Tribunal Administratif de la Guadeloupe, 26/09/2022, n°2200959

REPUBLIQUE FRANCAISE 

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS 

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 2 septembre 2022, le 15 septembre 2022, le 20 septembre 2022 et le 21 septembre 2022, la SA Pajamandy, représentée par Maître Justine Orier, demande au juge des référés statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

1°) d'annuler la procédure de passation du lot n°  2 de la délégation de service public pour l'exploitation des lignes de transport routier de voyageurs du réseau de la région Guadeloupe ;

2°) d'enjoindre à la région Guadeloupe, si elle entend maintenir la procédure de passation, de relancer la procédure de passation du lot n°  2 ;

3°) de mettre à la charge de la région Guadeloupe une somme de 4 000 euros, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa requête est recevable, qu'elle a qualité à agir et a subi des lésions du fait des manquements invoqués ;

- la procédure de passation est irrégulière :

- en l'espèce, la candidature du groupement attributaire  du lot n°  2 était incomplète et irrecevable et le groupement ne pouvait donc légalement être admis à présenter une offre :

- incomplète car les bilans et comptes de résultats approuvés des sociétés MJNP Transports et Pajamandy Eric Bernard membres du groupement attributaire  n'ont pas été versés au dossier de candidature, en méconnaissance de l'article 4-2 du règlement de la consultation  ;

- irrecevable car les membres du groupement attributaire  n'ont pas été en mesure de justifier avoir souscrit leurs déclarations en matière fiscale et sociale en méconnaissance de l'article L. 3123-2 du code de la commande publique ;

- par ailleurs, la région Guadeloupe était tenue de mettre en œuvre la procédure prévue par l'article R2152-3 du code de la commande publique afin d'obtenir des justificatifs de la part du soumissionnaire  dont l'offre semble anormalement basse. Or la CEF de l'offre du groupement CGTS était d'un montant inférieur de 23 % à celle de la SA Pajamandy ;

- la délégation de service public en litige étant d'une valeur supérieure aux seuils européens, la région Guadeloupe était tenue de procéder à une hiérarchie des critères d'attribution des offres ce qu'elle n'a pas fait, ni au stade de l'information, ni au stade de l'analyse des offres, ce qui l'a lésée ;

- la date de délivrance des attestations sociales et fiscales est postérieure à l'attribution de la délégation de service public ;

- la délégation de service public a été attribuée le 28 juillet 2022 soit plus d'un mois après l'expiration des offres ;

- enfin, la négociation engagée n'a pas porté sur l'amélioration des recettes commerciales. L'égalité entre les candidats n'a pas été respectée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 septembre 2022, la région Guadeloupe, représentée par le cabinet Seban et associés, conclut au rejet de la requête et à ce que la SA Pajamandy lui verse la somme de 5 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par un mémoire enregistré le 21 septembre 2022, la société CGTS, agissant en qualité de mandataire du groupement solidaire  composé des sociétés CGTS, MJNP Transports, Pajamandy Eric Bernard, et Pajamandy et fils, représentée par la Selarl APAetC, conclut au rejet de la requête et à ce que la SA Pajamandy lui verse la somme de 3 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de la commande publique ;

- le code des transports ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné M. A en application de l'article 551-1 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique tenue en présence de Mme Lubino, greffière d'audience, M. A a lu son rapport et entendu : 

- les observations de Me Justine Orier, représentant la SA Pajamandy, et de Me Alice Larmet, représentant la région Guadeloupe.

La clôture de l'instruction a été différée au jeudi 22 septembre 2022 à 12 heures, à l'issue de l'audience.

Des mémoires présentés par la région Guadeloupe, la société CGTS, agissant en qualité de mandataire du groupement solidaire  composé des sociétés CGTS, MJNP Transports, Pajamandy Eric Bernard, et Pajamandy et fils, et la SA Pajamandy ont été enregistrés le 22 septembre 2022.

