TA Polynésie f, 16/07/2024, n°2400019


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 15 janvier 2024, des mémoires enregistrés les 5 avril, 24 et 25 mai, 14 juin et 5 juillet 2024 ainsi que des pièces complémentaires enregistrées les 27 mai et 7 juin 2024, la société polynésienne d'interventions électro-mécanique et frigorifique (Spiemef), représentée par la selarl Tang et Dubau, demande au tribunal :

1°) de constater que l'exécution du marché d'exploitation et de maintenance multitechnique conclu entre le centre hospitalier de la Polyésie française (CHPF) et la société Cegelec Vinci facilites n'est pas possible ;

2°) en conséquence, de prononcer l'annulation de ce marché et de son acte d'engagement ;

3°) à tout le moins de prononcer la résiliation de ce marché ;

4°) de mettre à la charge du CHPF et de la société Cegelec Vinci Facilities, pour chacun d'eux, le versement d'une somme de 250 000 F CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir :

En ce qui concerne la recevabilité :

- sa requête est recevable dès lors que l'absence d'allotissement lui interdit de présenter une offre correspondant à son activité ; elle a sollicité de l'établissement hospitalier, le 8 janvier 2024, la communication de l'acte d'engagement signé par les parties contractantes ; en sa qualité de tiers, elle peut, sur le fondement de la jurisprudence Tarn-et-Garonne, contester la validité d'un marché lésant ses intérêts de façon directe et certaine, y compris par d'autres moyens que les irrégularités affectant la procédure de passation du marché ;

- le mail adressé à la société Engie Services Polynésie ne saurait valoir notification à son égard ; en tout état de cause le mail dont le CHPF se prévaut ne mentionne nullement la conclusion d'un contrat ni les modalités de sa consultation ;

En ce qui concerne l'absence de motivation justifiant le refus de procéder à l'allotissement du marché :

- la procédure suivie par le CHPF méconnaît l'article LP. 222-1 du code polynésien des marchés publics ;

- il n'est aucunement démontré par le CHPF qu'il avait, avant de lancer la procédure de consultation par voie d'appel d'offres, identifié les raisons justifiant l'absence d'allotissement ;

- l'absence d'allotissement n'est, d'une part, absolument pas motivé dans le rapport de présentation contrairement aux dispositions de l'article LP. 222-1 du code polynésien des marchés publics et, d'autre part, aucunement justifié au fond dès lors que l'impossibilité d'identifier des prestations distinctes n'est pas démontrée ;

En ce qui concerne le refus injustifié de recourir à l'allotissement :

- le marché de fournitures, d'exploitation et de maintenance multitechnique des installations techniques et des bâtiments du CHPF peut faire l'objet de prestations distinctes et clairement différenciées ; la description des installations mentionnées au point 3.1.2 du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) démontre qu'il est parfaitement possible d'identifier des équipements dont l'entretien peut donner lieu à allotissement ;

- le CHPF dispose de structures distinctes dont certaines sont géographiquement éloignées du site principal et peuvent, pour cette raison, faire l'objet de lots séparés ; le CHPF ne justifie aucunement de l'impossibilité d'assurer par lui-même les missions d'organisation, de pilotage et de coordination ni que la dévolution en lots séparés serait de nature à restreindre la concurrence ou à rendre techniquement difficile et financièrement plus coûteuse l'exécution des prestations ;

- le principe de continuité du service public n'implique pas nécessairement de renoncer à l'allotissement ;

- l'allotissement du marché est techniquement possible ; le CHPF n'établit pas ne pas disposer des compétences techniques pour organiser et coordonner l'exploitation et la maintenance des installations techniques alors qu'il dispose d'un service technique comportant 35 agents ; le CHPF n'apporte aucune précision sur le coût que représente la présence de ces 8,6 équivalent temps plein mis à disposition par la société Cegelec alors qu'il dispose d'un logiciel de gestion de maintenance assistée par ordinateur ; le CHPF pouvait, dans le cadre de l'appel d'offres, prévoir un lot spécifique " coordination et suivi des actions de maintenance " ;

