TA de Pau, 02 novembre 2023, n° 2001125
Vu la procédure suivante :
Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 19 juin 2020, 6 juillet 2021 et 20 avril 2023, la communauté d'agglomération du Pays Basque venant aux droits de la commune d'Ossès, représentée par Me Sargiacomo, demande au tribunal :
1°) à titre principal, de condamner solidairement la société à responsabilité limitée (SARL) Arhex Emanez, la société par actions simplifiée (SAS) SCE et la SAS Etablissements F. Neveux à lui verser une somme de 363 750 euros hors taxes en réparation du coût de travaux de reprise des désordres affectant la station d'épuration d'Ossès ;
2°) à titre subsidiaire, de condamner solidairement la SARL Arhex Emanez et la SAS SCE à lui verser une somme de de 363 750 euros hors taxes en réparation du coût de travaux de reprise des désordres affectant la station d'épuration d'Ossès ;
3°) en tout état de cause, de mettre à la charge solidaire de la SARL Arhex Emanez, de la SAS SCE et de la SAS Etablissements F. Neveux une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise.
Elle soutient que :
- de nombreux désordres affectent le fonctionnement de la station d'épuration ; l'une des deux fosses à eau, le filtre à sable ainsi que les filtres à pouzzolane sont colmatés ; le système de distribution des eaux prétraitées vers le filtre à sable ne fonctionne plus ;
- les causes des désordres sont multiples, et consistent notamment en l'intrusion d'eaux pluviales dans le réseau des eaux usées, la présence de fissures et déchirures sur les cuves de la station, des défauts des systèmes " plongeurs " en entrée et sortie de cuve, l'affaissement des cuves ; l'expert a également relevé la présence de défauts affectant les filtres à pouzzolane et le filtre à sable ;
- les désordres constatés, dès lors qu'ils n'étaient pas apparents lors de la réception et rendent l'ouvrage impropre à sa destination, engagent la responsabilité décennale des constructeurs ;
- sur la base du rapport d'expertise, est recherchée la responsabilité solidaire de la SARL Arhex Emanez, titulaire du marché, de la SAS SCE, maître d'œuvre, et de la SAS Etablissements F. Neveux, en sa qualité de fabricant ;
- elle est fondée à rechercher la responsabilité de la société Etablissements F. Neveux sur le fondement des dispositions de l'article 1792-4 du code civil ; cette société est assurée au titre de sa responsabilité décennale ; elle ne s'est pas bornée à une simple fourniture de matériel mais a procuré une assistance active à l'installation des divers éléments de la station ; les éléments d'équipement fournis par ne sont pas dissociables de l'ouvrage ;
- la fissuration des cuves, les dysfonctionnements affectant les filtres à pouzzolane et les désordres affectant le bassin filtrant sont imputables à la SARL Arhex Emanez, à la SAS SCE, et à la SAS Etablissements F. Neveux ;
- les désordres résultant d'une mauvaise pose des cuves de la station sont imputables à la SARL Arhex Emanez et à la SAS SCE ;
- les désordres affectant la chasse automatique par bâchées sont entièrement imputables à la SAS Etablissements F. Neveux ;
- les désordres affectant les septo-diffuseurs sont imputables à la SAS SCE et la SAS Etablissements F. Neveux ;
- les désordres relatifs au bassin filtrant sont imputables à la SA SCE et la SARL Arhex Emanez ;
- au regard de la gravité des désordres, aucune solution de réhabilitation n'est possible dès lors que tous les composants de la filière présentent des dysfonctionnements ; seule une réfection totale de la station d'épuration est de nature à mettre fin aux désordres constatés ; l'objectif des travaux est de doter la commune d'un système de traitement des eaux fonctionnel répondant aux normes de traitement des eaux usées et de rendre l'ouvrage conforme aux prévisions du marché ; si ces travaux de réfection auront certes pour conséquence rendre l'ouvrage plus performant, leur réalisation ne saurait constituer un enrichissement sans cause pour le maitre de l'ouvrage, dès lors qu'il s'agit de la seule solution permettant de rendre l'ouvrage conforme à sa destination ;
- dès lors que l'expert retient une responsabilité de la commune d'Ossès à hauteur de 3 % dans la survenance des désordres, elle doit être indemnisée à hauteur de 97 % du montant des travaux de réfection, soit à hauteur de 363 750 euros hors taxes.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 30 mai et 21 septembre 2021, la SARL Arhex Emanez, représentée par Me Dupont, conclut :
1°) à titre principal au rejet de la requête de la communauté d'agglomération du Pays Basque et à ce que soit mise à la charge de la requérante une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
2°) à titre subsidiaire, à la limitation de sa responsabilité à hauteur de 15 % du montant de travaux de reprise, et à titre encore subsidiaire, à la limitation de sa responsabilité à hauteur de 33,5 % de ce montant.