1. Par un avis de concession publié le 17 décembre 2021 au bulletin officiel des annonces des marché publics (BOAMP), la région Guadeloupe a engagé une consultation pour l'attribution d'une délégation de service public d'exploitation des lignes de transport routier de voyageurs du réseau régional pour une durée de deux ans avec une reconduction possible pour deux années supplémentaires. Celle-ci est divisée en quatre lots, correspondant chacun à une zone géographique : lot n°  1 : Nord Grande-Terre, lot n°  2 : Nord Basse-Terre, lot n°  3 : Côte sous le vent, lot n°  4 : Sud Basse-Terre. Trois opérateurs ont répondu à la consultation pour le lot n°  2 : la société SA Pajamandy, un groupement composé des entreprises suivantes : CGTS (mandataire), MJNP Transports, Pajamandy Eric Bernard et Pajamandy et Fils et la société Les six F. Par un courrier du 23 août 2022, la région Guadeloupe a informé la SA Pajamandy du rejet de son offre et de l'attribution du lot n°  2 au groupement CGTS. Estimant que des irrégularités entachent la procédure d'attribution, la SA Pajamandy saisit par la présente requête le juge du référé précontractuel en lui demandant d'annuler la procédure de passation du lot n°  2 de la délégation de service public pour l'exploitation des lignes de transport routier de voyageurs du réseau de la région Guadeloupe et d'enjoindre à la région Guadeloupe, si elle entend maintenir la procédure de passation, de relancer la procédure de passation du lot n°  2.

2. Il appartient au juge administratif, saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l'administration. En vertu de cet article, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient, dès lors, au juge des référés précontractuels de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique concurrent.

S'agissant de l'incomplétude et de l'irrecevabilité de la candidature du groupement CGTS :

3. Aux termes de l'article 4 - " Constitution du dossier de candidature et d'offre " du règlement de la consultation  : " () 4.2 Dossier de candidature : Les candidats fourniront un dossier de candidature complet, comprenant l'ensemble des pièces demandées dans l'avis public d'appel à candidature et reprises ci -dessous : () Pièces montrant la capacité économique et financière du candidat :

* Les trois derniers bilans et comptes de résultat approuvés ;

* Le chiffre d'affaires global annuel au cours des trois dernières années (si le candidat ne peut produire ces éléments, il en exposera les motifs) ;

* A minima, un DC2 est admis. (). "

4. Il résulte de l'instruction que les sociétés membres du groupement attributaire  ont au moins transmis un DC2 aux fins de vérification de leur capacité économique et financière et ont également transmis les documents attestant qu'elles sont à jour de leurs obligations fiscales et sociales avant la conclusion du contrat. Le moyen susvisé doit, dès lors, être écarté. 

S'agissant des critères de sélection et de l'absence de hiérarchisation :

5. Aux termes de l'article L. 3124-1 du code de la commande publique : " Lorsque l'autorité concédante recourt à la négociation pour attribuer le contrat de concession, elle organise librement la négociation avec un ou plusieurs soumissionnaires dans des conditions prévues par décret  en Conseil d'Etat. / La négociation ne peut porter sur l'objet de la concession, les critères d'attribution ou les conditions et caractéristiques minimales indiquées dans les documents de la consultation ". Aux termes de l'article L. 3124-5 du même code : " Le contrat de concession  est attribué au soumissionnaire qui a présenté la meilleure offre au regard de l'avantage économique global pour l'autorité concédante sur la base de plusieurs critères objectifs, précis et liés à l'objet du contrat de concession  ou à ses conditions d'exécution. Lorsque la gestion d'un service public est concédée, l'autorité concédante se fonde également sur la qualité du service rendu aux usagers. / Les critères d'attribution n'ont pas pour effet de conférer une liberté de choix illimitée à l'autorité concédante et garantissent une concurrence effective. Ils sont rendus publics dans des conditions prévues par décret  en Conseil d'Etat. / Les modalités d'application du présent article sont prévues par voie réglementaire ". Aux termes de l'article R. 3124-1 du même code, l'autorité concédante " () procède à la sélection du ou des soumissionnaires en appliquant les critères d'attribution fixés aux articles R. 3124-4 et R. 3124-5 ". Aux termes de l'article R. 3124-4 du même code : " Pour attribuer le contrat de concession, l'autorité concédante se fonde, conformément aux dispositions de l'article L. 3124-5, sur une pluralité de critères non discriminatoires. Au nombre de ces critères, peuvent figurer notamment des critères environnementaux, sociaux, relatifs à l'innovation. / Les critères et leur description sont indiqués dans l'avis de concession, dans l'invitation à présenter une offre ou dans tout autre document de la consultation ". Aux termes de l'article R. 3124-5 du même code : " L'autorité concédante fixe les critères d'attribution par ordre décroissant d'importance. Leur hiérarchisation est indiquée dans l'avis de concession, dans l'invitation à présenter une offre ou dans tout autre document de la consultation. / L'autorité concédante peut modifier, à titre exceptionnel, l'ordre des critères pour tenir compte du caractère innovant d'une solution présentée dans une offre. Une telle modification ne doit pas être discriminatoire. Une offre est considérée comme présentant une solution innovante lorsqu'elle comporte des performances fonctionnelles d'un niveau exceptionnel, et qu'elle ne pouvait être prévue par une autorité concédante diligente. L'autorité concédante publie un nouvel avis de concession ou envoie une nouvelle invitation à présenter une offre dans le respect des délais fixés aux articles R. 3124-2 et R. 3124-3 ". Enfin, aux termes de l'article R. 3124-6 du même code : " Les offres qui n'ont pas été éliminées en application de l'article L. 3124-2 sont classées par ordre décroissant sur la base des critères prévus aux articles R. 3124-4 et R. 3124-5. / L'offre la mieux classée est retenue ".

