CAA de MARSEILLE, 11 décembre 2023, n°22MA02374

 

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 

 

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SARL Ferry a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner la commune de Ramatuelle à lui verser la somme de 1 374 016,78 euros en réparation du préjudice subi lié aux erreurs commises par la commune dans la procédure d'attribution du lot " E1 " de sous-concession de la plage de Pampelonne.

Par un jugement n° 2001371 du 30 juin 2022, le tribunal administratif de Toulon a rejeté ses demandes.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 29 août 2022, la SARL Ferry, représentée par Me Bouillot, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 30 juin 2022 ;

2°) de condamner la commune de Ramatuelle à lui verser la somme de 1 534 237,78 euros en réparation de ses préjudices de manque à gagner, de frais de constitution de l'offre et de son préjudice commercial et d'image ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Ramatuelle la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à tort que le tribunal lui a dénié la qualité de candidate évincée ;

- le candidat évincé d'une procédure de passation irrégulière d'un contrat est fondé à obtenir réparation du préjudice né de cette éviction ;

- une collectivité ne peut déclarer sans suite une procédure en raison des irrégularités qu'elle a elle-même commises ;

- la commune a commis plusieurs irrégularités ;

- le dossier de consultation était incohérent ;

- lors des " questions-réponses " de la consultation, la commune a livré une information erronée en indiquant que la sous-concession n'était plus incluse dans le périmètre du cône de visibilité du schéma d'aménagement de la plage de Pampelonne approuvé par décret n° 2015-1675 du 15 décembre 2015 ;

- la commune a retenu l'offre de la SARL Ferry en relevant qu'elle respectait le cône de visibilité ;

- lors de la nouvelle phase d'analyse et de négociation des offres, la commune a de nouveau mal informé les candidats sur la présence de ce cône de visibilité ;

- la déclaration sans suite de la procédure était justifiée par le contexte judiciaire et non par la non-conformité des offres comme mentionné dans le courrier de déclaration sans suite du 22 février 2019 ; la déclaration sans suite était sans doute justifiée au titre du cône de visibilité mais la commune ne le précise pas et le motif de cette déclaration sans suite est donc erroné ou à tout le moins imprécis, alors en outre qu'il résulte des déclarations du maire lors du conseil municipal du 12 mars 2019 que l'abandon de la procédure était motivé par une volonté de renforcer la concurrence ;

- l'abandon de la procédure était disproportionné compte tenu des investissements des candidats ; la commune aurait pu valablement demander une modification des projets pour tenir compte du cône de visibilité dans le cadre de la négociation ce qui ne modifiait pas les " caractéristiques essentielles de la concession " ;

- la commune a commis une faute en déclarant la procédure sans suite le 22 février 2019 alors qu'elle a en réalité irrégulièrement évincé l'ensemble des candidats ; elle aurait dû déclarer la procédure infructueuse ; la décision de déclaration sans suite du 22 février 2019 n'est pas fondée sur un motif valable et est entachée de détournement de pouvoir ; elle n'est pas justifiée par un motif d'intérêt général ;

- les procédures ont été annulées compte tenu des erreurs commises par la commune ; la première procédure a été annulée au motif que la commune avait apprécié les offres au regard du critère du cône de visibilité qui avait été abandonné ; suite à cette annulation, la commune a mentionné à tort que le cône de visibilité n'avait pas à être respecté ; pour la deuxième procédure, elle a opté pour un délai de mise en concurrence trop court ; pour la troisième procédure, elle a attribué le lot à un candidat qui ne respectait pas les documents de consultation ; cet ensemble de fautes a conduit à ce que ce lot ne soit finalement pas attribué ;

- la société requérante pourra donc être indemnisée de l'intégralité du manque à gagner du fait de la non-exécution du contrat litigieux ;

- la décision de déclaration sans suite doit être proportionnée aux motifs invoqués ;

- la rupture unilatérale des négociations peut donner lieu à indemnisation lorsque la personne publique a, au cours des négociations, incité son partenaire à engager des dépenses ;

