CAA Marseille, 06/10/2022, n°21MA01346
CAA Marseille, 06/10/2022, n°21MA01346
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B C a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler l'arrêté du 24 décembre 2018 par lequel le maire de Hyères-les-Palmiers a refusé de lui octroyer le bénéfice de la protection fonctionnelle et d'enjoindre au maire de ladite commune de lui accorder cette protection.
Par un jugement n° 1900660 du 5 février 2021, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa requête.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 4 avril 2021 et un mémoire enregistré le 19 janvier 2022, M. B C, représenté par Me Fradet, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 5 février 2021 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 24 décembre 2018 par lequel le maire de Hyères-les-Palmiers a refusé de lui octroyer le bénéfice de la protection fonctionnelle ;
3°) d'enjoindre au maire de ladite commune de lui accorder cette protection ;
4°) de condamner la commune de Hyères-les-Palmiers à lui verser la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'arrêté attaqué est entaché d'un détournement de pouvoir ;
- le maire a commis une erreur de qualification juridique des faits ; aucune faute personnelle détachable de l'exercice de ses fonctions ne peut lui être reprochée ;
- l'arrêté attaqué a méconnu les dispositions de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983, de la circulaire ministérielle du 5 mai 2008, de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen relatif au principe de la présomption d'innocence et de l'article 6-2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 novembre 2021, la commune de Hyères-les-Palmiers, représentée par Me Vergnon conclut au rejet de la requête et à la condamnation de M. C à lui verser la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 19 janvier 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 23 février 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A D,
- les conclusions de M. Allan Gautron, rapporteur public,
- et les observations de Me Vergnon, représentant la commune de Hyères-les-Palmiers.
Considérant ce qui suit :
1. M. C qui a été membre du cabinet du maire de Hyères-les-Palmiers de 2008 à 2014, a été condamné, par jugement rendu le 16 décembre 2013 du tribunal correctionnel de Toulon, à une peine d'emprisonnement d'un an assorti du sursis et au paiement d'une amende de 10 000 euros pour des faits d'atteinte à la liberté d'accès ou à l'égalité des candidats dans les marchés publics, commis de mars à juin 2012. Afin de se défendre en appel, l'intéressé a sollicité, par un courrier du 27 mars 2014, le bénéfice de la protection fonctionnelle. Par une délibération en date du 16 mai 2014, le conseil municipal de Hyères-les-Palmiers, dans sa nouvelle composition issue des élections municipales de mars 2014, a refusé de faire droit à cette demande. Par un arrêt du 25 novembre 2014, la chambre correctionnelle de la cour d'appel d'Aix-en-Provence a requalifié les faits reprochés à M. C en prise illégale d'intérêts et a confirmé la peine prononcée par le tribunal correctionnel de Toulon. Par un arrêt n° 14-88.382 du 13 janvier 2016, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé contre l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence. Par un arrêt n° 17MA01192 du 4 décembre 2018, la cour administrative d'appel de Marseille, après avoir considéré que les agissements reprochés à M. C ne pouvaient permettre l'octroi de la protection fonctionnelle, a confirmé l'annulation de la délibération du conseil municipal du 16 mai 2014 par le tribunal administratif de Toulon par jugement n° 1402200 du 20 janvier 2017 en raison de l'incompétence de son auteur, et a enjoint au maire de statuer à nouveau sur la situation de M. C. Par un arrêté du 24 décembre 2018, le maire de Hyères-les-Palmiers a refusé de nouveau de lui octroyer la protection fonctionnelle. M. C relève appel du jugement n° 1900660 du 5 février 2021 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa requête tendant à l'annulation de l'arrêté du 24 décembre 2018.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il résulte du point 7 de son jugement, que le tribunal a écarté le moyen tiré de l'existence d'un détournement de pouvoir. Dès lors, M. C n'est pas fondé à soutenir que les premiers juges ont entaché d'irrégularité leur jugement pour avoir omis de statuer sur ce moyen.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Aux termes de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 alors en vigueur : " " I.-A raison de ses fonctions et indépendamment des règles fixées par le code pénal et par les lois spéciales, le fonctionnaire ou, le cas échéant, l'ancien fonctionnaire bénéficie, dans les conditions prévues au présent article, d'une protection organisée par la collectivité publique qui l'emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire III.-Lorsque le fonctionnaire fait l'objet de poursuites pénales à raison de faits qui n'ont pas le caractère d'une faute personnelle détachable de l'exercice de ses fonctions, la collectivité publique doit lui accorder sa protection La collectivité publique est également tenue de protéger le fonctionnaire qui, à raison de tels faits, est placé en garde à vue ou se voit proposer une mesure de composition pénale ".