Elle fait valoir que :
- l'expert n'a pas correctement assuré la mission qui lui a été confiée dès lors qu'il ne propose, outre la construction d'une nouvelle station, aucune solution aux désordres constatés ; il incombait à l'expert, au titre de sa mission, de prescrire les mesures réparatoires de nature à mettre fin aux désordres et il n'a pas satisfait à cette mission ;
- le rapport d'expertise comporte des contradictions en retenant d'une part que les venues d'eaux pluviales dans le réseau des eaux usées présentent un " caractère acceptable ", et d'autre part qu'elle constituent la cause principale des désordres ; c'est à tort que l'expert considère que ces désordres ne doivent être considérés comme imputables à la commune qu'à hauteur de 3 % dès lors que les travaux d'aménagement du bourg d'Ossès qui se sont déroulés entre 2007 et 2009 sont également à l'origine de ces apports d'eau et que la commune avait connaissance d'un problème d'étanchéité entre le réseau d'eaux pluviales et le réseau d'eaux usées depuis 2010 ; tenue à une obligation d'entretien de ses ouvrages, la commune n'a pris aucune mesure appropriée et elle a commis un manquement majeur ; en tout état de cause, aucune demande ne saurait être formulée à son encontre sur ce fondement dès lors que l'expert n'a pas retenu sa responsabilité dans la survenance de ce désordre ;
- s'agissant des désordres affectant les cuves, aucun manquement ne saurait lui être reproché au titre de la fissure survenue lors de la mise en place de la première d'entre-elles ; une réparation a été effectuée en cours de chantier et le remplacement préconisé par l'expert n'est pas justifié ; la déchirure de la seconde cuve ne saurait lui être imputée ; aucune problématique n'a été relevée lors des investigations ;
- sa responsabilité ne saurait être retenue en ce qui concerne les désordres affectant les filtres à pouzzolane dès lors qu'elle n'a pas choisi ce type de filtre ;
- les désordres affectant le bassin filtrant ne sauraient lui être imputés dès lors que la qualité des matériaux utilisés a été validée par le maître d'œuvre ; la survenance de ce désordre ne peut être imputée qu'à la commune dès lors que lors de sa mise en place, le sable d'assainissement était parfaitement conforme aux normes en vigueur ;
- la réparation intégrale du préjudice subi par la communauté d'agglomération du Pays Basque ne doit pas conduire à la réalisation d'une plus-value pour le maître d'ouvrage ; les travaux de reprise préconisés par l'expert ont vocation à améliorer l'ouvrage et auraient pour conséquence un enrichissement sans cause du maître d'ouvrage, dès lors que les dommages constatés ne sont pas évolutifs et que les travaux de démolition-reconstruction préconisés par l'expert ne constituent pas la seule solution possible ; les travaux dont il est demandé le règlement par la communauté d'agglomération du Pays Basque vont au-delà de ce qui est strictement nécessaire pour rendre l'ouvrage conforme à sa destination ; la solution proposée comprend des options qui n'existaient pas dans le projet initial ; il est prévu la mise en place d'une station plus performante que celle qui était prévue par les documents contractuels.
Par quatre mémoires en défense, enregistrés les 31 mai 2021, 17 août 2021, 31 août 2021, 20 mars 2023, la SAS SCE, représentée par Me Etesse, conclut dans le dernier état de ses écritures :
1°) à la réduction de sa quote-part de responsabilité à 10 % ;
2°) à la réduction des demandes indemnitaires formulées par la communauté d'agglomération du Pays Basque de 19,1 % ;
3°) à ce qu'il soit procédé à un abattement de 30 % sur le montant de la solution réparatoire préconisée par l'expert ;
4°) à la condamnation de la communauté d'agglomération du Pays Basque, de la SARL Arhex Emanez et de la société Etablissements F. Neveux à la garantir et relever indemne de toutes condamnations qui seraient prononcées à son encontre, respectivement à hauteur de 19,1 %, 33,5 % et 37,40 % ;
5°) à la répartition du montant des frais d'expertise en fonction de parties succombantes et à ce qu'il en soit laissé une partie à la charge de la requérante.
Elle fait valoir que :
- la station d'épuration ne correspond pas aux données théoriques de départ sur lesquelles les constructeurs ont travaillé ; un sur-débit à l'entrée de la station provenant du réseau communal constitue la cause principale des dysfonctionnements et désordres constatés ; en outre, ces apports en eaux ont été causés par les travaux d'aménagement du bourg de la commune intervenus entre 2007 et 2009 ; l'influence de la pénétration des eaux pluviales dans la survenance des désordres est prépondérante ; la commune a laissé perdurer cette situation durant de nombreuses années ;
- les écarts de niveaux constatés entre les deux cuves ne lui sont pas imputables ; ce défaut n'existait pas à l'origine de la construction et s'est manifesté progressivement ;
- elle n'a pas participé au dimensionnement des filtres à pouzzolane ; l'expert a par ailleurs relevé que les dysfonctionnements dont ils étaient affectés provenaient de difficultés de nettoyage, qui ne peuvent être imputées qu'au fabricant ;
- les dysfonctionnements affectant la chasse automatique à auget ne peuvent être imputés qu'au fabricant ;
- les dysfonctionnements affectant le filtre à sable proviennent de la surcharge hydraulique en provenance du réseau communal ;
- la clé de répartition des responsabilités proposée par l'expert n'est pas satisfaisante ;
- l'expert a proposé à tort le remplacement total de la station d'épuration, alors que certaines des parties de l'ouvrage sont exemptes de défauts ; la solution proposée comprend des options qui n'existaient pas dans le projet initial ; il s'agit d'un enrichissement sans cause pour le maître d'ouvrage ; en outre, la solution proposée ne repose sur aucun devis mais sur l'estimation d'un maître d'œuvre consulté par l'expert judiciaire ; il appartient au tribunal de procéder à un abattement sur cette somme pour tenir compte de l'amélioration apportée au système de traitement des eaux usées de la commune d'Ossès ; un abattement pour vétusté doit également être appliquée à l'indemnisation allouée, dès lors que 14 années se sont écoulées depuis la mise en service de l'ouvrage ;
- la demande de mise hors de cause de la société Etablissements F. Neveux doit être rejetée ; la responsabilité de la société Etablissements F. Neveux peut être engagée dès lors que la station d'épuration forme avec les équipements dédiés au traitement des eaux un tout indissociable et que rien ne permet de démontrer que ces éléments n'auraient pas été conçus pour satisfaire cet état de service ; elle est donc susceptible de voir sa responsabilité engagée de manière solidaire ; en tout état de cause, elle est fondée à rechercher sa responsabilité quasi-délictuelle dès lors qu'elles ne sont pas contractuellement liées ; elle est fondée à demander à être garantie par cette dernière à hauteur de 37,40 % ;
- en cas de condamnation in solidum, elle doit être garantie par les intervenants dont la responsabilité a été retenue par l'expert judiciaire, à savoir la communauté d'agglomération du Pays Basque, la société Arhex Emanez, et la société Etablissements F. Neveux.
Par trois mémoires en défense, enregistrés le 2 mars 2023, 24 avril et 30 mai 2023, la Société Etablissements F. Neveux, représentée par Me Chrocron, conclut, dans le dernier état de ses écritures :
1°) à titre principal, au rejet des conclusions de la communauté d'agglomération du Pays Basque et des demandes formées par la SAS SCE à son encontre ;
2°) à titre subsidiaire, à la limitation de sa part de responsabilité à 10 % et à la réduction de l'indemnisation demandée par la communauté d'agglomération du Pays Basque à de plus justes proportions ;
3°) à la condamnation des sociétés SCE et Arhex Emanez à la garantir et la relever indemne de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre ;
4°) à ce que soit mise à la charge de la communauté d'agglomération du Pays Basque une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, outre les entiers dépens.
