TA Toulouse, 08/03/2023, n°1901200

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 5 mars 2019, 23 mai, 28 septembre et 15 novembre 2022, la communauté de communes Terres des Confluences, représentée par Me Ducroux, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de condamner solidairement, sur le fondement de la garantie décennale, le cabinet d'architectes Dangas et Laurence, la société Pons bâtiment et la société CMS Ganza à lui verser une somme de 90 600 euros toutes taxes comprises au titre des préjudices subis ;

2°) de mettre à la charge solidaire du cabinet d'architectes Dangas et Laurence, de la société Pons bâtiment et de la société CMS Ganza les frais d'expertise ainsi que le paiement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le désordre qui affecte la déchetterie-recyclerie intercommunale de Moissac est une infiltration au niveau de la toiture ;

- ce préjudice est apparu pour la première fois au cours de l'année 2010, après la réception des travaux sans réserve, et qu'il a un caractère récurrent, dès lors qu'il a été constaté à plusieurs reprises entre 2012 et 2017 ;

- l'ouvrage public réalisé n'est pas conforme aux règles de l'art ;

- la responsabilité de la CMS Ganza doit être engagée, en sa qualité de sous-traitant des travaux, ainsi que celle de la société Pons bâtiment, en sa qualité d'entreprise titulaire du lot n° 3 du marché public de travaux conclu le 3 avril 2008, et celle du cabinet d'architectes Dangas et Laurence, en sa qualité de maître d'œuvre ;

- la circonstance que la société CMS Ganza n'existe plus est sans incidence sur la responsabilité de la société Pons bâtiment et du cabinet d'architectes Dangas et Laurence ;

- elle a subi un préjudice à hauteur de 90 600 euros toutes taxes comprises au titre des travaux de reprise de la déchetterie-recyclerie intercommunale de Moissac.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 6 mars 2020, 18 mai et 21 octobre 2022, le cabinet d'architectes Dangas et Laurence, représenté par la SELARL Olivier Massol et associés, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :

1°) à titre principal, de rejeter les conclusions présentées par la communauté de communes Terres des Confluences à son encontre ;

2°) à titre subsidiaire, de ramener l'indemnisation demandée par la communauté de communes Terres des confluences à la somme de 65 615 euros hors taxes, et de condamner solidairement la société Pons bâtiment, la société CMS Ganza, la société SOPREMA et la société Bureau Veritas à le garantir de toute condamnation qui serait susceptible d'être mise à sa charge ;

3°) de mettre à la charge de toute partie perdante le paiement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- il n'a aucune existence juridique et ne peut donc faire l'objet d'aucune condamnation ;

- le défaut d'exécution des travaux est imputable à la société Pons bâtiment, à la société CMS Ganza et à la société SOPREMA, cette dernière étant intervenue dans le cadre de travaux de réfection ultérieurs ;

- au titre de la mission qui lui a été confiée par la requérante, il devait s'assurer du respect du contrat par la société Pons bâtiment et non du respect, par cette même entreprise, des règles de l'art ; il considère qu'il n'y a aucun lien entre la prestation qu'il a réalisée et le dommage subi par la requérante ;

- l'action de la communauté de communes Terres des Confluences est prescrite ;

- le montant de l'indemnisation doit être limité à 65 615 euros hors taxes dès lors que la réévaluation du montant des travaux liée à l'évolution des coûts de construction ne repose sur aucune analysé concrète ;

- la communauté de communes Terres des Confluences n'est pas fondée à solliciter une indemnisation toutes taxes comprises dès lors qu'elle ne démontre pas qu'elle n'est pas assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 21 juillet, 11 octobre et 28 octobre 2022, la société SOPREMA, représentée par Me Etcheberrigaray, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :

1°) à titre principal, de rejeter les conclusions présentées à son encontre par le cabinet d'architectes Dangas et Laurence et par la société Bureau Veritas ;

2°) à titre subsidiaire, de condamner le cabinet d'architectes Dangas et Laurence, la société Bureau Veritas, la société Pons bâtiment et la société CMS Ganza à la garantir de toute condamnation qui serait susceptible d'être mise à sa charge ;

3°) de mettre à la charge de toute partie perdante le paiement d'une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- elle ne saurait être mise en cause dès lors qu'elle est intervenue de manière ponctuelle en 2017 pour réaliser des travaux de reprise et qu'elle n'a pas participé à la construction de l'ouvrage public litigieux ;