- les multiples fautes commises par la commune dans la procédure d'attribution du lot 23, ex lot E1, sont en lien direct avec le préjudice de la SARL Ferry ;

- c'est à tort que le tribunal a estimé qu'il ne résultait pas de l'instruction qu'en l'absence des erreurs de la commune, l'offre de la SARL Ferry aurait été choisie ;

- à titre subsidiaire, la responsabilité sans faute de la commune pourra être engagée ; contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, elle a subi un préjudice anormal et spécial ;

- son préjudice financier tiré de son manque à gagner pour la non-exécution du contrat de 2019 à 2030 est estimé à 1 402 221 euros, tel qu'il résulte de son compte d'exploitation prévisionnel ; à titre subsidiaire les erreurs de la commune ont conduit à un abandon de l'exploitation du lot E1 pour la saison 2019 ;

- elle sera également indemnisée des frais de présentation de son offre, chiffrés à un montant global de 82 016,78 euros ;

- elle a en outre subi un préjudice commercial et d'image qui est évalué à 50 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 mars 2023, la commune de Ramatuelle, représentée par Me Petit, conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge de la SARL Ferry la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la société appelante s'abstient de critiquer utilement la décision rendue par le tribunal administratif ;

- aucun moyen de la requête n'est fondé.

Un courrier du 20 février 2023 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il est envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourra être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2.

Par ordonnance du 25 octobre 2023, la clôture d'instruction a été fixée à sa date d'émission en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, selon lequel les conclusions, nouvelles en appel, portant l'indemnité demandée de la somme d'1 374 016,78 euros en première instance à 1 534 237,78 euros en appel sont irrecevables (CE 18 décembre 2017, B, n° 401314, M. A).

Le 20 novembre 2023, la SARL Ferry a produit des observations en réponse à ce moyen d'ordre public. Elle soutient qu'elle était fondée à majorer son préjudice qui s'est aggravé ou s'est révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement attaqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 ;

- le décret n° 2016-86 du 1er février 2016 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Isabelle Gougot, rapporteure,

- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,

- et les observations de Me Bouillot, pour la SARL Ferry, et de Me Petit et Me Callot, pour la commune de Ramatuelle.

Connaissance prise de la note en délibéré produite pour la commune de Ramatuelle et enregistrée au greffe le 30 novembre 2023.

Considérant ce qui suit :