- le CHPF ne fournit aucune comparaison chiffrée entre ce que représente le coût de cette prestation actuellement assurée par la société Cegelec et le supposé surcoût que contraindrait un redéploiement de ses agents sur les missions censées être assurées à temps plein par Cegelec ; en l'absence de précisions sur le coût exact de la prestation assurée par Cegelec il est difficile de démontrer l'existence du surcoût dont le CHPF se prévaut ;

En ce qui concerne la volonté du CHPF de favoriser l'offre de la société Cegelec :

- la société Cegelec était le précédent attributaire de ce marché ; il n'a pas été alloti afin de permettre à cette société, de continuer à assurer la maintenance du centre hospitalier ;

- alors que le CHPF ne justifie pas ne pas être en mesure d'assurer les missions d'organisation, de pilotage et de coordination ni que la dévolution en lots séparés serait de nature à restreindre la concurrence ou à rendre techniquement difficile ou plus coûteuse l'exécution des prestations ; l'absence d'allotissement est en réalité motivée avant tout par le souhait de favoriser la société Cegelec, titulaire des précédents marchés d'entretien et de maintenance, caractérisant ainsi une atteinte grave au principe même de mise en concurrence des marchés publics ;

- une comparaison des organigrammes de la société Cegelec Vinci facilities et du CHPF démontre l'existence d'un conflit d'intérêts entre l'acheteur public et l'opérateur économique retenu ; la directrice des achats, de la logistique, du biomédical, du service technique du patrimoine et le dirigeant de la société Vinci facilities sont conjoints ;

- aux termes d'un rapport du 26 novembre 2018, la chambre territoriale des comptes a adressé trois recommandations à la direction du CHPF, notamment, de proposer au conseil d'administration la mise en œuvre d'une politique d'achat, de mettre en place une commission de déontologie et des outils de comptabilité analytique ; à ce jour aucun document accessible en ligne ne confirme la mise en place d'une commission de déontologie ou de prévention des conflits d'intérêts ; avant même d'être retenue comme titulaire du marché, Cegelec est venue au stade du référé précontractuel au soutien de la position du CHPF. ;

- l'ingénieure en charge de la maintenance multitechnique est placée sous l'autorité hiérarchique de la directrice des achats.

Par des mémoires en défense enregistrés les 26 février, 29 avril, 21 mai et 14 juin 2024 ainsi que des pièces complémentaires enregistrées le 14 juin 2024, le centre hospitalier de la Polynésie française conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 500 000 F CFP soit mise à la charge de la société SPIEMEF.

Il fait valoir :

- à titre principal que la requête de la Sas Spiemef est irrecevable ; en sa qualité de membre d'un groupement dont elle n'est pas mandataire, elle n'a pas qualité pour agir ; la requête est tardive : l'avis d'attribution du marché a été publié le 14 novembre 2023, le délai du recours contentieux expirait donc le 15 janvier 2024, le présent recours introduit le 16 janvier est tardif ;

- subsidiairement qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.

Par des mémoires en défense enregistrés les 20 mars, 30 avril et 14 juin 2024, la société Cegelec, représentée par Me De Gerando, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 750 000 F CFP soit mise à la charge de la société Spiemef au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir :

à titre principal que :

- la requête est irrecevable dès lors que la société Spiemef, qui n'est pas mandataire du groupement, ne justifie pas avoir été autorisée par la société Engie services Polynésie pour engager la présente instance ; le manquement que la société Spiemef invoque, la méconnaissance du principe de l'allotissement, ne l'a pas lésé dès lors qu'elle a bien participé à la procédure de passation comme cotraitante du groupement ; la société SPIEMEF n'est pas un tiers puisqu'elle a participé en qualité de cotraitante d'un groupement à la procédure de passation contestée, elle ne peut écarter cette qualité de candidat évincé dans le cadre de ce groupement ; elle ne produit toujours pas la convention de groupement qui la lie à son mandataire ni l'accord de celui-ci ;

à titre subsidiaire que :

- le moyen invoqué, n'est pas à l'origine de son éviction pas plus que celui tiré de l'absence de motivation du rapport de présentation ;

- il est impossible pour le CHPF d'assurer lui-même les missions d'organisation, de pilotage et de coordination du marché de maintenance ;

- le regroupement des prestations dans le cadre d'un marché global est justifié par l'activité de soins elle-même ;

