TA Versailles, 21/05/2024, n°2201418


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 22 février 2022 et 17 avril 2024, le département des Yvelines, représenté par Me de Bailliencourt, demande au tribunal :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les délibérations n°2021-90 et 2021-91 du 15 septembre 2021 par lesquelles le conseil municipal de Verneuil-sur-Seine a réaffirmé son opposition politique au projet de contournement de la route départementale 154 à travers le bois régional situé sur son territoire et abrogé la délibération n°2018-03 du 19 février 2018 mettant à sa disposition les emprises de sept sentes rurales et chemins ruraux impactés par le projet de contournement, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux, née le 9 janvier 2022 ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Verneuil-sur-Seine la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la délibération n°2018-03 du 19 février 2018 est une décision créatrice de droits dès lors qu'elle lui donne le droit de jouir de ce foncier pour la réalisation des travaux et déviation jusqu'à l'achèvement des travaux ainsi que le droit d'acquérir ce foncier à l'issue des travaux ;

- la délibération n°2021-91 du 15 septembre 2021 abrogeant la délibération n°2018-03 du 19 février 2018 est insuffisamment motivée ;

- elle méconnaît le principe du contradictoire ;

- la délibération n°2021-91 méconnaît les dispositions de l'article L. 242-2 du code des relations entre le public et l'administration dès lors qu'elle procède à l'abrogation d'une décision créatrice de droits au-delà du délai de quatre mois ;

- les délibérations n°2021-90 et 2021-91 du 15 septembre 2021 sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- elles sont entachées d'une erreur de droit dès lors que la commune de Verneuil-sur-Seine n'est pas compétente pour apprécier la question de l'impact environnemental du projet de déviation ;

- elles sont entachées d'un détournement de pouvoir.

Par un mémoire en défense enregistré le 10 janvier 2023, et un mémoire, non communiqué, enregistré le 25 avril 2024, la commune de Verneuil-sur-Seine, représentée par Me Azouaou, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge du département des Yvelines une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- les conclusions à fin d'annulation dirigées contre la délibération n°2021-90 du 15 septembre 2021 sont irrecevables dès lors qu'elles sont dirigées contre une décision qui ne fait pas grief ;

- les conclusions à fin d'annulation dirigées contre la délibérations n°2021-91 du 15 septembre 2021 sont portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître ;

- les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Degorce ;

- les conclusions de Mme Winkopp-Toch, rapporteure publique ;

- et les observations de Me de Bailliencourt pour le département des Yvelines et de Me Berton pour la commune de Verneuil-sur-Seine.

Considérant ce qui suit :

1. Dans le cadre de son projet d'aménagement d'une voie de contournement des communes de Verneuil-sur-Seine et de Vernouillet par déviation de la route départementale 154, le département des Yvelines s'est rapproché de la commune de Verneuil-sur-Seine afin d'obtenir la maîtrise foncière des sept sentes rurales et chemins ruraux cadastrés A7, A13, A14, A16, C37, ZD46 et A 242, nécessaires à la réalisation de ce projet, reconnu d'utilité publique par arrêté préfectoral du 25 avril 2005. Par délibération n°2018-03 du 19 février 2018, la commune de Verneuil-sur-Seine a mis à disposition du département des Yvelines l'emprise de ces sept parcelles sous réserve du respect de leur désenclavement. Toutefois, par une délibération n°2021-90 du 15 septembre 2021, le conseil municipal de la commune de Verneuil-sur-Seine a finalement décidé d'affirmer son opposition au projet de contournement de la route départementale 154 à travers le bois régional situé sur son territoire. Par délibération n°2021-91 du même jour, il a également procédé à l'abrogation de la délibération n°2018-03 du 19 février 2018. Ce sont les deux décisions dont le département des Yvelines demande l'annulation, ensemble la décision née le 9 janvier 2022 rejetant son recours gracieux.

Sur l'exception d'incompétence de la juridiction administrative :

2. L'acte, la délibération ou la décision d'une personne publique, qui affecte le périmètre ou la consistance de son domaine privé, est détachable de la gestion de ce domaine de sorte que la contestation relative à cet acte ressortit à la compétence du juge administratif.