Elle fait valoir que :
- sa responsabilité ne saurait être engagée dès lors que les éléments fabriqués par elle n'ont pas été spécifiquement conçus et produits pour répondre aux besoins précis de la station d'épuration ; il s'agit d'éléments dissociables de l'ouvrage et qui sont seulement soumis à une garantie de bon fonctionnement ; elle fabrique quotidiennement de tels éléments pour de nombreux maîtres d'ouvrage ; la circonstance qu'elle ait donné des directives pour l'installation du matériel conçu ne permet pas d'engager sa responsabilité dès lors que l'entrepreneur ne s'est pas conformé aux directives qu'elle avait édictées ; il en va de même de la circonstance qu'elle ait tenté de trouver une solution aux désordres constatés ; dès lors qu'elle n'est intervenue qu'en qualité de fournisseur, et non de fabricant, les conclusions dirigées à son encontre sont portées devant une juridiction incompétente pour en connaître ;
- l'engagement de la responsabilité du fabricant ne peut intervenir que si celle de l'entrepreneur est engagée ; or, tel n'est pas le cas en ce qui concerne la chasse automatique par bâchées et les septo-diffuseurs ;
- les conditions d'engagement de la responsabilité décennale des constructeurs ne sont pas réunies en l'espèce ; les fissures de la cuve étaient connues et le désordre était apparent ;
- elle doit être exonérée de sa responsabilité dès lors que la commune d'Ossès a participé à la survenance des désordres, et d'autre part, n'a pas entretenu correctement la station d'épuration ; l'origine des désordres est imputable à la commune d'Ossès en raison de l'arrivée massive d'eaux parasites en entrée de la station ;
- les désordres allégués ne lui sont pas imputables dès lors que :
* l'expert ne retient aucune part de responsabilité de la société Etablissements F. Neveux en ce qui concerne le réseau d'eaux usées, le dégrilleur, le regard de répartition des effluents et le filtre à sable ;
* en ce qui concerne les deux cuves, la cuve livrée fissurée a été réparée et ne présente aujourd'hui aucun défaut ; dès lors que l'article 5.8 du CCTP précise que les matériaux auraient dû être vérifiés, cette cuve n'aurait pas dû être acceptée par le titulaire du marché et le maître d'œuvre ; elle n'est pas responsable des fissures ayant affecté la seconde cuve ; sa responsabilité concernant désordres affectant les cuves n'a été aucunement retenue par l'expert ;
* en ce qui concerne les filtres à pouzzolane, c'est à tort que l'expert l'a estimée responsable dans la survenance des désordres dès lors que ceux-ci sont dus à une mauvaise installation de ces équipements la SARL Arhex Emanez et au choix initial de ce matériel par la SAS SCE ; le contrôleur de l'assainissement avait suggéré l'utilisation d'un système alternatif ; par ailleurs, le CCTP applicable au marché en cause prévoyait la mise de place d'un décanteur-digesteur ;
* en ce qui concerne la chasse automatique, l'expert lui impute à tort une part de responsabilité sans expliquer sa position, et alors que les travaux envisagés pour remédier aux désordres ne prévoient pas l'installation de cet équipement ; si la société SCE lui impute la responsabilité de ce désordre, elle n'apporte aucun commencement de preuve ; les dysfonctionnements affectant cet équipement sont dus au débit supérieur d'eaux traitées par l'ouvrage en raison de l'infiltration des eaux pluviales ;
* en ce qui concerne les septo-diffuseurs, les désordres qui les affectent sont dus aux arrivées d'eaux parasites ; les travaux envisagés ne prévoient pas l'installation de ces équipements ;
- à titre subsidiaire, les conditions d'engagement de la responsabilité solidaire des constructeurs ne sont pas réunies dès lors que la communauté d'agglomération du Pays Basque n'établit pas qu'ils ont chacun concouru à la réalisation du dommage ;
- contrairement à ce que fait valoir la SAS SCE, sa responsabilité délictuelle ne saurait être engagée dès lors que la communauté d'agglomération du Pays Basque a fondé son action uniquement sur la responsabilité décennale et non l'article L. 1792-4 du code civil ; en outre, cette action est prescrite à l'égard du maître d'ouvrage ;
- c'est à tort que l'expert lui a imputé la plus grande part de responsabilité dans la survenance des désordres dès lors que de nombreux problèmes d'installation des équipements, de conception de l'ouvrage et d'arrivées d'eaux parasites ont été relevés ; sa quote-part de responsabilité doit être limitée au plus à 10 % ;
- les travaux préconisés par l'expert pour remédier aux désordres correspondent à des travaux d'amélioration de l'ouvrage ; le montant des travaux, qui ne devrait pas dépasser le coût initial de l'ouvrage, doit être ramené à de moindres proportions ; la cuve droite n'a fait l'objet d'aucun désordre et n'a pas à être remplacée ; la solution préconisée par l'expert n'est pas la seule permettant de rendre l'ouvrage conforme à sa destination puisqu'il admet lui-même qu'une réparation est possible ;
- la part de responsabilité de la commune d'Ossès est plus importante que celle retenue par l'expert, de sorte qu'elle doit être retranchée du montant de l'indemnisation accordée ; l'arrivée massive d'eaux claires parasites en entrée de station et l'inertie fautive de la commune d'Ossès constituent une cause exonératoire ;
- le remboursement des frais d'expertise ne saurait être réclamé par la communauté d'agglomération du Pays Basque dès lors qu'ils ont été mis à la charge de la commune d'Ossès, et elle ne saurait dès lors s'enrichir sur le remboursement de frais qu'elle n'a pas engagés ; à titre subsidiaire, le montant alloué en remboursement des frais d'expertise devra être retranché d'une somme correspondant à la part de responsabilité de la commune d'Ossès dans la survenance des dommages ; ce montant ne saurait être mis à la charge solidaire des constructeurs ;
- en cas de condamnation in solidum, elle doit être garantie par les autres constructeurs dont la responsabilité a été retenue par l'expert judiciaire, à savoir la SARL Arhex-Emanez et la SAS SCE.
Vu :
- les autres pièces du dossier ;
- l'ordonnance du président du tribunal du 9 février 2018 taxant et liquidant les frais d'expertise à la somme de 42 248,86 euros.
