CAA de Toulouse, 19 décembre 2023, n°22TL00596
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée B Technologies, représentée par Mme A B, sa gérante, a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner l'État, à titre principal, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, à lui verser la somme de 30 222 euros en réparation du préjudice financier et 27 000 euros en réparation des préjudices subis par sa gérante dans le cadre de l'exécution d'un marché public conclu avec le rectorat de l'académie de Montpellier et, à titre subsidiaire, sur le fondement de la responsabilité quasi-contractuelle, à lui verser la somme de 29 700 euros en remboursement de dépenses utiles et une somme de 27 000 euros en réparation des préjudices subis par sa gérante.
Par un jugement n° 1901333 du 20 décembre 2021, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée devant la cour administrative d'appel de Marseille, le 17 février 2022, puis devant la cour administrative d'appel de Toulouse, la société B Technologies, représentée par Me Bautès, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Montpellier du 20 décembre 2021 ;
2°) de condamner l'État, à titre principal, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, à lui verser une somme de 29 700 euros correspondant au règlement de prestations facturées le 20 août 2018, cette somme devant être assortie des intérêts moratoires, et une somme de 27 000 euros à Mme B, sa gérante, en réparation des préjudices subis dans le cadre de l'exécution d'un marché public conclu avec le rectorat de l'académie de Montpellier et, à titre subsidiaire, de trancher le litige sur le fondement de la responsabilité quasi-contractuelle, en condamnant l'État à lui verser respectivement une somme de 29 700 euros en remboursement de dépenses utiles et celle de 27 000 euros en réparation des préjudices subis par sa gérante ;
3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- à titre principal, elle est fondée à engager la responsabilité contractuelle de l'État en vue d'obtenir le règlement des prestations informatiques réalisées au bénéfice du rectorat de l'académie de Montpellier dès lors qu'elle a conclu un marché public avec ce dernier et qu'il lui a été oralement demandé de poursuivre ses prestations contractuelles jusqu'au mois de juillet 2018 pour un total de 55 jours entre le 12 avril et le 12 juillet 2018, soit un montant total de 24 750 euros hors taxes ;
- la réalisation de ces prestations est, notamment, attestée, d'une part, par la liste des demandes saisies par le rectorat dans le logiciel informatique intitulé " Jira ", lequel décrit l'ensemble des tâches qui ont été demandées par le pouvoir adjudicateur et mentionne leur état d'achèvement, d'autre part, par quatre agents du rectorat, et, enfin, par la circonstance que Mme B a conservé un badge d'accès aux bâtiments sécurisés du rectorat et aux serveurs nationaux contenant de nombreuses données sensibles ;
- elle est fondée à réclamer l'indemnisation de ses préjudices dans les conditions suivantes :
* 29 700 euros hors taxes au titre du règlement de la facture émise le 20 août 2018 correspondant à la réalisation de prestations logicielles, cette somme devant être assortie des intérêts moratoires au taux de 8 %, évalués à la somme de 522 euros ;
* 24 000 euros au titre du préjudice financier subi par Mme B, gérante de la société, qui s'est trouvée contrainte à utiliser toutes les ressources dont elle disposait sur son compte personnel entre le mois d'août et de décembre 2018 pour faire face à ses charges professionnelles et personnelles ;
* 3 000 euros au titre du préjudice moral subi par Mme B ;
- à titre subsidiaire, si l'existence d'un contrat verbal conclu avec le pouvoir adjudicateur n'était pas retenue, elle est fondée à ce que le litige soit tranché sur le fondement de la responsabilité quasi-contractuelle de l'État, en particulier sur le terrain de l'enrichissement sans cause ;
- c'est à tort que le tribunal a jugé qu'il existait une situation de conflit d'intérêts et une fraude entre Mme B et son compagnon, de nature à faire obstacle à une indemnisation sur le fondement de l'enrichissement sans cause en se fondant sur une simple convocation de ces derniers devant le tribunal correctionnel et ce, en méconnaissance du principe à valeur constitutionnelle de la présomption d'innocence ;
- elle est fondée à réclamer l'indemnisation de ses préjudices sur le fondement de l'enrichissement sans cause dans les conditions suivantes :
* 29 700 euros à verser à la société B Technologies en remboursement des dépenses qui ont été utiles au rectorat ;
* 24 000 euros et 3 000 euros respectivement au titre des préjudices financier et moral subis par Mme B.