3. En l'espèce, la délibération n°2021-91 du 15 septembre 2021 qui procède à l'abrogation d'une délibération mettant à disposition d'une autre personne publique l'emprise foncière de parcelles appartenant au domaine privé de la commune de Verneuil-sur-Seine, ne constitue pas un acte de gestion de ce domaine mais un acte de disposition qui affecte son périmètre et sa consistance. Un tel acte, détachable de la gestion du domaine privé de la commune de Verneuil-sur-Seine, ressortit à la compétence de la juridiction administrative, de sorte que l'exception d'incompétence opposée en défense ne peut qu'être écartée.

Sur la fin de non-recevoir opposée par la commune de Verneuil-sur-Seine :

4. La délibération par laquelle l'organe délibérant d'une collectivité territoriale émet un vœu, une prise de position ou une déclaration d'intention ou prend un acte à caractère préparatoire ne constitue pas un acte faisant grief et n'est donc pas susceptible de faire l'objet d'un recours devant le juge de l'excès de pouvoir même en raison de prétendus vices propres, à moins qu'il en soit disposé autrement par la loi.

5. En l'espèce, la délibération par laquelle la commune de Verneuil-sur-Seine s'est bornée à " réaffirmer son opposition au projet de contournement de la route départementale 154 " constitue une simple prise de position qui ne constitue pas un acte faisant grief et qui n'est donc pas susceptible de faire l'objet d'un recours devant le juge de l'excès de pouvoir. Il en résulte que la fin de non-recevoir opposée en défense doit être accueillie et que les conclusions à fin d'annulation dirigées contre la délibération n° 2021-90 du 15 septembre 2021 ne peuvent qu'être rejetées comme irrecevables.

Sur les conclusions à fin d'annulation dirigées contre la délibération n°2021-91 du 15 septembre 2021 :

En ce qui concerne la nature de la délibération n°2018-03 du 19 février 2018 :

6. Il ressort des termes mêmes de la délibération du 19 février 2018 que, dans le cadre du projet de déviation de la route départementale 154, la commune de Verneuil-sur-Seine a accepté de mettre à la disposition du département des Yvelines les emprises de sept sentes rurales et chemins ruraux impactés par le projet, sous réserve du respect de leur désenclavement, étant précisé qu'à l'issue des travaux, ces parcelles, d'une surface totale de 4 470 mètres carrés, feraient l'objet d'une régularisation foncière. Cette délibération doit ainsi être regardée comme autorisant le département des Yvelines à occuper, à titre temporaire, des parcelles relevant du domaine privé de la commune de Verneuil-sur-Seine le temps des travaux de contournement de la route départementale 154.

7. Alors que l'autorisation d'occuper temporairement les sept parcelles appartenant au domaine privé de la commune de Verneuil-sur-Seine n'emporte pas cession de ces dernières et qu'elle est subordonnée à la réalisation des travaux de contournement de la route départementale 154, la délibération du 19 février 2018 ne saurait être regardée comme un acte créateur de droits au profit du département des Yvelines qui, s'il a droit de bénéficier des effets juridiques attachés à cette décision tant qu'elle est en vigueur, n'a cependant aucun droit à son maintien dans l'ordonnancement juridique.

En ce qui concerne les moyens de légalité externe :

8. D'une part, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent.

A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : () 4° Retirent ou abrogent une décision créatrice de droits ; () ".

9. Ainsi qu'il a été dit au point 7, la délibération du 19 février 2018 n'étant pas un acte créateur de droits, la délibération attaquée du 15 septembre 2021 procédant à son abrogation n'entre pas dans les catégories d'actes qui doivent être motivés conformément aux dispositions de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la délibération attaquée doit être écarté comme inopérant.