Vu :
- le code civil ;
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Neumaier,
- les conclusions de Mme Beneteau, rapporteure publique,
- et les observations de Me Sargiacomo, représentant la communauté d'agglomération du Pays Basque, celles de Me Etesse, représentant la SAS SCE, ainsi que celles de Me Chocron, représentant la société Etablissements F. Neveux.
Considérant ce qui suit :
1. Par un acte d'engagement du 21 novembre 2006, la commune d'Ossès et la SARL Arhex Emanez ont conclu un marché de travaux portant sur la construction d'une station d'épuration d'une superficie totale de 5 000 m². La maîtrise d'œuvre du projet a été confiée au bureau d'étude SCE Pays Basque. Les travaux ont été réceptionnés le 18 décembre 2007.
2. Des désordres ont été constatés dès la mise en service de l'ouvrage. La communauté d'agglomération du Pays Basque, venant aux droits de la commune d'Ossès, a saisi le juge des référés aux fins d'ordonner une expertise judiciaire. Par une ordonnance n° 1501692 du 29 octobre 2015 du juge des référés, M. B a été désigné en tant qu'expert. La mission de l'expert a été étendue aux sociétés Covéa Risk et Groupama. L'expert a déposé son rapport le 23 novembre 2017. Par sa requête, la communauté d'agglomération du Pays Basque, venant aux droits de la commune d'Ossès, demande au tribunal dans le dernier état de ses écritures de condamner in solidum, sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs la SARL Arhex Emanez, la SAS SCE et la société Etablissements F. Neveux à lui verser la somme de 363 750 euros hors taxes en réparation du coût des travaux de reprise des désordres affectant la station d'épuration d'Ossès.
Sur l'exception d'incompétence opposée en défense :
3. Aux termes du premier alinéa de l'article 1792-4 du code civil : " Le fabricant d'un ouvrage, d'une partie d'ouvrage ou d'un élément d'équipement conçu et produit pour satisfaire, en état de service, à des exigences précises et déterminées à l'avance, est solidairement responsable des obligations mises par les articles 1792, 1792-2 et 1792-3 à la charge du locateur d'ouvrage qui a mis en œuvre, sans modification et conformément aux règles édictées par le fabricant, l'ouvrage, la partie d'ouvrage ou élément d'équipement considéré () ".
4. D'une part, conformément aux principes régissant la responsabilité décennale des constructeurs, la personne publique maître de l'ouvrage peut rechercher devant le juge administratif la responsabilité des constructeurs pendant le délai d'épreuve de dix ans, ainsi que, sur le fondement de l'article 1792-4 du code civil précité, la responsabilité solidaire du fabricant d'un ouvrage, d'une partie d'ouvrage ou d'un élément d'équipement conçu et produit pour satisfaire, en état de service, à des exigences précises et déterminées à l'avance.
5. D'autre part, le litige né de l'exécution d'une opération de travaux publics et opposant des participants à l'exécution de ces travaux relève de la compétence de la juridiction administrative, sauf si les parties en cause sont unies par un contrat de droit privé.
6. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que plusieurs des désordres affectant la station d'épuration d'Ossès ont pour origine des défauts de conception de certains des équipements de l'ouvrage, tels que les cuves, les filtres à pouzzolane, les filtres à sable, la chasse automatique par bâchées ou encore les septo-diffuseurs. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que ces éléments d'équipements, dont la fourniture a été proposée par la société Etablissements F. Neveux à la SARL Arhex Emanez sur la base d'un catalogue présentant ses produits, auraient été conçus selon les caractéristiques spécifiques de l'ouvrage à bâtir. Ainsi, ces équipements n'ont pas été conçus et produits pour satisfaire à des exigences précises et déterminées à l'avance, mais ont seulement été choisis car répondant aux attentes définies par le maître d'œuvre. Ils ne peuvent ainsi être qualifié d'ouvrage, de partie d'ouvrage ou d'éléments d'équipement conçus et produits pour satisfaire, en état de service, à des exigences précises et déterminées à l'avance, au sens des dispositions de l'article 1792-4 du code civil précitées. Par suite, la société Etablissements F. Neveux n'était qu'un fournisseur de la société Arhex Emanez et le contrat de droit privé qui les unissait n'a pas eu pour effet de lui conférer la qualité de constructeur.
7. Par suite, les conclusions de la communauté d'agglomération du Pays Basque venant aux droits de la commune d'Ossès, dirigées à l'encontre de la société Etablissements F. Neveux en tant qu'elle a fourni les matériaux précités, de même que les appels en garantie présentés à ce titre par la SAS SCE, doivent être rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.
Sur la régularité du rapport d'expertise :
8. A supposer que la SARL Arhex Emanez et la SAS SCE aient entendu soutenir que le rapport de l'expert désigné par le tribunal était entaché d'irrégularité dès lors que celui-ci, en ne proposant, outre une démolition puis une reconstruction de la station d'épuration, aucune solution aux désordres affectant l'ouvrage, il résulte de l'instruction, et notamment des termes dudit rapport, que l'expert a décrit et chiffré les travaux propres à remédier aux désordres et à leurs conséquences, conformément à la mission qui lui a été confiée par l'ordonnance n° 1501692 du 29 octobre 2015 du juge des référés de ce tribunal. Le moyen tiré de ce que l'expert aurait omis de se prononcer sur une partie de sa mission ou qu'il aurait omis d'y apporter des précisions nécessaires pour répondre aux questions qui lui étaient posées par le tribunal doit, par suite, être écarté.
Sur l'engagement de la responsabilité décennale :
9. Il résulte des principes qui régissent la responsabilité décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. Est notamment réputé constructeur de l'ouvrage tout architecte, entrepreneur, technicien ou autre personne liée au maître de l'ouvrage par un contrat de louage d'ouvrage. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d'ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables. Il incombe au juge administratif, lorsqu'est recherchée devant lui la garantie décennale des constructeurs, d'apprécier, au vu de l'argumentation que lui soumettent les parties sur ce point, si les conditions d'engagement de cette responsabilité sont ou non réunies et d'en tirer les conséquences, le cas échéant d'office, pour l'ensemble des constructeurs.
10. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise judiciaire, que la station d'épuration d'Ossès est constituée de plusieurs éléments d'équipements, dont un dégrilleur manuel ayant pour fonction de retenir les déchets grossiers, de deux fosses toutes eaux d'une capacité de 50 m3 chacune destinées à accueillir les effluents durant deux jours et demi, d'un regard répartiteur dont la fonction est de répartir de façons égales le débit d'arrivée d'eau dans les deux fosses, et de deux décolloïdeurs ou filtres à pouzzolane permettant de filtrer les effluents. L'ouvrage est complété par un massif filtrant de 250 m², alimenté par un système de septo-diffuseurs et comprenant une hauteur de sable de 70 centimètres ainsi que des drains de récupération. Les eaux sont envoyées en épandage sur le filtre à sable à l'aide d'une chasse automatique par bâchées de 2,5 m3. L'expert a relevé quatre séries de désordres qui sont apparus après la réception des travaux.
En ce qui concerne les cuves (désordre n° 1) :
11. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que la structure des cuves de la station d'épuration d'Ossès est détériorée, en raison notamment de la présence de fissures permettant aux eaux usées de fuir vers le sol environnant ainsi que des entrées d'eau depuis l'extérieur. La coque de la cuve située à droite de la station d'épuration présente une fissure laissant pénétrer des eaux extérieures lorsque la cuve est vide, et cette même cuve présente, en sa partie supérieure, une déchirure en dessous du niveau de la canalisation de sortie ayant pour conséquence une fuite des effluents dans le sol. L'expert relève en outre que le regard de répartition des effluents vers les cuves ne régule pas correctement lesdits effluents de manière à compenser la différence de niveau d'entrée en cuve, et que les fils d'eau d'entrée des cuves présentes des différences de niveaux et de lignes de pente. Il résulte également du rapport d'expertise que la cuve de gauche est colmatée et que les systèmes de plongeurs placés en entrée et sortie de cuve présentent des défauts. Ce désordre réduit fortement la capacité de traitement de la station et est de nature à la rendre impropre à sa destination. Il revêt donc un caractère décennal.
En ce qui concerne les filtres à pouzzolane (désordre n° 2) :
12. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que les filtres à pouzzolane, également appelés décolloïdeurs, dont est équipée la station d'épuration d'Ossès se colmatent en permanence et que leur nettoyage est inefficace. Il n'est pas contesté par les parties que ce désordre réduit la capacité de traitement de la station est de nature à rendre l'ouvrage impropre à sa destination. Il revêt donc un caractère décennal.
En ce qui concerne la chasse automatique par bâchées (désordre n° 3) :
13. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que la chasse automatique par bâchées dont est équipée la station d'épuration serait affectée d'un dysfonctionnement majeur, correspondant à un problème technique. Toutefois, en l'absence de précisions supplémentaires sur sa nature, son origine et son étendue, un tel désordre, et alors qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'il serait de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination ne saurait être regardé comme revêtant un caractère décennal.
En ce qui concerne le filtre à sable équipé de septo-diffuseurs (désordre n° 4) ;
14. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, qu'une réduction de la perméabilité du filtre à sable, ainsi que son colmatage complet ont été constatés, conduisant l'eau à stagner en surface du massif au lieu de s'infiltrer et à déborder au point bas de l'ouvrage ce qui réduit la capacité de traitement de la station. Ce désordre est donc de nature à la rendre impropre à sa destination et revêt, dès lors, un caractère décennal.
Sur l'imputabilité des désordres :
15. Compte tenu des principes rappelés au point 9, il appartient au juge administratif, dès lors qu'il constate, d'une part, que les parties à une opération de construction n'ont pas entendu contractuellement renoncer ou aménager le régime de la garantie décennale des constructeurs et, d'autre part, que les conditions de l'engagement de cette responsabilité sont réunies, de tirer les conséquences, le cas échéant d'office, du caractère solidaire de cette responsabilité en condamnant l'ensemble des constructeurs auxquels sont imputables les désordres en litige à en réparer les conséquences dommageables pourvu qu'ils aient été mis en cause par le maître de l'ouvrage et qu'ils aient, au moins pour partie, contribué à la survenance de ces désordres.
16. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur le fondement de la garantie décennale ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d'ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables.
En ce qui concerne le désordre n° 1 affectant les cuves de la station :
17. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que les fuites affectant la cuve droite de la station d'épuration décrites au point 11 peuvent constituer un facteur de déstabilisation des cuves, lesquelles représentent un poids de 50 tonnes lorsqu'elles sont pleines. L'expert relève également qu'une différence de cote en entrée de cuve favorise un phénomène d'orientation des effluents vers la cuve de droite, et que les fils d'eau de chacune des deux cuves dont est équipée la station ne se situent pas au même niveau, avec un écart pouvant aller de 3 à 7 centimètres. Par ailleurs, le système de répartition des débits d'eau dans les cuves n'étant, selon l'expert, pas adapté, la paroi siphoïde ne permet pas une répartition adaptée des effluents lorsque les fils d'eau ne sont pas au même niveau. Ces éléments conduisent à un phénomène de suralimentation de la cuve de droite, de nature à expliquer les déchirures et l'affaissement des cuves équipant la station.
18. Il résulte en outre de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que la cuve située à gauche de la station d'épuration était fissurée lors de sa mise en place, mais que la fissure constatée a fait l'objet d'une réparation sur place, dont l'évaluation a été suivie.
19. L'expert a également relevé que malgré l'exigence par le fournisseur du matériel de critères stricts pour sa mise en place, aucun élément, hormis des photographies communiquées par la SAS SCE dans un dire du 27 octobre 2017, n'a été produit aux fins de démontrer que son installation a été réalisée conformément à ces critères. Ainsi, les conditions de pose des deux cuves de la station n'ont pas pu être vérifiées, notamment en ce qui concerne la pose sur dalle ou le remblai. L'expert indique cependant qu'il est difficile de vérifier la conformité de la pose des cuves dès lors qu'elles sont installées à plus de trois mètres de profondeur, ce qui nécessiterait de casser la dalle de répartition et de mettre hors service l'une des deux cuves, avec un rabattement de la nappe phréatique. Malgré ces difficultés, l'expert explique que le phénomène d'affaissement des cuves ne se serait pas produit si celles-ci avaient été posées correctement et que les remblais avaient été convenablement compactés lors de la pose. Il souligne enfin que les fuites constatées sur la cuve de droite pourraient expliquer la déstabilisation du terrain autour des cuves et faciliter l'affaissement de ces dernières, ces mouvements ayant quant à eux certainement contribué à la survenance de la déchirure constatée sur la cuve de droite.
