TA Rennes, 14/05/2024, n°2402064
Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistré le 11 avril 2024, la société Help SARL demande au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'annuler la décision du président du Syndicat mixte du Parc naturel régional d'Armorique du 26 mars 2024 portant rejet de son offre pour l'attribution du marché de travaux d'entretien des espaces naturels et petit patrimoine des sites classés des îles de Sein, Ouessant et Molène.
Elle soutient que :
- l'objet et l'étendue des prestations n'étaient pas suffisamment définis dans le cahier des charges ; le marché doit s'exécuter en milieu insulaire, lequel occasionne des contraintes logistiques, météorologiques et manutentionnaires particulières, ainsi que des surcoûts afférents, qui n'ont certainement pas été pris en considération par l'entreprise attributaire, qui n'a aucune expérience en la matière ;
- aucune réponse ne leur a été apportée quant au détail des notes techniques et financières attribuées aux offres des candidats, ce qui révèle un manque de transparence quant aux critères d'attribution du marché ;
- le pouvoir adjudicateur s'est montré peu rigoureux dans le traitement de cette procédure de passation, puisqu'elle a été informée que le tableau des notes sur les critères prix et technique était inversé mais le tableau modifié annoncé ne leur a pas été transmis ;
- eu égard à son expérience en milieu insulaire, reconnue, elle aurait dû obtenir une note proche ou égale à la note maximale ;
- la commission d'appel d'offres ne comptait parmi ses membres aucun élu insulaire, alors que leur présence aurait permis d'éclairer la commission sur les spécificités d'exécution du marché.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 avril 2024, la SARL Raynal Pierre-Jean, représentée par Me Derveaux, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Help SARL la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- le cahier des charges est clair et précis sur la définition des missions à réaliser, outre que les candidats se sont engagés à avoir pris connaissance des lieux ;
- le manque éventuel de réactivité du pouvoir adjudicateur pour répondre aux interrogations de la société évincée quant aux critères techniques et financiers d'attribution ne relève pas d'un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence ;
- il en est de même de l'éventuel manque de rigueur dans la notification du marché et de la décision de rejet des offres ;
- il n'appartient pas au juge des référés précontractuels de se prononcer sur la valeur des offres ;
- le fait que la commission d'appel d'offres ne comporte pas d'élus insulaires parmi ses membres n'a aucune incidence sur la régularité de la procédure d'attribution.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 avril 2024, le syndicat mixte du Parc naturel régional d'Armorique, représenté par la Selarl Valadou-Josselin et associés, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Help SARL la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- le cahier des charges a défini avec une précision suffisante l'étendue et l'objet des prestations à réaliser, et l'estimation financière à laquelle devaient procéder les sociétés candidates n'a aucunement été compliquée par cette présentation ; au demeurant, les deux sociétés candidates ont procédé de manière identique ; l'entreprise attributaire a pris en considération les contraintes particulières liées à l'insularité ;
- par un courrier du 22 avril 2024, il a transmis à la société Help SARL les motifs de rejet de son offre, de sorte que l'éventuelle insuffisance de motivation n'est plus caractérisée ;
- le tableau rectifié a été communiqué ;
- il ne relève pas de l'office du juge des référés précontractuels de contrôler l'appréciation portée sur les mérites des offres ; aucune dénaturation n'est caractérisée ; en toute hypothèse, le critère prix a été déterminant ;
- la commission d'appel d'offres n'a émis aucun avis dans le cadre de la procédure de passation en litige, de sorte que le moyen tiré de sa composition prétendument irrégulière est inopérant ; en toute hypothèse, les spécificités et contraintes liées à l'insularité ont été prises en considération ;
- à titre subsidiaire, l'offre de la société Help SARL était irrégulière, faute de comporter un mémoire technique ; elle n'a donc pu être lésée par les manquements qu'elle invoque.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.