- les prestations au titre " des équipements électromécaniques ", notamment l'exploitation et la maintenance des ascenseurs et des monte-charges, sont indissociables des autres prestations compte tenu de la variabilité de la fréquence des interventions, des causes multiples à l'origine des interventions, et de l'organisation du titulaire ;

- l'accroissement du coût de l'exécution des prestations qui résulterait d'un allotissement ;

- l'impartialité alléguée n'est pas démontrée ; la société requérante ne démontre pas en quoi elle aurait été lésée ;

- la circonstance que la directrice des services techniques du CHPF vive en concubinage avec un dirigeant de Cegelec n'est pas de nature à établir l'impartialité alléguée ; le dirigeant de la société Cegelec n'est pas le concubin de la directrice.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;

- le code polynésien des marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Boumendjel, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Theulier de Saint-Germain, rapporteur public,

- les observations de Me Lenoir pour la société Spiemef, celles de Mme A représentant le CHPF et celles de Me Quinquis pour la société Cegelec Polynésie.

Considérant ce qui suit :

1. Le centre hospitalier de la Polynésie française (CHPF) a engagé une procédure d'appel d'offres ouvert par un avis d'appel public à la concurrence publié le 16 juin 2023 en vue de la passation d'un marché public de prestations de fournitures et services pour l'exploitation et la maintenance multitechnique des installations techniques et des bâtiments du CHPF situés sur la commune de Pirae, sur le site dit " B ". Ce marché comprenait deux parties, la première, forfaitaire, pour les maintenances de type P2 (conduite, surveillance, maintenance préventive, maintenance curative, astreinte, remplacement de petites pièces et reconstitution du stock pour les pièces inférieures au seuil de prix définis dans le CCAP) et P3 (garantie totale des équipements, gros entretien, renouvellement et remplacement des pièces, reconstitution du stock de pièces détachées) et une partie à bons de commande pour les prestations complémentaires, hors forfait, pour les maintenances de type P5 (travaux sur les équipements techniques lors de chantiers de rénovation ou de modification des réseaux techniques existants : climatisation, contrôle d'accès, vidéosurveillance, sécurité incendie, GTC). Ce marché prévu pour cinq ans, comportait également une option concernant l'exploitation et la maintenance du pôle de santé mentale (PSM), bâtiments voisins du centre hospitalier. La société Cegelec Polynésie (Cegelec) a été déclarée attributaire de ce marché et le contrat notifié le 25 octobre 2023. Par la présente requête, la société Spiemef demande au tribunal d'annuler ce marché ou d'en constater l'invalidité et d'en prononcer la résiliation.

Sur le recours en contestation de validité du contrat :

2. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu'au représentant de l'Etat dans le département dans l'exercice du contrôle de légalité. Si le représentant de l'Etat dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l'appui du recours ainsi défini, les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office.

3. Saisi par un tiers dans les conditions définies ci-dessus, de conclusions contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses, il appartient au juge du contrat, après avoir vérifié que l'auteur du recours autre que le représentant de l'Etat dans le département ou qu'un membre de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné se prévaut d'un intérêt susceptible d'être lésé de façon suffisamment directe et certaine et que les irrégularités qu'il critique sont de celles qu'il peut utilement invoquer, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences. Ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice du consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci. Il peut enfin, s'il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu'il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice découlant de l'atteinte à des droits lésés.