10. D'autre part, aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable. "

11. La délibération attaquée du 15 septembre 2021 n'étant ni une décision qui doit être motivée en application de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration, ni une décision prise en considération de la personne, elle n'était pas soumise au respect d'une procédure contradictoire préalable. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe du contradictoire est inopérant et ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne les moyens de légalité interne :

12. En premier lieu, aux termes de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration : " L'administration ne peut abroger ou retirer une décision créatrice de droits de sa propre initiative ou sur la demande d'un tiers que si elle est illégale et si l'abrogation ou le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision. " Aux termes de l'article L. 243-1 du même code : " Un acte réglementaire ou un acte non réglementaire non créateur de droits peut, pour tout motif et sans condition de délai, être modifié ou abrogé () ".

13. Il résulte de ce qui a été dit au point 7 que la délibération du 19 février 2018 qu'abroge la délibération attaquée du 15 septembre 2021 n'est pas une décision créatrice de droits. Par suite, le moyen tiré de ce que la commune de Verneuil-sur-Seine aurait méconnu les dispositions de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration en procédant à l'abrogation d'une décision créatrice de droit au-delà du délai de quatre mois ne peut qu'être écarté.

14. En deuxième lieu, en se bornant à soutenir que la commune de Verneuil-sur-Seine aurait entaché sa délibération n°2021-91 d'une erreur de droit dès lors qu'elle n'est pas compétente pour apprécier la question de l'impact environnemental du projet de déviation sans indiquer quelle disposition règlementaire ou législative elle aurait méconnu, le département des Yvelines n'assortit pas son moyen des précisions suffisantes pour en apprécier le bien-fondé.

15. En dernier lieu, il ressort des pièces du dossier que la délibération attaquée du 15 septembre 2021 se borne à mettre fin à la mise à disposition du département des Yvelines, à titre gratuit, de parcelles appartenant au domaine privé de la commune de Verneuil-sur-Seine que cette dernière est libre de gérer conformément à l'article L. 2221-1 du code général de la propriété des personnes publiques. Il n'est pas contesté que cette mise à disposition consentie en 2018 était subordonnée à la réalisation des travaux de contournement qui n'avaient pas encore débuté à la date de la délibération attaquée, paralysant depuis plusieurs années la gestion du domaine privé de la commune de Verneuil-sur-Seine pour un temps encore indéterminé. Par ailleurs, la délibération attaquée n'a ni pour objet, ni pour effet de mettre un terme au projet de contournement de la route départementale 154, reconnu d'utilité publique en 2005 dès lors que le département des Yvelines peut toujours recourir à la procédure d'expropriation pour se rendre propriétaire des sentes et chemins ruraux qui ont été mis à sa disposition pendant plus de trois ans et demi. Par suite, les moyens tirés du détournement de pouvoir et de l'erreur manifeste d'appréciation commis par la commune de Verneuil-sur-Seine ne peuvent qu'être écartés.

16. Il résulte de ce qui précède que le département des Yvelines n'est pas fondé à demander l'annulation de la délibération n°2021-91 par laquelle la commune de Verneuil-sur-Seine a abrogé la délibération n°2018-03 du 19 février 2018 mettant à sa disposition les emprises de sept sentes rurales et chemins ruraux d'une superficie de 4 470 mètres carrés impactés par le projet de contournement, ensemble la décision implicite de rejet de son recours gracieux, née le 9 janvier 2022.

Sur les frais d'instance :

17. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du département des Yvelines la somme de 1 800 euros au titre des frais exposés par la commune de Verneuil-sur-Seine et non compris dans les dépens. En revanche, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées à ce titre par le département des Yvelines.

D E C I D E :

Article 1er : La requête du département des Yvelines est rejetée.

Article 2 : Le département des Yvelines versera une somme de 1 800 euros à la commune de Verneuil-sur-Seine au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié au département des Yvelines et à la commune de Verneuil-sur-Seine.

Délibéré après l'audience du 29 avril 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Sauvageot, présidente,

- Mme Lutz, première conseillère,

- Mme Degorce, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 mai 2024.

La rapporteure,

signé

Ch. DegorceLa présidente,

signé

J. Sauvageot

La greffière,

signé

C. Delannoy

La République mande et ordonne au préfet des Yvelines en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.