1. Suite à l'approbation par décret du 15 décembre 2015 du schéma d'aménagement de la plage de Pampelonne, espace naturel remarquable, par arrêté du 7 avril 2017, le préfet du Var a accordé à la commune de Ramatuelle la concession de la plage naturelle de Pampelonne, pour une durée de douze ans. La commune de Ramatuelle a publié le 28 juin 2017 un avis d'appel public à la concurrence en vue de la conclusion de conventions d'exploitation de cette concession, portant sur trente lots, dont vingt-trois destinés à l'accueil d'établissements de plage. C'est dans ce contexte que le conseil municipal de Ramatuelle a décidé, le 16 juillet 2018, d'attribuer le lot n° " E1 " à la SARL Ferry. Par une ordonnance n° 1802473 du 24 août 2018, le juge du référé précontractuel du tribunal a annulé la procédure de passation du lot E1, au stade de l'examen des offres, au motif que la commune de Ramatuelle avait choisi l'offre de la société Ferry notamment en raison de sa prise en compte du cône de visibilité alors que " cette contrainte avait expressément été écartée par avenant à la concession", à savoir l'avenant n° 1 à la concession de plage naturelle liant l'Etat à la commune. Le 3 décembre 2018, la commune de Ramatuelle, après avoir procédé à un nouvel examen des offres, a décidé une nouvelle fois d'attribuer le lot " E1 " à la SARL Ferry. Mais, par une ordonnance n° 1804075 du 1er février 2019, le juge du référé précontractuel du tribunal a de nouveau annulé la procédure de passation de ce lot " E1 " au stade de l'examen des offres, au motif que la commune n'avait pas tenu compte du respect des contraintes urbanistiques liées au cône de visibilité, en méconnaissance du schéma d'aménagement de la plage de Pampelonne et des plans du dossier de la concession de cette plage et donc, des conditions et caractéristiques minimales indiquées dans les documents de la consultation. Par une délibération du 12 mars 2019, la commune a alors décidé de déclarer sans suite la procédure relative au lot n° 23, auparavant dénommé " E1 ". Puis, par un nouvel avis d'appel public à la concurrence publié le 12 juin 2019, la commune a relancé une procédure de passation pour ce lot. La SARL Ferry n'a pas présenté de candidature pour cette nouvelle procédure. Par une ordonnance du juge du référé précontractuel n° 1904139 du 16 décembre 2019, la procédure de publicité et de mise en concurrence relative à l'attribution de ce lot, redéfini et renommé lot 23, a été annulée. Enfin après un nouvel avis d'appel public à la concurrence publié le 2 mars 2021, par lequel la commune de Ramatuelle lançait de nouveau une consultation en vue de l'attribution de ce lot n° 23 de la plage de Pampelonne entre 2022 et 2030, la procédure a encore été annulée par une ordonnance n° 2102433 du juge des référés du 6 octobre 2021 au stade de l'analyse des offres. Cette annulation était confirmée par le Conseil d'Etat par une décision n° 457733 du 24 mars 2022. Le lot " E1 " devenu le lot n° 23 n'a donc jamais été exploité. Estimant avoir subi divers préjudices qu'elle impute à un cumul de fautes de la commune, la SARL Ferry a formé une demande préalable indemnitaire le 7 février 2020, rejetée par la commune le 24 mars 2020. Elle relève appel du jugement n° 2001371 du tribunal administratif de Toulon du 30 juin 2022 rejetant sa demande tendant à condamner la commune de Ramatuelle à lui verser une somme totale de 1 374 016,78 euros en réparation des différents préjudices qu'elle estime avoir subis, et porte sa demande en appel à la somme totale de 1 534 237,78 euros.

Sur la recevabilité de la requête d'appel :

2. D'une part, à supposer qu'en soutenant que " la société appelante s'abstient de critiquer utilement la décision rendue par le tribunal administratif " la commune de Ramatuelle ait entendu invoquer l'irrecevabilité de la requête d'appel au motif qu'elle serait insuffisamment motivée, un tel moyen ne peut qu'être écarté, comme manquant en fait.

3. D'autre part, les conclusions de la SARL Ferry portant l'indemnité demandée de la somme de 1 374 016,78 euros en première instance à 1 534 237,78 euros en appel, sans qu'elle justifie que son préjudice se soit aggravé ni qu'il se soit révélé dans toute son ampleur postérieurement au jugement attaqué sont nouvelles en appel et comme telles, irrecevables.

Sur la faute tirée de l'illégalité de la procédure de déclaration sans suite :

4. Une personne publique qui a engagé une procédure de passation d'un contrat de concession ne saurait être tenue de conclure le contrat et peut décider, sous le contrôle du juge, de renoncer à le conclure pour un motif d'intérêt général. Un motif d'ordre juridique constitue un motif d'intérêt général susceptible de justifier la renonciation à conclure un contrat de délégation de service public.

