TA Toulon, 04/04/2024, n°2102961


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 2 novembre 2021, la société B, agissant en qualité de mandataire du groupement solidaire formé avec les sociétés Hardou Plomberie, MMG83, Bertolotto et fils et A, demande au tribunal :

1°) d'enjoindre à l'Office public de l'habitat de la métropole Toulon Provence Méditerranée de différer la signature du contrat jusqu'au terme de la procédure ;

2°) d'annuler la décision du 5 juillet 2021 par laquelle la commission d'analyse des offres a écarté son offre ;

3°) d'annuler la décision du 15 juillet 2021 rejetant son offre ;

4°) de condamner l'Office public de l'habitat de la métropole Toulon Provence Méditerranée à lui verser la somme de 150 000 euros au titre de son manque à gagner ;

5°) de mettre à la charge de l'Office public de l'habitat de la métropole Toulon Provence Méditerranée la somme de 1 500 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la commission d'analyse des offres a procédé à l'attribution du marché alors qu'elle n'était pas compétente pour ce faire ;

- l'obligation d'allotissement a été méconnue, ce qui constitue un détournement de procédure ;

- son offre a été dénaturée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 janvier 2022, l'Office public de l'habitat de la métropole Toulon Provence Méditerranée, représenté par Me Gaspar, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société B, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient :

- à titre principal, que la requête est irrecevable, dès lors que le groupement n'a pas qualité pour agir en justice ; que le contrat attaqué n'est pas produit ; qu'il n'est pas possible de présenter des conclusions aux fins d'annulation de la décision de la commission d'appel d'offres et de rejet de l'offre ; que le contentieux n'est pas lié ;

- à titre subsidiaire, que la requête n'est pas fondée.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Hélayel, conseiller,

- les conclusions de M. Kiecken, rapporteur public,

- les observations de Me Pelissier, substituant Me Gaspar, représentant l'Office public de l'habitat de la métropole Toulon Provence Méditerranée.

Considérant ce qui suit :

1. Le 2 avril 2021, l'Office public de l'habitat de la métropole Toulon Provence Méditerranée a lancé un appel d'offres ouvert pour l'attribution d'un accord-cadre à bons de commande, ayant pour objet la réalisation de travaux de remise en état de logements. La date limite de réception des offres a été fixée au 6 mai 2021. Par un courrier du 15 juillet 2021, la société B a été informée du rejet de son offre déposée pour le lot n°1 (secteur Ouest) et de ce que le marché avait été attribué à la société Axe Btp, pour un montant de 492 562,5 euros. Par une ordonnance du 12 août 2021, le juge des référés a rejeté la demande de la société B, présentée sur le fondement des dispositions de l'article L. 551-1 du code de justice administrative. Le marché a été conclu le 1er septembre 2021.

2. Tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité de ce contrat. Il ne peut invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont il se prévaut ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office. Un concurrent évincé ne peut ainsi invoquer, outre les vices d'ordre public dont serait entaché le contrat, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction.

3. En vue d'obtenir réparation de ses droits lésés, le concurrent évincé a ainsi la possibilité de présenter devant le juge du contrat des conclusions indemnitaires, à titre accessoire ou complémentaire à ses conclusions à fin de résiliation ou d'annulation du contrat. Il peut également engager un recours de pleine juridiction distinct, tendant exclusivement à une indemnisation du préjudice subi à raison de l'illégalité de la conclusion du contrat dont il a été évincé.

4. En premier lieu, la société requérante soutient que la commission d'analyse des offres n'était pas compétente pour procéder à l'attribution du marché. Toutefois, outre que cette commission a seulement été consultée, conformément aux dispositions de l'article R. 433-2 du code de la construction et de l'habitation, ce moyen n'est pas en rapport direct avec l'éviction de la société B et de son groupement. Il ne peut qu'être écarté comme inopérant.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 2113-11 du code de la commande publique : " L'acheteur peut décider de ne pas allotir un marché dans l'un des cas suivants : / () 2° La dévolution en lots séparés est de nature à restreindre la concurrence ou risque de rendre techniquement difficile ou financièrement plus coûteuse l'exécution des prestations () ".

