CAA Lyon, 06/07/2023, n°22LY03584

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La SAS Terragr'eau a demandé au tribunal administratif de Grenoble, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner la Communauté de communes du Pays d'Evian Vallée d'Abondance (CCPEVA) à lui verser une provision de 455 718 euros HT, outre intérêts moratoires à compter du 20 juillet 2022, capitalisés, en indemnisation des sujétions qu'elle a rencontrées au cours de l'exercice 2020 dans l'exploitation de l'unité de compostage et de méthanisation qui lui a été concédée pour une durée de quinze ans.

Par ordonnance n° 2204559 du 21 novembre 2022, la juge des référés du tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et un mémoire enregistrés le 2 décembre 2022 et le 21 février 2023, la SAS Terragr'eau, représentée par Me Cadoz, demande à la cour :

1°) d'annuler cette ordonnance et de condamner la CCPEVA à lui verser une provision de 455 718 euros HT, outre intérêts moratoires à compter du 20 juillet 2022, capitalisés ;

2°) de mettre à la charge de la CCPEVA une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1.

Elle soutient que :

- sa créance présente un caractère non sérieusement contestable, dès lors qu'il est établi soit que l'autorité délégante a commis une faute dans la définition des besoins à satisfaire en intégrant a postériori les bio-déchets et huiles végétales au nombre des matières à méthaniser, en omettant d'indiquer la teneur en eau des intrants agricoles et en communiquant des données manifestement erronées des intrants à collecter mensuellement, soit qu'il devait être recouru à l'article 33 du contrat de concession permettant de renégocier la rémunération du délégataire afin de rétablir l'équilibre économique de l'exploitation ;

- la perte de recettes indemnisable résultant du défaut de méthanisation des huiles alimentaires usagées et des bio-déchets s'élève à 73 178 euros HT, la perte d'exploitation résultant d'eaux parasites dans les intrants agricoles s'élève à 83 754 euros HT, la perte de méthanisation liée à l'irrégularité de la collecte d'intrants s'élève à 148 953 euros HT ;

- les charges supplémentaires exposées pour traiter l'eau contenues dans les intrants agricoles se sont élevées à 27 832 euros HT pour le personnel, 7 367 euros HT pour le carburant, 54 634 euros HT pour l'alimentation énergétique du digesteur, 60 000 euros HT de frais d'acquisition d'huiles usagées extérieures ;

- une somme de 4 332 euros doit lui être versée au titre du résultat d'exploitation annuel.

Par mémoires enregistrés le 8 février 2023 et le 31 mars 2023, la CCPEVA, représentée par Me Landot, conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de la SAS Terragr'eau une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- il ressort de l'avis émis, le 14 janvier 2022, par la commission de conciliation que le délégataire s'engage à renoncer à toute indemnité de perte de bénéfices ;

- la créance litigieuse est sérieusement contestable dès lors que, d'une part, l'ouverture à la méthanisation des huiles usagées relève d'un choix du délégataire, d'autre part, qu'elle n'a manqué à aucune disposition du code général des collectivités territoriales, alors applicable, en matière de définition des besoins à satisfaire alors en outre que les données communiquées lors de l'appel à concurrence se rapportaient à ces intrants bruts et que la teneur en eau alléguée n'est pas démontrée, enfin, que les données sur le rythme de collecte des intrants agricoles n'étaient qu'indicatives ;

- l'article 33 du contrat de concession ne trouve pas à s'appliquer, faute de droit à renégociation et de refus illégal d'y recourir ;

- subsidiairement, le chiffrage des postes de préjudice ne repose sur aucun élément vérifiable.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

Sur les conclusions à fin de provision :

1. Par acte d'engagement du 29 janvier 2014 modifié par avenant du 11 juillet suivant, la CCPEVA a délégué, pour une durée de quinze ans, à la société Terragr'eau la conception, la construction et l'exploitation d'une unité de compostage et de méthanisation, mise en service en 2017. Confrontée à la persistance sur l'exercice 2020 de difficultés d'exploitation qu'elle impute tant à une mauvaise définition des caractéristiques du service qu'à une rupture de l'économie du contrat, la société Terragr'eau, après saisine de la commission de conciliation prévue par l'article 56 du traité de concession, a demandé au tribunal administratif de Grenoble de condamner la CCPEVA à lui verser une provision de 455 718 euros HT en indemnisation de pertes de recettes et de charges supplémentaires d'exploitation. Elle relève appel de l'ordonnance par laquelle la juge des référés du tribunal a rejeté sa demande.