Par un mémoire en défense, enregistrés le 5 mai 2023, la rectrice de l'académie de Montpellier conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- la responsabilité contractuelle de l'Etat ne saurait être engagée dès lors que les prestations en litige ne reposent sur aucun contrat écrit ou oral, le marché à bons de commande EQ_NAT_17_03, notifié le 28 avril 2017, ayant pris fin le 11 avril 2018 ;
- le tableau de tâches dont se prévaut la société appelante pour démontrer qu'elle a réalisé des prestations est dépourvu de valeur probante ;
- les attestations produites par la société appelante ne permettent pas davantage de démontrer l'existence d'une commande passée par ses services ;
- il n'existe aucun lien de causalité entre l'existence d'une prétendue faute contractuelle et le préjudice subi ;
- le préjudice allégué par la société B Technologies n'est pas établi ;
- le préjudice allégué par Mme B ne présente aucun lien avec la faute invoquée ; cette dernière constituant, de surcroît, une personne juridique distincte de la société B Technologies ;
- la responsabilité de l'État n'est pas davantage engagée sur le fondement quasi-contractuel en l'absence d'enrichissement sans cause de la société appelante, laquelle ne démontre, ainsi que cela lui incombe, ni la réalité ni le caractère utile des prestations dont elle réclame l'indemnisation pas plus qu'elle n'établit l'existence d'un appauvrissement correspondant à un enrichissement équivalent de l'État ;
- en tout état de cause, si la cour devait considérer que la société appelante a bien réalisé des prestations après le 11 avril 2018, soit après le terme du contrat dont elle était titulaire, ces tâches relèvent d'opérations de correction mineures sur l'application " RAMSESE ", de simples adaptations à la marge et d'opérations de vérification, de mises à jour et de maintenance dont le caractère utile, indispensable ou urgent n'est pas démontré de sorte qu'aucune indemnisation ne peut être accordée à Mme B qui n'a pas la qualité d'appauvrie ayant engagé des dépenses utiles ;
- il est apparu que le compagnon de Mme B a facilité l'obtention du marché public en litige par la société B Technologies dont celle-ci était la gérante, ces éléments l'ayant conduite à déclarer ce marché sans suite pour motif d'intérêt général et à saisir le procureur de la République, ce qui a donné lieu à l'ouverture d'une procédure judiciaire à leur endroit ;
- ces éléments caractérisent un manquement aux principes de la commande publique, une situation de conflit d'intérêts et révèlent des manœuvres dolosives constitutifs d'une faute de la société appelante de nature à exclure toute responsabilité de l'État.
Par une ordonnance du 18 avril 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 30 mai 2023, à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la commande publique ;
- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 ;
- le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme El Gani-Laclautre, rapporteure,
- et les conclusions de Mme Perrin, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un acte d'engagement du 20 avril 2017, le recteur de l'académie de Montpellier a conclu avec la société B Technologies un accord-cadre non reconductible de fourniture de prestations d'assistance à l'élaboration d'architectures logicielles pour le bureau des missions nationales de la direction des services d'information et de la modernisation du rectorat de Montpellier. Le marché a été conclu sans minimum et avec un montant maximum de 130 000 euros hors taxes pour une durée totale de douze mois prenant effet à compter de la date de notification du marché. Une nouvelle procédure d'appel d'offres a été lancée au mois de mai 2018 à l'issue de laquelle quatre candidats, parmi lesquels figurait la société précitée, ont présenté des offres. Ce marché a toutefois été déclaré sans suite pour motif d'intérêt général par le pouvoir adjudicateur, le 19 juillet 2018. La société B Technologies, qui se prévalait de la réalisation de prestations d'expertise durant une période de 55 jours entre le 12 avril et le 12 juillet 2018 en a sollicité le paiement auprès des services du rectorat en se prévalant d'une facture émise, le 20 août 2018, pour un montant de 29 700 euros toutes taxes comprises. Par une lettre du 12 décembre 2018, reçue le 13 décembre suivant, la société a saisi le rectorat d'une réclamation laquelle a été implicitement rejetée. La société B Technologies relève appel du jugement du 20 décembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à ce que l'État soit condamné, à titre principal, sur le fondement contractuel et, à titre subsidiaire, sur le fondement de l'enrichissement sans cause, à l'indemniser des préjudices qu'elle estime avoir subis, ainsi que sa gérante, du fait de l'absence de règlement de prestations logicielles réalisées entre le 12 avril et le 12 juillet 2018.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la responsabilité contractuelle de l'État :