6. En l'espèce, la région Guadeloupe a défini, au point 7 du règlement de consultation, les critères d'appréciation des offres dans les termes suivants : " L'évaluation des offres sera réalisée sur la base du contenu de la proposition remise par le candidat et

selon les critères suivants, par ordre d'importance : 7.1. Critère financier : Le critère financier sera apprécié au regard de : * La contribution financière demandée à la région (20 points)

* L'engagement pris par le délégataire sur le montant des recettes commerciales matérialisant le niveau de risque auquel il s'engage (20 points). Le critère sera apprécié selon le taux de couverture des dépenses par les recettes commerciales (en %)

7.2. Critère technique  : Le critère technique  sera apprécié au regard de : * Aptitude à assurer la continuité du service public (10 points) * Engagement sur le trafic prévisionnel (10 points) * Qualité des véhicules fournis (10 points) * Niveau de service assuré, moyens humains mis en œuvre (20 points) * Politique environnementale, économie des ressources naturelles, de l'énergie, gestion des déchets (10 points). "

7. La société SA Pajamandy soutient que la délégation de service public en litige étant d'une valeur supérieure aux seuils européens, la région Guadeloupe était tenue de procéder à une hiérarchie des critères d'attribution des offres ce qu'elle n'a pas fait, ni au stade de l'information, ni au stade de l'analyse des offres, ce qui l'a lésée. En défense, la région Guadeloupe fait valoir que les dispositions de l'article R.3126-10 du code de la commande publique rendent inapplicables aux délégations de service public de transports de voyageurs autres que par chemin de fer comme celle qu'elle a passée, l'obligation de hiérarchiser les critères de sélection des offres. 

8. En tout état de cause, et à supposer que la hiérarchisation des critères de sélection des offres s'imposait à la région, il résulte de l'instruction que les items ayant le plus fort coefficient (20 %) ont bien été classés avant les autres dont la pondération n'est que de 10 %, à l'exception de l'item " Niveau de service assuré, moyens humains mis en œuvre " (20 points), relevant de la valeur technique. Toutefois, cette circonstance n'a, en l'espèce, pu léser la société requérante qui a obtenu, à cet item, la même note que le groupement attributaire. Surtout, la lettre du 23 août 2022 informant la société requérante du rejet de son offre mentionnait explicitement les écarts notables sur les critères financiers tant au niveau de la contribution d'équilibre forfaitaire (CEF) demandée à la collectivité que de l'engagement pris en matière de recettes commerciales, qui est apparu moins ambitieux. Ce faisant, la région Guadeloupe a mis en exergue les points faibles de l'offre de la requérante correspondant aux critères cités en premier à l'article 7 du règlement de la consultation, dont la pondération était la plus élevée et que la région a souhaité rendre prédominants, ainsi que le reconnait la requérante dans son dernier mémoire. Dès lors, la lésion invoquée n'est pas démontrée. 

