TA Montpellier, 16/02/2023, n°2105182
Vu la procédure suivante :
Par une requête et trois mémoires enregistrés le 4 octobre 2021, 28 mars 2022, 16 mai 2022 et 1er septembre 2022, la société Freedays, représentée par la SELARL Cartesia, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'enjoindre, en application de l'article R. 611-10 du code de justice administrative, à la commune d'Escaro-Aytua de communiquer les offres concurrentes des sociétés RES et EDF, le rapport du groupe de travail et d'élus visé dans la délibération du conseil municipal du 3 juin 2021, et enfin tous les justificatifs démontrant la tenue d'une concertation préalable à la séance du 3 juin 2021 menée avec la commune de Souanyas, dans un délai maximum d'un mois à compter de la signification du jugement à intervenir et sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
2°) l'annulation de la délibération du conseil municipal d'Escaro-Aytua en date du 3 juin 2021, ensemble la décision implicite du maire de la commune en date du 2 octobre 2021, portant rejet de son recours gracieux, en tant seulement qu'elles abrogent la délibération du conseil municipal du 2 juillet 2012 ;
3°) l'annulation de la délibération du conseil municipal d'Escaro-Aytua en date du 15 décembre 2021, ensemble la décision implicite du rejet de son recours gracieux, en tant seulement qu'elles retirent la délibération du conseil municipal du 2 juillet 2012 ;
4°) de donner acte de son désistement d'instance s'agissant de ses conclusions tendant à l'annulation de la délibération du 3 juin 2021 en tant qu'elle approuve la conclusion d'une promesse de bail emphytéotique, passé un délai de 4 mois après l'intervention des délibérations du 15 décembre 2021 et 14 février 2022 à la condition que la commune justifie du caractère définitif de ces deux délibérations ;
5°) de mettre à la charge de la commune d'Escaro-Aytua une somme de 6 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le juge administratif est compétent pour statuer sur le présent litige et sa requête est recevable ;
- la commune ne lui a pas communiqué les documents relatifs à la consultation des opérateurs intéressés par la création d'une centrale photovoltaïque et ces documents sont nécessaires à la résolution du litige ;
- la délibération du 15 décembre 2021 qui retire la délibération du 12 juillet 2021 est irrégulière car elle est insuffisamment motivée, et elle abroge une décision créatrice de droits, non irrégulière, plus de quatre mois après son approbation et sans procédure contradictoire préalable, en méconnaissance des dispositions des articles L. 121-1 et L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration ;
- il y a lieu d'annuler la délibération du 3 juin 2021 si la commune ne démontre pas que la délibération du 15 décembre 2021, qui procède à son retrait, a acquis un caractère définitif ;
- la délibération du 3 juin 2021 est entachée d'un vice d'incompétence, d'un non-respect des règles de la commande publique relatives à la transparence et l'égalité, elle méconnaît le cahier des charges de la consultation et il n'a pas été procédé à une étude régulière des offres.
Par trois mémoires en défense, enregistrés le 28 février 2022 et le 29 avril 2022, la commune d'Escaro-Aytua, représentée par la SCP Chichet, Henry, Pailles, Garidou et Renaudin, conclut au non-lieu à statuer ou au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- la délibération du 3 juin 2021 a été retirée ;
- les documents demandés ont été communiqués ;
- la délibération du 2 juillet 2012 n'était pas créatrice de droits, ses effets ont été épuisés et elle pouvait être légalement retirée.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Lesimple, première conseillère,
- et les conclusions de M. Lauranson, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Le 2 juillet 2012, le conseil municipal de la commune d'Escaro-Aytua a confié à la société Freedays la réalisation d'un projet de centrale photovoltaïque et lui a demandé de réaliser un projet de faisabilité en contrepartie d'une exclusivité de trois ans et de la mise en œuvre des mesures nécessaires à l'accession à la maitrise foncière des terrains concernés. Par une délibération du 3 juin 2021, le conseil municipal a abrogé cette décision et approuvé la conclusions d'une promesse de bail emphytéotique administratif avec une autre société, en vue de la réalisation d'une centrale photovoltaïque. Par délibération du 15 décembre 2021, le conseil municipal a annulé cette délibération du 3 juin 2021, prononcé le retrait de la délibération du 2 juillet 2012 et initié une nouvelle procédure de sélection d'opérateurs pour le projet de centrale photovoltaïque.
2. Dans le dernier état de ses écritures, la société Freedays demande l'annulation des délibérations des 3 juin et 15 décembre 2021 ainsi que des décisions de rejet de ses recours gracieux, en tant respectivement, qu'elles abrogent puis retirent, la délibération du 2 juillet 2012. Par ailleurs, elle déclare se désister de ses conclusions tendant à l'annulation de la délibération du 3 juin 2021 en tant qu'elle approuve la conclusion d'une promesse de bail emphytéotique à condition que la commune démontre le caractère définitif de la délibération du 15 décembre 2021. Enfin, la société Freedays demande à ce qu'il soit enjoint à la commune de produire plusieurs documents administratifs relatifs à la consultation et la sélection des opérateurs intéressés par le projet de centrale photovoltaïque sur la commune.