2. D'une part, aux termes de l'article 4 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, alors en vigueur : " () Les accords-cadres sont les contrats conclus par un ou plusieurs acheteurs soumis à la présente ordonnance avec un ou plusieurs opérateurs économiques ayant pour objet d'établir les règles relatives aux bons de commande à émettre ou les termes régissant les marchés subséquents à passer au cours d'une période donnée, notamment en ce qui concerne les prix et, le cas échéant, les quantités envisagées () ". L'article 78 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, alors en vigueur, dispose que : " I. - Les acheteurs peuvent conclure des accords-cadres définis à l'article 4 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 susvisée avec un ou plusieurs opérateurs économiques. () /. Lorsque l'accord-cadre fixe toutes les stipulations contractuelles, il est exécuté au fur et à mesure de l'émission de bons de commande dans les conditions fixées à l'article 80. () / II. - Les accords-cadres peuvent être conclus :/ 1° Soit avec un minimum et un maximum en valeur ou en quantité ; (). / III. - La durée des accords-cadres ne peut dépasser quatre ans pour les pouvoirs adjudicateurs (), sauf dans des cas exceptionnels dûment justifiés (). / IV. - Les marchés subséquents et les bons de commande sont conclus ou émis entre les acheteurs identifiés à cette fin dans l'avis d'appel à la concurrence, dans l'invitation à confirmer l'intérêt ou, en l'absence d'un tel avis ou d'une telle invitation, dans un autre document de la consultation, et le ou les opérateurs économiques titulaires de l'accord-cadre. / Ils ne peuvent être conclus ou émis que durant la période de validité de l'accord-cadre. Leur durée d'exécution est fixée conformément aux conditions habituelles d'exécution des prestations faisant l'objet de l'accord-cadre. L'acheteur ne peut fixer une durée telle que l'exécution des marchés subséquents ou des bons de commande se prolonge au-delà de la date limite de validité de l'accord-cadre dans des conditions qui méconnaissent l'obligation d'une remise en concurrence périodique ". L'article 80 de ce même décret précise que : " Les bons de commande sont des documents écrits adressés aux titulaires de l'accord-cadre qui précisent celles des prestations, décrites dans l'accord-cadre, dont l'exécution est demandée et en déterminent la quantité. / L'émission des bons de commande s'effectue sans négociation ni remise en concurrence préalable des titulaires, selon des modalités prévues par l'accord-cadre ".
3. D'autre part, lorsque les parties soumettent au juge un litige relatif à l'exécution du contrat qui les lie, il incombe en principe à celui-ci, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, de faire application du contrat. Toutefois, dans le cas seulement où il constate une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, il doit écarter le contrat et ne peut régler le litige sur le terrain contractuel.
4. Aux termes de l'article B5 de l'acte d'engagement, le marché en litige prévoit une durée d'exécution totale de douze mois, prenant effet à la date de notification du marché au candidat retenu, intervenue le 20 avril 2017. Dès lors qu'il n'est pas démontré qu'il aurait pris fin avant son terme, notamment par l'effet d'une mesure de résiliation, le marché en litige doit être regardé comme ayant pris fin le 19 avril 2018 à minuit et non le 11 avril 2018 comme l'indique la rectrice de l'académie de Montpellier dans ses écritures, sans toutefois l'établir. De même, en l'absence d'émission d'un bon de commande formalisé par écrit dans les conditions prévues par les dispositions précitées de l'article 80 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics, les prestations que la société B Technologies soutient avoir exécutées, sans être contredite, sur la période comprise entre le 12 avril et le 12 juillet 2018 et dont elle demande l'indemnisation peuvent être considérées comme ayant eu lieu, au moins pour partie, durant la période d'exécution du marché en litige et l'examen de leur bien-fondé, doit, dès lors, en principe, être opéré sur le terrain contractuel.
