TA Versailles, 14/08/2023, n°2306108

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 26 juillet 2023, et un mémoire en réplique, enregistré le 10 août 2023, la société IG Doc, représentée par Me Belaghlem, demande dans le dernier état de ses écritures, à la juge des référés, statuant en application de l'article L.551-1 du code de justice administrative :

1°) d'annuler la décision du 24 mai 2023 par laquelle le ministre des Armées a rejeté l'offre qu'elle a présentée dans le cadre de la consultation n°19J40142 ayant pour objet la réalisation de la documentation technique utilisateur (DTU) du parc parachutage-largage ;

2°) d'autoriser le réexamen de sa candidature.

Elle soutient que :

- le motif de rejet de son offre, tiré de l'absence du placement en liquidation judiciaire de la société, est illégal dès lors qu'à la date de cette décision elle ne l'était plus ;

- la société présentait les capacités techniques et financières propre à rendre sa candidature régulière.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 août 2023, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

La présidente du tribunal a désigné Mme Boukheloua pour statuer sur les référés précontractuels en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

- Ont été entendus, au cours de l'audience publique tenue le 11 août 2023 à 10h00, en présence de M. Rossini, greffier d'audience :

- le rapport de Mme Boukheloua, juge des référés,

- les observations de Me Belaghlem pour la société IGDoc qui a repris ses écritures ;

- les observations de Mme B A, chargée d'étude contentieux contractuel et domanial à la direction des affaires juridiques du ministère des Armées, mandatée par le ministre, qui a repris ses écritures.

La clôture de l'instruction a été prononcée à 10h32.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis, publié le 20 février 2021 au bulletin officiel des annonces de marchés publics (BOAMP) et le 23 février 2021 au journal officiel de l'Union européenne, la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels terrestres (SIMMT) a lancé une procédure de passation d'un accord-cadre mono-attributaire et s'exécutant à bons de commande ayant pour objet la réalisation de la documentation technique utilisateur (DTU) du parc parachutage - largage. Par une décision du 24 mai 2023, notifiée le 17 juillet 2023, le ministre des Armées a informé la société IGDoc du rejet de son offre au motif qu'elle était en situation de liquidation judiciaire depuis le 1er février 2023. La société IGDoc demande, par la présente requête, d'annuler cette décision et d'autoriser le réexamen de sa candidature.

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique.() / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ".

3. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient au juge des référés précontractuels de se prononcer sur les manquements aux règles de publicité et de mise en concurrence incombant au pouvoir adjudicateur. Dans le cadre de ce contrôle de pleine juridiction, le juge vérifie en particulier les motifs de l'exclusion d'un candidat de la procédure d'attribution d'un marché. Toutefois, alors même qu'il estime irrégulier le motif du rejet de la candidature d'une société, il n'appartient pas au juge des référés précontractuels d'enjoindre à l'autorité administrative d'admettre la candidature de cette société sans avoir préalablement constaté que, au regard des débats devant lui, aucun autre motif n'était susceptible de justifier légalement un tel rejet.

4. Aux termes de l'article L. 2141-3 du code de la commande publique, auxquels renvoie l'article L. 2341-2 du même code : " Sont exclues de la procédure de passation des marchés les personnes : / 1o Soumises à la procédure de liquidation judiciaire prévue à l'article L. 640-1 du code de commerce ou faisant l'objet d'une procédure équivalente régie par un droit étranger ; () / 3° Admises à la procédure de redressement judiciaire instituée par l'article L. 631-1 du code de commerce ou à une procédure équivalente régie par un droit étranger, qui ne bénéficient pas d'un plan de redressement ou qui ne justifient pas avoir été habilitées à poursuivre leurs activités pendant la durée prévisible d'exécution du marché ". Aux termes de l'article L. 2341-6 du même code : " Lorsqu'un opérateur économique est, au cours de la procédure de passation d'un marché, placé dans l'un des cas d'exclusion mentionnés aux sections 1 et 2, il informe sans délai l'acheteur de ce changement de situation. / Dans cette hypothèse, l'acheteur exclut le candidat ou le soumissionnaire de la procédure de passation du marché pour ce motif ". Aux termes de l'article R. 2144-3 de ce code : " La vérification de l'aptitude à exercer l'activité professionnelle, de la capacité économique et financière et des capacités techniques et professionnelles des candidats peut être effectuée à tout moment de la procédure et au plus tard avant l'attribution du marché ".

