CAA Marseille, 23/05/2023, n°21MA01841
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Sécurité eau secours a demandé au tribunal administratif de Marseille d'enjoindre à la métropole Aix-Marseille-Provence (MAMP) de communiquer le prix versé à l'association de Marseille des secouristes (AMS) Croix Blanche au titre du précédent marché relatif à la surveillance de la baignade et des plages du lac de Peyrolles-en-Provence, de résilier le marché public relatif à la surveillance de la baignade et des plages du lac de Peyrolles-en-Provence attribué le 16 mars 2018 à l'AMS Croix Blanche, et de condamner la métropole (MAMP) à lui verser la somme de 99 000 euros en réparation du préjudice lié à son éviction irrégulière de la consultation.
Par un jugement n° 1807357 du 16 mars 2021, le tribunal administratif de Marseille a rejeté ses demandes.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 17 mai 2021, le 15 décembre 2022 et le 16 février 2023, la société Sécurité eau secours, représentée par Me Carle et Me Lauriac, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 16 mars 2020 ;
2°) de résilier le marché public signé le 16 mars 2018 avec l'AMS Croix blanche ;
3°) d'enjoindre à la métropole Aix-Marseille-Provence de communiquer le montant effectif du marché exécuté ;
4°) de condamner la métropole Aix-Marseille-Provence à lui verser la somme de 22 272 euros au titre du préjudice lié à son éviction irrégulière ;
5°) de mettre à la charge de la métropole Aix-Marseille-Provence la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle justifie d'un intérêt à agir en sa qualité de candidate évincée ;
- sa demande est recevable alors qu'aucune mesure de publicité n'a été prise ;
- les manquements aux règles de passation sont directement en rapport avec son éviction ;
- l'offre de l'AMS Croix Blanche aurait dû être écartée comme irrégulière, la réglementation fiscale en matière de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ayant été méconnue ;
- la mise en œuvre du critère de prix méconnait l'article 14.1 du règlement de consultation qui précise que la proposition de prix est exprimée hors taxe ;
- les critères ont été privés de portée et neutralisés par la méthode de notation qui a méconnu le principe d'égal traitement des candidats énoncé à l'article 1er de l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marché publics ;
- le document de consultation des entreprises méconnait le principe de transparence et le principe d'égalité de traitement dès lors qu'elle était contrainte de renseigner dans le bordereau des prix unitaires un montant minimal de marché alors qu'elle était en mesure de proposer des prix unitaires plus compétitifs ;
- elle disposait d'une chance sérieuse de remporter le contrat ;
- elle devra être indemnisée de sa perte de gain de 22 772 euros par an correspondant à la marge nette pouvant être dégagée sur le marché telle qu'attestée par son expert-comptable.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 4 février 2022 et le 10 janvier 2023, la métropole Aix-Marseille-Provence, représentée par Me Gaspar, conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge de la société Sécurité eau secours la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Un courrier du 25 octobre 2023 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il est envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourra être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2.
Par ordonnance du 6 avril 2023, la clôture de l'instruction a été fixée à sa date d'émission en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Le 18 avril 2023 les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office selon lequel :
- le marché en litige a été attribué le 16 mars 2018 pour une durée d'un an, reconductible trois fois, soit jusqu'au 16 mars 2022. Il est par suite entièrement exécuté et il n'y a donc plus lieu de statuer sur les conclusions tendant à sa résiliation de la société Sécurité eau secours.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts ;
- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015
- le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Isabelle Gougot, rapporteure,
- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,
- et les observations de Me Carle, pour la société Sécurité eau secours, et de Me Bernard, pour la métropole Aix-Marseille-Provence.
