Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 21 juillet 2021 et 6 septembre 2022, la société Pays d'Olmes menuiseries, représentée par Me Pontacq, demande au tribunal :
1°) de condamner la communauté de communes du pays de Tarascon à lui verser la somme de 22 632,65 euros en réparation du préjudice subi, assortie des intérêts au taux légal à compter de la demande indemnitaire reçue le 29 mars 2021 et de la capitalisation de ces intérêts ;
2°) de mettre à la charge de la communauté de communes du pays de Tarascon le paiement de la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa requête est recevable ;
- la communauté de communes a commis une erreur manifeste d'appréciation en écartant son offre au profit de celle de la société AOC Ouvertures ;
- cette éviction irrégulière l'a privée d'une chance sérieuse d'emporter le marché ;
- son préjudice s'élève à 22 632,65 euros, à raison de 577,50 euros pour les frais engagés pour présenter son offre et de 22 055,15 euros pour son manque à gagner.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 8 juin 2022 et 13 février 2023, la communauté de communes du pays de Tarascon, prise en la personne de son président et représentée par Me Herrmann, demande au tribunal de rejeter la requête, à titre principal comme irrecevable et à titre subsidiaire comme non fondée, et de mettre à la charge de la société Pays d'Olmes menuiseries la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la requête est irrecevable en ce qu'elle ne correspond ni à un recours pour excès de pouvoir, ni à un recours indemnitaire en plein contentieux, et qu'elle ne remet pas en cause la validité du contrat signé avec la société AOC Couvertures ;
- aucune faute n'a été commise dans l'analyse des offres ;
- le montant du préjudice allégué n'est pas établi.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Hecht,
- et les conclusions de M. Déderen, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Le 19 novembre 2020, la communauté de communes du pays de Tarascon a publié un appel d'offres pour la construction d'un pôle " enfance - jeunesse - parentalité ". Le 18 décembre 2020, la SARL unipersonnelle Pays d'Olmes menuiseries a soumis une offre pour le lot n° 6 " menuiserie extérieure aluminium ". Par une délibération du 27 janvier 2021, le conseil communautaire a attribué le lot n° 6 à l'entreprise AOC Ouvertures. Par un courrier du 29 janvier 2021, la communauté de communes a notifié à la société Pays d'Olmes menuiseries le rejet de son offre. Par un courrier reçu le 29 mars 2021, cette société a formé une demande indemnitaire au titre des préjudices allégués du fait du rejet de son offre. Du silence gardé par la collectivité est née une décision implicite de rejet. Par la présente requête, la société Pays d'Olmes menuiseries demande la condamnation de la communauté de communes du pays de Tarascon à lui verser la somme de 22 632,65 € en réparation du préjudice subi.
Sur le cadre juridique et la recevabilité :
2. En vue d'obtenir réparation de ses droits lésés, le concurrent évincé a ainsi la possibilité de présenter devant le juge du contrat des conclusions indemnitaires, à titre accessoire ou complémentaire à ses conclusions à fin de résiliation ou d'annulation du contrat. Il peut également engager un recours de pleine juridiction distinct, tendant exclusivement à une indemnisation du préjudice subi à raison de l'illégalité de la conclusion du contrat dont il a été évincé.
3. Il résulte de ce qui précède que la société Pays d'Olmes menuiseries pouvait présenter une demande de réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de l'irrégularité ayant, selon elle, affecté la procédure ayant conduit à son éviction. Par suite, la fin de non-recevoir opposée en défense ne peut qu'être rejetée.
Sur la régularité de l'éviction de la société requérante :
4. Aux termes de l'article R. 2152-7 du code de la commande publique : " Pour attribuer le marché au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l'offre économiquement la plus avantageuse, l'acheteur se fonde : / 1° Soit sur un critère unique qui peut être : () / 2° Soit sur une pluralité de critères non-discriminatoires et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution, parmi lesquels figure le critère du prix ou du coût et un ou plusieurs autres critères comprenant des aspects qualitatifs, environnementaux ou sociaux. Il peut s'agir des critères suivants : / a) La qualité, y compris la valeur technique et les caractéristiques esthétiques ou fonctionnelles, l'accessibilité, l'apprentissage, la diversité, les conditions de production et de commercialisation, la garantie de la rémunération équitable des producteurs, le caractère innovant, les performances en matière de protection de l'environnement, de développement des approvisionnements directs de produits de l'agriculture, d'insertion professionnelle des publics en difficulté, la biodiversité, le bien-être animal ; / b) Les délais d'exécution, les conditions de livraison, le service après-vente et l'assistance technique, la sécurité des approvisionnements, l'interopérabilité et les caractéristiques opérationnelles ; / c) L'organisation, les qualifications et l'expérience du personnel assigné à l'exécution du marché lorsque la qualité du personnel assigné peut avoir une influence significative sur le niveau d'exécution du marché. / D'autres critères peuvent être pris en compte s'ils sont justifiés par l'objet du marché ou ses conditions d'exécution. / Les critères d'attribution retenus doivent pouvoir être appliqués tant aux variantes qu'aux offres de base. "