4. Ces dispositions instituent en faveur des fonctionnaires ou des anciens fonctionnaires qui font l'objet de poursuites pénales une protection qui ne peut être refusée que si les faits en relation avec les poursuites ont le caractère d'une faute personnelle. Pour l'application de cette disposition, présentent le caractère d'une faute personnelle détachable des fonctions, des faits qui révèlent des préoccupations d'ordre privé, qui procèdent d'un comportement incompatible avec les obligations qui s'imposent dans l'exercice de fonctions publiques ou qui, eu égard à leur nature et aux conditions dans lesquelles ils ont été commis, revêtent une particulière gravité. En revanche, ni la qualification retenue par le juge pénal, ni le caractère intentionnel des faits retenus contre l'intéressé ne suffisent par eux-mêmes à regarder une faute comme étant détachable des fonctions, et justifiant dès lors que le bénéfice du droit à la protection fonctionnelle soit refusé à celui qui en fait la demande.
5. Il ressort des pièces du dossier que l'autorité administrative a refusé le bénéfice de la protection fonctionnelle à M. C au motif qu'il avait rédigé, en sa qualité de membre de cabinet du maire, un rapport des offres présentées dans le cadre de la procédure d'attribution d'un marché public de la commune de Hyères-les-Palmiers alors qu'il connaissait personnellement le gérant de la société attributaire, commettant ainsi une faute personnelle détachable de ses fonctions. La cour d'appel d'Aix-en-Provence dans son arrêt en date du 25 novembre 2014 a relevé que " des circonstances visées dans la prévention - les liens amicaux et professionnels entre le prévenu et le candidat choisi et leurs multiples contacts téléphoniques - jettent la suspicion sur l'impartialité du choix du candidat./ Relation amicale et professionnelle de longue date avec le gérant d'une des sociétés en compétition, il s'est ainsi trouvé en situation potentielle de conflit d'intérêt, ses relations à titre privé avec un des candidats étant susceptible d'interférer avec l'intérêt public dont il avait la charge et de faire naître un doute sur l'impartialité et l'objectivité de son rapport d'analyse des offres./ Le prévenu sera donc déclaré coupable du délit de prise illégale d'intérêts ". Les faits reprochés à M. C sont donc établis par les pièces du dossier. En outre, ces faits révèlent des préoccupations d'ordre privé, procèdent d'un comportement incompatible avec les obligations de neutralité et d'objectivité qui s'imposent dans l'exercice de fonctions publiques sans que puisse y faire obstacle la circonstance que M. C n'ait pas participé à la commission d'appel d'offres qui a attribué le marché en litige et ait simplement rédigé un rapport. Par suite, M. C ayant fait l'objet de poursuites pour des faits constitutifs d'une faute personnelle détachable de ses fonctions, c'est à bon droit que l'autorité administrative lui a refusé le bénéfice de la protection fonctionnelle. Dès lors, le moyen tiré de la violation des dispositions de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 doit être écarté.
6. M. C ne peut utilement se prévaloir de la circulaire ministérielle du 5 mai 2008 dépourvue de caractère impératif et qui, au demeurant ne comporte aucune disposition utile.
7.Il ressort des pièces du dossier que le moyen tiré du détournement de pouvoir n'est pas établi.
8. Dès lors que la décision administrative de refus de protection fonctionnelle ne porte, par elle-même, aucune atteinte au principe de la présomption d'innocence, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations du 2 de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, selon lesquelles toute personne accusée d'une infraction pénale est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie, ne peuvent qu'être écartés.
9. Compte tenu de tout ce qui précède, M. C n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Toulon a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 24 décembre 2018. Dès lors, doivent, par suite, être rejetées ses conclusions à fin d'annulation de cet arrêté, d'injonction et formulées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Enfin, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de M. C une somme de 2 000 euros, au titre des frais exposés par la commune de Hyères-les-Palmiers et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête est rejetée.
Article 2 : M. C versera une somme de 2 000 euros à la commune de Hyères-les-Palmiers en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. B C et à la commune de Hyères-les-Palmiers.
Délibéré après l'audience du 22 septembre 2022, où siégeaient :
- Mme Cécile Fedi, présidente,
- M. Gilles Taormina, président-assesseur,
- M. Nicolas Danveau, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 octobre 2022 :
N°21MA01346nl