20. Il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise, que les fissures des cuves sont imputables à l'entreprise Arhex Emanez, entrepreneur, qui a pris en charge ce matériel sur site, et à la SAS SCE, maître d'œuvre, qui a pris la responsabilité d'accepter ce matériel. Leur pose, réalisée par la SARL Arhex, n'a pas été conforme aux recommandations du fournisseur dès lors qu'elle ne respectait pas les cotes. L'expert relève en outre que les désordres affectant les cuves ne seraient pas survenus si celles-ci avaient été posées correctement sur une dalle béton et que les remblais avaient été correctement compactés au moment de la pose, tandis que la SCE, maître d'œuvre, devait contrôler la parfaite mise en œuvre du matériel.
21. Dès lors, les désordres affectants les cuves de la station doivent être regardés comme étant imputables tant à la SARL Arhex Emanez qu'à la SAS SCE.
S'agissant du désordre n° 2 affectant les filtres à pouzzolane :
22. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que la cote d'installation des filtres à pouzzolane n'est pas correcte, en l'absence de pente ou de contrepente entre les niveaux de sortie de cuve et le fil d'eau d'entrée des filtres. L'expert relève par ailleurs que la méthode de nettoyage des filtres préconisée par le fournisseur est inefficace en raison d'une hauteur de pouzzolane trop importante et de l'impossibilité qui en découle de débarrasser le fond du filtre de ses impuretés. L'expert relève en outre que malgré plusieurs interventions du fournisseur de cet équipement, dont la dernière a consisté à en réduire l'action en modifiant l'ouverture du tube plongeant, les incidents de colmatage n'ont pu être résolus et que l'eau s'échappe désormais par le milieu du filtre, réduisant de moitié sa capacité théorique d'action. Il ressort également des termes du rapport d'expertise que le fournisseur des filtres à pouzzolane préconise un volume de filtre égal à 10 % de la capacité des cuves, mais que la capacité des filtres d'origine était limitée à 4 m3 et était dès lors insuffisante, en particulier à la suite de l'intervention du fournisseur qui a eu pour conséquence de réduire encore leur volume actif.
23. Il résulte de l'instruction que les dysfonctionnements dont sont affectés les filtres à pouzzolane sont imputables à l'ensemble des intervenants à l'opération de construction, dès lors que la SARL Arhex Emanez était responsable de leur pose qui n'a pas été réalisée conformément aux recommandations du fournisseur, la cote d'installation étant incorrecte, et que la SAS SCE, maître d'œuvre, a choisi un matériel inadapté et a validé les différentes modifications qui ont pu être apportées à cet équipement, sans résultat.
S'agissant du désordre n° 4 affectant le filtre à sable équipé de septo-diffuseurs :
24. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que le génie du filtre à sable, en pente, radier et voile, n'est pas conforme aux règles de l'art. L'expert relève qu'aucun plan côté d'exécution ne lui a été remis, et que l'ouvrage a probablement subi des mouvements sous l'influence de la poussée de la nappe phréatique. Il indique par ailleurs que la granulométrie du massif filtrant n'étant pas conforme car vingt fois plus élevée que la norme, l'infiltration des eaux est rendue plus difficile. Ainsi, l'expert impute les dysfonctionnement affectant le filtre à sable à la conjonction de plusieurs facteurs, que constituent le fonctionnement de la station sur une seule cuve, ce qui diminue le temps de séjour des eaux et donc leur décantation et favorise ainsi le départ de matières de suspension, le mauvais fonctionnement des filtres à pouzzolane, qui laissent passer les éléments gras non piégés par le filtre, et une infiltration rendue plus difficile en raison de la granulométrie non conforme du sable.
25. Il résulte des termes du rapport d'expertise que les désordres affectant les filtres à sable sont imputables à la SARL Arhex Emanez, laquelle a acheté et mis en place ce dispositif, ainsi qu'à la SAS SCE, qui était responsable du contrôle de ces fournitures. Enfin, l'expert relève que les désordres affectant les septo-diffuseurs sont imputables à la SAS SCE.
Sur la demande de condamnation solidaire :
26. Compte tenu de ce que les désordres affectant la station d'épuration de la commune d'Ossès sont imputables à la société Arhex-Emanez, entreprise titulaire du marché, et à la société SCE, maître d'œuvre, qui par leurs fautes respectives ont concouru à la réalisation des mêmes désordres à l'origine des préjudices subis par la communauté d'agglomération du Pays Basque, venant aux droits de la commune d'Ossès, il y a lieu de faire droit à la demande de condamnation in solidum formée par cette dernière.
Sur la faute du maître d'ouvrage :
27. Les constructeurs ne peuvent s'exonérer de la responsabilité décennale, qui est présumée, qu'en prouvant que les désordres proviennent d'une cause étrangère à leur intervention ou relèvent, en tout ou partie, d'un cas de force majeure ou d'une faute du maître de l'ouvrage.
28. La SAS SCE et la société Arhex Emanez font valoir que la faute du maître d'ouvrage a été manifestement sous-évaluée par l'expert, dès lors que les venues d'eaux pluviales parasites provenant du réseau communal constituent la cause principale des désordres affectant la station d'épuration. Ils indiquent également que des travaux d'aménagement du bourg d'Ossès qui se seraient déroulés entre 2007 et 2009 ont eu pour conséquence d'aggraver ces apports d'eaux, et qu'alors que la commune d'Ossès avait connaissance d'un problème d'étanchéité entre le réseau d'eaux pluviales et le réseau d'eaux usées depuis l'année 2010, elle s'est abstenue d'entretenir l'ouvrage de manière appropriée.
29. Il résulte de l'instruction que des opérations complémentaires tendant à la détermination de l'impact des infiltrations d'eaux pluviales sur le fonctionnement de la station d'épuration ont été réalisées au cours des opérations d'expertise. Ces investigations, qui ont consisté en la réalisation de relevés de pluviométrie sur une période de trois mois, ont mis en évidence des infiltrations d'eaux pluviales parasites. Aux termes de son rapport, l'expert a retenu une responsabilité de 3 % de la commune d'Ossès, aux droits de laquelle vient la communauté d'agglomération du Pays Basque, dans la survenance des désordres affectant la station d'épuration.