5. Le juge exerce un contrôle restreint sur l'appréciation portée sur la valeur des candidatures à un appel d'offres.
6. La société Pays d'Olmes menuiseries soutient que son éviction est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation commise par la communauté de communes du pays de Tarascon dans l'évaluation de son offre. Il résulte de l'instruction que le règlement de la consultation prévoyait trois critères d'évaluation des offres. Premièrement, s'agissant du critère du prix, la société Pays d'Olmes menuiseries, qui avait présenté l'offre la moins chère, a obtenu la note de 20/20 (soit 6/6 en valeur pondérée), conformément à ce que prévoyait ledit règlement. Deuxièmement, s'agissant de la valeur technique des offres, la société requérante a obtenu la note de 14/20 (soit 5,6 en valeur pondérée), contre 16/20 (7,2) pour la société lauréate. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'analyse des offres, que la société requérante a perdu des points sur le sous-critère " méthode " (2/5) et sur le sous-critère " cahier des clauses techniques particulières " (3/6), le rapport précisant à ce titre que la société a mentionné des " profilés chiffres de couleur blanche dans son mémoire incompatible avec le PC validé par l'ABF ". Toutefois, il en résulte aussi, notamment du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) du lot n° 6, que ce CCTP prévoyait que la couleur serait " définie par l'architecte après étude des teintes et harmonisation des éléments ", ainsi que le soutient la requérante. De plus, à supposer que l'offre de la société Pays d'Olmes menuiseries ait été pénalisée en raison de l'épaisseur des menuiseries, il ne résulte pas de l'instruction qu'il s'agissait d'une clause prévue par le CCTP, non plus que d'un sous-critère d'analyse des offres. Troisièmement, s'agissant du critère du délai, la société Pays d'Olmes menuiseries a obtenu la note de 15/20 (4,5 en pondéré), pour un délai de 7 semaines dont 4 d'approvisionnement et 3 de pose, contre 16/20 pour le lauréat (4,8), pour un délai de 15 semaines, dont 12 d'approvisionnement et 3 de pose, soit une note plus basse pour un délai plus court. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'analyse des offres qui mentionne à cet égard que : " La note juge l'adéquation entre le délai et les moyens. Le délai proposé par Pays d'Olmes menuiseries semble très court. ", que la note attribuée à la société requérante a été moindre que celle attribuée à la société lauréate, en dépit d'un délai plus court, en raison du caractère peu réaliste de ce délai, en comparaison des délais proposés par les deux autres sociétés soumissionnaires. Dans ces conditions, et alors que la société requérante ne fait valoir aucun élément expliquant le délai d'approvisionnement trois fois plus bref que celui de la société lauréate, elle n'est pas fondée à soutenir que cette note serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation. Enfin, si la collectivité allègue avoir " noté le caractère générique, voire industriel, de l'offre présentée par la société requérante, en inadéquation avec ce qui était attendu ", toutefois cet élément d'appréciation des offres n'était prévu ni par le règlement de consultation, ni par le CCTP, étant au demeurant observé que la collectivité ne justifie pas cette appréciation au caractère vague et général. Dans ces conditions, et en l'absence d'éléments supplémentaires présentés par la collectivité en défense, il résulte de l'instruction que la note attribuée à la société requérante est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, eu égard à la notation de sa valeur technique.
Sur le lien de causalité :
7. Lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de l'irrégularité ayant, selon lui, affecté la procédure ayant conduit à son éviction, il appartient au juge, si cette irrégularité est établie, de vérifier qu'elle est la cause directe de l'éviction du candidat et, par suite, qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute en résultant et le préjudice dont le candidat demande l'indemnisation.