- le désordre constaté a pour origine l'inadaptation de cet ouvrage aux caractéristiques du terrain et son intervention n'a pas aggravé le préjudice subi par la communauté de communes Terres des Confluences, ainsi que le relève le rapport d'expertise ;

- les conclusions à fin d'appel en garantie formées par le cabinet d'architectes Dangas et Laurence à son encontre sont prescrites.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 12 septembre et 19 octobre 2022, la société Bureau Veritas, représentée par Me Lacaze, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :

1°) à titre principal, de rejeter les conclusions présentées par le cabinet d'architectes Dangas et Laurence à son encontre ;

2°) à titre subsidiaire, de condamner solidairement le cabinet d'architectes Dangas et Laurence, la société Pons bâtiment, la société CMS Ganza, et la société SOPREMA à la garantir de toute condamnation qui serait susceptible d'être prononcée à son encontre, et de rejeter les conclusions à fin d'indemnisation présentées par la communauté de communes Terres des Confluences ;

3°) de mettre à la charge du cabinet d'architectes Dangas et Laurence et de toute partie perdante les dépens ainsi que le paiement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- l'infiltration constatée au niveau de la toiture n'est pas généralisée et n'a pas entraîné un préjudice d'exploitation de la déchetterie-recyclerie intercommunale de Moissac ;

- le contrôleur technique a pour seule mission de contribuer à la prévention des aléas techniques susceptibles d'être rencontrés dans la réalisation des ouvrages tels qu'ils sont définis par le maître d'ouvrage ; elle n'a pas la qualité de constructeur et il ne lui appartenait pas de s'assurer du suivi de ses recommandations ;

- aucune faute qui lui serait imputable, en lien direct et certain avec l'infiltration litigieuse, n'est démontrée ;

- l'absence de nettoyage périodique du chéneau central par le maître d'ouvrage a pu, lors de fortes pluies, occasionner la mise en charge du chéneau central et entraîner des remontées en rive et des infiltrations ;

- dans la mesure où la communauté de communes Terres des Confluences a fait procéder aux travaux de reprise, elle devrait être en mesure de produire les factures correspondantes, ce qui permettrait ainsi de connaître le montant exact de ces travaux.

La procédure a été communiquée à la société Pons bâtiment et à la société CMS Ganza, qui n'ont pas produit d'écritures.

Par une ordonnance du 4 novembre 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 21 novembre 2022 à midi.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A ;

- les conclusions de M. Farges, rapporteur public ;

- les observations de Me Mouakil, représentant la communauté de communes Terre des Confluences ;

- les observations de Me Massol, représentant le cabinet d'architectes Dangas et Laurence ;

- et les observations de Me Gaillard, représentant la société SOPREMA.

Une note en délibéré, enregistrée le 24 février 2023, a été produite par la communauté de communes Terres des Confluences mais n'a pas été communiquée.

Considérant ce qui suit :

1. La communauté de communes de Castelsarrasin-Moissac, devenue la communauté de communes Terres des Confluences, a conclu un marché public de maîtrise d'œuvre pour la construction d'une déchetterie-recyclerie intercommunale à Moissac avec le cabinet d'architectes Dangas et Laurence le 1er octobre 2007. Une mission de contrôle technique a été confiée à la société Bureau Veritas par une convention conclue le 17 mars 2008. La communauté de communes de Castelsarrasin-Moissac a ensuite conclu un marché public de travaux pour la construction de cette déchetterie le 3 avril 2008, dont le lot n° 3 " charpente bois-couverture " a été confié à la société Pons bâtiment, qui a sous-traité la réalisation des travaux à la société CMS Ganza. Les travaux ont été réceptionnés sans réserve le 6 mars 2009. A compter de l'année 2010 sont apparues des infiltrations au niveau de la toiture, ce qui a conduit à des travaux de réfection effectués par la société SOPREMA en mai 2016 et en avril 2017. Par une ordonnance n° 1901199 rendue le 23 mai 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a diligenté une expertise et a désigné M. C B en qualité d'expert. Le rapport d'expertise a été déposé le 22 octobre 2021. Par la présente requête, la communauté de communes Terres des Confluences sollicite l'engagement, sur le fondement de la garantie décennale, de la responsabilité du cabinet d'architectes Dangas et Laurence, de la société Pons bâtiment et de la société CMS Ganza, au titre des préjudices qu'elle estime avoir subis.