5. Il résulte de l'instruction, en particulier des attestations circonstanciées et concordantes émanant de deux cheffes de projet informatique, d'une développeuse d'application web et d'un chef de produit, dénommé " product owner ", affectés au sein du bureau des missions nationales de la direction des systèmes d'information et de l'innovation du rectorat de Montpellier que la gérante de la société B Technologies était physiquement présente dans les locaux de cette direction du 12 avril au 12 juillet 2018 en qualité d'experte technique, qu'elle disposait d'un badge d'accès, d'un bureau dédié et d'une habilitation informatique pour accéder aux locaux et au réseau informatique sécurisés de ce service. Il résulte de ces mêmes attestations, premièrement, que la gérante de la société appelante avait accès aux environnements de production et aux serveurs de développement des logiciels en cours de développement, dont le logiciel " RAMSESE", deuxièmement, qu'elle était présente aux différentes réunions de travail des équipes projet, troisièmement, que le responsable de ce bureau, qui avait accès à son activité sur l'application " Jira " a indiqué en présence de ses équipes que ces prestations seraient régularisées par la conclusion d'un contrat, quatrièmement, que les prestations qui lui étaient demandées, qui correspondent à plus de 50% à des avancement en développements sur l'application " RAMSESE " ont toutes été retracées dans le logiciel de suivi des tickets et projets dénommé " Jira ", testées par l'équipe projet puis livrées en partie en production et, enfin, cinquièmement qu'elle avait même obtenu l'autorisation d'accomplir ses missions en télétravail au moyen d'une clé sécurisée lui permettant de se connecter à distance aux serveurs informatiques internes du rectorat. Il résulte également de l'instruction, en particulier de la liste des demandes de tâches retracées sur l'application de suivi " Jira " que de nombreuses prestations logicielles ont été assignées à la société B Technologies sur la période comprise entre le 12 avril et le 19 avril 2018 puis jusqu'au 12 juillet 2018 par la direction des systèmes d'information et de l'innovation, le rectorat de l'académie de Montpellier se bornant à opposer l'absence de valeur probante de ce document ainsi que le caractère mineur des tâches qui ont été attribuées à cette société sans assortir ses allégations de précisions alors qu'il exploite le logiciel de suivi " Jira ". Par suite, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, il peut être tenu pour établi que la société B Technologies a, à la demande du pouvoir adjudicateur qui n'a pas émis de bon de commande mais lui a assuré qu'il procéderait à une régularisation, exécuté des prestations logicielles jusqu'au terme du marché qui les liait et, postérieurement au terme de ce marché, jusqu'au 12 juillet 2018.
6. Toutefois, il résulte de l'instruction et n'est pas sérieusement contesté, d'une part, que la société B Technologies a été attributaire, depuis l'année 2012, de cinq marchés publics de services dont la procédure de passation a été lancée par le rectorat de l'académie de Montpellier, au rang desquels figure le contrat en litige et, d'autre part, que la direction des systèmes d'information et de l'innovation du rectorat de l'académie de Montpellier a été son seul client entre 2011 et 2018. Il résulte également de l'instruction que le compagnon et père de l'enfant de Mme B, gérante de la société appelante, occupait l'emploi de responsable du pôle développement au sein du bureau des missions nationales de la direction des systèmes d'information et de l'innovation du rectorat depuis le 15 septembre 2011, qu'il avait sous son autorité l'équipe projet pour le compte de laquelle opérait la société appelante et qu'il a pris part de manière active à la procédure d'attribution du marché en litige. À cet égard, il résulte des termes clairs et non équivoques contenus dans les courriels échangés les 26 avril et 26 juin 2018 entre la cellule des achats académiques et le concubin de Mme B, que non seulement ce dernier a rédigé le cahier des clauses administratives particulières et le cahier des clauses techniques particulières du marché en litige mais que, surtout, il a rédigé le rapport d'analyse des offres classant l'offre de la société appelante en première position alors qu'il existait un faible écart de notation avec la deuxième offre et que son offre était la plus onéreuse. Ces éléments précis et concordants, dont la matérialité n'est pas sérieusement contredite, ont alors alerté le rectorat de l'académie de Montpellier qui a, dès lors, déclaré sans suite pour motif d'intérêt général la procédure de passation de ce marché, par une décision du 19 juillet 2018 en raison des irrégularités affectant la procédure de consultation et adressé, le 29 juin précédent un signalement au procureur de la République lequel a donné lieu à la convocation de la gérante de la société appelante et de son compagnon devant le tribunal judiciaire de Montpellier le 11 mars 2021 dans le cadre d'une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité pour des faits de prise illégale d'intérêts et de recel fonds provenant d'une prise illégale d'intérêts. Indépendamment des suites pénales réservées à cette procédure judiciaire, les manœuvres ainsi employées par la société appelante, matérialisées par la collusion frauduleuse entre sa gérante et le compagnon de cette dernière et dont elle ne conteste pas la réalité, sont constitutives d'un dol et d'une fraude de nature à caractériser un vice d'une particulière gravité tenant aux conditions dans lesquelles le pouvoir adjudicateur a donné son consentement. Par suite, indépendamment de l'existence d'un contrat conclu postérieurement à la durée du marché en litige, c'est à bon droit que le tribunal a écarté le contrat et réglé le litige sur le terrain extra-contractuel.