S'agissant du moyen tiré de l'existence d'une offre anormalement basse  :

9. La prohibition des offres anormalement basses et le régime juridique relatif aux conditions dans lesquelles de telles offres peuvent être détectées et rejetées ne sont pas applicables, en tant que tels, aux concessions. 

10. La société requérante fait, toutefois, valoir que le règlement de la consultation  prévoit à son article 7 que " Conformément aux articles R2152-3 à 5 du code de la commande publique, toute offre paraissant anormalement basse fera l'objet d'une demande écrite de précisions assortie d'un délai impératif de réponse. Après vérification des justificatifs fournis par le candidat concerné, l'offre sera soit maintenue dans l'analyse des offres, soit rejetée "

11. Le règlement de la consultation  prévu par une autorité délégante pour la passation d'une délégation de service public est obligatoire dans toutes ses mentions. L'autorité délégante ne peut, dès lors, attribuer ce contrat à un candidat qui ne respecte pas une des exigences imposées par ce règlement, sauf si cette exigence se révèle manifestement dépourvue de toute utilité pour l'examen des candidatures ou des offres ou si la méconnaissance de cette exigence résulte d'une erreur purement matérielle d'une nature telle que nul ne pourrait s'en prévaloir de bonne foi dans l'hypothèse où le candidat verrait son offre retenue.

12. En l'espèce, outre la circonstance que le régime juridique applicable à la détection des offres anormalement basse n'est pas applicable, en tant que tel aux concessions, ainsi qu'il vient d'être dit, il ne résulte pas de l'instruction que l'écart de 23 % entre l'offre du groupement attributaire  et celle de la société requérante, qui ne correspond qu'à un des aspects financiers de l'offre serait tel qu'il pourrait compromettre la bonne exécution de la concession. Par suite, le moyen susvisé doit être écarté. 

S'agissant de l'expiration des offres :

13. La société requérante fait également valoir que la délégation de service public a été attribuée le 28 juillet 2022 soit plus d'un mois après l'expiration des offres. Toutefois, en remettant le 13 juin 2022 leur offre finale, les candidats, dont la société requérante, ont consenti à la prolongation de leur offre initiale. Dès lors, le moyen susvisé ne peut qu'être écarté. 

S'agissant de la régularité de la négociation :

14. La société requérante soutient enfin que la négociation engagée n'a pas porté sur l'amélioration des recettes commerciales et qu'en conséquence, l'égalité entre les candidats n'a pas été respectée. Toutefois, il résulte de l'instruction, et notamment de la pièce n° 7, que la négociation a notamment porté sur les aspects financiers de l'offre et en particulier la fréquentation du service et donc nécessairement des recettes commerciales. Le moyen susvisé doit être écarté comme manquant en fait. 

15. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la requête doit être rejetée, en toutes ses conclusions.

16. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions relatives aux frais de l'instance présentées par la région Guadeloupe et par la société CGTS, agissant en qualité de mandataire du groupement solidaire composé des sociétés CGTS, MJNP Transports, Pajamandy Eric Bernard, et Pajamandy et fils.

O R D O N N E :

Article 1er : La requête de la société SA Pajamandy est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la région Guadeloupe, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions présentées par la société CGTS, agissant en qualité de mandataire du groupement solidaire composé des sociétés CGTS, MJNP Transports, Pajamandy Eric Bernard, et Pajamandy et fils, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la SA Pajamandy, à la région Guadeloupe, et aux sociétés CGTS, MJNP Transports, Pajamandy Eric Bernard, et Pajamandy et fils.

Décision rendue publique par mise à disposition au greffe le 26 septembre 2022.

Le juge des référés,

Signé :

O. A.

La greffière,

Signé :

L. Lubino

La République mande et ordonne au préfet de la Guadeloupe en ce qui le concerne ou à tous huissiers à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

Pour expédition conformé,

La greffière, par délégation,

Signé :

L. Lubino

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