Sur la responsabilité décennale des constructeurs :

2. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même si ces désordres ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans.

3. La société Bureau Veritas fait valoir en défense que les désordres constatés au niveau de la toiture de la déchetterie-recyclerie intercommunale de Moissac ne sont pas généralisés, ne causent aucun préjudice d'exploitation et n'ont jamais empêché la déchetterie de fonctionner normalement. Ce faisant, elle doit être regardée comme soutenant qu'ils ne présentent pas un caractère décennal.

4. Il résulte du rapport d'expertise que les désordres affectant la déchetterie-recyclerie intercommunale de Moissac se sont manifestés, au cours de l'année 2010, par une infiltration au niveau de la toiture d'une partie du bâtiment, à hauteur du couloir central de récupération des eaux pluviales, et se sont reproduits à au moins six reprises entre 2012 et 2017. L'expert relève toutefois que ces infiltrations sont consécutives à des épisodes de fortes pluies et ne sont pas constatées après des épisodes de pluies d'intensité normale. En outre, la communauté de commune Terre des Confluences n'apporte aucun élément de nature à démontrer le caractère décennal des désordres constatés, résidant par exemple dans un risque pour la sécurité des usagers de l'ouvrage public litigieux ou dans un fonctionnement anormal de cet ouvrage, alors même que l'expert relève que ledit ouvrage fonctionne normalement depuis son ouverture et qu'outre " les désagréments liés aux infiltrations récurrentes à certains endroits précis du bâtiment, il n'a pas été constaté de préjudices majeurs pour l'exploitation des lieux ". L'expert précise par ailleurs que les infiltrations en cause ne sont pas généralisées. Il ne résulte pas non plus de l'instruction que les conséquences de ces infiltrations seraient de grande ampleur, ni que les travaux à réaliser devraient l'être de manière urgente. La seule circonstance, établie par le rapport d'expertise, que la déchetterie-recyclerie intercommunale de Moissac ne serait pas conforme au document technique unifié et aux règles de l'art, ne suffit pas à faire regarder les désordres constatés comme relevant du régime de la garantie décennale, dès lors qu'il n'est pas établi que ces désordres compromettent la solidité de l'ouvrage ou le rendent impropres à sa destination.

5. Par suite, le caractère décennal des désordres ne peut être retenu. Il s'ensuit que les conclusions à fin d'indemnisation présentées par la communauté de communes Terres des Confluences sur le fondement de la garantie décennale ne peuvent qu'être rejetées, sans qu'il soit besoin de statuer sur l'exception de prescription opposée en défense.

Sur les conclusions à fin d'appel en garantie :

6. Aucune condamnation n'étant prononcée à l'encontre du cabinet d'architectes Dangas et Laurence, de la société SOPREMA et de la société Bureau Veritas, leurs conclusions à fin d'appel en garantie sont dépourvues d'objet et doivent par suite être rejetées.

Sur les dépens :

7. Les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 6 156,84 euros, sont mis à la charge définitive de la communauté de commune Terres des Confluences, qui est la partie perdante dans la présente instance.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Il y a lieu de mettre à la charge de la communauté de communes Terres des Confluences la somme de 1 500 euros à verser à la société Bureau Veritas au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

9. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de rejeter les conclusions présentées sur ce même fondement par le cabinet d'architectes Dangas et Laurence, par la communauté de communes Terre des Confluences et par la société SOPREMA

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la communauté de communes Terres des Confluences est rejetée.

Article 2 : Les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 6 156,84 euros, sont mis à la charge définitive de la communauté de communes Terres des Confluences.

Article 3 : La communauté de communes Terres des Confluences versera à la société Bureau Veritas la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à la communauté de communes Terres des Confluences, au cabinet d'architectes Dangas et Laurence, à la société Pons bâtiment, à la société CMS Ganza, à la société Bureau Veritas et à la société SOPREMA.

Délibéré après l'audience du 16 février 2023, à laquelle siégeaient :

M. Sorin, président,

M. Hecht, premier conseiller,

Mme Pétri, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 mars 2023.

La rapporteure,

M. PETRI

Le président,

T. SORINLa greffière,

S. SORABELLA

La République mande et ordonne à la préfète de Tarn-et-Garonne, en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme :

La greffière en chef,