6. La société requérante soutient que le recours à un marché global constitue un subterfuge sans justification territoriale afin de contourner l'obligation d'allotir, ce qui méconnaît les principes fondamentaux de la commande publique. Toutefois, il ressort de l'article 2.3 du règlement de la consultation que la dévolution en lots séparés aurait allongé les délais de mise à disposition des logements, entraîné des pertes de loyers et multiplié les interlocuteurs, circonstances de nature à entraîner des difficultés techniques et financières. Par suite, ce moyen doit être écarté.

7. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que, s'agissant du sous-critère n° 1 :

" Organisation de chantier / Contrôle qualité ", le pouvoir adjudicateur a retenu que l'offre de la société requérante présentait une décomposition sommaire des interventions et du phasage et de la coordination des travaux, que le personnel affecté n'était pas renseigné et qu'il n'était présenté aucun modèle ni précisions quant aux vérifications des travaux et aux contrôles. Toutefois, l'offre de la requérante présente, de façon détaillée, les 8 phases d'exécution, de la réception des accès jusqu'à la réception du logement. En outre, l'Office a reconnu que c'est à tort que le pouvoir adjudicateur avait indiqué que le personnel affecté n'avait pas été renseigné. Dans ces conditions, le pouvoir adjudicateur a dénaturé l'offre présentée par la société B et son groupement.

8. Il résulte cependant de l'instruction que le groupement de la société B a obtenu une note de 4/8 au titre du sous-critère n°1, une note globale de 10.5/20 au titre du critère de la valeur technique, une note finale de 18.99/30 et a été classé en 5ème position. Or, la société attributaire a obtenu une note finale de 26/30. Ainsi, quand bien même le groupement requérant aurait obtenu la note maximale de 8/8 au titre du sous-critère n°1, il n'aurait pas été attributaire du marché en litige. Dans ces circonstances, le manquement de l'Office public de l'habitat n'a pas été susceptible de léser le groupement.

9. En quatrième lieu, le pouvoir adjudicateur a retenu que l'offre de la requérante ne présentait pas de modèle ni ne contenait de précisions, s'agissant de la vérification et du contrôle des chantiers. L'Office public fait valoir que le groupement ne fournissait aucune fiche de contrôle ni de document de traçabilité, ce à quoi le requérant n'a pas répliqué. Dans ces conditions, le pouvoir adjudicateur ne peut être regardé comme ayant commis une erreur manifeste d'appréciation.

10. En cinquième lieu, la requérante soutient que l'analyse du pouvoir adjudicateur concernant le sous-critère 2 : " Délais " n'est pas motivée, nébuleuse et opaque. Ce moyen doit être écarté comme non assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

11. En sixième lieu, s'agissant du sous-critère 3 " Moyens humains et matériels ", il ne résulte pas de l'instruction, contrairement à ce qui est soutenu par la requérante, que son offre renseignait les qualifications des personnels des sociétés MMG83, Bertolotto et fils, B et A.

12. En septième et dernier lieu, s'agissant du sous-critère n°4 " Dépannages et parfait achèvement ", l'offre de la requérante fait bien état d'un délai de quinze jours entre l'information des locataires et la visite des lieux. Par suite, son offre n'a pas été dénaturée sur ce point.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de la société B doit être rejetée, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur sa recevabilité.

14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Office public de l'habitat de la métropole Toulon Provence Méditerranée, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme que la société B demande à ce titre. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la société B une somme de 2 000 euros à verser à l'Office public de l'habitat de la métropole Toulon Provence Méditerranée, sur le fondement des mêmes dispositions.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la société B est rejetée.

Article 2 : La société B versera à l'Office public de l'habitat de la métropole Toulon Provence Méditerranée une somme de 2 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la société B et à l'Office public de l'habitat de la métropole Toulon Provence Méditerranée.

Délibéré après l'audience du 14 mars 2024, à laquelle siégeaient :

M. Philippe Harang, président,

M. Zouhaïr Karbal, conseiller,

M. David Hélayel, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 avril 2024.

Le rapporteur,

Signé

D. HELAYEL Le président,

Signé

Ph. HARANG

La greffière,

Signé

F. POUPLY

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,