Considérant ce qui suit :
1. Par un avis d'appel public à la concurrence du 23 février 2018, la métropole Aix-Marseille-Provence a lancé une consultation pour la passation, sous la forme d'une procédure adaptée, d'un marché public relatif à des prestations de surveillance de la baignade et des plages du lac de Peyrolles en Provence. Par courrier du 3 mai 2018, la métropole Aix-Marseille-Provence a informé la société Sécurité eau secours que son offre était rejetée et que le marché était attribué à l'AMS Croix Blanche. La société Sécurité eau secours relève appel du jugement du tribunal administratif de Marseille du 16 mars 2021 rejetant ses demandes tendant, d'une part, à résilier ce marché et, d'autre part, à condamner la métropole Aix-Marseille-Provence à lui verser la somme de 116 760 euros, réduite à 22 772 euros en appel, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de son éviction irrégulière.
2. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Ce recours doit être exercé, y compris si le contrat contesté est relatif à des travaux publics, dans un délai de deux mois à compter de l'accomplissement des mesures de publicité appropriées, notamment au moyen d'un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi. La légalité du choix du cocontractant, de la délibération autorisant la conclusion du contrat et de la décision de le signer, ne peut être contestée qu'à l'occasion du recours ainsi défini.
3. Saisi ainsi par un tiers dans les conditions définies ci-dessus, de conclusions contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses, il appartient au juge du contrat, après avoir vérifié que l'auteur du recours se prévaut d'un intérêt susceptible d'être lésé de façon suffisamment directe et certaine et que les irrégularités qu'il critique sont de celles qu'il peut utilement invoquer, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences. Ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci. Il peut enfin, s'il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu'il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice découlant de l'atteinte à des droits lésés.
Sur les conclusions à fin de résiliation :
4. Il résulte de l'instruction que le marché en litige a été attribué le 16 mars 2018 pour une durée d'un an, reconductible trois fois, soit jusqu'au 16 mars 2022. Il est par suite entièrement exécuté et il n'y a donc plus lieu de statuer sur les conclusions de la société Sécurité eau secours tendant à sa résiliation.
Sur les conclusions à fin d'annulation, indemnitaires et à fin d'injonction :
5. L'accord cadre en cause prévoyait un montant minimum annuel fixé à 80 000 euros hors taxes et un montant maximum annuel, fixé à 150 000 euros hors taxes, les prix étant unitaires et révisables. La comparaison des offres financières des deux candidats en lice, dans le rapport d'analyse des offres, faisait apparaître un montant de 85 000 euros toutes taxes comprises pour l'AMS Croix Blanche et de 96 223,20 euros toutes taxes comprises pour la société eau secours.
En ce qui concerne l'irrégularité de l'offre de l'AMS Croix Blanche pour méconnaissance de la réglementation fiscale :
6. D'une part, aux termes de l'article 59 du décret du 25 mars 2016 alors en vigueur: " Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation notamment parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale. ". D'autre part, en vertu des dispositions combinées des articles 206 et 261 du code général des impôts sont exonérés de taxe sur la valeur ajoutée les organismes d'utilité générale dont les activités non lucratives restent significativement prépondérantes et lorsque les recettes encaissées n'ont pas excédé 61 634 euros en cours d'année.
7. Par ailleurs, lorsque le prix convenu entre les parties a été fixé et calculé sans prendre en compte la taxe sur la valeur ajoutée applicable ou en la prenant en compte de façon erronée, cette circonstance reste sans influence sur la somme due par la personne publique au prestataire de travaux ou de service.
8. La candidate attributaire du marché, l'AMS Croix Blanche, a présenté son offre en se prévalant d'une exonération de taxe sur la valeur ajoutée en application du b. du 1° du 7 de l'article 261 du code général des impôts. A supposer même qu'elle n'ait pas été fondée à se prévaloir d'une telle exonération, il en résulterait seulement que l'association AMS Croix Blanche devrait acquitter cette taxe, sans que cela ait une quelconque incidence sur la somme qui lui était due par la métropole Aix-Marseille-Provence au titre des prestations, objet du marché en litige, le prix ayant été fixé au montant proposé dans l'offre et donc définitivement convenu. Par suite, et sans qu'il soit besoin de demander la production de la pièce relative au prix payé à l'AMS Croix Blanche au titre du marché antérieur au marché en cause dont elle était également attributaire, l'offre de l'association, qui n'obère pas l'éventuel assujettissement des prestations concernées à la taxe sur la valeur ajoutée, ne peut être regardée comme méconnaissant la législation applicable en matière fiscale au sens des dispositions de l'article 59 du décret du 25 mars 2016 citées ci-dessus, ni, par suite, comme étant irrégulière.