5. D'une part, il résulte de l'instruction, et notamment du procès-verbal de réunion du conseil municipal du 12 mars 2019 qu'à la suite des annulations prononcées par le juge des référés du tribunal administratif de Toulon du 16 juillet 2018 et 1er février 2019, de la procédure d'attribution du lot n° 23, ex E1 comme précisé au point 1, la commission de délégation de service public a estimé qu'aucune offre ne pouvait être considérée comme conforme au dossier de consultation des entreprises et a proposé de déclarer la procédure sans suite dans la mesure où les motifs de non-conformité concernaient des éléments essentiels de la concession à attribuer et ne pouvaient faire l'objet de corrections au cours d'une phase de négociation. Il résulte en outre de ce procès-verbal qu'" en tout hypothèse, la non-conformité de toutes les offres est désormais avérée, aucune en réalité ne respectant les dispositions de la concession de plage naturelle telles qu'elles ont été maintenues dans l'avenant n°1 accordé à la commune par arrêté préfectoral du 14 septembre 2018 notamment- la situation du lot n°23 dont l'empiètement sur le cône de vue du secteur de l'Epi est conservé en dépit de la demande de déplacement formulée par délibération du 29 mai 2018. " La commune ne se fondait donc pas seulement sur la seule non-conformité généralisée des offres du dossier de la consultation mentionnée dans le courrier du 22 février 2019 adressé à la SARL Ferry l'informant que la procédure sur le lot n° 23 (ex E1) serait déclarée sans suite mais aussi sur le fait que la renégociation des offres se ferait " sur une base juridique fragile ". Si la société requérante conteste l'existence de ce fort risque juridique en soutenant que la commune aurait pu demander une modification des projets pour tenir compte du cône de visibilité dans le cadre de la négociation, contrairement à ce qu'elle soutient, il résulte toutefois de l'instruction que la prise en compte du cône de visibilité induisait une modification de l'étendue géographique du lot E1 telle qu'elle ne pouvait être regardée, sans risque juridique, comme étant de portée suffisamment limitée pour être admise dans le cadre de la négociation, alors notamment que la procédure avait déjà été annulée deux fois au stade de l'examen des offres. Le motif tiré d'un fort risque juridique fragilisant la procédure constitue, comme l'a jugé le tribunal, un motif d'intérêt général permettant de renoncer à poursuivre la procédure.

6. D'autre part, la SARL Ferry se prévaut de l'ordonnance d'annulation n° 1904139 du 16 décembre 2019, revêtue de l'autorité absolue de chose jugée, par laquelle le juge des référés précontractuels du tribunal administratif de Toulon a relevé que " l'abandon de la procédure ayant abouti à la mise en œuvre de celle en litige est dû à un défaut d'évaluation de ses propres besoins par le pouvoir délégant et ne peut être regardé comme justifié par un motif d'intérêt général " et souligne le fait que la procédure a d'ailleurs été reprise par une délibération du 28 mai 2019 en tenant compte de cette évolution des besoins. Mais, de fait, le juge des référés était saisi dans le cadre d'une nouvelle procédure, indépendante de la précédente déclarée sans suite, et les motifs de l'ordonnance invoqués, n'en constituent pas, en tout état de cause, le soutien nécessaire du dispositif. Ces circonstances, au demeurant postérieures à la délibération du 12 mars 2019 déclarant la procédure sans suite, ne sauraient caractériser l'existence d'un détournement de pouvoir. Et le fait que le maire se soit référé à la " complexité de la situation ", et qu'il ait évoqué, dans un procès-verbal du 12 mars 2019, la nécessité de renforcer la concurrence n'est pas davantage de nature à caractériser un tel détournement de pouvoir.

7. La commune justifiant donc bien de l'existence d'un risque juridique constitutif d'un motif d'intérêt général, c'est donc à bon droit que le tribunal a estimé que la SARL Ferry n'était pas fondée à soutenir que la commune de Ramatuelle avait commis une faute engageant sa responsabilité en déclarant la procédure sans suite pour un tel motif.

Sur la faute tirée de l'irrégularité de l'éviction :

8. L'entreprise candidate à l'attribution d'une concession de service public demandant réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de la procédure d'attribution a droit à être indemnisée de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre, lesquels n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique. En revanche, elle ne peut prétendre à une indemnisation de ce manque à gagner si la personne publique renonce à conclure le contrat pour un motif d'intérêt général.