30. Si la société Arhex Emanez et la SAS SCE contestent que ces infiltrations ne soient à l'origine que de 3 % des désordres en faisant valoir qu'en cas de pluie, les eaux qui affluent représentent un volume trois fois supérieur aux capacités de traitement de la station, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise, que le cahier des clauses techniques particulières applicables au marché prévoyait que le débit journalier de l'installation devait être fixée à 37,5 m3 d'eau/jour, et que le débit moyen journalier de la station s'élève à 23,87 m3 d'eau/jour par temps sec et à 26,57 m3 d'eau/jour par temps de pluie, ce qui reste inférieur aux capacités nominales de la station, alors qu'en cas d'épisodes pluvieux " exceptionnels " le débit journalier peut atteindre 96 m3 d'eau/jour. Ainsi, ces infiltrations d'eaux parasites ne sont responsables que de dysfonctionnements ponctuels de la station d'épuration, lors d'épisodes pluvieux exceptionnels, et que le dépassement régulier des capacités nominales de traitement de la station en cas de temps sec ou pluvieux ne résulte pas de ces infiltrations mais de la réduction de moitié de la capacité de fonctionnement de l'ouvrage en raison de l'ensemble des désordres constatés et décrits aux points 11 à 14. Dans ces conditions, il y a lieu de retenir une faute exonératoire de la commune d'Ossès à hauteur de 3 %.
Sur la réparation et l'évaluation des préjudices :
31. Le maître de l'ouvrage a droit à la réparation intégrale des préjudices qu'il a subis lorsque la responsabilité décennale des constructeurs est engagée, sans que l'indemnisation qui lui est allouée à ce titre puisse dépasser le montant des travaux strictement nécessaires à la remise en ordre de l'ouvrage tel qu'il avait été commandé.
En ce qui concerne les travaux réparatoires :
32. La communauté d'agglomération du Pays Basque, venant aux droits de la commune d'Ossès, sollicite l'indemnisation du coût des travaux de démolition-reconstruction de la station d'épuration. Il résulte de l'instruction que l'objectif des travaux préconisés par l'expert est de donner à la commune d'Ossès un système de traitement des eaux usées opérationnel, qui rende le service pour lequel il a été prévu, et que la station réponde aux normes de traitement des eaux usées actualisées. L'expert indique, aux termes de son rapport, qu'une réhabilitation de la station d'épuration actuelle ne serait pas envisageable dès lors que tous les composants de la filière de traitement se trouvent affectés par des dysfonctionnements, et en conclut que seule une réfection totale de la station, avec démolition de l'ouvrage actuel et évacuation, permettrait au maître d'ouvrage de disposer d'un équipement conforme à celui qu'il avait commandé. Compte tenu de l'évaluation réalisée par l'expert, il y a lieu de fixer le montant des travaux réparatoires à la somme de 375 000 euros hors taxes.
En ce qui concerne la déduction des plus-values :
33. Dans le cas où des travaux sont nécessaires pour rendre un ouvrage conforme à sa destination, il n'y a lieu d'opérer un abattement sur les indemnités mises à la charge des entrepreneurs responsables des désordres auxquels lesdits travaux doivent mettre fin que si ceux-ci ont apporté à l'ouvrage une plus-value par rapport à la valeur des ouvrages et installations prévues au contrat. Dans le cas où le montant d'un marché serait inférieur à son coût réel de réalisation et que les entrepreneurs n'ont pas exécuté le marché conformément à ses stipulations, les travaux nécessaires pour rendre l'ouvrage conforme à ses caractéristiques contractuelles ne peuvent être regardés comme lui conférant une plus-value dont bénéficierait le maître de l'ouvrage.
34. Il résulte de l'instruction que si la solution préconisée par l'expert permet de traiter les mêmes volumes d'eau, celle-ci intègre un tambour filtrant, un ensacheur de déchets, une filière de traitement par disques biologiques et un dispositif de désodorisation, lesquels n'étaient pas prévus par le cahier des clauses techniques particulières applicables au marché, et constituent dès lors des améliorations par rapport à l'équipement initialement commandé. En outre, ces constructeurs, s'ils peuvent être condamnés à l'exécution de leurs obligations d'origine, ne peuvent pas être tenus à l'utilisation de nouvelles techniques ou procédés résultant de ces nouvelles règles de sécurité, pour laquelle ils n'ont perçu aucune rémunération. Dès lors, le coût supplémentaire résultant de l'application des normes de rejet fixées par l'arrêté du 21 juillet 2015 ne saurait être compris dans le montant de l'indemnité. Il s'ensuit que, dans ces conditions, compte tenu des circonstances de l'espèce et de la plus-value apportée à l'équipement par les travaux ainsi réalisés, il y a lieu d'appliquer au montant des travaux réparatoires un abattement au titre de la plus-value dont bénéficierait la communauté d'agglomération du Pays Basque venant aux droits de la commune d'Ossès. Il sera fait une juste appréciation de cet abattement en le fixant au taux de 30 %.
En ce qui concerne l'abattement pour vétusté :
35. Si la vétusté d'un bâtiment peut donner lieu, lorsque la responsabilité décennale des entrepreneurs et architectes est recherchée à l'occasion de désordres survenus sur un bâtiment, à un abattement affectant l'indemnité allouée au titre de la réparation des désordres, il appartient au juge administratif, saisi d'une demande en ce sens, de rechercher si, eu égard aux circonstances de l'espèce, les travaux de reprise sont de nature à apporter une plus-value à l'ouvrage, compte tenu de la nature et des caractéristiques de l'ouvrage ainsi que de l'usage qui en est fait. Cette vétusté doit s'apprécier à la date d'apparition des désordres.
36. Il résulte de l'instruction que les premiers désordres, consistant notamment en des dysfonctionnements du filtre à pouzzolane et des colmatages du filtre à sable, sont survenus dès la mise en service de l'ouvrage, au cours de l'année 2008, et qu'une expertise a été diligentée dès 2012, après qu'il a été tenté de remédier aux dysfonctionnements rencontrés par des remplacements de matériel. Eu égard à la date d'apparition de ces premiers désordres, peu de temps après la réception définitive des travaux, il n'y a pas lieu d'appliquer, comme le demande la SAS SCE, un abattement pour vétusté.