En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée en défense :

2. Il ne résulte pas de l'instruction que les préconisations émises, le 14 janvier 2022, par la commission de conciliation aient donné lieu à transaction. Il suit de là que l'engagement du délégataire de renoncer à toute demande afférente à l'indemnisation des pertes de bénéfices, évoqué dans cet avis, n'a pu acquérir l'autorité de chose transigée qui aurait fait obstacle à la recevabilité de demande présentée au tribunal.

En ce qui concerne la faute de l'autorité délégante :

3. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable () ".

S'agissant du sous-emploi de la méthanisation des huiles alimentaires usagées et des bio-déchets :

4. Aux termes du premier alinéa de l'article 17.3 du traité de concession litigieux, porté à connaissance des soumissionnaires dans le dossier d'appel public à concurrence : " Cas particuliers des biodéchets non carnés et des huiles alimentaires usagées (HAU) - Le délégataire est tenu d'accepter et de traiter sur le site les HAU et les refus de biodéchets () identifiés en annexe 5 () Le délégataire ne dispose cependant d'aucune exclusivité pour ces intrants et reste libre quant à l'organisation ou non de la filière de collecte en amont ", tandis qu'aux termes du second alinéa du même article, inséré dans le traité après que le soumissionnaire auquel a succédé La SAS Terragr'eau eut opté pour le procédé technique de retraitement de cette catégorie de matières : " Les biodéchets seront traités par compostage ".

5. En vertu de cette clause, le délégataire, qui devait faire son affaire de la collecte des HAU et bio-déchets à traiter par compostage, n'avait aucune garantie sur le tonnage de ces matières. Dès lors, en admettant que les courriers échangés les 1er aout 2014 et 12 janvier 2015, qui ne portaient que sur la technique de traitement de cette catégorie d'intrants, aient substitué la méthanisation au compostage, ils n'ont pu emporter modification que du second alinéa de l'article 17.3 qui, seul, était soumis à option des soumissionnaires lors de la consultation. La CCPEVA n'a, en revanche, pas pris envers son délégataire d'engagement de lui confier un volume minimum d'apport de matières. Elle n'a pas non plus fait de promesse en ce sens et la SAS Terragr'eau a elle-même accepté, librement et en toute connaissance de cause, d'aménager une unité de traitement par méthanisation aux risques que lui faisait assumer le premier alinéa de l'article 17.3, demeuré en vigueur.

6. Il suit de là que la SAS Terragr'eau n'est pas fondée à se prévaloir de créances non sérieusement contestables de 73 178 euros HT et de 60 000 euros HT à raison du sous-emploi des installations de méthanisation des HAU et bio-déchets et de la charge d'acquisition d'HAU de substitution, résultant d'une prétendue faute de l'autorité délégante.

S'agissant de la qualité des intrants agricoles :

7. D'une part, il résulte des articles 17.1 et 17.2 du traité de concession litigieux, inséré au dossier de consultation remis aux candidats à la délégation de service public que le délégataire a l'obligation d'accepter et de traiter par méthanisation, en contrepartie d'un droit d'exclusivité, les intrants agricoles provenant des exploitations ayant conclu une convention d'apport avec la CCPEVA. D'autre part, le dossier de consultation comportait un document technique intitulé Bilan matière faisant apparaître, un volume annuel à méthaniser de l'ordre de 33 000 tonnes.

8. Dès lors que la méthanisation ne peut s'appliquer qu'à des matières faiblement chargées en humidité, un professionnel normalement diligent devait comprendre que le tonnage indiqué était directement apte à être valorisé et à produire du gaz, sous déduction d'un taux moyen d'humidité d'environ 15% dont l'intéressée a tenu compte dans son offre. Or, il résulte de l'instruction que l'organisme chargé de fédérer les exploitants agricoles conventionnés comme le rapport annuel d'exploitation remis par Terragr'eau en exécution de ses obligations contractuelles relèvent, dans ce tonnage d'intrants, un volume d'eau pouvant atteindre 30% ce qui diminue d'autant la production de gaz commercialisable et compromet le rendement de l'exploitation, lui-même fondé sur les données communiquées lors de la mise en concurrence. A cet égard, si les dispositions des articles L. 1411-1 et suivants du CGCT, alors applicables, ne faisaient pas obligation au délégant de définir précisément les besoins à satisfaire, elles ne le dispensaient pas de fournir aux candidats des données exemptes d'inexactitudes susceptibles de vicier la validité économique de leurs offres. Il suit de là que la CCPEVA doit répondre des conséquences de la surestimation du volume d'intrants agricoles valorisables lors de la conclusion du contrat.