9. Ainsi qu'il a été dit aux points 5 et 6, la procédure de déclaration sans suite est justifiée par un motif d'intérêt général. Par suite, la SARL Ferry n'est pas fondée, en tout état de cause, à demander à être indemnisée de son manque à gagner en qualité de candidate sur le lot E1 ayant été irrégulièrement évincée de la procédure, réengagée à deux reprises.

10. En revanche, la société requérante peut rechercher la responsabilité de la commune de Ramatuelle sur le terrain de la responsabilité quasi-délictuelle ou de la responsabilité sans faute.

Sur les autres fautes :

Sur l'illégalité de la nouvelle procédure engagée en 2019 :

11. Il résulte de l'ordonnance n° 1904139 du 16 décembre 2019 et de l'arrêt du Conseil d'Etat n° 457733 du 24 mars 2022 que la nouvelle procédure d'attribution du lot E1 devenu E23, après la déclaration sans suite, a de nouveau été annulée, d'abord compte tenu du délai de mise en concurrence trop court, puis, au motif que l'offre de la société Epi qui avait en définitive été retenue ne respectait pas le cahier des charges sur l'utilisation de l'espace en prévoyant seulement 41 % pour l'espace bains de soleil et non 60 % comme exigé par les documents de consultation. Ces illégalités sont aussi constitutives de fautes de nature à engager la responsabilité de la commune. Toutefois, la SARL Ferry qui ne s'est pas portée candidate ne saurait justifier de l'existence d'un gain manqué pour cette procédure. Par ailleurs, elle ne justifie pas davantage avoir subi de préjudice commercial ou d'image ni avoir engagé des charges salariales en pure perte qui soient en lien avec lesdites illégalités.

Sur les illégalités de la procédure de passation :

12. Il résulte de l'instruction, et notamment du procès-verbal de réunion du conseil municipal du 12 mars 2019, que dans le cadre du réaménagement des lots de la plage de Pampelonne dès 2017, la commune de Ramatuelle n'a pas souhaité suivre l'avis de la maîtrise d'œuvre qui préconisait de limiter à deux le nombre de lots dans le secteur de l'Epi et a préféré retenir trois lots sur le secteur, ce qui impliquait que le troisième déborde sur le cône de dégagement visuel. C'est dans ce contexte, ainsi qu'il a été dit au point 1, que par une ordonnance n° 1802473 du 24 août 2018, le juge du référé précontractuel a annulé la procédure de passation du lot E1, au stade de l'examen des offres au motif que la commune de Ramatuelle avait choisi l'offre de la société Ferry, notamment en raison de sa prise en compte du cône de visibilité alors que cette contrainte avait expressément été écartée par un avenant à la concession n° 1 de délégation de plage naturelle. Puis, alors que le 3 décembre 2018 la commune de Ramatuelle, après avoir procédé à un nouvel examen des offres, avait décidé une nouvelle fois d'attribuer le lot E1 à la SARL Ferry, par une ordonnance n° 1804075 du 1er février 2019, le juge du référé précontractuel a de nouveau annulé la procédure de passation de ce lot E1 au stade de l'examen des offres, au motif que la commune n'avait pas tenu compte du respect des contraintes urbanistiques liées au cône de visibilité, en méconnaissance du schéma d'aménagement de la plage de Pampelonne approuvé par décret du 15 décembre 2015 et des plans du dossier de la concession de cette plage modifiée par avenant du 14 septembre 2018. La SARL Ferry est, dans ces conditions, fondée à soutenir que la commune a irrégulièrement élaboré le règlement de consultation alors que le plan d'implantation communiqué aux candidats n'était pas cohérent avec la préservation du cône de visibilité. En outre, la commune a induit en erreur les candidats en leur indiquant, dans le cadre des questions-réponses, que la sous-concession E1 n'était pas incluse dans le périmètre du cône de visibilité, alors qu'il résulte de l'instruction, et notamment de la délibération du 29 mai 2018, que le conseil municipal avait validé un projet d'avenant à la concession pour décaler l'implantation du lot en cause vers le Nord afin de dégager le cône de visibilité, révélant ainsi qu'elle avait identifié la difficulté. Ce faisant, la commune a commis une faute de nature à engager sa responsabilité. En revanche, contrairement à ce que soutient la commune de Ramatuelle, compte tenu des incohérences des documents de consultation, il ne saurait être reproché à la SARL Ferry une faute pour avoir choisi d'intégrer partiellement dans son offre le cône de visibilité.

Sur l'incitation à engager des démarches en vue de déposer une demande de permis de construire :

13. Alors que, par délibération du conseil municipal du 16 juillet 2018 la SARL Ferry avait été désignée attributaire du lot " E1 ", il résulte de l'instruction que, par courriel du 20 juillet 2018 adressé aux attributaires de l'ensemble des sous-concessions de la plage de Pampelonne, la commune y invitait les architectes à prendre connaissance rapidement, via des liens qu'elle joignait " compte tenu des délais de dépôt des demandes de permis de construire ", des plans des réseaux et d'aménagement et les conviait le 30 juillet suivant à se présenter, pour le secteur de l'Epi entre 14 heures et 15 heures afin d'aborder avec le mandataire de l'opération publique d'aménagement, la maîtrise d'œuvre de l'opération publique et le responsable du service municipal de l'urbanisme les questions utiles pour la suite des démarches. La SARL Ferry justifie en outre que la commune de Ramatuelle a accusé réception le 2 août 2018 de sa demande de permis de construire. Ce faisant, et alors même que la commune ne fixait pas de délai précis pour déposer la demande d'autorisation d'urbanisme, elle doit être regardée comme ayant incité la SARL Ferry, alors attributaire du lot " E1 " à prendre ses dispositions pour avancer la procédure d'autorisation d'urbanisme et comme l'ayant incitée à engager des frais pour la constitution de son dossier de demande de permis de construire dans le cadre de l'attribution de la sous-concession " E1 ". Par suite, la commune a également commis sur ce point une faute de nature à engager sa responsabilité.

Sur les préjudices :

14. Il résulte de ce qui précède que les fautes de la commune énoncées aux points 12 et 13 ont causé un préjudice à la société requérante qui a engagé inutilement des frais de soumissionnement et de préparation du dossier de permis de construire en pure perte. La circonstance que l'offre de la SARL Ferry serait irrégulière demeure à cet égard sans incidence, dès lors que ce n'est pas en sa qualité de candidate irrégulièrement évincée qu'elle est indemnisée mais sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle de la commune, ainsi qu'il a été dit au point 10. Il y a lieu de retenir à ce titre les factures dont elle justifie s'être acquittée, sans que la commune ne le conteste, de 1 320 euros de frais d'expert-comptable selon facture du 15 novembre 2018 pour " dossier prévisionnel - rendez-vous en mairie " outre 840 euros pour " assistance à dossier plage 2018 " selon facture du 25 mai 2018, des frais de conseil pour les sommes de 2 327,50 euros pour une prestation de conseil en passation, de 3 960 euros pour assistance lors du dépôt de la première offre, de 3 000 euros pour assistance après le dépôt de la première offre, de 3 000 euros pour assistance pour se défendre dans le cadre du premier référé précontractuel et pour l'élaboration de l'offre après la première annulation, de 3 000 euros pour assistance dans le cadre de la seconde phase de négociation, de frais d'architecte, à hauteur de 14 520 euros pour l'élaboration du dossier d'appel d'offres au stade du dépôt initial, de 8 400 euros pour modification du dossier d'appel d'offres au stade de la négociation, et enfin de 12 000 euros pour l'élaboration et le dépôt du permis de construire, alors même que cette facture date de 2019, puisqu'ainsi qu'il a été dit au point 13, la SARL Ferry justifie avoir déposé son dossier de permis de construire le 2 août 2018, soit antérieurement à la deuxième annulation de la procédure au stade de l'examen des offres, intervenue le 1er février 2019.

15. Toutefois, les charges salariales du directeur de la SARL Ferry et de son responsable de salle, à hauteur de 29 649,28 euros ne sauraient être regardées comme des frais de soumissionnement engagés en pure perte en raison des fautes de la commune, alors notamment que les salaires auraient été versés même si la société ne s'était pas portée candidate sur le lot en cause.

16. Il y a donc lieu d'évaluer les frais engagés en pure perte par la SARL Ferry à la somme totale de 52 367,50 euros.

17. En revanche, la société requérante n'est pas fondée à demander réparation de son gain manqué pour le lot E1 sur les saisons 2019 à 2030, qu'elle évalue à 1 402 221 euros correspondant à son compte de résultat prévisionnel sur le lot E1, alors que les irrégularités fautives retenues aux points 12 et 13, tirées de l'incohérence des documents de consultation au regard du cône de dégagement visuel et consistant à l'avoir incitée à déposer rapidement un permis de construire, ne sont pas directement à l'origine de la non attribution du lot E1 à la SARL Ferry, ce lot E1 n'ayant en définitive été attribué à aucun candidat, la procédure ayant été déclarée sans suite pour un motif d'intérêt général, ainsi qu'il a été dit aux points 5 à 7. Dans ces conditions, la SARL Ferry ne saurait justifier l'existence d'une perte de chance sérieuse d'obtenir ce contrat lui permettant d'être indemnisée du gain manqué dont elle se prévaut.

18. La SARL Ferry n'est pas davantage fondée à demander, à titre subsidiaire, la réparation d'un gain manqué pour la saison 2019, qu'elle chiffre à 60 581 euros, et d'un gain manqué pour la période courant de 2020 à 2030 évalué à 1 341 640 euros en se prévalant du fait qu'aucun lot sur la plage de Pampelonne ne lui a en définitive été attribué, alors que les fautes retenues aux points 12 et 13, tirées de l'incohérence des documents de consultation au regard du cône de dégagement visuel du lot E1 et consistant à l'avoir incitée à déposer rapidement un permis de construire sur ce même lot E1 ne sont pas la cause directe d'un gain manqué en raison de de la non attribution d'un autre lot sur la plage de Pampelonne, la SARL Ferry n'ayant, au demeurant, pas présenté de seconde offre sur un des vingt-trois autres lots " établissement de plage" à Pampelonne. La société ne saurait, dans ces conditions, être regardée comme ayant perdu une chance sérieuse d'obtenir un contrat de sous-concession sur la plage de Pampelonne.

19. Enfin, si la société requérante soutient avoir subi, en raison des fautes de la commune, un préjudice commercial et d'image, évalué à 50 000 euros, car elle exploitait un établissement de plage à Pampelonne depuis des dizaines d'années, elle ne démontre pas la réalité d'un tel préjudice.

Sur la responsabilité sans faute :

20. Il y a lieu d'écarter les demandes de la société Ferry, en tant que candidate irrégulièrement évincée, fondées sur la responsabilité sans faute de la commune, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 9 du jugement du tribunal, qui n'appellent pas de précision en appel.

21. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL Ferry est seulement fondée à demander la condamnation de la commune de Ramatuelle à lui verser la somme totale de 52 367,50 euros.

22. Par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité des conclusions nouvelles en appel, la SARL Ferry est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

23. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme quelconque soit mise à la charge de la SARL Ferry, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de la commune de Ramatuelle une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la SARL Ferry et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2001371 du tribunal administratif de Toulon du 30 juin 2022 est annulé.

Article 2 : La commune de Ramatuelle est condamnée à verser à la SARL Ferry une somme de 52 367,50 euros.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la SARL Ferry est rejeté.

Article 4 : La commune de Ramatuelle versera une somme de 2 000 euros à la SARL Ferry au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Ferry et à la commune de Ramatuelle.

Délibéré après l'audience du 27 novembre 2023, où siégeaient :

- M. Alexandre Badie, président de chambre,

- Mme Isabelle Gougot, première conseillère,

- Mme Isabelle Ruiz, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 11 décembre 2023.