En ce qui concerne l'irrégularité de la mise en œuvre de la méthode de notation du critère prix prévue par l'article 14 du règlement de consultation :
9. Selon l'article 14 du règlement de consultation les offres sont appréciées à hauteur de 70 % sur un critère prix et à hauteur de 30 % sur le critère de la valeur technique. Il est aussi précisé au titre de " la méthodologie de notation du critère prix " que le prix sera examiné " au regard du détail estimatif et du bordereau des prix unitaires " et qu'" en cas de discordance constatée dans une offre, les indications portées dans le bordereau des prix unitaires prévaudront sur toute autre indication de l'offre et le montant indiqué dans le détail quantitatif estimatif [DQE] sera rectifié en conséquence. [] pour le jugement des offres c'est le montant rectifié du DQE qui sera pris en considération. ".
10. Contrairement à ce que soutient la société Sécurité eau secours, il ne résulte d'aucune mention explicite de l'article 14 du règlement de consultation que le prix devait être présenté hors taxe par les candidats, ce qui ne saurait être déduit du seul fait que le bordereau de prix unitaire se réfère à un prix hors taxes. L'article 8 du cahier des charges administratives particulières (CCAP) précise au contraire que " les prix sont réputés comprendre toutes les charges fiscales, parafiscales ou autres ".
11. Par suite, la société Sécurité eau secours n'est pas fondée à soutenir que la mise en œuvre du critère de prix méconnait l'article 14 du règlement de consultation.
En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance des principes d'égal traitement des candidats et de transparence :
12. D'une part, aux termes de l'article 1er de l'ordonnance du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics alors en vigueur : " I. - Les marchés publics soumis à la présente ordonnance respectent les principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures ".
13. Il résulte du rapport d'analyse des offres que les prix proposés par chacun des candidats ont été examinés toutes taxes comprises, par référence à l'article 8 du CCAP cité au point 9. Et il ne revient pas au pouvoir adjudicateur, en-dehors du cas dans lequel l'offre du candidat pourrait être analysée comme anormalement basse, ce que la société requérante ne soutient pas, de rechercher si le prix proposé par l'AMS Croix Blanche, toutes taxes comprises, devait être pris en compte autrement. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que le principe d'égalité aurait été méconnu.
14. D'autre part, la société requérante n'est pas non plus fondée à soutenir qu'elle aurait été contrainte de renseigner dans le bordereau des prix unitaires un montant minimal de marché alors qu'elle était en mesure de proposer des prix unitaires plus compétitifs dès lors que le règlement de consultation précisait bien que la quantité et le montant prévisionnels étaient estimatifs, que le DQE n'était pas une pièce contractuelle. La société Sécurité eau secours pouvait donc proposer une offre pour un montant minimum de 80 000 euros de l'accord-cadre avec une quantité supérieure ou bien une offre correspondant à la quantité prévisionnelle à un prix inférieur, sans méconnaitre le règlement de consultation.
15. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fins d'annulation, à fin d'injonction et indemnitaires de la société requérante doivent être rejetées.
Sur frais liés au litige :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme quelconque soit mise à la charge de la métropole Aix-Marseille-Provence qui n'est pas, dans la présente instance la partie perdante. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de la société Sécurité eau secours une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la métropole Aix-Marseille-Provence et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société Sécurité eau secours est rejetée.
Article 2 : La société Sécurité eau secours versera à la métropole Aix-Marseille-Provence une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3: Le présent arrêt sera notifié à la société Sécurité eau secours, à la métropole Aix-Marseille-Provence et à l'association de Marseille des secouristes (AMS) Croix-Blanche.
Délibéré après l'audience du 10 mai 2023, où siégeaient :
- M. Alexandre Badie, président de chambre,
- M. Renaud Thielé, président assesseur,
- Mme Isabelle Gougot, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 23 mai 2023.