Le président du tribunal a désigné Mme Thielen, première conseillère, pour statuer sur les demandes de référé.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus, au cours de l'audience publique du 30 avril 2024 :
- le rapport de Mme Thielen ;
- les observations de Me Barrault, représentant la société Help SARL qui persiste dans ses conclusions écrites et soutient que la candidature de la société attributaire était irrégulière et aurait dû être écartée comme telle, dès lors qu'elle ne satisfaisait pas aux conditions de capacités techniques et professionnelles et que sa propre offre était régulière, outre qu'elle a été complétée puis classée, de sorte qu'elle est recevable à contester l'attribution du marché ; elle a nécessairement été lésée par les manquements commis ;
- les observations de Me Derveaux, représentant la société Raynal Pierre-Jean, qui persiste dans ses conclusions écrites et fait également valoir que sa cliente a été amenée à préciser les expériences professionnelles et techniques qui sont les siennes sur les communes littorales et insulaires et qu'elle a recruté des salariés qui justifient d'une expérience particulière en termes de travaux et d'entretien des murs en pierres sèches ;
- les observations de Me Jacq-Nicolas, représentant le syndicat mixte du Parc naturel régional d'Armorique, qui persiste dans ses conclusions écrites et fait également valoir que l'expérience et la qualité des prestations de la société Help SARL, attributaire sortant, ne sont pas remises en cause mais qu'elle a présenté un mémoire technique très lacunaire quand l'offre technique de la société retenue était très détaillée et complète, s'agissant notamment des particularités des prestations en milieu insulaire et, en tout état de cause, que le critère prix a été déterminant.
La clôture de l'instruction a été différée, en dernier lieu, au lundi 6 mai 2024 à 16 h 00.
Par un mémoire enregistré le 30 avril 2024, la société Help SARL, représentée par la Selarl Lexcap, persiste dans ses conclusions écrites, renonce à tous les moyens développés dans la requête initiale et soutient désormais que :
- la candidature de la société attributaire est irrégulière et aurait dû être écartée comme telle, dès lors qu'elle ne dispose pas des capacités techniques et professionnelles suffisantes, étant spécialisée dans les travaux d'élagage, d'abattage d'arbres, de rognage de souches et de débroussaillage, quand les prestations à réaliser portent également sur des travaux d'entretien du petit patrimoine des îles, notamment la restauration des chemins, la restauration et l'entretien des murets ainsi que le ramassage des macrodéchets, sur des îles ne comportant au demeurant que très peu d'arbres ;
- sa propre offre est régulière, ayant été complétée dans le cadre de la négociation, à la demande du pouvoir adjudicateur, s'agissant des moyens humains et matériels affectés aux travaux, du mode opératoire, du délai d'intervention et de ses références antérieures ; elle a été acceptée, classée et notée après négociation.
Un mémoire a été produit pour le syndicat mixte du Parc naturel régional d'Armorique, enregistré le 3 mai 2024, aux termes duquel il persiste dans ses conclusions écrites et fait valoir que :
- le rejet d'une candidature ne peut être légalement fondé sur le seul motif d'une absence de références relatives à l'exécution de marchés de même nature ;
- la candidature de la société attributaire est régulière et celle-ci a suffisamment justifié de ses capacités techniques et professionnelles ; elle a notamment justifié disposer, dans son équipe, de salariés diplômés en aménagement paysager et formés à l'entretien et à la construction de murets et de dallages.
Un mémoire a été produit pour la société Raynal Pierre-Jean, enregistré le 3 mai 2024, aux termes duquel elle persiste dans ses conclusions écrites, porte ses conclusions présentées au titre des frais d'instance à la somme de 3 000 euros, et fait valoir que :
- sa candidature est régulière et elle a suffisamment justifié de ses capacités techniques et professionnelles ; aucune erreur manifeste n'entache l'appréciation du pouvoir adjudicateur ;
- en tout état de cause, la société requérante ne saurait avoir été lésée par un quelconque manquement, dès lors que son offre était irrégulière.