En ce qui concerne l'enrichissement sans cause :
7. D'une part, l'entrepreneur dont le contrat est écarté peut prétendre, y compris en cas d'annulation du contrat par le juge du référé contractuel, sur un terrain quasi-contractuel, au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s'était engagé. Les fautes éventuellement commises par l'intéressé antérieurement à la signature du contrat sont sans incidence sur son droit à indemnisation au titre de l'enrichissement sans cause de la collectivité, sauf si le contrat a été obtenu dans des conditions de nature à vicier le consentement de l'administration, ce qui fait obstacle à l'exercice d'une telle action.
8. D'autre part, au nombre des principes généraux du droit qui s'imposent au pouvoir adjudicateur comme à toute autorité administrative figure le principe d'impartialité, qui implique l'absence de situation de conflit d'intérêts au cours de la procédure de sélection du titulaire du contrat. Aux termes du 5° du I de l'article 48 de l'ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics, applicable au marché litigieux, désormais codifié à l'article L. 2141-10 du code de la commande publique : " Constitue une situation de conflit d'intérêts toute situation dans laquelle une personne qui participe au déroulement de la procédure de passation du marché public ou est susceptible d'en influencer l'issue a, directement ou indirectement, un intérêt financier, économique ou tout autre intérêt personnel qui pourrait compromettre son impartialité ou son indépendance dans le cadre de la procédure de passation du marché public ". L'existence d'une situation de conflit d'intérêts au cours de la procédure d'attribution du marché est constitutive d'un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence susceptible d'entacher la validité du contrat.
9. Si la société B Technologies soutient avoir exposé des dépenses utiles pour le rectorat de l'académie de Montpellier en réalisant des prestations logicielles sur la période comprise entre le 12 avril et le 12 juillet 2018, les manœuvres frauduleuses et dolosives auxquelles elle s'est livrée, dans les conditions rappelées au point 6, par le truchement de sa gérante et du concubin de cette dernière, lequel s'est clairement trouvé en situation de conflit d'intérêts, sont, par leur gravité, de nature à établir que le contrat en litige a été obtenu dans des conditions de nature à vicier le consentement de l'administration, ce qui fait obstacle à l'exercice d'une action fondée sur l'enrichissement sans cause et sont, ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal, de nature à exclure son droit à obtenir le remboursement des dépenses qu'elle aurait exposées au profit du rectorat, à les supposer utiles, pour la période comprise dans la période d'exécution du contrat et au-delà du terme de ce contrat.
10. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité des conclusions à fin d'indemnisation présentées au nom de sa gérante, la société B Technologies n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.
DÉCIDE:
Article 1 : La requête de la société B Technologies est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée B Technologies et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.
Copie en sera adressée à la rectrice de l'académie de Montpellier.
Délibéré après l'audience du 5 décembre 2023, à laquelle siégeaient :
M. Rey-Bèthbéder, président,
M. Bentolila, président-assesseur,
Mme El Gani-Laclautre, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 décembre 2023.
La rapporteure,
N. El Gani-LaclautreLe président,
É. Rey-Bèthbéder
La greffière,
C. Lanoux
La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.