37. Il résulte de tout ce qui précède que la SAS SCE et la SARL Arhex Emanez doivent être condamnées in solidum à verser à la communauté d'agglomération du Pays Basque, venant aux droits de la commune d'Ossès, la somme de 254 652 euros hors taxes au titre de l'indemnisation des désordres affectant la station d'épuration d'Ossès.
Sur les dépens :
38. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. () ".
39. Les frais d'expertise, taxés et liquidés par une ordonnance du président du présent tribunal du 9 février 2018, s'élèvent à la somme de 42 248,86 euros toutes taxes comprises.
40. Il y a lieu, en application des dispositions précitées de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, de mettre les frais d'expertise à la charge in solidum de la SAS SCE, et de la SARL Arhex Emanez.
Sur les appels en garantie :
41. Le litige né de l'exécution d'un marché de travaux publics et opposant des participants à l'exécution de ces travaux relève de la compétence de la juridiction administrative, sauf si les parties en cause sont unies par un contrat de droit privé. Un contrat conclu entre deux personnes privées est en principe un contrat de droit privé.
42. Le recours entre constructeurs ne peut avoir qu'un fondement quasi-délictuel et, coauteurs obligés solidairement à la réparation d'un même dommage, ces constructeurs ne sont tenus entre eux que chacun, pour sa part, déterminée à proportion du degré de gravité des fautes respectives qu'ils ont personnellement commises.
43. Les différents intervenants à une opération de travaux, qui sont liés au maître d'ouvrage par différents contrats puis débiteurs de la garantie décennale, ne sauraient être solidaires de leurs obligations respectives, ni vis-à-vis du maître d'ouvrage ni vis-à-vis des autres intervenants, sauf dans le cas où leurs fautes contractuelles respectives ayant toutes également concouru au même dommage, ils peuvent être tous reconnus responsables de la totalité du dommage et que la victime demande leur condamnation solidaire.
En ce qui concerne les conclusions d'appel en garantie formées par la SAS SCE :
S'agissant des conclusions dirigées contre le maître d'ouvrage :
44. La SAS SCE n'est pas fondée à demander à " être garantie " par le maître d'ouvrage, dès lors qu'elle a, ainsi qu'il a été dit au point 30, qu'elle a été exonérée d'une partie de la responsabilité qui lui incombe à raison des fautes que la commune d'Ossès, aux droits de laquelle vient la communauté d'agglomération du Pays Basque, aurait pu commettre.
S'agissant des conclusions dirigées contre la SARL Arhex Emanez :
45. La SAS SCE demande à être garantie et relevée indemne par la SARL Arhex à hauteur de 33,5 %.
46. Il résulte l'instruction que les dysfonctionnements de la chasse automatique par bâchées, des septo-diffuseurs, et du filtre à sable résultent en réalité des désordres affectant le regard de répartition, les cuves, et les filtres à pouzzolane. Ainsi, le partage de responsabilité entre la SAS SCE et la SARL Arhex Emanez doit être estimé au regard de la part prise par ces intervenants dans les désordres affectant chacun de ces trois éléments.
47. Il y a lieu de fixer la part de responsabilité de la société Arhex Emanez à 50 % dans la survenance des désordres affectant le regard de répartition, à 40 % dans la survenance des désordres affectants les cuves, et à 10 % dans la survenance des désordres affectant les filtres à pouzzolane. En rapportant ces parts de responsabilité à la part prise par chacun de ces désordres dans le dysfonctionnement général de l'ouvrage, la part de responsabilité de la SARL Arhex Emanez doit être fixée à 32 %.
48. Il résulte de ce qui précède que la SAS SCE est fondée à demander à être garantie par la SARL Arhex Emanez à concurrence de 32 % des condamnations mises à sa charge en réparation des désordres subis par le maître d'ouvrage.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
49. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Les parties peuvent produire les justificatifs des sommes qu'elles demandent et le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".
50. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SARL Arhex Emanez la somme de 750 euros à verser à la communauté d'agglomération du Pays Basque venant aux droits de la commune d'Ossès, au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
51. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SAS SCE la somme de 750 euros à verser à la communauté d'agglomération du Pays Basque venant aux droits de la commune d'Ossès, au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
52. Il n'y a pas lieu, en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société Etablissement F. Neveux sur ce fondement.
53. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la communauté d'agglomération du Pays Basque venant aux droits de la commune d'Ossès une somme quelconque au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Les conclusions aux fins d'indemnisation de la communauté d'agglomération du Pays Basque venant aux droits de la commune d'Ossès et les conclusions aux fins d'appels en garantie de la SAS SCE dirigées à l'encontre de la société Etablissements F. Neveux sont rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.
Article 2 : La société à responsabilité Arhex Emanez et la société par actions simplifiée SCE sont condamnées in solidum à verser à la communauté d'agglomération du Pays Basque la somme totale de 254 652 (deux cent cinquante-quatre mille six cent cinquante-deux) euros hors taxes, au titre des désordres affectant la station d'épuration de la commune d'Ossès.
Article 3 : Les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 42 248, 86 euros (quarante-deux mille deux cent quarante-huit euros et quatre-vingt-six centimes) toutes taxes comprises sont mis à la charge in solidum de la SAS SCE et de la SARL Arhex Emanez.
Article 4 : La SAS SCE sera garantie à hauteur de 32 % par la SARL Arhex Emanez de la somme de 254 652 euros hors taxes mise in solidum à sa charge.
Article 5 : La SAS SCE versera à la communauté d'agglomération du Pays Basque venant aux droits de la commune d'Ossès la somme de 750 (sept cent cinquante) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : La SARL Arhex Emanez versera à la communauté d'agglomération du Pays Basque venant aux droits de la commune d'Ossès la somme de 750 (sept cent cinquante) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 7 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 8 : Le présent jugement sera notifié à la communauté d'agglomération du Pays Basque, à la commune d'Ossès, à la société Etablissements F. Neveux, à la SARL Arhex Emanez et à la SAS SCE.
Copie en sera adressée à M. C B, expert.
Délibéré après l'audience du 4 octobre 2023, à laquelle siégeaient :
Mme Sellès, présidente,
Mme Corthier, conseillère,
Mme Neumaier, conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 novembre 2023.
La rapporteure,
Signé
L. NEUMAIER
La présidente,
Signé
M. SELLES La greffière,
Signé
M. A
La République mande et ordonne au préfet des Pyrénées-Atlantiques en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition :
La greffière,