9. Sur la base d'une production de 9,2 MWh de biogaz calculée selon les tonnages d'intrants estimés par la CCPEVA, et après déduction de pertes de production étrangères à la teneur en eau, il résulte de l'instruction que l'exploitant aurait pu commercialiser en 2020, si les estimations d'intrants agricoles communiquées avaient correspondu à leur composition effective, environ 5,8 MWh au prix de 12,2 centimes d'euros, le kWh. Dans ces conditions, il sera fait une exacte appréciation de la créance non sérieusement contestable représentée par les pertes d'exploitation subies de ce chef en l'indemnisant à hauteur de 84 000 euros HT, tous intérêts compris.

10. En outre, il sera fait une exacte appréciation des créances non sérieusement contestables représentées par les charges de personnels, de carburant et de biogaz affectées à la tâche improductive d'élimination de l'eau excédant les données communiquées à la formation du contrat en les indemnisant tous intérêts compris, à hauteur respectivement de 28 000 euros HT, 7 500 euros HT et 55 000 euros HT, sommes calculées selon les données comptables du rapport annuel remis au délégant et justifiées par application du prorata d'excès de matières collectées ou manipulées en pure perte.

S'agissant de l'irrégularité des flux d'intrants agricoles :

11. D'une part, il résulte de l'instruction que c'est le soumissionnaire auquel a succédé la SAS Terragr'eau, non pas la CCPEVA, qui a indiqué que les bacs de stockage à aménager sur le site auraient la capacité de contenir un tonnage d'intrants de 14 jours et demi de collecte, calculé selon une moyenne journalière qu'il a extraite empiriquement des tonnages estimatifs annuels globaux figurant au dossier de consultation. D'autre part, si le tableau récapitulant les gisements de matières organiques a acquis valeur contractuelle dès lors qu'il est annexé au traité de concession, il ne mentionne que des tonnages annuels globaux et ne comporte aucun engagement du délégant sur le rythme mensuel ou saisonnier des collectes.

12. Il suit de là que la SAS Terragr'eau n'est pas fondée à se prévaloir d'une créance non sérieusement contestable de 148 953 euros HT à raison de la perte de rendement des intrants excédentaires collectés en hiver, résultant d'une prétendue faute du délégant.

En ce qui concerne la rupture de l'équilibre économique du contrat :

13. Aux termes de l'article 33 du traité de concession : " Pour tenir compte de l'évolution des conditions économiques et techniques et de l'économie générale du contrat, l'économie du contrat peut être soumise à réexamen sur production par le Délégataire () des justifications nécessaires () dans les principaux cas suivants : () - en cas de modification significative des conditions d'exploitation des ouvrages du service délégué () ".

14. Si les cas de réexamen du traité de concession ne sont envisagés qu'à titre d'exemple, la clause de l'article 33 précitée ne trouve à s'appliquer qu'afin d'intégrer les conséquences d'une modification des conditions d'exploitation survenue depuis la signature du contrat originel. Or, les conséquences du sous-emploi de la méthanisation des HAU et des bio-déchets et les contraintes de stockage des intrants collectés, non indemnisés sur le fondement de la faute invoquée à titre principal, ainsi que la somme de 4 332 euros, d'ailleurs dépourvue de justification revendiquée au titre du résultat d'exploitation annuel, ont trait à des conditions d'exploitation qui avaient cours lorsque les parties ont contracté ou lorsqu'elles ont convenu de gré à gré de modifier l'article 17.3 de la concession. Il s'ensuit qu'aucune créance non sérieusement contestable n'a pu naître de l'obligation de réviser le contrat et que les chefs de préjudice non indemnisés aux points 4 à 6 et 11, 12 ne peuvent l'être sur ce fondement subsidiaire.

15. Il résulte de ce qui précède que la SAS Terragr'eau est seulement fondée à demander la condamnation de la CCPEVA à lui verser une provision de 174 500 euros HT, tous intérêts compris, et la réformation de l'ordonnance attaquée à cette hauteur.

Sur les conclusions présentées au titre de L. 761-1 du code de justice administrative :

16. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la CCPEVA une somme de 1 500 euros à verser à la SAS Terragr'eau. Les conclusions de la CCPEVA, partie perdante, doivent être rejetées.

ORDONNE :

Article 1er : La Communauté de communes du Pays d'Evian Vallée d'Abondance est condamnée à verser à la SAS Terragr'eau une provision de 174 500 euros HT, tous intérêts compris.

Article 2 : L'ordonnance n° 2204559 du 21 novembre 2022 de la juge des référés du tribunal administratif de Grenoble est réformée en ce qu'elle a de contraire à la présente ordonnance.

Article 3 : La Communauté de communes du Pays d'Evian Vallée d'Abondance versera à la SAS Terragr'eau une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à la SAS Terragr'eau et à la Communauté de communes du Pays d'Evian Vallée d'Abondance.

Fait à Lyon, le 6 juillet 2023.

Le président de la 4ème chambre

Ph. Arbarétaz

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

Un greffier,

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