Sur le désistement :
3. Le maire a certifié l'affichage de la délibération du 15 décembre 2021 en date du 17 décembre 2021, reçue en préfecture le 16 décembre 2021. Si la société Freedays fait valoir que le caractère définitif de cette délibération n'est pas établi puisqu'elle l'a contestée via un recours gracieux adressé à la commune, il est constant que son recours se limite à demander l'annulation de cette délibération en tant seulement qu'elle retire la délibération du 2 juillet 2012. Dès lors, le retrait de la délibération du 3 juin 2021, en tant que celle-ci approuvait la conclusion d'une promesse de bail emphytéotique, est définitif. Dans ces conditions, il y a lieu de donner acte du désistement d'instance de la société Freedays, conditionné au caractère définitif de la délibération du 15 décembre 2021, s'agissant de ses conclusions tendant à l'annulation de l'approbation dudit bail.
Sur les conclusions à fin d'annulation de la délibération du 15 décembre 2021 en tant qu'elle retire la décision du 12 juillet 2012 :
4. Aux termes de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration " L'administration ne peut abroger ou retirer une décision créatrice de droits de sa propre initiative ou sur la demande d'un tiers que si elle est illégale et si l'abrogation ou le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision ". Par ailleurs, aux termes de l'article L. 121-1 du même code : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ". Enfin l'article L. 211-2 de ce code vise les décisions qui " retirent ou abrogent une décision créatrice de droits ".
5. Il ressort des pièces du dossier que la délibération du 12 juillet 2012, si elle fait état d'un projet de centrale photovoltaïque confié à la société Freedays, ne précise pas la consistance du terrain d'assiette de ce projet, ni ses caractéristiques techniques, ni enfin les conditions financières de l'opération. Par ailleurs, cette délibération prévoyait un engagement de la commune pour une durée de trois ans, de sorte que ses effets étaient épuisés à la date du 15 décembre 2021. Dans ces conditions, cette délibération n'est pas créatrice de droits au sens des dispositions précitées et les moyens tirés de la méconnaissance de celles-ci doivent être écartés.
6. Par ailleurs, il ressort de la délibération en litige qu'elle est dûment motivée en fait et en droit et le moyen tiré de son insuffisante motivation doit être écarté comme manquant en fait.
7. Il résulte de ce qui précède que les conclusions tendant à l'annulation de la délibération du 15 décembre 2021 doivent être rejetées.
Sur les conclusions tendant à l'annulation de la délibération du 3 juin 2021 en tant qu'elle abroge la délibération du 2 juillet 2012 :
8. Le juge de l'excès de pouvoir ne peut, en principe, déduire d'une décision juridictionnelle rendue par lui-même ou par une autre juridiction qu'il n'y a plus lieu de statuer sur des conclusions à fin d'annulation dont il est saisi, tant que cette décision n'est pas devenue irrévocable. Il en va toutefois différemment lorsqu'il statue par une même décision, en tirant les conséquences nécessaires de ses propres énonciations.
9. A ce titre, lorsque le juge est parallèlement saisi de conclusions tendant, d'une part, à l'annulation d'une décision et, d'autre part, à celle de son retrait et qu'il statue par une même décision, il lui appartient de se prononcer sur les conclusions dirigées contre le retrait puis, sauf si, par l'effet de l'annulation qu'il prononce, la décision retirée est rétablie dans l'ordonnancement juridique, de constater qu'il n'y a plus lieu pour lui de statuer sur les conclusions dirigées contre cette dernière.
10. La délibération du 15 décembre 2021 prononce le retrait de la délibération du 3 juin 2021. Dans la mesure où les conclusions tendant à l'annulation de la délibération du 15 décembre 2021 sont rejetées, il n'y plus lieu de statuer sur les conclusions tendant à l'annulation de la délibération du 3 juin 2021 en tant qu'elle abroge la délibération du 12 juillet 2012.
Sur les conclusions tendant au prononcé d'une injonction :
11. Si la société Freedays demande à ce que le juge administratif fasse usage de ses pouvoirs d'instruction afin d'enjoindre à la commune de produire diverses pièces, celles-ci n'apparaissent pas utiles à la résolution du présent litige. Dès lors, ses conclusions tendant à ce qu'il soit fait usage des dispositions de l'article R. 611-10 du code de justice administrative doivent être rejetées.
Sur les frais liés du litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que la somme réclamée par la société Freedays au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens soit mise à la charge la commune d'Escouat-Aytua qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance.
D E C I D E :
Article 1er : Il est donné acte du désistement d'instance de la société Freedays de ses conclusions tendant à l'annulation de la délibération du conseil municipal d'Escouat-Aytua du 3 juin 2021 en tant qu'elle approuve la conclusion d'une promesse de bail emphytéotique.
Article 2 : Les conclusions tendant à l'annulation de la délibération du 15 décembre 2021 qui retire la délibération du 12 juillet 2012 sont rejetées.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions tendant à l'annulation de la délibération du 3 juin 2021 en tant qu'elle abroge la délibération du 12 juillet 2012.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent jugement sera notifié à la société Freedays et à la commune d'Escout-Aytua, à la société Total Energies Renouvelables et à la commune de Souanyas.
Délibéré après l'audience du 2 février 2023, à laquelle siégeaient :
M. Eric Souteyrand, président,
M. Nicolas Huchot, premier conseiller,
Mme Audrey Lesimple, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 février 2023.
La rapporteure,
A. Lesimple Le président,
E. Souteyrand
La greffière,
M-A. Barthélémy
La République mande et ordonne au préfet des Pyrénées-Orientales en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
Montpellier, le 16 février 2023.
La greffière,
M-A. Barthélémy