5. Dans l'hypothèse où l'entreprise candidate à l'attribution d'un marché public a été placée en redressement judiciaire après la date limite fixée pour le dépôt des offres, elle doit en informer sans délai le pouvoir adjudicateur, lequel doit alors vérifier si l'entreprise est habilitée à poursuivre son activité pendant la durée prévisible d'exécution du marché et apprécier si sa candidature reste recevable. Dans la négative, le pouvoir adjudicateur ne peut poursuivre la procédure avec cette société. Lorsqu'il est soutenu devant lui que le placement en redressement judiciaire de l'entreprise, y compris lorsqu'il est intervenu après le dépôt de son offre, affecte la recevabilité de sa candidature, il appartient au juge du référé précontractuel d'apprécier si cette candidature est recevable.

6. Il résulte de l'instruction que par un jugement du 1er février 2023 du tribunal de commerce de Bobigny, celui-ci a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l'égard de la société IG Doc, ce jugement ayant fait l'objet d'une inscription au BODACC pour une durée de deux mois. Par un jugement du 14 février 2023, ce même tribunal de commerce a ordonné le maintien de l'activité de cette société jusqu'au 14 mai 2023 pour les seuls besoins de la liquidation judiciaire. La société requérante ayant interjeté appel du jugement du 1er février 2023, par une ordonnance du 21 mars 2023, le délégataire du premier président de la cour d'appel de Paris a ordonné la suspension de l'exécution provisoire de ce jugement et, par un arrêt du 6 juillet 2023, la cour d'appel a confirmé le jugement du 1er février 2023 en qu'il a constaté l'état de cessation des paiements de la société requérante, a infirmé le surplus et, statuant de nouveau, a ouvert à l'égard de cette société une procédure de redressement judiciaire en lieu et place de la procédure de liquidation judiciaire tout en renvoyant les parties devant le tribunal de commerce de Bobigny pour les suites de la procédure et la désignation des organes.

7. Il résulte des circonstances de fait mentionnées au point précédent que dès le 21 mars 2023, en application de l'ordonnance du premier président de la cour d'appel de Paris, la société IG Doc ne pouvait plus être regardée comme étant en situation de liquidation judiciaire. Par suite, et alors même qu'il ne peut être reproché au ministre des armées d'avoir méconnu ses obligations de vérification de la capacité financière de cette société candidate, cette dernière ne l'ayant pas informé des évolutions de sa situation, durant l'examen des candidatures et des offres, au regard des cas d'exclusion mentionnés à l'article L. 2141-3 cité au point 4, le motif retenu par la décision du 24 mai 2023 du ministre des Armées pour exclure sa candidature est irrégulier.

8. Toutefois, compte tenu des termes de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 6 juillet 2023 cités au point 6, et en dépit des justifications produites par la société IG Doc dans le cadre de la présente instance, il ne résulte pas de l'instruction que cette entreprise est habilitée à poursuivre son activité pendant la durée prévisible d'exécution du marché et que, par suite, sa candidature reste recevable. Par suite, compte tenu de l'office du juge des référés précontractuels, telle qu'elle résulte du point 3, il convient de rejeter les conclusions de la société IG Doc tendant, d'une part, à annuler la décision du 24 mai 2023 par laquelle le ministre des Armées a exclu sa candidature et, d'autre part, à autoriser le réexamen de celle-ci.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la requête présentée par la société IG Doc sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative doit être rejetée.

ORDONNE :

Article 1er : La requête de la société IG Doc est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la société IG Doc et au ministre des armées.

Fait à Versailles, le 14 août 2023.

La juge des référés,

Signé

N. Boukheloua

La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision. 00