Considérant ce qui suit :
1. Par un avis publié le 26 janvier 2024, le syndicat mixte du Parc naturel régional d'Armorique a lancé une consultation pour l'attribution d'un marché de travaux, sous forme d'accord-cadre à bons de commande, pour des prestations de travaux d'entretien des espaces naturels et petit patrimoine sur les sites classés des Iles de Sein, de Ouessant et de Molène. La société Help SARL a été informée, par un courrier du 26 mars 2024, d'une part, du rejet de son offre et, d'autre part, de ce que le marché serait attribué à la société Raynal Pierre-Jean. Par la présente requête, la société Help SARL demande au juge des référés précontractuels l'annulation de la procédure de passation de ce marché.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :
2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique () / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat. ".
3. Aux termes de son article L. 551-2 : " I.- Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations () ".
4. En vertu des dispositions de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient dès lors au juge des référés précontractuels de rechercher si l'entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte, en avantageant une entreprise concurrente.
5. Pour contester le rejet de son offre et l'attribution du marché à la société Raynal Pierre-Jean, la société Help SARL soulève, dans le dernier état de ses écritures, un unique moyen tiré de ce que l'offre de la société attributaire était irrégulière, dès lors que celle-ci ne justifiait pas de ses capacités techniques et professionnelles pour exécuter le marché.
6. Aux termes de l'article L. 2142-1 du code de la commande publique : " L'acheteur ne peut imposer aux candidats des conditions de participation à la procédure de passation autres que celles propres à garantir qu'ils disposent de l'aptitude à exercer l'activité professionnelle, de la capacité économique et financière ou des capacités techniques et professionnelles nécessaires à l'exécution du marché. / Ces conditions sont liées et proportionnées à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution ". Aux termes de son article R. 2142-1 : " Les conditions de participation à la procédure de passation relatives aux capacités du candidat mentionnées à l'article L. 2142-1, ainsi que les moyens de preuve acceptables, sont indiqués par l'acheteur dans l'avis d'appel à la concurrence ou dans l'invitation à confirmer l'intérêt ou, en l'absence d'un tel avis ou d'une telle invitation, dans les documents de la consultation ". Aux termes de son article R. 2142-14 : " L'acheteur peut exiger que les opérateurs économiques disposent d'un niveau d'expérience suffisant, démontré par des références adéquates provenant de marchés exécutés antérieurement. Toutefois, l'absence de références relatives à l'exécution de marchés de même nature ne peut justifier, à elle seule, l'élimination d'un candidat ". Aux termes de son article R. 2143-3 : " Le candidat produit à l'appui de sa candidature : / () / 2° Les renseignements demandés par l'acheteur aux fins de vérification de l'aptitude à exercer l'activité professionnelle, de la capacité économique et financière et des capacités techniques et professionnelles du candidat ". Aux termes de son article R. 2144-1 : " L'acheteur vérifie les informations qui figurent dans la candidature, (). Cette vérification est effectuée dans les conditions prévues aux articles R. 2144-3 à R. 2144-5 ". Aux termes de son article R. 2144-3 : " La vérification de l'aptitude à exercer l'activité professionnelle, de la capacité économique et financière et des capacités techniques et professionnelles des candidats peut être effectuée à tout moment de la procédure et au plus tard avant l'attribution du marché ". Aux termes de son article R. 2144-6 : " L'acheteur peut demander au candidat de compléter ou d'expliquer les documents justificatifs et moyens de preuve fournis ou obtenus ".