4. En premier lieu, aux termes de l'article LP. 222-1 du code polynésien des marchés publics : " I. - Sous réserve des dispositions prévues à l'article LP 326-1 relatives aux marchés de conception-réalisation, les marchés publics sont passés en lots séparés, sauf si leur objet ne permet pas l'identification de prestations distinctes. A cette fin, les acheteurs déterminent le nombre et l'objet des lots en tenant compte, notamment, des caractéristiques techniques des prestations demandées, de la structure du secteur économique en cause, des règles applicables à certaines professions ou du lieu d'exécution () II - Les acheteurs sont dispensés de l'obligation d'allotir un marché public s'ils ne sont pas en mesure d'assurer par eux-mêmes les missions d'organisation, de pilotage et de coordination ou si la dévolution en lots séparés est de nature à restreindre la concurrence ou risque de rendre techniquement difficile ou financièrement plus coûteuse l'exécution des prestations. / Dans ce cas, l'acheteur public motive son choix dans le rapport de présentation mentionné à l'article LP 331-1. ". L'article LP. 331-1 du même code dispose : " L'autorité compétente établit un rapport de présentation pour : 1° tout projet de marché passé selon l'une des procédures formalisées définies au présent code ; 2° tout projet d'avenant à ces marchés ; 3° tout projet de marché passé selon une procédure négociée sans publicité et sans mise en concurrence dans les cas mentionnés à l'article LP 323-10. Ce rapport comporte en particulier les éléments concernant le contexte et l'économie générale de la consultation, les étapes de la procédure de passation, les décisions prises s'agissant des candidatures et des offres reçues, les informations relatives à l'offre retenue et à l'attributaire ou celles relatives à la renonciation à la conclusion du marché public. Pour tout projet d'avenant, ce rapport comporte notamment la justification de sa conclusion ainsi que son incidence sur le marché. Le contenu du rapport de présentation est précisé par arrêté pris en conseil des ministres. Lorsque l'acheteur public est soumis à un contrôle public de ses marchés, ce rapport est communiqué en même temps que le marché aux instances chargées du contrôle des marchés ".

5. Contrairement à ce que soutient la société requérante, la décision du CHPF de ne pas allotir le marché de maintenance multitechnique des installations techniques et des bâtiments du CHPF est, conformément aux dispositions précitées, explicitée et motivée à l'article 2.3.3 du rapport de présentation de ce marché. Par suite et en tout état de cause ce moyen doit être écarté.

6. En deuxième lieu, la société requérante soutient, d'une part, que la décision de ne pas allotir ce marché méconnaît les dispositions de l'article LP. 222-1 du code polynésien des marchés publics cité au point 4 et, d'autre part, que l'absence d'allotissement a été de nature à particulièrement la léser dans la mesure où elle n'a pas été mise à même de soumissionner dans sa spécialité, la mise en place et l'entretien des ascenseurs et autres appareils électromécaniques. Il est constant que le CHPF a décidé de reconduire un marché global afin d'assurer la maintenance multitechnique des installations techniques et des bâtiments du CHPF situé sur la commune de Pirae, sur le site dit " B ".

7. A cet égard, le CHPF fait valoir que le choix de ne pas allotir ce marché et ce de façon inchangée depuis l'ouverture de l'hôpital sur le site B est lié aux difficultés que présenterait un allotissement au regard de ses capacités techniques et financières à réaliser par lui-même l'organisation, le pilotage et la coordination des prestations. Il résulte de l'instruction que l'établissement hospitalier est réparti sur plusieurs sites pour une surface de plancher d'environ 90 000 m² répartie sur 5 niveaux. La maintenance, objet du présent marché, porte sur 15 000 équipements dans un site qui accueille quotidiennement plus de 1 500 personnes, réparties dans 38 services de soins. La maintenance de ces 15 000 équipements, souvent imbriqués les uns aux autres, implique une coordination rigoureuse des prestataires en raison de la complexité des opérations et de l'impératif de continuité des soins, souvent en urgence, auquel est soumis l'établissement. En 2023, 27 461 actions de maintenance préventive et d'interventions ont été planifiées dont 760 concernaient la famille des équipements électromécanique. Compte tenu de la criticité de l'activité, le prestataire de maintenance multitechnique doit pouvoir, indépendamment du volume quotidien d'interventions à réaliser, déployer en toute circonstance très rapidement des équipes. En outre, une entreprise générale, disposant d'une équipe sur site, est plus à même, en offrant un interlocuteur unique au CHPF, d'assumer les fortes contraintes de sécurisation alors qu'il ne dispose pas des compétences nécessaires en interne permettant de le regarder comme étant en mesure d'assurer par lui-même les missions d'organisation, de pilotage et de coordination requises. A cet égard, l'effectif limité du service technique (35 agents) de l'établissement hospitalier, qui ne comporte que deux agents de catégorie A et six agents de catégorie B, ne lui permettrait pas d'assurer, sauf à le renforcer significativement, la coordination de l'activité de plusieurs entreprises intervenantes. Un tel renforcement aurait nécessairement pour effet de rendre financièrement plus coûteuse l'exécution du marché. Dans ces conditions, la décision de ne pas allotir le marché ne peut être regardée comme étant entachée d'une appréciation erronée des inconvénients d'une dévolution en lots séparés.