8. Il résulte de l'instruction que l'offre de la société Pays d'Olmes menuiseries a été classée deuxième dans l'appel d'offres en litige, avec une note de 16,1/20 contre 16,2/20 pour l'offre de la société lauréate. En outre, il résulte du courriel envoyé par la collectivité le 19 mars 2021 que cette dernière a considéré que : " () L'évaluation de votre proposition est extrêmement proche de celle de l'entreprise lauréate. D'ailleurs, votre proposition vous plaçait en première position si la variante n°1 avait été retenue. () ". Dans ces conditions, l'erreur manifeste d'appréciation commise par la collectivité sur l'évaluation de l'offre de la société Pays d'Olmes menuiseries est en lien direct avec son éviction.
Sur l'évaluation des préjudices :
9. Lorsqu'une entreprise candidate à l'attribution d'un marché public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce marché, il appartient au juge de vérifier d'abord si l'entreprise était dépourvue de toute chance de remporter le marché. Dans l'affirmative, l'entreprise n'a droit à aucune indemnité ; dans la négative, elle a droit en principe au remboursement des frais qu'elle a engagés pour présenter son offre. Dans le cas où l'entreprise avait des chances sérieuses d'emporter le marché, elle a droit à l'indemnisation de l'intégralité du manque à gagner qu'elle a subi. Sauf circonstances particulières, l'indemnisation du manque à gagner est exclusive d'une indemnisation portant sur les frais engagés pour l'établissement de l'offre.
10. Il résulte de ce qui a été exposé au point 8 que la société Pays d'Olmes menuiseries avait une chance sérieuse de remporter le marché en litige. Par suite, elle est fondée à demander l'indemnisation de l'intégralité du manque à gagner qu'elle a subi, en ce compris les frais engagés pour présenter son offre.
11. La société Pays d'Olmes menuiseries soutient que son manque à gagner s'élève à 22 055,15 euros, à raison de 18 180,15 euros correspondant à la différence entre le prix d'achat des marchandises et le montant auquel elle les facture ensuite, et de 3 875 euros correspondant à la différence entre ses coûts de main d'œuvre (9 jours x 8 heures x 4 salariés poseurs x 25 euros = 7 200 euros), et le montant auquel elle les facture (11 075,20 euros). Toutefois, outre qu'elle ne justifie pas le montant horaire de 25 euros précité, le résultat fourni correspond à la marge brute, qui ne prend pas en compte les coûts fixes de la société, et non pas à la marge nette, qui est seule indemnisable. Dans ces conditions, en l'absence d'informations sur les coûts fixes de la société, ou de justificatifs, notamment comptables, sur la marge nette habituellement générée dans ce type de marché, la société Pays d'Olmes menuiseries n'établit pas le montant de son préjudice et n'est, par suite, pas fondée à en demander l'indemnisation.
12. En revanche, dans ces conditions particulières, la société requérante est fondée à demander l'indemnisation des frais engagés pour la présentation de son offre, pour un montant total de 577,50 euros, correspondant à 16 heures 30 de travail pour huit tâches préalables à la soumission de son offre, dans la mesure où les éléments de calcul qu'elle produit, certes déclaratifs et sans justificatifs, sont crédibles et non sérieusement contestés.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la communauté de communes du pays de Tarascon doit être condamnée à verser à la société Pays d'Olmes menuiseries la somme de 577,50 euros.
Sur les intérêts et leur capitalisation :
14. La société requérante a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 577,50 euros, fixée au point 13, à compter de la réception de sa demande indemnitaire préalable, le 29 mars 2021, ainsi qu'à la capitalisation de ces intérêts à compter du 29 mars 2022, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Sur les frais liés au litige :
15. En application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de mettre à la charge de la communauté de communes du pays de Tarascon une somme de 1 500 euros. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Pays d'Olmes menuiseries, qui n'a pas la qualité de partie perdante, la somme réclamée par la communauté de communes au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La communauté de communes du pays de Tarascon est condamnée à verser à la société Pays d'Olmes menuiseries la somme de 577,50 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 29 mars 2021, ainsi que de la capitalisation de ces intérêts à compter du 29 mars 2022, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Article 2 : La communauté de communes du pays de Tarascon versera une somme de 1 500 euros à la société Pays d'Olmes menuiseries au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la société Pays d'Olmes menuiseries et à la communauté de communes du pays de Tarascon.
Délibéré après l'audience du 23 mai 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Carotenuto, présidente,
M. Hecht, premier conseiller,
Mme Pétri, conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 juin 2024.
Le rapporteur,
S. HECHT
La présidente,
S. CAROTENUTOLa greffière,
F. LE GUIELLAN
La République mande et ordonne au préfet de l'Ariège, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme :
La greffière en chef,