7. Il résulte de ces dispositions que le pouvoir adjudicateur doit contrôler les garanties professionnelles, techniques et financières des candidats à l'attribution d'un marché public, au vu des documents ou renseignements demandés à cet effet dans les avis d'appel public à concurrence ou dans le règlement de la consultation dans les cas de procédures dispensées de l'envoi de tels avis. Les documents ou renseignements exigés à l'appui des candidatures doivent être objectivement rendus nécessaires par l'objet du marché et la nature des prestations à réaliser. Par ailleurs, le pouvoir adjudicateur n'est pas tenu de fixer dans les avis d'appel public à la concurrence des niveaux minimaux de capacités professionnelles, techniques et financières exigés des candidats. En revanche, lorsqu'il décide de le faire, ces niveaux minimaux sont précisés dans l'avis d'appel public à concurrence ou, en l'absence d'un tel avis, dans les documents de la consultation. Enfin, le juge du référé précontractuel ne peut censurer l'appréciation portée par le pouvoir adjudicateur sur les niveaux de capacité technique exigés des candidats à un marché public, ainsi que sur les garanties, capacités techniques et références professionnelles présentées par ceux-ci, que dans le cas où cette appréciation est entachée d'une erreur manifeste.
8. Le règlement de la consultation du marché en litige dispose, en son article 2 point F que les candidats doivent transmettre les " renseignements permettant à l'acheteur de vérifier l'aptitude à exercer l'activité professionnelle, la capacité économique et financière et les capacités techniques et professionnelles " et doivent notamment produire " une présentation de l'entreprise ou de chaque membre du groupement (moyens matériels et humains mis en œuvre pour la réalisation du marché public ; appréciation des capacités professionnelles, techniques et financières) ". Ce même règlement dispose, en son article 3 point B que " Ne seront pas admis : / () / les candidats dont les capacités techniques, financières et professionnelles paraissent insuffisantes ".
9. Le cahier des charges du marché décrit, en son point C, les travaux comme suit : " / () / Le prestataire sera amené à entretenir des espaces naturels par : / - Suivis/restauration des chemins (priorité 1) ; / - gyrobroyage/débroussaillage (priorité 1 ; / - interventions et suivis sur stations d'espèces invasives ou envahissantes (priorité 1) ; / - restauration/entretien des murets et petit patrimoine (priorité 1) ; / - ramassage des macrodéchets (priorité 2) / () ", sans précision de la ventilation estimée des prestations et travaux selon leur nature.
10. S'il est constant que la société Raynal Pierre-Jean est spécialisée dans les travaux d'élagage, abattage d'arbres, rognage de souches et débroussaillage et ne dispose d'aucune référence d'interventions antérieures portant sur la réalisation ou la restauration de murets en pierres sèches, celle-ci a, en réponse à une demande de précision du pouvoir adjudicateur sur ce point particulier, tenant à l'absence de référence d'intervention sur ces travaux, indiqué que certains de ses salariés disposaient d'une formation de paysagiste et possédaient les compétences nécessaires pour la réalisation de ces travaux, précision qui n'est infirmée par aucune pièce du dossier et dont la teneur n'est au demeurant pas contestée par la société requérante.
11. Eu égard à l'objet et à l'importance du marché, en l'absence de fixation, par le pouvoir adjudicateur, de niveaux minimaux de capacités techniques dans les documents de la consultation, s'agissant en particulier de cette prestation de confection de murets de pierres sèches, et dès lors que l'absence de références relatives à l'exécution de travaux similaires ne peut, à elle-seule, établir l'insuffisance des capacités techniques et professionnelles d'un candidat ni justifier son élimination, le moyen tiré de ce que le syndicat mixte du Parc naturel régional d'Armorique aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en ne rejetant pas la candidature de la société Raynal Pierre-Jean doit être écarté.
Sur les frais liés au litige :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de laisser à chaque partie les frais d'instance exposés et non compris dans les dépens.
O R D O N N E :
Article 1er : La requête de la société Help SARL est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par le syndicat mixte du Parc naturel régional d'Armorique et la société Raynal Pierre-Jean au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Help SARL, au syndicat mixte du Parc naturel régional d'Armorique et à la société Raynal Pierre-Jean.
Fait à Rennes, le 14 mai 2024.
Le juge des référés,
signé
O. ThielenLa greffière,
signé
P. Lecompte
La République mande et ordonne au préfet du Finistère en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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