8. En troisième lieu, au nombre des principes généraux du droit qui s'impose au pouvoir adjudicateur comme autorité administrative figure le principe d'impartialité. Ce principe implique l'absence de situation de conflit d'intérêts au cours de la procédure de sélection du titulaire du contrat. L'existence d'une situation de conflit d'intérêts au cours de la procédure d'attribution du marché est constitutive d'un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence susceptible d'entacher la validité du contrat. Eu égard à sa nature, la méconnaissance du principe d'impartialité et par elle-même constitutive d'un vice d'une particulière gravité justifiant l'annulation du contrat, sans qu'il soit besoin de relever une attention de la part du pouvoir adjudicateur de favoriser un candidat.

9. La société requérante établit par les pièces qu'elle produit que la directrice des achats, de la logistique, du biomédical, du service technique et du patrimoine est la conjointe d'un dirigeant de la société Cegelec, société attributaire du marché. Toutefois, cette circonstance, à elle seule, n'est pas de nature à caractériser l'existence d'un manquement au principe d'impartialité alors que le CHPF fait valoir que la requérante n'a participé ni à l'élaboration des documents du marché, qui a été confiée à un prestataire extérieur, ni à la sélection des candidats. Sur ce dernier point, il ressort des procès-verbaux de la commission d'appel d'offres des 18 août et 10 octobre 2023, qui a été appelée à sélectionner l'attributaire du marché en litige, que la directrice des achats n'était pas membre de cette commission et n'avait ainsi ni voix délibérative ni voix consultative. En outre, il ressort également de la décision n° 170-2024 DIR/CHPF du 15 mars 2004 portant délégation de signature à la directrice des achats, de la logistique du biomédical, du service technique et du patrimoine qu'elle ne dispose d'aucune délégation en matière de maintenance. A cet égard, il résulte de l'instruction que le suivi de la maintenance multitechnique est assuré par l'adjointe de la directrice des achats, laquelle ne disposait pas d'une voix délibérative lorsque la commission d'appel d'offres a retenu l'offre présentée par la société Cegelec. Par ailleurs, il ressort des différentes pièces produites que le CHPF a pris les mesures nécessaires pour prévenir le conflit d'intérêt allégué en demandant à la société Cegelec de remplacer le responsable technique et administratif du marché et a écarté la directrice des achats des procédures pour lesquelles un potentiel conflit d'intérêts pouvait exister. Complémentairement à ces mesures, la mise en place d'une commission de déontologie, d'un référent déontologue, d'une charte de déontologie et la diffusion aux personnels d'une note d'information sont de nature à prévenir les situations de conflits d'intérêt en permettant, notamment, aux agents d'interroger un référent déontologue. Ainsi, ces différentes mesures sont de nature à garantir l'indépendance de l'ingénieure en charge de la maintenance dans ses relations avec l'entreprise alors même que celle-ci exerce sous l'autorité de la directrice des achats. Par suite, le moyen tiré d'un manquement à l'obligation d'impartialité du pouvoir adjudicateur doit être écarté.

10. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur sa recevabilité, la requête de la société Spiemef doit être rejetée y compris ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de la société Spiemef une somme de 150 000 F CFP à verser à la société Cegelec au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées sur ce fondement par le CHPF, qui n'a pas constitué avocat et ne justifie pas avoir engagé de frais spécifiques pour la présente procédure

D E C I D E :

Article 1er : La requête présentée par la SAS Spiemef est rejetée.

Article 2 : La SAS Spiemef versera à la société Cegelec une somme de 150 000 F CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions présentées par le CHPF au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la société polynésienne d'interventions électro-mécanique et frigorifique (Spiemef), à la société Cegelec Polynésie et au centre hospitalier de la Polynésie française.

Délibéré après l'audience du 9 juillet 2024, à laquelle siégeaient :

M. Devillers, président,

M. Graboy-Grobesco, premier conseiller,

M. Boumendjel, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 juillet 2024.

Le rapporteur,

M. Boumendjel

Le président,

P. DevillersLa greffière,

D. Oliva-Germain

La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

Un greffier,

N°2400019