes de son article R. 312-11 : " En matière précontractuelle, contractuelle et quasi contractuelle le tribunal administratif compétent est celui dans le ressort duquel se trouve le lieu prévu pour l'exécution du contrat. () / Toutefois, si l'intérêt public ne s'y oppose pas, les parties peuvent, soit dans le contrat primitif, soit dans un avenant antérieur à la naissance du litige, convenir que leurs différends seront soumis à un tribunal administratif autre que celui qui serait compétent en vertu des dispositions de l'alinéa précédent ".

En ce qui concerne les documents contractuels applicables :

3. La société Grenke location soutient avoir conclu avec la commune de Saint-Cyprien un contrat de location longue durée assorti de conditions générales de location le 12 novembre 2014. La commune de Saint-Cyprien soutient être liée à la société Grenke location non pas par l'effet de ce contrat, mais en exécution d'un marché conclu avec la société ComNetwork, fournisseur du matériel et agissant en tant que mandataire d'un groupement conjoint constitué avec la société Grenke location, selon acte d'engagement signé le 7 octobre 2014.

4. Il ne résulte pas de l'instruction que la société Grenke location ait donné à la société ComNetwork son mandat ou un quelconque accord pour s'engager en son nom. Faute d'avoir été habilitée par la société Grenke location, la société ComNetwork n'avait pas qualité pour s'engager en son nom. Par suite, les clauses du contrat conclu entre la commune de Saint-Cyprien et la société ComNetwork et les documents auxquels elles se réfèrent ne sont pas opposables à la société Grenke location.

5. En revanche, le contrat produit par la société Grenke location, signé par une représentante de la commune de Saint-Cyprien, a été régulièrement conclu le 12 novembre 2014 entre la première et la seconde. Le présent litige doit par conséquent être réglé sur le fondement des stipulations de ce contrat et des conditions générales de location auxquelles il se réfère.

6. Aux termes des stipulations du dernier alinéa de l'article 19 des conditions générales de location annexées au contrat du 12 novembre 2014 : " Tous différends relatifs à la validité, à l'interprétation et à l'exécution du présent contrat de location de longue durée seront de la compétence exclusive des tribunaux de Strasbourg ".

7. Il résulte de ce qui précède que, contrairement à ce que soutient la commune de Saint-Cyprien, le tribunal administratif compétent pour connaître du présent litige n'est pas celui de Montpellier, quand bien même le lieu d'exécution du contrat se trouve dans son ressort, mais celui de Strasbourg.

Sur les conclusions pécuniaires :

8. En premier lieu, l'article 3.1 des conditions générales de location applicables au contrat litigieux stipule que : " Le contrat de location entre le bailleur et le locataire prend effet lors de la confirmation par ce dernier au bailleur de la livraison des produits. D'un commun accord entre les parties, cette confirmation intervient lors de la réception par le bailleur du document intitulé "confirmation de livraison" ". Aux termes des stipulations de l'article 4.1 de ces mêmes conditions générales : " La période initiale de location prend effet le 1er jour du trimestre civil ou du mois suivant la délivrance des produits. Si la délivrance précède le début de la période initiale de location, le loyer à payer dans l'intervalle sera égal par jour à 1/30ème du loyer mensuel convenu ".

9. Il résulte de l'instruction que le document intitulé " confirmation de livraison " a été signé par la commune de Saint-Cyprien le 18 février 2015. Un loyer trimestriel intermédiaire a été calculé à compter de cette date et jusqu'au 31 mars 2015, puis la période contractuelle de 60 mois a commencé à courir, en application des stipulations précitées, le 1er avril 2015. Cette période expirait donc le 31 mars 2020, de sorte que la société Grenke location est fondée à demander à la commune de Saint-Cyprien le paiement du loyer dû au titre du 1er trimestre de l'année 2020 en exécution du contrat litigieux, pour un montant de 8 832,82 euros TTC.

10. En second lieu, dès lors que la société Grenke location a limité ses conclusions à la somme de 8 832,82 euros, qui lui est intégralement allouée, la somme de 40 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de recouvrement à laquelle elle soutient avoir droit ne saurait lui être accordée en sus.

Sur les intérêts et leur capitalisation :

11. La société Grenke location se borne à conclure à ce que la somme demandée soit assortie des intérêts au taux légal. Par suite, elle ne peut utilement invoquer les dispositions de l'article R. 2192-13 du code de la commande publique, qui n'étaient au demeurant pas encore en vigueur à la date de la signature du contrat litigieux, relatives à l'application d'intérêts moratoires.

12. En revanche, il y a lieu d'assortir la somme mentionnée au point 10 des intérêts au taux légal à compter du 25 août 2020, date de réception par la commune de Saint-Cyprien de la mise en demeure de payer adressée par la requérante.

13. En dernier lieu, l'article 1343-2 du code civil dispose que " Les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l'a prévu ou si une décision de justice le précise ". La capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond. Elle prend toutefois effet au plus tôt à la date à laquelle la demande est enregistrée et pourvu qu'à cette date il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière. La capitalisation des intérêts mentionnés au point précédent a été demandée le 17 décembre 2021, date d'introduction de la requête. Il y a lieu de faire droit à cette demande à compter de cette date, à laquelle était due, d'ores et déjà, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.

Sur les conclusions à fin de restitution :

14. En application de l'article 13 des conditions générales de location du contrat en litige, le locataire est tenu de restituer à ses frais et à ses risques le matériel loué dès la survenance du terme du contrat. Il résulte de ce qui a été dit au point 10 que le terme du contrat litigieux est survenu le 31 mars 2020. La commune de Saint-Cyprien ne contestant pas l'absence de restitution du matériel loué et les conditions générales de location, qui précisent les modalités de la restitution, ne prévoyant pas d'obligation à la charge du bailleur de rappeler l'obligation de restitution et ses modalités à son cocontractant, il y a lieu d'ordonner à la commune de procéder à cette restitution dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement. A défaut d'indication contraire de la société Grenke location, cette restitution devra être effectuée à l'adresse de livraison figurant sur le courrier de mise en demeure de la société Grenke location daté du 20 août 2020.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions des parties présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La commune de Saint-Cyprien est condamnée à verser à la société Grenke location la somme de 8 832,82 euros (huit-mille-huit-cent-trente-deux euros et quatre-vingt-deux centimes) toutes taxes comprises, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 25 août 2020. Les intérêts échus à la date du 17 décembre 2021, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : La commune de Saint-Cyprien devra restituer à la société Grenke location le matériel objet du contrat dans un délai de deux mois à compter de la date de notification du présent jugement, selon les modalités précisées au point 15 du présent jugement.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la société Grenke location et à la commune de Saint-Cyprien.

Délibéré après l'audience du 11 avril 2024, à laquelle siégeaient :

M. Rees, président,

Mme Merri, première conseillère,

Mme Dobry, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 mai 2024.

La rapporteure,

S. DOBRY

Le président,

P. REES La greffière,

V. IMMELE

La République mande et ordonne au préfet des Pyrénées-Orientales en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier,