Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 7 avril 2022 et 30 juin 2023, la société par actions simplifiée (SAS) Gillard, représentée par Me Colmant, demande au tribunal :
1°) de condamner le syndicat pour l'innovation, le recyclage et l'énergie par les déchets et ordures ménagères (SIREDOM) à lui verser la somme de 701 739,60 euros, à parfaire, assortie des intérêts au taux légal ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa requête introduite avant l'expiration du délai raisonnable d'un an à compter du rejet de sa demande préalable du 8 février 2021 est recevable ;
- elle a adressé plusieurs correspondances au SIREDOM dans lesquelles elle a clairement exposé les motifs de sa contestation, conformément à l'article 37 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de fournitures et services ;
- la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de la requête en raison du fondement de responsabilité invoqué doit être écartée dès lors que les manœuvres du SIREDOM consistant à transformer des pénalités provisoires en pénalités définitives ont rendu inapplicables les mécanismes prévus au contrat ;
- en lui infligeant de manière définitive des pénalités de retard alors qu'il s'était engagé sur le caractère non définitif de ces pénalités, le SIREDOM a commis un dol, constitutif d'une faute délictuelle de nature à engager sa responsabilité à son égard ; le SIREDOM l'a sciemment mise dans une situation où elle ne pouvait pas tenir les délais qui lui étaient imposés en modifiant de façon significative le calendrier prévisionnel sur la base duquel elle avait élaborée son offre et en modifiant le cadre du marché en concentrant en une seule commande les besoins exprimés dans l'appel d'offre pour trois ans ; les pénalités infligées sont constitutives d'un détournement de pouvoir ou de procédure dès lors qu'elles sont utilisées par le SIREDOM pour obtenir des ressources financières complémentaires et non pour assurer l'exécution des marchés publics ;
- son préjudice est constitué par les sommes mises indument à sa charge au titre des pénalités de retard, pour un montant de 349 919,60 euros, par la baisse significative des escomptes obtenus sur l'exercice 2018, pour un montant de 37 500 euros, par le surcoût financier qu'elle a dû supporter pour un montant de 56 000 euros, par l'avance de TVA faite au Trésor public pour un montant de 58 320 euros et par l'atteinte portée à son image commerciale qui doit être indemnisée à hauteur de 200 000 euros.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 5 janvier et 20 juillet 2023, le syndicat pour l'innovation, le recyclage et l'énergie par les déchets et ordures ménagères (SIREDOM), représenté par Me Treca, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société requérante en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la requête est irrecevable en l'absence de mise en œuvre par la société requérante de la procédure de réclamation prévue par l'article 37 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de fournitures et services ; elle est à tout le moins tardive dès lors qu'elle n'a pas été introduite dans le délai de deux mois à compter du rejet de son recours gracieux, par courrier notifié le 29 août 2017 ;
- elle est également irrecevable dès lors que la société requérante n'invoque qu'un fondement de responsabilité extracontractuelle alors que le litige relève de l'exécution d'un contrat et que seule la responsabilité contractuelle peut ainsi être invoquée ;
- à titre subsidiaire, le SIREDOM n'a commis aucune faute en infligeant des pénalités de retard à la société Gillard ; la société requérante ne démontre pas la réalité du préjudice invoqué.
Par ordonnance du 30 juin 2023, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 8 septembre 2023.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que le jugement était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions tendant à ce que le SIREDOM soit condamné à rembourser à la société Gillard le montant des pénalités de retard qui lui ont été infligées par un titre de recette du 28 juillet 2017, auquel s'est substitué un titre de recette du 8 août 2017, dès lors que l'expiration du délai de recours contre ces décisions à objet purement pécuniaire, à l'issue d'un délai d'un an à compter, au plus tard, de son courrier du 19 janvier 2018, prenant acte du caractère définitif des pénalités, fait obstacle à ce que soient présentées des conclusions indemnitaires ayant la même portée.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Maitre, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Vincent, rapporteure publique,
- les observations de Me Colmant ;
- et les observations de Me Horeau, substituant Me Treca.
Considérant ce qui suit :
1. Par un acte d'engagement du 6 mai 2017, le syndicat pour l'innovation, le recyclage et l'énergie par les déchets et ordures ménagères (SIREDOM) a conclu avec plusieurs sociétés dont la société Gillard, un accord-cadre multi-attributaires pour l'acquisition de bennes et assimilés, pour la période du 6 mai 2017 au 31 décembre 2018, reconductible tacitement pour une durée maximale de quatre ans. Par un courrier du 19 juin 2017, le SIREDOM a lancé l'appel d'offre en vue de la conclusion du premier marché subséquent de cet accord, relatif à l'acquisition et à la livraison de bennes pour les besoins de son réseau d'éco-centres. La société Gillard s'est vu attribuer ce marché par acte d'engagement du 24 juillet 2017. Par courrier du 27 juillet 2017, le SIREDOM informait la société Gillard de ce que son planning d'exécution induisait un retard conséquent dans l'exécution des prestations demandées, dépassant le délai contractuel du marché d'au minimum douze jours et qu'il décidait en conséquence d'appliquer les pénalités prévues à l'article 8.4.2 du cahier des clauses particulières, à titre provisoire, pour un montant de 349 919,60 euros. Pour l'exécution de cette décision, un titre de recette de ce montant était émis par le SIREDOM le 28 juillet 2017, auquel se substituait un second titre de même montant le 8 août 2017. Par la présente requête, la société Gillard demande au tribunal de condamner le SIREDOM de l'indemniser de divers préjudices résultant de l'application définitive de ces pénalités.
2. En premier lieu, d'une part, le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable. S'agissant des titres exécutoires, sauf circonstances particulières dont se prévaudrait son destinataire, le délai raisonnable ne saurait excéder un an à compter de la date à laquelle le titre, ou à défaut, le premier acte procédant de ce titre ou un acte de poursuite a été notifié au débiteur ou porté à sa connaissance.
3. D'autre part, l'expiration du délai permettant d'introduire un recours en annulation contre un titre exécutoire, dont l'objet est purement pécuniaire, fait obstacle à ce que soient présentées des conclusions indemnitaires ayant la même portée.
4. En l'espèce, les titres de perception précités mettant à la charge de la société Gillard une somme de 349 919,60 euros à titre de pénalités de retard ne comportent pas les mentions précises des voies et délais de recours à leur encontre, de sorte que le délai de recours contentieux prévu à l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales n'est pas opposable à la société Gillard. Il résulte toutefois de l'instruction, que la société requérante a eu connaissance de ces titres concomitamment à leur émission, ainsi qu'en atteste les recours gracieux qu'elle a formé auprès du SIREDOM par courriers du 6 août puis du 19 septembre 2017, ainsi que la lettre de relance émise par la direction départementale des finances publiques de l'Essonne qu'elle indique avoir réceptionnée le 4 octobre 2017. Si les échanges entre la société requérante et le SIREDOM ont pu lui laisser légitimement penser que le syndicat était susceptible d'annuler ces pénalités ou de revoir leur montant, il résulte en tout état de cause de l'instruction que, par courrier du 18 janvier 2018, faisant suite à la transmission du décompte général et définitif du marché par la société requérante, le SIREDOM a indiqué que les pénalités étaient maintenues, la société Gillard ayant pris acte, dans son courrier en réponse du 19 janvier 2018, de leur caractère définitif. Par suite, la société Gillard disposait d'un délai d'un an à compter au plus tard de cette dernière date pour exercer un recours à l'encontre des titres de recette, soit jusqu'au 20 janvier 2019. Dans ces conditions, les titres de recette mettant à sa charge des pénalités de retard étant devenus définitifs à la date d'introduction de la présente requête, la société Gillard n'est pas recevable à former des conclusions indemnitaires tendant à ce que le SIREDOM soit condamné à lui rembourser le montant de ces pénalités.
5. En second lieu, la société Gillard présente également des conclusions tendant à ce que le SIREDOM soit condamné à réparer plusieurs préjudices tenant à la baisse significative de ses escomptes obtenus sur l'exercice 2018, au surcoût financier qu'elle a dû supporter, à l'avance de TVA faite au Trésor public ainsi qu'à l'atteinte portée à son image commerciale, qui n'ont pas la même portée qu'un recours tendant à l'annulation des titres exécutoires précités. Toutefois, la société requérante ne se prévaut, à l'appui de ces conclusions, que de l'existence d'une faute délictuelle imputable au SIREDOM. Or, dès lors que les parties étaient liées par les contrats susmentionnés et que les préjudices qu'elle invoque sont nés des modalités d'exécution de ces contrats, la société requérante n'est pas recevable, ainsi que le soutient le syndicat en défense, à rechercher sa responsabilité sur un autre terrain que celui de la responsabilité contractuelle. A supposer que la société requérante ait entendu contesté par voie d'exception la validité du contrat conclu avec le SIREDOM en raison d'un vice d'une particulière gravité tenant aux conditions dans lesquelles elle a donné son consentement, il ne résulte pas de l'instruction, en tout état de cause, qu'elle aurait été victime de manœuvres dolosives de la part du pouvoir adjudicateur. Par conséquent et alors, au surplus, que la société Gillard n'apporte aucun élément de nature à établir la réalité ni a fortiori l'ampleur des préjudices qu'elle invoque, ses conclusions indemnitaires doivent être rejetées, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres fins de non-recevoir soulevées en défense.
6. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions des parties en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société Gillard est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par le Syndicat pour l'innovation, le recyclage et l'énergie par les déchets et ordures ménagères en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la société Gillard et au syndicat pour l'innovation, le recyclage et l'énergie par les déchets et ordures ménagères.
Délibéré après l'audience du 22 mars 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Dely, présidente,
M. Maitre, premier conseiller,
Mme Geismar, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 avril 2024.
Le rapporteur,
Signé
B. Maitre
La présidente,
Signé
I. Dely
La greffière,
Signé
S. Lamarre
La République mande et ordonne au préfet de l'Essonne en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.